06-07-2021, 10:05 AM
Je suis sur le qui-vive, je me retourne toutes les trente secondes pour voir comment va Gaby. Je sens la fatigue m’envahir au fur et à mesure que nous descendons vers la vallée. Ben est très attentif, il surveille où Gaby pose ses pieds, c’est presque à chaque pas. L’allure est de moins en moins soutenue. Je propose que nous fassions une pause : celle-ci est acceptée expressément par mes deux compagnons.
Nous sommes assis sur une roche. Il fait déjà moins froid. Les rayons du soleil ont déjà fait leurs effets : la roche est tiède. Je fouille mon sac et je trouve encore des fruits secs. Je partage le reste du paquet en trois parts égales. Nous mangeons en vue de reprendre des forces. J’ai encore une gourde d’eau, comme la descente n’est pas difficile en soi, mais elle demande de faire attention pour ne pas partir vers l’avant et ainsi chuter au risque de se faire fort mal, je donne un peu d’eau à mes amis, sans en boire. Il ne reste presque plus rien dans ma gourde. Je regarde Ben, il a compris et me fait signe qu’il lui en reste encore. Je fouille encore une fois mon sac à dos. Je découvre alors au fond d’une des poches un tube de lait concentré sucré. Je regarde la date de péremption, il est marqué « juin ». Nous sommes en juillet, je ne vois pas de problème à consommer ce tube. Je passe donc le tube à mes deux compagnons de route. Ils sont très heureux de pouvoir avaler ce lait sucré. Il faut que mes compagnons boivent de l’eau, je leur repasse la gourde après avoir fait semblant d’y boire une bonne rasade. Mes deux amis terminent le reste du contenu de cette gourde gardée pour si jamais. Ce n’est pas la première fois que j’agis de la sorte, j’ai vu que les réserves d’eau avaient diminué fortement.
Avant de reprendre le chemin, je demande à Ben s’il ne veut pas être remplacé. Il accepte bien volontiers. Je sais que c’est difficile et fatiguant d’accompagner quelqu’un et de veiller à ce qu’il ne tombe pas. Je prends alors la suite. Je reste aux côtés de Gaby. Il n’a pas desserré les dents depuis que nous avons quitté le refuge. Je sais qu’il réfléchit à tout ce qui s’est passé. Ce qui me chagrine c’est qu’il repense à cette affaire avec Emmanuel : je l’ai presque oubliée. Je suis sûr qu’il se torture l’esprit pour pas grand-chose. Puis je me pose la question du pourquoi de ce dérapage avec Ben et moi. Je pense que Gaby a perdu tous ses repères. Je pense que je devrai en faire part à Jean-Pierre dès notre retour.
Nous commençons à voir au loin les premières maisons du hameau qui se trouve juste avant l’emplacement de notre camp. Il est temps, je suis exténué. Gaby lui aussi commence à traîner la patte. Ben lui aussi semble inquiet, il voit que nous n’avançons pas. Il est comme moi lorsque j’étais devant, il se retourne régulièrement. Parfois je dois tenir Gaby pour qu’il évite une pierre ou une souche sur le chemin. Je ne me suis pas rendu compte combien ce n’est pas évident de s’occuper de quelqu’un qui n’est pas au mieux de sa forme.
Nous avançons et enfin nous sommes à l’entrée de ce hameau. Je crie à Ben qu’il est temps de s’arrêter. Je n’en peux plus et Gaby n’est pas du tout concentré. Je m’assieds, je suis là, les bras ballants. Ben me regarde, il ne m’a jamais vu comme ça. Il tente de me remonter le moral. Il me demande si je veux qu’il me remplace auprès de Gaby. Je lui dis que ça va aller, que je vais pouvoir gérer jusqu’au camp. Je vois dans les yeux de Ben comme une lueur de désapprobation, mais il ne dit rien.
A vue de nez il ne reste que trois à quatre kilomètres avant d’être arrivés au camp. Je soulève Gaby et nous repartons. Je sais que les derniers kilomètres vont être assez durs. Je prends Gaby par la taille pour le soutenir. C’est Ben qui porte les deux sacs, le sien et celui de Gaby. Je sais que ce n’est pas évident. Nous avons partagé le poids, mais cela reste du poids excédentaire à porter. Je commence à apercevoir l’entrée du camp, il ne reste que cinq cents mètres à tout casser. C’est pour moi une source d’énergie que de savoir que nous sommes presque au bout de nos peines. Je dis à Gaby que nous sommes quasiment arrivés. Ben, lui, l’a déjà remarqué. Je ne sais pas pourquoi, mais l’allure me semble un peu plus rapide depuis quelques minutes.
