23-02-2024, 05:25 PM
27 - LA BERGERIE (2)
La Bergerie se terminait au fond assez mal et cela me dérangeait car ce récit, je l'aimais beaucoup. Après mûres réflexions, j'ai décidé de le reprendre avec une ampleur que je ne maîtrise pas encore mais dans tous les cas pour qu'il se termine sur une note heureuse ou au moins positive.
La Bergerie se terminait au fond assez mal et cela me dérangeait car ce récit, je l'aimais beaucoup. Après mûres réflexions, j'ai décidé de le reprendre avec une ampleur que je ne maîtrise pas encore mais, dans tous les cas il se terminera sur une note heureuse ou au moins positive.
J'ai eu de gros problèmes pour insérer le texte Word qui suit dans Slygame : je ne sais pas ce que va donner la mise en page...
Cela faisait une bonne dizaine d’années que je n’étais plus revenu dans mon village de montagne ni, bien sûr, à la Bergerie, ce petit refuge à plus de deux mille mètres d’altitude. Durant toute cette longue période, j’avais parcouru le monde du nord au sud, de l’ouest à l’est, amassant un grand nombre d’expériences qui enrichissaient ma vie professionnelle, pour faire simple de professeur en littérature et en langues. J’avais écrit quelques ouvrages qui avaient eu un certain retentissement dans les milieux universitaires de sorte que j’avais mes entrées un peu partout. Mais je commençais à me lasser de cette vie errante où je n’étais nulle part véritablement chez moi, l’être humain a besoin d’un port d’attache, quel qu’il soit. J’avais envisagé Paris puis San Francisco, Hambourg n’était pas pour me déplaire mais aucun lieu ne me tentait véritablement. Alors que je donnais une conférence à Montréal, peu avant Noël, j’étais arrivé avec une bonne demi-heure de retard en raison d’une tempête de neige comme cela arrive fréquemment dans ce pays. L’emplacement où je devais tenir mon exposé était situé sur une petite colline, le taxi qui me transportait se mit à patiner puis se mit en travers de la route. Il me restait une bonne centaine de mètres à parcourir alors que la tempête redoublait. Cela m’amusa et à ce moment j’eus un bref flash, celui de ce petit refuge dans les Alpes suisses.
Et voilà comment en cette dernière semaine de juin, je suais en montant à la Bergerie et en râlant ferme sur mon manque de condition physique. Oui, je râlais mais en même temps je ressentais un bien être tout particulier, une excitation qui s’emparait de moi : en fait, je me sentais heureux de retrouver cette montagne que pendant toutes ces années de jeunesse j’avais occultée afin de me sortir de ces sentiments amoureux que j’avais éprouvés et qui avaient pris une place telle que je ne m’en sortais plus. Il fallait que je mette de la distance, ce que j’avais fait.
Il avait fallu une tempête de neige pour que soudain, tout me revienne à l’esprit et avec une force contre laquelle je ne pouvais rien.
En arrivant dans le village où j’avais toujours mon appartement, je retrouvais celui-ci avec plaisir. L’agence immobilière à qui j’avais confié la gestion et l’entretien de ce logement avait très bien travaillé, tout était propre et fonctionnel et, à ma demande, le frigo était plein et l’armoire contenait les provisions de base nécessaires dans un premier temps. Les stores de l’appartement en face du mien où avait habité Jules étaient baissés et j’ignorais totalement s’il y venait parfois où s’il l’avait vendu. Le téléphone avait été rétabli et le surlendemain de mon arrivée la sonnerie retentit. Je décrochais et m’annonçais mais personne ne se manifesta malgré mes Allo, Allo répétés. Le soir, en me couchant, je vis qu’il y avait un message.
- Je t'attends mercredi en fin d'après-midi à la Bergerie
Il n’y avait pas de nom, j’ignorais totalement qui cela pouvait être et n’appréciait pas vraiment d’être ainsi convoqué sans savoir dans quelle aventure j’allais me lancer et sur le moment je ne pensais vraiment pas obtempérer à cet ordre comminatoire. Je passais en revue tous les jeunes que j’avais fréquentés, je pensais à Cédric et Blaise mais nous nous étions quittés froidement, à Jules mais je me souvenait qu’il me détestait, je me rappelais les moments où François venait me distraire sexuellement lorsque j’étais en dépression sentimentale. Non, je ne voyais vraiment pas qui cela pouvait être. J’avais décidé de ne pas me rendre à ce rendez-vous sous l’excuse un peu fallacieuse que cela pourrait s’agir d’un piège, même si je ne voyais pas qui pourrait m’en vouloir à ce point.
