07-05-2024, 03:14 PM
La Bergerie se terminait au fond assez mal et cela me dérangeait car ce récit, je l'aimais beaucoup. Après mûres réflexions, j'ai décidé de le reprendre avec une ampleur que je ne maîtrise pas encore mais dans tous les cas pour qu'il se termine sur une note heureuse ou au moins positive. Je vous souhaite, amis lecteurs, beaucoup de plaisir
Cela faisait une bonne dizaine d’années que je n’étais plus revenu dans mon village de montagne ni, bien sûr, à la Bergerie, ce petit refuge à plus de deux mille mètres d’altitude. Durant toute cette longue période, j’avais parcouru le monde du nord au sud, de l’ouest à l’est, amassant un grand nombre d’expériences qui enrichissaient ma vie professionnelle, pour faire simple de professeur en littérature et en langues. J’avais écrit quelques ouvrages qui avaient eu un certain retentissement dans les milieux universitaires de sorte que j’avais mes entrées un peu partout. Mais je commençais à me lasser de cette vie errante où je n’étais nulle part véritablement chez moi, l’être humain a besoin d’un port d’attache, quel qu’il soit. J’avais envisagé Paris puis San Francisco, Hambourg n’était pas pour me déplaire mais aucun lieu ne me tentait véritablement. Alors que je donnais une conférence à Montréal, peu avant Noël, j’étais arrivé avec une bonne demi-heure de retard en raison d’une tempête de neige comme cela arrive fréquemment dans ce pays. L’emplacement où je devais tenir mon exposé était situé sur une petite colline, le taxi qui me transportait se mit à patiner puis se mit en travers de la route. Il me restait une bonne centaine de mètres à parcourir alors que la tempête redoublait. Cela m’amusa et à ce moment j’eus un bref flash, celui de ce petit refuge dans les Alpes suisses.
Et voilà comment en cette dernière semaine de juin, je transpirais en montant à la Bergerie et en râlant ferme sur mon manque de condition physique. Oui, je râlais mais en même temps je ressentais un bien être tout particulier, une excitation qui s’emparait de moi : en fait, je me sentais heureux de retrouver cette montagne que pendant toutes ces années de jeunesse j’avais occultée afin de me sortir de ces sentiments amoureux que j’avais éprouvés et qui avaient pris une place telle que je ne m’en sortais plus. Il fallait que je mette de la distance, ce que j’avais fait.
Il avait fallu une tempête de neige pour que soudain, tout me revienne à l’esprit et avec une force contre laquelle je ne pouvais rien.
En arrivant dans le village où j’avais toujours mon appartement, je retrouvais celui-ci avec plaisir. L’agence immobilière à qui j’avais confié la gestion et l’entretien de ce logement avait très bien travaillé, tout était propre et fonctionnel et, à ma demande, le frigo était plein et l’armoire contenait les provisions de base nécessaires dans un premier temps. Les stores de l’appartement en face du mien où avait habité Jules étaient baissés et j’ignorais totalement s’il y venait parfois où s’il l’avait vendu. Le téléphone fonctionnait et le surlendemain de mon arrivée la sonnerie retentit. Je décrochais et m’annonçais mais personne ne se manifesta malgré mes Allo, Allo répétés. Le soir, en me couchant, je vis qu’il y avait un message
- Je t’attends mercredi en fin d’après-midi à la Bergerie
Il n’y avait pas de nom, j’ignorais totalement qui cela pouvait être et n’appréciait pas vraiment d’être ainsi convoqué sans savoir dans quelle aventure j’allais me lancer et sur le moment je ne pensais vraiment pas obtempérer à cet ordre comminatoire. Je passais en revue tous les jeunes que j’avais fréquentés, je pensais à Cédric et Blaise mais nous nous étions quittés froidement, à Jules mais je me souvenait qu’il me détestait, je me rappelais les moments où François venait me distraire sexuellement lorsque j’étais en dépression sentimentale. Non, je ne voyais vraiment pas qui cela pouvait être. J’avais décidé de ne pas me rendre à ce rendez-vous sous l’excuse un peu fallacieuse que cela pourrait s’agir d’un piège, même si je ne voyais pas qui pourrait m’en vouloir à ce point.
Le mercredi, sans en être véritablement conscient, je préparais mon sac de montagne pour une expédition de quelques jours, sans admettre un quelconque but mais en sachant parfaitement dans mon for intérieur et donc sans me l’avouer, que ce serait la Bergerie. Et effectivement, après une petite heure de marche, je ne pus faire autrement que d’admettre que j’allais à ce havre de paix de ma jeunesse, je revenais à la source. Mon manque d’entraînement était évident et m’oppressait mais je savais très bien qu’en fait c’était l’incertitude de ce qui m’attendait, de la personne que j’allais découvrir en arrivant. Oui, je crois, je suis même sûr, j’avais tout simplement peur.