Nous voilà arrivés devant l’entrée du camp. Nous nous dirigeons vers le centre d’accueil. Justement Alex est là, il est déjà revenu de son périple en montagne. A peine arrivé, je m’assieds sur un banc en même temps que Gaby. Ben quant à lui, va trouver Alex. Je ne sais pas ce qu’ils se disent, mais je suis certain qu’il lui explique que Gaby souffre et que moi je suis à bout. Alex repart vers notre campement. Ben s’assied à côté de moi. Je vois dans ses yeux qu’il est inquiet. Il voit alors des larmes couler sur mes joues. Il sait que je suis en train de craquer, je suis arrivé au bout de ce que je pouvais supporter. Ben m’enlace et Gaby lui reste prostré, toujours assis sur le banc.
Jean-Pierre arrive en courant en compagnie de Fabrice. Ils nous regardent et se rendent compte que nous avons épuisé toutes nos ressources, que nous sommes sur les rotules. Ben explique ce qui s’est passé. Le changement de cap à la suite du mauvais temps qui arrivait, le retour vers le refuge de la nuit, Gaby qui était tombé dans le torrent, son sauvetage, la nuit dans le refuge et l’orage, la façon de réchauffer Gaby, ensuite la descente vers le camp et le manque de nourriture. Ben est mal dans sa peau lui aussi, il sait qu’il est aussi à bout.
Jean-Pierre vient près de moi et me dit doucement :
J-P : « Oh là Phil, tu es allé au bout de tes forces. Tu es extra. Je vais demander que le médecin passe pour Gaby, mais aussi pour toi. Tu ne peux pas rester comme ça.
Moi : Désolé J-P, j’ai fait tout ce que j’ai pu. »
Des larmes inondent alors mes joues. Je suis dans un état proche de la crise de nerf. J’ai porté notre groupe du bout des bras pour revenir, sain et sauf au camp. Ben vient se mettre tout contre moi. Je ressens sa chaleur, cela me redonne un peu de courage. Alex prend mon sac et celui de Gaby. Il compte les remonter vers notre emplacement. J’appelle alors Alex. Jean-Pierre se demande pourquoi. Je leur dis alors qu’il faut mettre les duvets à sécher en leur expliquant la mésaventure de Gaby. Je dis à Alex que ça doit rester entre nous. Alex me fait un clin d’œil d’approbation. Jean-Pierre me regarde et sait que nous avons été très loin dans le soutien de Gaby. Il ne s’attendait pas à un tel degré d’amitié entre nous. Il n’est pas au courant du début de nuit où Gaby nous a gratifié d’une branlette partagée, mais non plus de l’état mental de Gaby lorsque nous sommes partis du refuge pour revenir au camp.
Le médecin arrive dans les dix minutes. Il ausculte Gaby. Après un quart d’heure il demande qui lui a placé le sparadrap sur la plaie et il veut savoir comment il a été réchauffé. Gaby lui dit que c’est moi qui ai placé le sparadrap après avoir désinfecté la plaie et que c’est aussi moi qui ai proposé et pratiqué la méthode de réchauffement. Puis c’est au tour de Ben : le médecin trouve qu’il est fatigué, mais qu’après une bonne nuit de sommeil, tout irait pour le mieux.
Ensuite le médecin vient me trouver, il dit alors :
Méd : « Bravo mon gars, tu as très bien fait pour ton copain Gaby. Je lui ai seulement remis un nouveau sparadrap rigide pour maintenir la plaie, plaie qui se referme déjà très bien. Tu as suivi de cours de secourisme ?
Moi : Oui, je suis breveté.
Méd : Dis-moi, pour réchauffer ton copain après sa chute dans le torrent, tu t’y es pris comment ?
Moi : De la seule façon que je connaisse, c'est-à-dire peau contre peau pour faire passer la chaleur d’un corps à l’autre et bien entendu avec un feu de bois pour aider.
Méd : Tu as très bien réagi. Je te félicite. Ton copain a une température de 37,6° C. C’est à dire qu’il va bien. Mais je pense qu’il est perturbé par autre chose, c’est plus du niveau relationnel.
