Hello !
Une petite histoire campagnarde, comme j'aime...
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LE MARIAGE D'ANNE-LUC (1/2)
— J'aime toutes les nuances de l'arc-en-ciel, déclara la marquise en voyant paraître Marie-Chloé, dont il avait été décidé ici qu'elle serait l'épouse d'Anne-Luc, et qui était présentement vêtue d'un chemisier aux couleurs dudit arc-en -ciel.
Anne-Luc regarda Bruno, le premier valet de sa mère, et l'on se fit alors une drôle de grimace... qui ne signifiait rien, du reste, ces jeunes gens n'étant pas intimes.
On avait cependant le même âge, vingt-deux ans, et Bruno venait de sortir d'une école hôtelière plutôt réputée ; sa gentillesse et son sourire avaient vite conquis la marquise, en plus de son excellent travail.
Anne-Luc, lui, étudiait en ville... d'où vint qu'il ne l'avait pas vu arriver, la Marie-Chloé !
Cette jeune beauté, tout aussi douée pour les études que lu-même, avait un petit avantage personnel... mais non d'ordre intime ! Sa famille était grandement riche, et outre qu'elle était elle-même promise à un beau parcours professionnel, elle s'attendait à une succession non moins alléchante.
Certes, son marquis de père était jeune encore, mais il avait déjà commencé à distribuer des morceaux de sa fortune à ses enfants, au nombre de deux : Marie-Chloé avait un petit frère, jeune homme doué aussi, qui étudiait à Turin.
On se connaissait depuis toujours, évidemment, mais si les parents hantaient les châteaux voisins, il n'en allait pas de même pour la jeune génération, plus dispersée.
Par quelle aberration Anne-Luc s'était-il laissé arracher son accord pour marier la pimpante Marie-Chloé ? Belle et riche, souriante et d'une remarquable intelligence, elle avait évidemment tout pour plaire, et il ne s'était tout simplement pas posé la question : après tout, dans son milieu, se mariait-on par amour, ou même seulement par inclination ?
Mais mis en présence de la belle, qu'il trouva nettement plus attirante qu'en son souvenir, il réalisa ce que ses conceptions du mariage aristocratique avaient de dépassé !
Oh ! Pour la baiser, il la baiserait sans problème ! Mais... l'aimer, et faire sa vie avec ? Bref, l'immensité de son erreur lui apparut alors avec une aura des plus tragiques...
Pour comble de malheur, il avait été prévu que la demoiselle demeurerait céans... une petite semaine. Non que les parents d'Anne-Luc eussent pour dessein de la mettre illico dans le lit de leur rejeton mais... le château était assez grand pour qu'on y pût mener une amusante vie nocturne... Et puis... la vérité veux qu'on dise que ces excellents parents, au demeurant, n'avaient pas envie de rater un mariage aussi avantageux... quand bien leur noblesse dépassait en ancienneté celle de la promise !
On papota donc dans le grand salon, et soudain, Madame déclara :
— Au fait ! J'ai demandé à Bruno de se mettre plus particulièrement à ton service pendant l'été, Anne-Luc ! Il me semble important que tu n'aies aucune préoccupation matérielle pendant tes vacances.
— Merci, Maman.
Hors les louanges de sa mère, Anne-Luc ne savait rien du garçon... mais la chose lui convenait, s'il n'avait pas l'habitude de se faire servir. La journée se poursuivit donc selon les conventions les plus conventionnelles du XIXème siècle... et Anne-Luc dut aller conter fleurette à Marie-Chloé sous les cèdres centenaires du parc...
À vrai dire, ce fut elle qui mena les débats... qui le dragua, pour mieux dire. Et elle n'avait pas froid aux yeux, la fillette ! Bref, il ne fut pas décidé qu'on se verrait pendant la nuit... mais ce fut tout comme.
Le dîner fut placé sous le charme de la demoiselle, qui savait tenir son public : le comte semblait subjugué, en tout cas. Et comme Marie-Chloé ne lésinait pas non plus sur les allusions flatteuses envers son enfant, Madame était aux anges...