La barre rocheuse était franchie, j’avais encore marché une dizaine de minutes, un gros rocher avant un dernier virage du sentier et j’allais revoir la Bergerie, ma Bergerie. Insensiblement, j’avais ralenti mon allure pourtant déjà pas très rapide et même, pendant une fraction de secondes, j’envisageais faire demi-tour mais entretemps j’avais encore fait deux pas supplémentaires. Une fumée sortait de la cheminée, un barbecue tournait tranquillement et une table avec deux couverts était dressée à l'abri d'un parasol. Une ombre à l’intérieur passa rapidement devant la porte grande ouverte mais je n’eus pas le temps de mettre un nom sur cette apparition fugitive. J’étais à quelques mètres de la porte, comme paralysé et incapable de mettre un pied devant l’autre. Je me sentais presque mal et je fermais instinctivement les yeux. Je sentis soudainement une forme humaine me prendre dans ses bras, me serrer contre son corps, des larmes inonder mes joues et se mêler aux miennes alors que je ne savais pas encore qui me témoignait un accueil d’une telle intensité, je dirais avec un tel amour. Une main s’agitait dans ma chevelure, descendait sur mon cou, remontait dans mes cheveux pour descendre sur ma figure et s’attarder brièvement sur mes lèvres.
- Il y a si longtemps que je t’attendais, je savais que tu reviendrais un jour, qu’il était impossible que tu aies oublié la Bergerie, ta Bergerie et ce jour est arrivé
L’ombre me repoussa très doucement, j’ouvris enfin les yeux. Avant que mon cerveau ait eu le temps de mettre un nom sur ce visage ruisselant de larmes je savais que c’était cet adolescent que j’avais, brièvement, passionnément aimé pour le repousser, justement parce je l’aimais plus que tout.
Dans ce moment fulgurant de la rencontre ç’est lui qui m’avait enserré dans ses bras et maintenant c’était mes bras qui le tenaient avec force et tendresse. D’un seul coup, cette brève liaison avec mon petit ange remontait des profondeurs de ma mémoire, Louis, cet être si fragile, si touchant, si beau était là, en chair et en os alors qu'il était totalement sorti de mon existence, du moins c'était ce que je croyais.
Je fis un pas en arrière et je le regardais, il était toujours aussi beau, toujours aussi fragile même si on voyait qu’il était devenu un homme. Une pulsion incontrôlable me fit poser mes lèvres sur les siennes, sans brutalité, presque calmement. Ce bref contact avec le goût de nos salives qui se reconnurent, de nos langues qui se caressèrent brièvement, ce baiser quoi ! symbolisait en une fraction de seconde le passé qui retrouvait le présent, un présent qui donnait tout son sens au passé.
Cela faisait une bonne dizaine d’années que je n’étais plus revenu dans mon village de montagne ni, bien sûr, à la Bergerie, ce petit refuge à plus de deux mille mètres d’altitude. Durant toute cette longue période, j’avais parcouru le monde du nord au sud, de l’ouest à l’est, amassant un grand nombre d’expériences qui enrichissaient ma vie professionnelle, pour faire simple de professeur en littérature et en langues. J’avais écrit quelques ouvrages qui avaient eu un certain retentissement dans les milieux universitaires de sorte que j’avais mes entrées un peu partout. Mais je commençais à me lasser de cette vie errante où je n’étais nulle part véritablement chez moi, l’être humain a besoin d’un port d’attache, quel qu’il soit. J’avais envisagé Paris puis San Francisco, Hambourg n’était pas pour me déplaire mais aucun lieu ne me tentait véritablement. Alors que je donnais une conférence à Montréal, peu avant Noël, j’étais arrivé avec une bonne demi-heure de retard en raison d’une tempête de neige comme cela arrive fréquemment dans ce pays. L’emplacement où je devais tenir mon exposé était situé sur une petite colline, le taxi qui me transportait se mit à patiner puis se mit en travers de la route. Il me restait une bonne centaine de mètres à parcourir alors que la tempête redoublait. Cela m’amusa et à ce moment j’eus un bref flash, celui de ce petit refuge dans les Alpes suisses.
Et voilà comment en cette dernière semaine de juin, je transpirais en montant à la Bergerie et en râlant ferme sur mon manque de condition physique. Oui, je râlais mais en même temps je ressentais un bien être tout particulier, une excitation qui s’emparait de moi : en fait, je me sentais heureux de retrouver cette montagne que pendant toutes ces années de jeunesse j’avais occultée afin de me sortir de ces sentiments amoureux que j’avais éprouvés et qui avaient pris une place telle que je ne m’en sortais plus. Il fallait que je mette de la distance, ce que j’avais fait.
Il avait fallu une tempête de neige pour que soudain, tout me revienne à l’esprit et avec une force contre laquelle je ne pouvais rien.