Moi : Ah.
Méd : C’est à ton tour. Vient, installe-toi sur la table. »
Je m’installe sur la table d’auscultation. Le médecin, qui parle très bien français, prend ma température, mes battements de cœur, et un tas d’autres paramètres. Puis il me regarde droit dans les yeux. J’ai 38°c de température, 90 de battements de cœur, c’est beaucoup trop, la tension est trop haute, etc. Il me dit alors :
Méd : « Dis-moi depuis combien de temps tu n’as plus bu à ta soif ?
Moi : Ce matin, un peu de thé, c’est tout. Pourquoi ?
Méd : Tu es déshydraté. Tu es très faible ! Tu es plus fatigué que tes deux autres camarades !
Moi : Je ne voulais pas qu’ils tombent de fatigue, qu’ils aient soif, je devais les ramener au camp. Je leur avais dit que je les aiderais.
Méd : Tu sais que tu es à bout de force. Je ne comprends pas comment tu as pu arriver jusqu’au camp !
Moi : Vous ne vous rendez pas compte que je devais rentrer avec eux, nous devions rentrer ensemble, nous sommes une équipe, nous devions rentrer ensem… »
Je me suis mis à pleurer, là devant ce médecin que je n’ai jamais vu avant. Je suis exténué, j’ai envie de dormir, je suis seulement très heureux d’avoir pu revenir au camp, d’avoir pu ramener mes deux compagnons de route, mon Ben et Gaby à bon port.
Le médecin sort de l’infirmerie. Il va trouver Jean-Pierre. Il lui explique la situation. Il lui signale qu’il va me poser une perfusion pour la nuit et probablement pour la journée suivante et qu’il va demander à une infirmière de me veiller toute la nuit, ou alors c’est direction l’hôpital. Il explique que je suis déshydraté, exténué et que j’ai trop puisé dans mes forces pour que mes deux compagnons puissent arriver au camp.
Jean-Pierre remercie le médecin, qui de suite fait appel au service des infirmières prévues de garde pour le camp et d’autres centres de vacances. Il vient auprès de moi et il m’explique ce qui va se passer.
Pendant ce temps Jean-Pierre qui est en compagnie de Ben et de Gaby, leur explique ce qui se passe. Ben s’effondre en larmes. Il comprend seulement maintenant pourquoi il y avait encore de l’eau à boire, le pourquoi je donnais au fur et à mesure des fruits secs et à la fin le lait concentré sucré ! Gaby venait de se rendre compte de ce qu’il avait dit sans savoir ce que j’avais fait pour lui et Ben. Il prenait conscience de mon implication dans sa survie ainsi que de celle de Ben. Il ne pouvait prononcer un seul mot !
Jean-Pierre avait demandé à Fabrice de s’occuper de Gaby pour qu’il remonte aux tentes. Puis il avait pris Ben dans ses bras pour le consoler. C’est à cet instant que l’infirmier est arrivé. Il prend contact avec le médecin et il prend tout de suite son service. Il se présente, il se prénomme Markus, il parle français avec un fort accent germanique. Il place la perfusion sous le regard du médecin, qui ensuite lui donne ses consignes.
Je suis allongé sur un lit. Je sais que je vais rester coucher là au moins pour la nuit. A l’extérieur j’entends Ben qui se pose des questions en parlant avec Jean-Pierre. Ben demande alors à me voir. Le médecin qui sort de l’infirmerie donne son autorisation pour dix minutes maximum. Ben entre alors sous la tente médicale et vient à mon chevet. Tout de suite je vois dans ses yeux toutes les questions qu’il se pose, toutes les inquiétudes qui le hantent, mais il ne dit que quelques mots :
Ben : « Tu es fou mon Philou, mais je t’aime, tu es un amour ! »
Je n’ai plus la force de répondre, des larmes coulent sur mes joues et viennent mouiller l’oreiller. Je sais que Ben a compris tout ce que j’ai fait, toutes les décisions prises pour que lui et Gaby puissent rentrer sains et saufs au camp, au péril de ma propre vie. Ben n’a qu’une seule chose à faire, et bien sûr il sait de quoi il s’agit, il vient déposer ses lèvres sur les miennes pour me donner un baiser, un baiser d’amour rempli de sens ! L’infirmier ne dit rien et il a tout de suite compris. Il laisse Ben se coucher à côté de moi. Nous restons collés l’un à l’autre cinq minutes avant qu’il ne parte avec Jean-Pierre vers notre campement.