Le mercredi, sans en être véritablement conscient, je préparais mon sac de montagne pour une expédition de quelques jours, sans admettre un quelconque but mais en sachant parfaitement dans mon for intérieur et donc sans me l’avouer, que ce serait la Bergerie. Et effectivement, après une petite heure de marche, je ne pus faire autrement que d’admettre que j’allais à ce havre de paix de ma jeunesse, je revenais à la source. Mon manque d’entraînement était évident et m’oppressait mais je savais très bien qu’en fait c’était l’incertitude de ce qui m’attendait, de la personne que j’allais découvrir en arrivant. Oui, je crois, je suis même sûr, j’avais tout simplement peur.
La barre rocheuse était franchie, j’avais encore marché une dizaine de minutes, un gros rocher avant un dernier virage du sentier et j’allais revoir la Bergerie, ma Bergerie. Insensiblement, j’avais ralenti mon allure pourtant déjà pas très rapide et même, pendant une fraction de secondes, j’envisageais faire demi-tour mais entretemps j’avais encore fait deux pas supplémentaires. Une fumée sortait de la cheminée, un barbecue tournait tranquillement et une table avec deux couverts était dressée à l'abri d'un parasol. Une ombre à l’intérieur passa rapidement devant la porte grande ouverte mais je n’eus pas le temps de mettre un nom sur cette apparition fugitive. J’étais à quelques mètres de la porte, comme paralysé et incapable de mettre un pied devant l’autre. Je me sentais presque mal et je fermais instinctivement les yeux. Je sentis soudainement une forme humaine me prendre dans ses bras, me serrer contre son corps, des larmes inonder mes joues et se mêler aux miennes alors que je ne savais pas encore qui me témoignait un accueil d’une telle intensité, je dirais avec un tel amour. Une main s’agitait dans ma chevelure, descendait sur mon cou, remontait dans mes cheveux pour descendre sur ma figure et s’attarder brièvement sur mes lèvres.
- Il y a si longtemps que je t’attendais, je savais que tu reviendrais un jour, qu’il était impossible que tu aies oublié la Bergerie, ta Bergerie et ce jour est arrivé
L’ombre me repoussa très doucement, j’ouvris enfin les yeux. Avant que mon cerveau ait eu le temps de mettre un nom sur ce visage ruisselant de larmes je savais que c’était cet adolescent que j’avais, brièvement, passionnément aimé pour le repousser, justement parce je l’aimais plus que tout.
Dans ce moment fulgurant de la rencontre ç’est lui qui m’avait enserré dans ses bras et maintenant c’était mes bras qui le tenaient avec force et tendresse. D’un seul coup, cette brève liaison avec mon petit ange remontait des profondeurs de ma mémoire, Louis, cet être si fragile, si touchant, si beau était là, en chair et en os alors qu'il était totalement sorti de mon existence, du moins c'était ce que je croyais.
Je fis un pas en arrière et je le regardais, il était toujours aussi beau, toujours aussi fragile même si on voyait qu’il était devenu un homme. Une pulsion incontrôlable me fit poser mes lèvres sur les siennes, sans brutalité, presque calmement. Ce bref contact avec le goût de nos salives qui se reconnurent, de nos langues qui se caressèrent brièvement, ce baiser quoi ! symbolisait en une fraction de seconde le passé qui retrouvait le présent, un présent qui donnait tout son sens au passé.
Nos corps se sont séparés, nous nous sommes regardés et n'avons pu nous empêcher de rire car un randonneur qui aurait passé par là aurait pu penser que nous sortions d'une sérieuse dispute, tellement nos yeux étaient rouges, nos visages mouillés de nos larmes et nos cheveux ébouriffés par nos mains qui s'y étaient promenées. Ma fatigue de cette rude montée à laquelle je n'étais plus habitué avait disparu, un regard sur la position du soleil me fit comprendre que l'heure du repas était largement dépassée ce que le fumet de ce rôti de porc ne faisait que confirmer. Louis se rappelait que j'aimais les terrines de gibier et la tranche sur mon assiette me faisait saliver, plus que les pommes de terre grillées qui, elles, avaient pâti de mon arrivée tardive… et de la joie de nos retrouvailles. Par contre, le rôti de porc allait être parfait, cela se voyait avant même de l'avoir goûté !