Arriva ce qui devait se passer : tandis que les seigneurs du lieu passaient la soirée devant la télé, on autorisa discrètement les jeunes gens à aller papoter ailleurs...
On avait donné à Mademoiselle une belle chambre Louis XV, précédée d'un boudoir de la même farine. Autant vous dire que les sofas dudit boudoir ne virent point passer ces nobles fesses ! Et ma foi, ça arrangea bien le nommé Anne-Luc, cet empressement. Du moins n'était-il pas demandeur, en l'occurrence.
Il ne manquait pas de succès en ville, ce beau blond cendré-là ! Point d'attaches sérieuses au-delà de six mois, mais de jolis p'tits coups en série... et une gentille réputation, à l'école...
Ce fut chaud et mignon comme tout, cette entrée en matière. Encore qu'exigeante, la Marie-Chloé ne cacha pas sa satisfaction... et l'on fit traîner les choses bien au-delà de minuit.
L'appartement de Marie-Chloé était au premier, dans l'aile opposée à celle des patrons. Celui d'Anne-Luc était au fond du même couloir. Or au moment où il sortait de chez Marie-Chloé, il vit une silhouette descendre l'escalier de service qui passait au fond.
Surpris, il réfléchit : une seule personne logeait au second, juste au-dessus : Bruno. Sans penser plus loin, il monta et frappa à la porte dudit... qui ouvrit, à poil.
— Oh ! Vous, Monsieur ! Je... Oh, je, je...
— Chut ! Change rien : je suis un mec, moi aussi !
— Mais, Monsieur... fit le garçon, archigêné.
— Bon ! On se pose là ? fit Anne-Luc en montrant deux cabriolets Louis XV, certes un peu fatigués... par toutes ces révolutions !
— Je suis là parce que... Bruno ? Tu accepterais de me tutoyer, en privé ?
— Mais, Monsieur...
— C'est oui. Ma mère t'a demandé de t'occuper de moi cet été, et je vous en remercie tous les deux. Je te demande seulement de garder le secret sur ce que tu sauras de moi.
— Mais... cela va de soi, Monsieur.
— Anne-Luc ! Comme évidemment je ne dirai rien te concernant.
— Merci, M... Anne-Luc.
— Donc je sortais de la chambre de Marie-Chloé quand j'ai aperçu un garçon descendre par le petit escalier.
— Ben... Si vous... tu pouvais ne rien dire à personne...
— C'est... ton amoureux ?
— Oh non ! Enfin... pas encore. Je sais rien.
— Tu me dis que ce que tu veux. Il est du coin, donc ?
— C'est... l'Aurélien, des Grands Frênes.
— Oh ! Mais je connais ce nom-là ! Mais... il est plus vieux que nous, je crois ? Et a surtout une réputation de coureur de jupons, non ?
— Oui... mais elle est en partie fausse ! Il m'a dit qu'on lui attribuait des dizaines d'enfants dans le pays... dont aucun ne serait de lui !
— En tout cas, t'as pas choisi le plus moche ! Car si je me souviens bien, c'est un genre de top model, au niveau du canton ?
— C'est vrai qu'il est... sublime.
— Et gay ?
— Ben... en tout cas, il aime pas que les femmes !
— Amuse-toi bien, alors. Et... si tu me permets un compliment... t'es super beau, toi aussi !
— Oh ! Merci !
— Entre pas chez moi demain matin... j'aurai peut-être du monde !
— Je vois ! fit Bruno en souriant. Merci, Anne-Luc.
— On se voit demain, donc. Tiens ! J'aimerais bien le rencontrer, ton bourreau des cœurs !
Ce fut dans une drôle d'état d'esprit qu'Anne-Luc regagna sa chambre. Bruno, le beau Bruno, gay ? Car il était vraiment beau, ce mec. Gracieusement brun, finement découplé et musclé, il était aussi porteur d'une fine toison sombre qui lui donnait, au-delà de son juvénile sourire, une sorte de masculinité... presque étrange.