Nous sommes assis sur une roche. Il fait déjà moins froid. Les rayons du soleil ont déjà fait leurs effets : la roche est tiède. Je fouille mon sac et je trouve encore des fruits secs. Je partage le reste du paquet en trois parts égales. Nous mangeons en vue de reprendre des forces. J’ai encore une gourde d’eau, comme la descente n’est pas difficile en soi, mais elle demande de faire attention pour ne pas partir vers l’avant et ainsi chuter au risque de se faire fort mal, je donne un peu d’eau à mes amis, sans en boire. Il ne reste presque plus rien dans ma gourde. Je regarde Ben, il a compris et me fait signe qu’il lui en reste encore. Je fouille encore une fois mon sac à dos. Je découvre alors au fond d’une des poches un tube de lait concentré sucré. Je regarde la date de péremption, il est marqué « juin ». Nous sommes en juillet, je ne vois pas de problème à consommer ce tube. Je passe donc le tube à mes deux compagnons de route. Ils sont très heureux de pouvoir avaler ce lait sucré. Il faut que mes compagnons boivent de l’eau, je leur repasse la gourde après avoir fait semblant d’y boire une bonne rasade. Mes deux amis terminent le reste du contenu de cette gourde gardée pour si jamais. Ce n’est pas la première fois que j’agis de la sorte, j’ai vu que les réserves d’eau avaient diminué fortement.
Avant de reprendre le chemin, je demande à Ben s’il ne veut pas être remplacé. Il accepte bien volontiers. Je sais que c’est difficile et fatiguant d’accompagner quelqu’un et de veiller à ce qu’il ne tombe pas. Je prends alors la suite. Je reste aux côtés de Gaby. Il n’a pas desserré les dents depuis que nous avons quitté le refuge. Je sais qu’il réfléchit à tout ce qui s’est passé. Ce qui me chagrine c’est qu’il repense à cette affaire avec Emmanuel : je l’ai presque oubliée. Je suis sûr qu’il se torture l’esprit pour pas grand-chose. Puis je me pose la question du pourquoi de ce dérapage avec Ben et moi. Je pense que Gaby a perdu tous ses repères. Je pense que je devrai en faire part à Jean-Pierre dès notre retour.
Nous commençons à voir au loin les premières maisons du hameau qui se trouve juste avant l’emplacement de notre camp. Il est temps, je suis exténué. Gaby lui aussi commence à traîner la patte. Ben lui aussi semble inquiet, il voit que nous n’avançons pas. Il est comme moi lorsque j’étais devant, il se retourne régulièrement. Parfois je dois tenir Gaby pour qu’il évite une pierre ou une souche sur le chemin. Je ne me suis pas rendu compte combien ce n’est pas évident de s’occuper de quelqu’un qui n’est pas au mieux de sa forme.
Nous avançons et enfin nous sommes à l’entrée de ce hameau. Je crie à Ben qu’il est temps de s’arrêter. Je n’en peux plus et Gaby n’est pas du tout concentré. Je m’assieds, je suis là, les bras ballants. Ben me regarde, il ne m’a jamais vu comme ça. Il tente de me remonter le moral. Il me demande si je veux qu’il me remplace auprès de Gaby. Je lui dis que ça va aller, que je vais pouvoir gérer jusqu’au camp. Je vois dans les yeux de Ben comme une lueur de désapprobation, mais il ne dit rien.
A vue de nez il ne reste que trois à quatre kilomètres avant d’être arrivés au camp. Je soulève Gaby et nous repartons. Je sais que les derniers kilomètres vont être assez durs. Je prends Gaby par la taille pour le soutenir. C’est Ben qui porte les deux sacs, le sien et celui de Gaby. Je sais que ce n’est pas évident. Nous avons partagé le poids, mais cela reste du poids excédentaire à porter. Je commence à apercevoir l’entrée du camp, il ne reste que cinq cents mètres à tout casser. C’est pour moi une source d’énergie que de savoir que nous sommes presque au bout de nos peines. Je dis à Gaby que nous sommes quasiment arrivés. Ben, lui, l’a déjà remarqué. Je ne sais pas pourquoi, mais l’allure me semble un peu plus rapide depuis quelques minutes.