Tout en nous régalant, je regardais avec une certaine émotion cet adolescent que j'avais quitté il y a dix ans et que je retrouvais dans la stature d'un homme mais ayant conservé cet air juvénile qu'accentuaient les deux fossettes qu'il avait conservées, fort heureusement car c'était un des éléments qui contribuait à ce charme magnétique qu'il m'avait inspiré et que je retrouvais pour mon plus grand plaisir. Son regard était toujours aussi malicieux et son sourire m'avait immédiatement reconquit, ce sourire charmeur qui avait largement contribué à me faire tomber dans une intimité que nous avions appréciée tous les deux avant que nous décidions d'un commun accord d'y mettre un terme. Même s'il était déjà majeur, la fragilité et l'innocence qui émanaient de toute sa personne étaient troublantes au point que poursuivre cette relation m'aurait donné l'impression de commettre un viol alors que lui n'était pas véritablement mûr pour envisager un avenir commun.
Mais c'était il y a dix ans, qu'en était-il aujourd'hui alors que d'une certaine manière il avait poursuivi sa vie avec moi en occupant ma Bergerie ? Jusqu'à quel point l'esprit de cet abri était-il imprégné de ma personne, avait-il contribué à ce que Louis aie perpétré les sentiments très forts qui nous avaient brièvement rapprochés ? Question cruciale que je me posais, avait-il, à mon insu, continuer à m'aimer, m'avait-il vraiment attendu jusqu'à aujourd'hui et quelle force avait pu le soutenir durant toutes ces années ?
Nous avions fini notre repas, j'avais la tête qui me tournait devant la profondeur de mes réflexions qui se bousculaient dans mon esprit. Je réalisais qu'un profond silence était tombé que seul le léger sifflement du vent troublait. Au loin une harde de chamois broutait paisiblement. Ma vue se brouillait car mes yeux étaient humides. Par moment, je percevais le visage de Louis qui me regardait avec une extrême douceur et son sourire me transperça par la confiance qui en émanait. Un petit chamois s'était aventuré à quelques mètres de nous et j'eus l'impression qu'il me regardait en me disant "c'était vraiment le moment que tu reviennes". À ce moment, je fus saisis d'un tremblement, un voile noir me tomba dessus, mes larmes envahir mon visages et je perdis connaissance.
Ce n'est qu'un bon moment plus tard que, lentement, je revins à moi et dans un premier temps je gardais volontairement les yeux fermés pour tenter de faire le point de la situation. Que faisait-il dans ma Bergerie qui me paraissait plus grande que dans mon souvenir, était-ce l'effet d'un pur hasard ou était-ce une décision pleinement assumée ? Quel était son ressentiment à mon égard, moi qui l'avait il y a une décennie lâchement abandonné, même si c'était pour une raison parfaitement valable ? Et surtout, qu'éprouvait-il, aujourd'hui même où nous nous retrouvions : de l'amour ou de l'amitié, la juste réponse d'une certitude que j'allais revenir mais, si c'était le cas, dans quelle perspective, avec quel espoir ? Une chose était certaine, il n'avait pas été surpris par mon arrivée, la table dressée pour deux en était la preuve, sans parler de ce message sur mon répondeur " Je t’attends mercredi en fin d’après-midi à la Bergerie". Ce message était sec et comminatoire, ne laissant aucun doute sur une volonté impérative de me revoir mais dans quel but, avec quelle perspective ?
Et moi là-dedans, comment me situais-je ? Il n'y avait aucune question, j'étais content et même heureux de le revoir, cette embrassade mouillée et la force qu'il avait mis à me serrer dans ses bras et à laquelle je m'étais abandonné sans restriction était la manifestation d'une profonde acceptation de ma part.