Troublante, même. Anne-Luc n'avait jamais pensé aux mecs : sa beauté lui avait tout de suite assuré de faciles succès, et dès l'adolescence, il n'avait eu qu'à choisir. Mais là... il entrait en contact avec un autre monde : celui des garçons... dont il convint qu'il faisait partie, lui aussi.
Le lendemain matin, il fut seul et croisant Bruno à l'office, vaste arrière-cuisine du XVIIème, il lui souffla :
— J'ai eu la paix, ce matin, t'aurais pu venir !
— Je m'autorise pas à venir t'emmerder... quand tu es... tout seul ! répliqua Bruno.
Saisi par cette réponse, Anne-Luc éclata de rire, faisant se retourner les autres, la cuisinière, et deux autres employés du château qui déjeunaient là. Mais la table était si longue !
— Je t'appelle dès qu'on me laisse une couille de libre ! susurra-t-il... faisant exploser Bruno à son tour.
La cuisinière fronça les sourcils, mais on avala son café en vitesse et l'on sortit parler ailleurs.
Marie-Chloé devait passer une semaine au château... et cela ne satisfaisait Anne-Luc qu'à moitié : non qu'il craignît des difficultés à monter cette ardente cavale, mais... décidément, ces arrangements de familles ne lui plaisaient guère.
Il s'en ouvrit à Bruno. Qui se permit... d'oser.
— Si tu veux pas... alors il me semble que tu dois le dire tout de suite, Sinon, plus tu attendras, et plus les choses seront difficiles... pour tout le monde.
— Merci, Bruno... C'est l'évidence, ce que tu me dis là... et j'y avais pas réfléchi moi-même. Mais comment virer une nana que tu baises... bien ?
— Provoque une discussion sur le sujet de la vie commune... Dis que tu ne te sens pas prêt... Elle aura sans doute des arguments, comme... le sexe, si ça se passe bien... l'argent, bien sûr... la carrière qui vous est promise... Mais répond que la vie de couple ne se résume pas à ça.
— Et si elle avance les sentiments ?
— Fais-lui savoir clairement que ça ne se commande pas.
— Oh ! Tu parles comme un conseiller conjugal !
— J'essaye de le faire comme un ami, Anne-Luc.
Anne-Luc frémit ; la beauté comme le sérieux de Bruno l'impressionnaient grandement. Ce garçon, qui avait son âge et pas du tout le même parcours scolaire parlait d'or, pas moins. Il tâcha de se reprendre :
— Sais-tu ce qu'il en dirait, Aurélien ?
— Il est un peu dans le même cas que toi... car on tente de lui fourguer une héritière de grosse ferme, et... sa réputation ne joue pas en sa faveur : personne comprendrait qu'il refuse la Marie-Thérèse, du Petitchamp !
— Ah oui, carrément !
— Belle, riche, et fille unique ! Et bonne baiseuse, d'après lui...
Les garçons se sourirent.
— Il te plaît, l'Aurélien ?
— Il plairait à tout le monde ! Chuis sûr qu'il fait mouiller les vieilles filles de la paroisse, avec son sourire à damner même le grand calvaire devant l'église !
Anne-Luc resta coi. Le vocabulaire, le calme et la lucidité de Bruno l’épataient grandement. Il se demanda si ce garçon n'était pas un extraterrestre déguisé en valet de chambre...
— Oui, il me plaît, reprit doucement le garçon. Je suis pas sûr d'arriver à quoi que ce soit avec lui, mais... oui, il me plaît, conclut Bruno en poussant un énorme soupir.
— Les choses ont changé, ces dernières années, fit Anne-Luc.
— On est dans le fin fond de la campagne profonde... et il hérite une grosse ferme. Moi... je sais pas où j'irai, si Madame se lasse de moi. J'aime les châteaux... mais il y a de bonnes places en ville, et...
— Anne-Luc ! cria une voix féminine... celle de Marie-Chloé.
— Merci, Bruno, on reparle plus tard !
— Bon courage !
Anne-Luc haussa les épaules... ravi pourtant de l'insolence de son valet, qu'il ne voyait plus comme tel, à ce moment.
Il mena Marie-Chloé en les alentours... se demandant bien comment il provoquerait la discussion suggérée par Bruno... son nouveau conseiller personnel.