Nous voilà arrivés devant l’entrée du camp. Nous nous dirigeons vers le centre d’accueil. Justement Alex est là, il est déjà revenu de son périple en montagne. A peine arrivé, je m’assieds sur un banc en même temps que Gaby. Ben quant à lui, va trouver Alex. Je ne sais pas ce qu’ils se disent, mais je suis certain qu’il lui explique que Gaby souffre et que moi je suis à bout. Alex repart vers notre campement. Ben s’assied à côté de moi. Je vois dans ses yeux qu’il est inquiet. Il voit alors des larmes couler sur mes joues. Il sait que je suis en train de craquer, je suis arrivé au bout de ce que je pouvais supporter. Ben m’enlace et Gaby lui reste prostré, toujours assis sur le banc.
Jean-Pierre arrive en courant en compagnie de Fabrice. Ils nous regardent et se rendent compte que nous avons épuisé toutes nos ressources, que nous sommes sur les rotules. Ben explique ce qui s’est passé. Le changement de cap à la suite du mauvais temps qui arrivait, le retour vers le refuge de la nuit, Gaby qui était tombé dans le torrent, son sauvetage, la nuit dans le refuge et l’orage, la façon de réchauffer Gaby, ensuite la descente vers le camp et le manque de nourriture. Ben est mal dans sa peau lui aussi, il sait qu’il est aussi à bout.
Jean-Pierre vient près de moi et me dit doucement :
J-P : « Oh là Phil, tu es allé au bout de tes forces. Tu es extra. Je vais demander que le médecin passe pour Gaby, mais aussi pour toi. Tu ne peux pas rester comme ça.
Moi : Désolé J-P, j’ai fait tout ce que j’ai pu. »
Des larmes inondent alors mes joues. Je suis dans un état proche de la crise de nerf. J’ai porté notre groupe du bout des bras pour revenir, sain et sauf au camp. Ben vient se mettre tout contre moi. Je ressens sa chaleur, cela me redonne un peu de courage. Alex prend mon sac et celui de Gaby. Il compte les remonter vers notre emplacement. J’appelle alors Alex. Jean-Pierre se demande pourquoi. Je leur dis alors qu’il faut mettre les duvets à sécher en leur expliquant la mésaventure de Gaby. Je dis à Alex que ça doit rester entre nous. Alex me fait un clin d’œil d’approbation. Jean-Pierre me regarde et sait que nous avons été très loin dans le soutien de Gaby. Il ne s’attendait pas à un tel degré d’amitié entre nous. Il n’est pas au courant du début de nuit où Gaby nous a gratifié d’une branlette partagée, mais non plus de l’état mental de Gaby lorsque nous sommes partis du refuge pour revenir au camp.
Le médecin arrive dans les dix minutes. Il ausculte Gaby. Après un quart d’heure il demande qui lui a placé le sparadrap sur la plaie et il veut savoir comment il a été réchauffé. Gaby lui dit que c’est moi qui ai placé le sparadrap après avoir désinfecté la plaie et que c’est aussi moi qui ai proposé et pratiqué la méthode de réchauffement. Puis c’est au tour de Ben : le médecin trouve qu’il est fatigué, mais qu’après une bonne nuit de sommeil, tout irait pour le mieux.
Ensuite le médecin vient me trouver, il dit alors :
Méd : « Bravo mon gars, tu as très bien fait pour ton copain Gaby. Je lui ai seulement remis un nouveau sparadrap rigide pour maintenir la plaie, plaie qui se referme déjà très bien. Tu as suivi de cours de secourisme ?
Moi : Oui, je suis breveté.
Méd : Dis-moi, pour réchauffer ton copain après sa chute dans le torrent, tu t’y es pris comment ?
Moi : De la seule façon que je connaisse, c'est-à-dire peau contre peau pour faire passer la chaleur d’un corps à l’autre et bien entendu avec un feu de bois pour aider.
Méd : Tu as très bien réagi. Je te félicite. Ton copain a une température de 37,6° C. C’est à dire qu’il va bien. Mais je pense qu’il est perturbé par autre chose, c’est plus du niveau relationnel.
Moi : Ah.