J'entendis vaguement une voix à la tonalité légèrement préoccupée
- Mince, il devrait revenir à lui, cela fait bientôt un quart d'heure qu'il est dans les vaps et pour tant son cœur bat normalement. Je vais l'ausculter une nouvelle fois
La couverture qui était sur moi fut retirée jusqu'à hauteur de ma ceinture et c'est alors que je réalisais dans ma torpeur que j'étais torse nu et que le métal froid d'un stéthoscope enregistrait les battements de mon cœur. Je sentais le geste d'un professionnel notamment lorsque des doigts palpèrent différents points de ma poitrine avec une extrême douceur, douceur qui provoqua chez moi un frémissement qui me fit ouvrir les yeux en même temps que j'entendis une parole légèrement moqueuse me semble-t-il
- Ah ! il n'a pas perdu sa sensibilité
- Tu commençais à m'inquiéter un peu, je ne me rappelais pas que tu étais à ce point émotif pour perdre conscience comme tu l'a fait ! Mais je peux te rassurer, tout va bien mais tu es encore un peu faible et ton équilibre est probablement encore un peu instable. Donc tu restes tranquillement couché et je vais te donner dans un moment un remontant qui te fera du bien. Demain tu devrais être en pleine forme mais jusque là c'est repos allongé et [de nouveau avec une intonation moqueuse] pas d'excitation inutile !
Je retrouvais Louis tel que je l'avais dans mon souvenir avec un esprit très fin et un sens accentué de l'humour.
- Dis-moi Louis, tu m'a soigné comme un professionnel, merci beaucoup et je m'excuse du…
- …tu n'as pas à t'excuser, ton cerveau a eu un moment de panique et c'est mis au repos, c'est ce qu'il avait de mieux à faire ! Mais c'est vrai que je commençais à trouver que cela durait un peu trop longtemps
- Mais tu es vraiment médecin ?
- Oui, je suis médecin urgentiste à l'Hôpital Universitaire de Genève, donc tu es en bonne main et tu as tout intérêt à suivre mes directives. On parlera de ces dix années de séparation demain, à tête reposée. Pour l'instant, c'est repos, n'est-ce pas patient de La Bergerie !
Avant de s'éloigner, il me donna un très léger baiser en effleurant mes lèvres ce qui provoqua chez moi un très léger début de remue-ménage
- Je te rappelle que dans mon ordonnance, il y a pas d'excitation, quel qu'elle soit
La Bergerie se terminait au fond assez mal et cela me dérangeait car ce récit, je l'aimais beaucoup. Après mûres réflexions, j'ai décidé de le reprendre avec une ampleur que je ne maîtrise pas encore mais dans tous les cas pour qu'il se termine sur une note heureuse ou au moins positive.
La Bergerie se terminait au fond assez mal et cela me dérangeait car ce récit, je l'aimais beaucoup. Après mûres réflexions, j'ai décidé de le reprendre avec une ampleur que je ne maîtrise pas encore mais, dans tous les cas il se terminera sur une note heureuse ou au moins positive.
J'ai eu de gros problèmes pour insérer le texte Word qui suit dans Slygame : je ne sais pas ce que va donner la mise en page...
Cela faisait une bonne dizaine d’années que je n’étais plus revenu dans mon village de montagne ni, bien sûr, à la Bergerie, ce petit refuge à plus de deux mille mètres d’altitude. Durant toute cette longue période, j’avais parcouru le monde du nord au sud, de l’ouest à l’est, amassant un grand nombre d’expériences qui enrichissaient ma vie professionnelle, pour faire simple de professeur en littérature et en langues. J’avais écrit quelques ouvrages qui avaient eu un certain retentissement dans les milieux universitaires de sorte que j’avais mes entrées un peu partout. Mais je commençais à me lasser de cette vie errante où je n’étais nulle part véritablement chez moi, l’être humain a besoin d’un port d’attache, quel qu’il soit. J’avais envisagé Paris puis San Francisco, Hambourg n’était pas pour me déplaire mais aucun lieu ne me tentait véritablement. Alors que je donnais une conférence à Montréal, peu avant Noël, j’étais arrivé avec une bonne demi-heure de retard en raison d’une tempête de neige comme cela arrive fréquemment dans ce pays. L’emplacement où je devais tenir mon exposé était situé sur une petite colline, le taxi qui me transportait se mit à patiner puis se mit en travers de la route. Il me restait une bonne centaine de mètres à parcourir alors que la tempête redoublait. Cela m’amusa et à ce moment j’eus un bref flash, celui de ce petit refuge dans les Alpes suisses.