En arrivant dans le village où j’avais toujours mon appartement, je retrouvais celui-ci avec plaisir. L’agence immobilière à qui j’avais confié la gestion et l’entretien de ce logement avait très bien travaillé, tout était propre et fonctionnel et, à ma demande, le frigo était plein et l’armoire contenait les provisions de base nécessaires dans un premier temps. Les stores de l’appartement en face du mien où avait habité Jules étaient baissés et j’ignorais totalement s’il y venait parfois où s’il l’avait vendu. Le téléphone fonctionnait et le surlendemain de mon arrivée la sonnerie retentit. Je décrochais et m’annonçais mais personne ne se manifesta malgré mes Allo, Allo répétés. Le soir, en me couchant, je vis qu’il y avait un message
- Je t’attends mercredi en fin d’après-midi à la Bergerie
Il n’y avait pas de nom, j’ignorais totalement qui cela pouvait être et n’appréciait pas vraiment d’être ainsi convoqué sans savoir dans quelle aventure j’allais me lancer et sur le moment je ne pensais vraiment pas obtempérer à cet ordre comminatoire. Je passais en revue tous les jeunes que j’avais fréquentés, je pensais à Cédric et Blaise mais nous nous étions quittés froidement, à Jules mais je me souvenait qu’il me détestait, je me rappelais les moments où François venait me distraire sexuellement lorsque j’étais en dépression sentimentale. Non, je ne voyais vraiment pas qui cela pouvait être. J’avais décidé de ne pas me rendre à ce rendez-vous sous l’excuse un peu fallacieuse que cela pourrait s’agir d’un piège, même si je ne voyais pas qui pourrait m’en vouloir à ce point.
Le mercredi, sans en être véritablement conscient, je préparais mon sac de montagne pour une expédition de quelques jours, sans admettre un quelconque but mais en sachant parfaitement dans mon for intérieur et donc sans me l’avouer, que ce serait la Bergerie. Et effectivement, après une petite heure de marche, je ne pus faire autrement que d’admettre que j’allais à ce havre de paix de ma jeunesse, je revenais à la source. Mon manque d’entraînement était évident et m’oppressait mais je savais très bien qu’en fait c’était l’incertitude de ce qui m’attendait, de la personne que j’allais découvrir en arrivant. Oui, je crois, je suis même sûr, j’avais tout simplement peur.
La barre rocheuse était franchie, j’avais encore marché une dizaine de minutes, un gros rocher avant un dernier virage du sentier et j’allais revoir la Bergerie, ma Bergerie. Insensiblement, j’avais ralenti mon allure pourtant déjà pas très rapide et même, pendant une fraction de secondes, j’envisageais faire demi-tour mais entretemps j’avais encore fait deux pas supplémentaires. Une fumée sortait de la cheminée, un barbecue tournait tranquillement et une table avec deux couverts était dressée à l'abri d'un parasol. Une ombre à l’intérieur passa rapidement devant la porte grande ouverte mais je n’eus pas le temps de mettre un nom sur cette apparition fugitive. J’étais à quelques mètres de la porte, comme paralysé et incapable de mettre un pied devant l’autre. Je me sentais presque mal et je fermais instinctivement les yeux. Je sentis soudainement une forme humaine me prendre dans ses bras, me serrer contre son corps, des larmes inonder mes joues et se mêler aux miennes alors que je ne savais pas encore qui me témoignait un accueil d’une telle intensité, je dirais avec un tel amour. Une main s’agitait dans ma chevelure, descendait sur mon cou, remontait dans mes cheveux pour descendre sur ma figure et s’attarder brièvement sur mes lèvres.
- Il y a si longtemps que je t’attendais, je savais que tu reviendrais un jour, qu’il était impossible que tu aies oublié la Bergerie, ta Bergerie et ce jour est arrivé
L’ombre me repoussa très doucement, j’ouvris enfin les yeux. Avant que mon cerveau ait eu le temps de mettre un nom sur ce visage ruisselant de larmes je savais que c’était cet adolescent que j’avais, brièvement, passionnément aimé pour le repousser, justement parce je l’aimais plus que tout.
Dans ce moment fulgurant de la rencontre ç’est lui qui m’avait enserré dans ses bras et maintenant c’était mes bras qui le tenaient avec force et tendresse. D’un seul coup, cette brève liaison avec mon petit ange remontait des profondeurs de ma mémoire, Louis, cet être si fragile, si touchant, si beau était là, en chair et en os alors qu'il était totalement sorti de mon existence, du moins c'était ce que je croyais.
Je fis un pas en arrière et je le regardais, il était toujours aussi beau, toujours aussi fragile même si on voyait qu’il était devenu un homme. Une pulsion incontrôlable me fit poser mes lèvres sur les siennes, sans brutalité, presque calmement. Ce bref contact avec le goût de nos salives qui se reconnurent, de nos langues qui se caressèrent brièvement, ce baiser quoi ! symbolisait en une fraction de seconde le passé qui retrouvait le présent, un présent qui donnait tout son sens au passé.