Les choses se firent toutes seules : on était près d'un étang romantique en diable qu'Anne-Luc loua délicatement... quand Mademoiselle déclara sans ambages préférer la grand ville. Sans même qu'il y pensât, Anne-Luc se lança en un argumentaire qui... qui aboutit à la discussion espérée.
— Si je t'écoute, on n'a rien à faire ensemble, quoi ! fit enfin Marie-Chloé, l'air un peu dépité. Pourtant, nous... nous entendons bien, non ?
— Le sexe n'a qu'un temps... et je pense que tu le sais aussi bien que moi.
La discussion ne s'envenima pas : on était de bonne compagnie, de part et d'autre. Mais on n'en ressortit pas sans un tas de pensées...
Emmy1 lesquelles Anne-Luc songea qu'il avait fait progresser son affaire... et que cela plairait à Bruno.
Ces mots n'empêchèrent point une gentille séance au retour... où d'ailleurs ces jeunes gens eurent à cœur de donner le meilleur d'eux-mêmes...
Marie-Chloé fut alors accaparée par la comtesse, et Anne-Luc convoqua immédiatement son valet, pour lui conter les derniers développements de « l'affaire »... et le remercier.
— Tu ne me dois rien, Anne-Luc ! sourit Bruno.
— Si ! Tu m'as conseillé, bien, et... je t'en sais gré. Autre chose... Pardonne mon indiscrétion, Bruno... Tu n'as jamais été intéressé par les filles ?
— Je me suis fait violer à quinze ans : depuis je me suis mis à la course à pied, et je soigne mon sprint !
— Ah ! Ah ! Ah ! Trop mignon ! Et Aurélien ?
— Au premier regard, l'affaire était faite ! Et... toi, Anne-Luc ?
— Ben non, jamais de garçon. J'me suis fait violer aussi... mais ça m'a plu, et... j'ai continué.
— Vous êtes donc un homme facile, Monsieur! Point de vertu ni de principes ! ironisa Bruno, et Anne-Luc sourit.
(à suivre)
Une petite histoire campagnarde, comme j'aime...
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LE MARIAGE D'ANNE-LUC (1/2)
— J'aime toutes les nuances de l'arc-en-ciel, déclara la marquise en voyant paraître Marie-Chloé, dont il avait été décidé ici qu'elle serait l'épouse d'Anne-Luc, et qui était présentement vêtue d'un chemisier aux couleurs dudit arc-en -ciel.
Anne-Luc regarda Bruno, le premier valet de sa mère, et l'on se fit alors une drôle de grimace... qui ne signifiait rien, du reste, ces jeunes gens n'étant pas intimes.
On avait cependant le même âge, vingt-deux ans, et Bruno venait de sortir d'une école hôtelière plutôt réputée ; sa gentillesse et son sourire avaient vite conquis la marquise, en plus de son excellent travail.
Anne-Luc, lui, étudiait en ville... d'où vint qu'il ne l'avait pas vu arriver, la Marie-Chloé !
Cette jeune beauté, tout aussi douée pour les études que lu-même, avait un petit avantage personnel... mais non d'ordre intime ! Sa famille était grandement riche, et outre qu'elle était elle-même promise à un beau parcours professionnel, elle s'attendait à une succession non moins alléchante.
Certes, son marquis de père était jeune encore, mais il avait déjà commencé à distribuer des morceaux de sa fortune à ses enfants, au nombre de deux : Marie-Chloé avait un petit frère, jeune homme doué aussi, qui étudiait à Turin.
On se connaissait depuis toujours, évidemment, mais si les parents hantaient les châteaux voisins, il n'en allait pas de même pour la jeune génération, plus dispersée.
Par quelle aberration Anne-Luc s'était-il laissé arracher son accord pour marier la pimpante Marie-Chloé ? Belle et riche, souriante et d'une remarquable intelligence, elle avait évidemment tout pour plaire, et il ne s'était tout simplement pas posé la question : après tout, dans son milieu, se mariait-on par amour, ou même seulement par inclination ?