Méd : C’est à ton tour. Vient, installe-toi sur la table. »
Je m’installe sur la table d’auscultation. Le médecin, qui parle très bien français, prend ma température, mes battements de cœur, et un tas d’autres paramètres. Puis il me regarde droit dans les yeux. J’ai 38°c de température, 90 de battements de cœur, c’est beaucoup trop, la tension est trop haute, etc. Il me dit alors :
Méd : « Dis-moi depuis combien de temps tu n’as plus bu à ta soif ?
Moi : Ce matin, un peu de thé, c’est tout. Pourquoi ?
Méd : Tu es déshydraté. Tu es très faible ! Tu es plus fatigué que tes deux autres camarades !
Moi : Je ne voulais pas qu’ils tombent de fatigue, qu’ils aient soif, je devais les ramener au camp. Je leur avais dit que je les aiderais.
Méd : Tu sais que tu es à bout de force. Je ne comprends pas comment tu as pu arriver jusqu’au camp !
Moi : Vous ne vous rendez pas compte que je devais rentrer avec eux, nous devions rentrer ensemble, nous sommes une équipe, nous devions rentrer ensem… »
Je me suis mis à pleurer, là devant ce médecin que je n’ai jamais vu avant. Je suis exténué, j’ai envie de dormir, je suis seulement très heureux d’avoir pu revenir au camp, d’avoir pu ramener mes deux compagnons de route, mon Ben et Gaby à bon port.
Le médecin sort de l’infirmerie. Il va trouver Jean-Pierre. Il lui explique la situation. Il lui signale qu’il va me poser une perfusion pour la nuit et probablement pour la journée suivante et qu’il va demander à une infirmière de me veiller toute la nuit, ou alors c’est direction l’hôpital. Il explique que je suis déshydraté, exténué et que j’ai trop puisé dans mes forces pour que mes deux compagnons puissent arriver au camp.
Jean-Pierre remercie le médecin, qui de suite fait appel au service des infirmières prévues de garde pour le camp et d’autres centres de vacances. Il vient auprès de moi et il m’explique ce qui va se passer.
Pendant ce temps Jean-Pierre qui est en compagnie de Ben et de Gaby, leur explique ce qui se passe. Ben s’effondre en larmes. Il comprend seulement maintenant pourquoi il y avait encore de l’eau à boire, le pourquoi je donnais au fur et à mesure des fruits secs et à la fin le lait concentré sucré ! Gaby venait de se rendre compte de ce qu’il avait dit sans savoir ce que j’avais fait pour lui et Ben. Il prenait conscience de mon implication dans sa survie ainsi que de celle de Ben. Il ne pouvait prononcer un seul mot !
Jean-Pierre avait demandé à Fabrice de s’occuper de Gaby pour qu’il remonte aux tentes. Puis il avait pris Ben dans ses bras pour le consoler. C’est à cet instant que l’infirmier est arrivé. Il prend contact avec le médecin et il prend tout de suite son service. Il se présente, il se prénomme Markus, il parle français avec un fort accent germanique. Il place la perfusion sous le regard du médecin, qui ensuite lui donne ses consignes.
Je suis allongé sur un lit. Je sais que je vais rester coucher là au moins pour la nuit. A l’extérieur j’entends Ben qui se pose des questions en parlant avec Jean-Pierre. Ben demande alors à me voir. Le médecin qui sort de l’infirmerie donne son autorisation pour dix minutes maximum. Ben entre alors sous la tente médicale et vient à mon chevet. Tout de suite je vois dans ses yeux toutes les questions qu’il se pose, toutes les inquiétudes qui le hantent, mais il ne dit que quelques mots :
Ben : « Tu es fou mon Philou, mais je t’aime, tu es un amour ! »
Je n’ai plus la force de répondre, des larmes coulent sur mes joues et viennent mouiller l’oreiller. Je sais que Ben a compris tout ce que j’ai fait, toutes les décisions prises pour que lui et Gaby puissent rentrer sains et saufs au camp, au péril de ma propre vie. Ben n’a qu’une seule chose à faire, et bien sûr il sait de quoi il s’agit, il vient déposer ses lèvres sur les miennes pour me donner un baiser, un baiser d’amour rempli de sens ! L’infirmier ne dit rien et il a tout de suite compris. Il laisse Ben se coucher à côté de moi. Nous restons collés l’un à l’autre cinq minutes avant qu’il ne parte avec Jean-Pierre vers notre campement.