Et voilà comment en cette dernière semaine de juin, je suais en montant à la Bergerie et en râlant ferme sur mon manque de condition physique. Oui, je râlais mais en même temps je ressentais un bien être tout particulier, une excitation qui s’emparait de moi : en fait, je me sentais heureux de retrouver cette montagne que pendant toutes ces années de jeunesse j’avais occultée afin de me sortir de ces sentiments amoureux que j’avais éprouvés et qui avaient pris une place telle que je ne m’en sortais plus. Il fallait que je mette de la distance, ce que j’avais fait.
Il avait fallu une tempête de neige pour que soudain, tout me revienne à l’esprit et avec une force contre laquelle je ne pouvais rien.
En arrivant dans le village où j’avais toujours mon appartement, je retrouvais celui-ci avec plaisir. L’agence immobilière à qui j’avais confié la gestion et l’entretien de ce logement avait très bien travaillé, tout était propre et fonctionnel et, à ma demande, le frigo était plein et l’armoire contenait les provisions de base nécessaires dans un premier temps. Les stores de l’appartement en face du mien où avait habité Jules étaient baissés et j’ignorais totalement s’il y venait parfois où s’il l’avait vendu. Le téléphone avait été rétabli et le surlendemain de mon arrivée la sonnerie retentit. Je décrochais et m’annonçais mais personne ne se manifesta malgré mes Allo, Allo répétés. Le soir, en me couchant, je vis qu’il y avait un message.
- Je t'attends mercredi en fin d'après-midi à la Bergerie
Il n’y avait pas de nom, j’ignorais totalement qui cela pouvait être et n’appréciait pas vraiment d’être ainsi convoqué sans savoir dans quelle aventure j’allais me lancer et sur le moment je ne pensais vraiment pas obtempérer à cet ordre comminatoire. Je passais en revue tous les jeunes que j’avais fréquentés, je pensais à Cédric et Blaise mais nous nous étions quittés froidement, à Jules mais je me souvenait qu’il me détestait, je me rappelais les moments où François venait me distraire sexuellement lorsque j’étais en dépression sentimentale. Non, je ne voyais vraiment pas qui cela pouvait être. J’avais décidé de ne pas me rendre à ce rendez-vous sous l’excuse un peu fallacieuse que cela pourrait s’agir d’un piège, même si je ne voyais pas qui pourrait m’en vouloir à ce point.
Le mercredi, sans en être véritablement conscient, je préparais mon sac de montagne pour une expédition de quelques jours, sans admettre un quelconque but mais en sachant parfaitement dans mon for intérieur et donc sans me l’avouer, que ce serait la Bergerie. Et effectivement, après une petite heure de marche, je ne pus faire autrement que d’admettre que j’allais à ce havre de paix de ma jeunesse, je revenais à la source. Mon manque d’entraînement était évident et m’oppressait mais je savais très bien qu’en fait c’était l’incertitude de ce qui m’attendait, de la personne que j’allais découvrir en arrivant. Oui, je crois, je suis même sûr, j’avais tout simplement peur.
La barre rocheuse était franchie, j’avais encore marché une dizaine de minutes, un gros rocher avant un dernier virage du sentier et j’allais revoir la Bergerie, ma Bergerie. Insensiblement, j’avais ralenti mon allure pourtant déjà pas très rapide et même, pendant une fraction de secondes, j’envisageais faire demi-tour mais entretemps j’avais encore fait deux pas supplémentaires. Une fumée sortait de la cheminée, un barbecue tournait tranquillement et une table avec deux couverts était dressée à l'abri d'un parasol. Une ombre à l’intérieur passa rapidement devant la porte grande ouverte mais je n’eus pas le temps de mettre un nom sur cette apparition fugitive. J’étais à quelques mètres de la porte, comme paralysé et incapable de mettre un pied devant l’autre. Je me sentais presque mal et je fermais instinctivement les yeux. Je sentis soudainement une forme humaine me prendre dans ses bras, me serrer contre son corps, des larmes inonder mes joues et se mêler aux miennes alors que je ne savais pas encore qui me témoignait un accueil d’une telle intensité, je dirais avec un tel amour. Une main s’agitait dans ma chevelure, descendait sur mon cou, remontait dans mes cheveux pour descendre sur ma figure et s’attarder brièvement sur mes lèvres.