Mais mis en présence de la belle, qu'il trouva nettement plus attirante qu'en son souvenir, il réalisa ce que ses conceptions du mariage aristocratique avaient de dépassé !
Oh ! Pour la baiser, il la baiserait sans problème ! Mais... l'aimer, et faire sa vie avec ? Bref, l'immensité de son erreur lui apparut alors avec une aura des plus tragiques...
Pour comble de malheur, il avait été prévu que la demoiselle demeurerait céans... une petite semaine. Non que les parents d'Anne-Luc eussent pour dessein de la mettre illico dans le lit de leur rejeton mais... le château était assez grand pour qu'on y pût mener une amusante vie nocturne... Et puis... la vérité veux qu'on dise que ces excellents parents, au demeurant, n'avaient pas envie de rater un mariage aussi avantageux... quand bien leur noblesse dépassait en ancienneté celle de la promise !
On papota donc dans le grand salon, et soudain, Madame déclara :
— Au fait ! J'ai demandé à Bruno de se mettre plus particulièrement à ton service pendant l'été, Anne-Luc ! Il me semble important que tu n'aies aucune préoccupation matérielle pendant tes vacances.
— Merci, Maman.
Hors les louanges de sa mère, Anne-Luc ne savait rien du garçon... mais la chose lui convenait, s'il n'avait pas l'habitude de se faire servir. La journée se poursuivit donc selon les conventions les plus conventionnelles du XIXème siècle... et Anne-Luc dut aller conter fleurette à Marie-Chloé sous les cèdres centenaires du parc...
À vrai dire, ce fut elle qui mena les débats... qui le dragua, pour mieux dire. Et elle n'avait pas froid aux yeux, la fillette ! Bref, il ne fut pas décidé qu'on se verrait pendant la nuit... mais ce fut tout comme.
Le dîner fut placé sous le charme de la demoiselle, qui savait tenir son public : le comte semblait subjugué, en tout cas. Et comme Marie-Chloé ne lésinait pas non plus sur les allusions flatteuses envers son enfant, Madame était aux anges...
Arriva ce qui devait se passer : tandis que les seigneurs du lieu passaient la soirée devant la télé, on autorisa discrètement les jeunes gens à aller papoter ailleurs...
On avait donné à Mademoiselle une belle chambre Louis XV, précédée d'un boudoir de la même farine. Autant vous dire que les sofas dudit boudoir ne virent point passer ces nobles fesses ! Et ma foi, ça arrangea bien le nommé Anne-Luc, cet empressement. Du moins n'était-il pas demandeur, en l'occurrence.
Il ne manquait pas de succès en ville, ce beau blond cendré-là ! Point d'attaches sérieuses au-delà de six mois, mais de jolis p'tits coups en série... et une gentille réputation, à l'école...
Ce fut chaud et mignon comme tout, cette entrée en matière. Encore qu'exigeante, la Marie-Chloé ne cacha pas sa satisfaction... et l'on fit traîner les choses bien au-delà de minuit.
L'appartement de Marie-Chloé était au premier, dans l'aile opposée à celle des patrons. Celui d'Anne-Luc était au fond du même couloir. Or au moment où il sortait de chez Marie-Chloé, il vit une silhouette descendre l'escalier de service qui passait au fond.
Surpris, il réfléchit : une seule personne logeait au second, juste au-dessus : Bruno. Sans penser plus loin, il monta et frappa à la porte dudit... qui ouvrit, à poil.
— Oh ! Vous, Monsieur ! Je... Oh, je, je...
— Chut ! Change rien : je suis un mec, moi aussi !
— Mais, Monsieur... fit le garçon, archigêné.
— Bon ! On se pose là ? fit Anne-Luc en montrant deux cabriolets Louis XV, certes un peu fatigués... par toutes ces révolutions !
— Je suis là parce que... Bruno ? Tu accepterais de me tutoyer, en privé ?
— Mais, Monsieur...
— C'est oui. Ma mère t'a demandé de t'occuper de moi cet été, et je vous en remercie tous les deux. Je te demande seulement de garder le secret sur ce que tu sauras de moi.
— Mais... cela va de soi, Monsieur.
— Anne-Luc ! Comme évidemment je ne dirai rien te concernant.
— Merci, M... Anne-Luc.
— Donc je sortais de la chambre de Marie-Chloé quand j'ai aperçu un garçon descendre par le petit escalier.
— Ben... Si vous... tu pouvais ne rien dire à personne...
— C'est... ton amoureux ?
— Oh non ! Enfin... pas encore. Je sais rien.
— Tu me dis que ce que tu veux. Il est du coin, donc ?
— C'est... l'Aurélien, des Grands Frênes.
— Oh ! Mais je connais ce nom-là ! Mais... il est plus vieux que nous, je crois ? Et a surtout une réputation de coureur de jupons, non ?
— Oui... mais elle est en partie fausse ! Il m'a dit qu'on lui attribuait des dizaines d'enfants dans le pays... dont aucun ne serait de lui !
— En tout cas, t'as pas choisi le plus moche ! Car si je me souviens bien, c'est un genre de top model, au niveau du canton ?
— C'est vrai qu'il est... sublime.
— Et gay ?
— Ben... en tout cas, il aime pas que les femmes !
— Amuse-toi bien, alors. Et... si tu me permets un compliment... t'es super beau, toi aussi !
— Oh ! Merci !
— Entre pas chez moi demain matin... j'aurai peut-être du monde !
— Je vois ! fit Bruno en souriant. Merci, Anne-Luc.
— On se voit demain, donc. Tiens ! J'aimerais bien le rencontrer, ton bourreau des cœurs !
Ce fut dans une drôle d'état d'esprit qu'Anne-Luc regagna sa chambre. Bruno, le beau Bruno, gay ? Car il était vraiment beau, ce mec. Gracieusement brun, finement découplé et musclé, il était aussi porteur d'une fine toison sombre qui lui donnait, au-delà de son juvénile sourire, une sorte de masculinité... presque étrange.
Troublante, même. Anne-Luc n'avait jamais pensé aux mecs : sa beauté lui avait tout de suite assuré de faciles succès, et dès l'adolescence, il n'avait eu qu'à choisir. Mais là... il entrait en contact avec un autre monde : celui des garçons... dont il convint qu'il faisait partie, lui aussi.
Le lendemain matin, il fut seul et croisant Bruno à l'office, vaste arrière-cuisine du XVIIème, il lui souffla :
— J'ai eu la paix, ce matin, t'aurais pu venir !
— Je m'autorise pas à venir t'emmerder... quand tu es... tout seul ! répliqua Bruno.
Saisi par cette réponse, Anne-Luc éclata de rire, faisant se retourner les autres, la cuisinière, et deux autres employés du château qui déjeunaient là. Mais la table était si longue !
— Je t'appelle dès qu'on me laisse une couille de libre ! susurra-t-il... faisant exploser Bruno à son tour.
La cuisinière fronça les sourcils, mais on avala son café en vitesse et l'on sortit parler ailleurs.
Marie-Chloé devait passer une semaine au château... et cela ne satisfaisait Anne-Luc qu'à moitié : non qu'il craignît des difficultés à monter cette ardente cavale, mais... décidément, ces arrangements de familles ne lui plaisaient guère.
Il s'en ouvrit à Bruno. Qui se permit... d'oser.
— Si tu veux pas... alors il me semble que tu dois le dire tout de suite, Sinon, plus tu attendras, et plus les choses seront difficiles... pour tout le monde.
— Merci, Bruno... C'est l'évidence, ce que tu me dis là... et j'y avais pas réfléchi moi-même. Mais comment virer une nana que tu baises... bien ?
— Provoque une discussion sur le sujet de la vie commune... Dis que tu ne te sens pas prêt... Elle aura sans doute des arguments, comme... le sexe, si ça se passe bien... l'argent, bien sûr... la carrière qui vous est promise... Mais répond que la vie de couple ne se résume pas à ça.
— Et si elle avance les sentiments ?
— Fais-lui savoir clairement que ça ne se commande pas.
— Oh ! Tu parles comme un conseiller conjugal !
— J'essaye de le faire comme un ami, Anne-Luc.