- Il y a si longtemps que je t’attendais, je savais que tu reviendrais un jour, qu’il était impossible que tu aies oublié la Bergerie, ta Bergerie et ce jour est arrivé
L’ombre me repoussa très doucement, j’ouvris enfin les yeux. Avant que mon cerveau ait eu le temps de mettre un nom sur ce visage ruisselant de larmes je savais que c’était cet adolescent que j’avais, brièvement, passionnément aimé pour le repousser, justement parce je l’aimais plus que tout.
Dans ce moment fulgurant de la rencontre ç’est lui qui m’avait enserré dans ses bras et maintenant c’était mes bras qui le tenaient avec force et tendresse. D’un seul coup, cette brève liaison avec mon petit ange remontait des profondeurs de ma mémoire, Louis, cet être si fragile, si touchant, si beau était là, en chair et en os alors qu'il était totalement sorti de mon existence, du moins c'était ce que je croyais.
Je fis un pas en arrière et je le regardais, il était toujours aussi beau, toujours aussi fragile même si on voyait qu’il était devenu un homme. Une pulsion incontrôlable me fit poser mes lèvres sur les siennes, sans brutalité, presque calmement. Ce bref contact avec le goût de nos salives qui se reconnurent, de nos langues qui se caressèrent brièvement, ce baiser quoi ! symbolisait en une fraction de seconde le passé qui retrouvait le présent, un présent qui donnait tout son sens au passé.
Nos corps se sont séparés, nous nous sommes regardés et n'avons pu nous empêcher de rire car un randonneur qui aurait passé par là aurait pu penser que nous sortions d'une sérieuse dispute, tellement nos yeux étaient rouges, nos visages mouillés de nos larmes et nos cheveux ébouriffés par nos mains qui s'y étaient promenées. Ma fatigue de cette rude montée à laquelle je n'étais plus habitué avait disparu, un regard sur la position du soleil me fit comprendre que l'heure du repas était largement dépassée ce que le fumet de ce rôti de porc ne faisait que confirmer. Louis se rappelait que j'aimais les terrines de gibier et la tranche sur mon assiette me faisait saliver, plus que les pommes de terre grillées qui, elles, avaient pâti de mon arrivée tardive… et de la joie de nos retrouvailles. Par contre, le rôti de porc allait être parfait, cela se voyait avant même de l'avoir goûté !
Tout en nous régalant, je regardais avec une certaine émotion cet adolescent que j'avais quitté il y a dix ans et que je retrouvais dans la stature d'un homme mais ayant conservé cet air juvénile qu'accentuaient les deux fossettes qu'il avait conservées, fort heureusement car c'était un des éléments qui contribuait à ce charme magnétique qu'il m'avait inspiré et que je retrouvais pour mon plus grand plaisir. Son regard était toujours aussi malicieux et son sourire m'avait immédiatement reconquit, ce sourire charmeur qui avait largement contribué à me faire tomber dans une intimité que nous avions appréciée tous les deux avant que nous décidions d'un commun accord d'y mettre un terme. Même s'il était déjà majeur, la fragilité et l'innocence qui émanaient de toute sa personne étaient troublantes au point que poursuivre cette relation m'aurait donné l'impression de commettre un viol alors que lui n'était pas véritablement mûr pour envisager un avenir commun.
Mais c'était il y a dix ans, qu'en était-il aujourd'hui alors que d'une certaine manière il avait poursuivi sa vie avec moi en occupant ma Bergerie ? Jusqu'à quel point l'esprit de cet abri était-il imprégné de ma personne, avait-il contribué à ce que Louis aie perpétré les sentiments très forts qui nous avaient brièvement rapprochés ? Question cruciale que je me posais, avait-il, à mon insu, continuer à m'aimer, m'avait-il vraiment attendu jusqu'à aujourd'hui et quelle force avait pu le soutenir durant toutes ces années ?