Anne-Luc frémit ; la beauté comme le sérieux de Bruno l'impressionnaient grandement. Ce garçon, qui avait son âge et pas du tout le même parcours scolaire parlait d'or, pas moins. Il tâcha de se reprendre :
— Sais-tu ce qu'il en dirait, Aurélien ?
— Il est un peu dans le même cas que toi... car on tente de lui fourguer une héritière de grosse ferme, et... sa réputation ne joue pas en sa faveur : personne comprendrait qu'il refuse la Marie-Thérèse, du Petitchamp !
— Ah oui, carrément !
— Belle, riche, et fille unique ! Et bonne baiseuse, d'après lui...
Les garçons se sourirent.
— Il te plaît, l'Aurélien ?
— Il plairait à tout le monde ! Chuis sûr qu'il fait mouiller les vieilles filles de la paroisse, avec son sourire à damner même le grand calvaire devant l'église !
Anne-Luc resta coi. Le vocabulaire, le calme et la lucidité de Bruno l’épataient grandement. Il se demanda si ce garçon n'était pas un extraterrestre déguisé en valet de chambre...
— Oui, il me plaît, reprit doucement le garçon. Je suis pas sûr d'arriver à quoi que ce soit avec lui, mais... oui, il me plaît, conclut Bruno en poussant un énorme soupir.
— Les choses ont changé, ces dernières années, fit Anne-Luc.
— On est dans le fin fond de la campagne profonde... et il hérite une grosse ferme. Moi... je sais pas où j'irai, si Madame se lasse de moi. J'aime les châteaux... mais il y a de bonnes places en ville, et...
— Anne-Luc ! cria une voix féminine... celle de Marie-Chloé.
— Merci, Bruno, on reparle plus tard !
— Bon courage !
Anne-Luc haussa les épaules... ravi pourtant de l'insolence de son valet, qu'il ne voyait plus comme tel, à ce moment.
Il mena Marie-Chloé en les alentours... se demandant bien comment il provoquerait la discussion suggérée par Bruno... son nouveau conseiller personnel.
Les choses se firent toutes seules : on était près d'un étang romantique en diable qu'Anne-Luc loua délicatement... quand Mademoiselle déclara sans ambages préférer la grand ville. Sans même qu'il y pensât, Anne-Luc se lança en un argumentaire qui... qui aboutit à la discussion espérée.
— Si je t'écoute, on n'a rien à faire ensemble, quoi ! fit enfin Marie-Chloé, l'air un peu dépité. Pourtant, nous... nous entendons bien, non ?
— Le sexe n'a qu'un temps... et je pense que tu le sais aussi bien que moi.
La discussion ne s'envenima pas : on était de bonne compagnie, de part et d'autre. Mais on n'en ressortit pas sans un tas de pensées...
Emmy1 lesquelles Anne-Luc songea qu'il avait fait progresser son affaire... et que cela plairait à Bruno.
Ces mots n'empêchèrent point une gentille séance au retour... où d'ailleurs ces jeunes gens eurent à cœur de donner le meilleur d'eux-mêmes...
Marie-Chloé fut alors accaparée par la comtesse, et Anne-Luc convoqua immédiatement son valet, pour lui conter les derniers développements de « l'affaire »... et le remercier.
— Tu ne me dois rien, Anne-Luc ! sourit Bruno.
— Si ! Tu m'as conseillé, bien, et... je t'en sais gré. Autre chose... Pardonne mon indiscrétion, Bruno... Tu n'as jamais été intéressé par les filles ?
— Je me suis fait violer à quinze ans : depuis je me suis mis à la course à pied, et je soigne mon sprint !
— Ah ! Ah ! Ah ! Trop mignon ! Et Aurélien ?
— Au premier regard, l'affaire était faite ! Et... toi, Anne-Luc ?
— Ben non, jamais de garçon. J'me suis fait violer aussi... mais ça m'a plu, et... j'ai continué.
— Vous êtes donc un homme facile, Monsieur! Point de vertu ni de principes ! ironisa Bruno, et Anne-Luc sourit.
(à suivre)
Amitiés de Louklouk !