Nous avions fini notre repas, j'avais la tête qui me tournait devant la profondeur de mes réflexions qui se bousculaient dans mon esprit. Je réalisais qu'un profond silence était tombé que seul le léger sifflement du vent troublait. Au loin une harde de chamois broutait paisiblement. Ma vue se brouillait car mes yeux étaient humides. Par moment, je percevais le visage de Louis qui me regardait avec une extrême douceur et son sourire me transperça par la confiance qui en émanait. Un petit chamois s'était aventuré à quelques mètres de nous et j'eus l'impression qu'il me regardait en me disant "c'était vraiment le moment que tu reviennes". À ce moment, je fus saisis d'un tremblement, un voile noir me tomba dessus, mes larmes envahir mon visages et je perdis connaissance.
Ce n'est qu'un bon moment plus tard que, lentement, je revins à moi et dans un premier temps je gardais volontairement les yeux fermés pour tenter de faire le point de la situation. Que faisait-il dans ma Bergerie qui me paraissait plus grande que dans mon souvenir, était-ce l'effet d'un pur hasard ou était-ce une décision pleinement assumée ? Quel était son ressentiment à mon égard, moi qui l'avait il y a une décennie lâchement abandonné, même si c'était pour une raison parfaitement valable ? Et surtout, qu'éprouvait-il, aujourd'hui même où nous nous retrouvions : de l'amour ou de l'amitié, la juste réponse d'une certitude que j'allais revenir mais, si c'était le cas, dans quelle perspective, avec quel espoir ? Une chose était certaine, il n'avait pas été surpris par mon arrivée, la table dressée pour deux en était la preuve, sans parler de ce message sur mon répondeur " Je t’attends mercredi en fin d’après-midi à la Bergerie". Ce message était sec et comminatoire, ne laissant aucun doute sur une volonté impérative de me revoir mais dans quel but, avec quelle perspective ?
Et moi là-dedans, comment me situais-je ? Il n'y avait aucune question, j'étais content et même heureux de le revoir, cette embrassade mouillée et la force qu'il avait mis à me serrer dans ses bras et à laquelle je m'étais abandonné sans restriction était la manifestation d'une profonde acceptation de ma part.
J'entendis vaguement une voix à la tonalité légèrement préoccupée
- Mince, il devrait revenir à lui, cela fait bientôt un quart d'heure qu'il est dans les vaps et pour tant son cœur bat normalement. Je vais l'ausculter une nouvelle fois
La couverture qui était sur moi fut retirée jusqu'à hauteur de ma ceinture et c'est alors que je réalisais dans ma torpeur que j'étais torse nu et que le métal froid d'un stéthoscope enregistrait les battements de mon cœur. Je sentais le geste d'un professionnel notamment lorsque des doigts palpèrent différents points de ma poitrine avec une extrême douceur, douceur qui provoqua chez moi un frémissement qui me fit ouvrir les yeux en même temps que j'entendis une parole légèrement moqueuse me semble-t-il
- Ah ! il n'a pas perdu sa sensibilité
- Tu commençais à m'inquiéter un peu, je ne me rappelais pas que tu étais à ce point émotif pour perdre conscience comme tu l'a fait ! Mais je peux te rassurer, tout va bien mais tu es encore un peu faible et ton équilibre est probablement encore un peu instable. Donc tu restes tranquillement couché et je vais te donner dans un moment un remontant qui te fera du bien. Demain tu devrais être en pleine forme mais jusque là c'est repos allongé et [de nouveau avec une intonation moqueuse] pas d'excitation inutile !
Je retrouvais Louis tel que je l'avais dans mon souvenir avec un esprit très fin et un sens accentué de l'humour.
- Dis-moi Louis, tu m'a soigné comme un professionnel, merci beaucoup et je m'excuse du…
- …tu n'as pas à t'excuser, ton cerveau a eu un moment de panique et c'est mis au repos, c'est ce qu'il avait de mieux à faire ! Mais c'est vrai que je commençais à trouver que cela durait un peu trop longtemps
- Mais tu es vraiment médecin ?
- Oui, je suis médecin urgentiste à l'Hôpital Universitaire de Genève, donc tu es en bonne main et tu as tout intérêt à suivre mes directives. On parlera de ces dix années de séparation demain, à tête reposée. Pour l'instant, c'est repos, n'est-ce pas patient de La Bergerie !
Avant de s'éloigner, il me donna un très léger baiser en effleurant mes lèvres ce qui provoqua chez moi un très léger début de remue-ménage
- Je te rappelle que dans mon ordonnance, il y a pas d'excitation, quel qu'elle soit