10-06-2021, 08:47 AM
Chapitre 3.
Attaque !
Nous étions montés dans le bus qui devait nous reconduire au camp. Une fois installés, nous étions restés calmes, presque personne ne parlait. Sur la banquette arrière Gaby s’était placé à côté de moi et Ben de l’autre côté, nous étions fourbus. Il n’avait pas fallu cinq minutes pour que Ben s’endorme, la tête posée sur mon épaule gauche. Je m’efforçais de ne pas trop bouger pour ne pas le réveiller. A peine dix minutes plus tard, j’avais senti la tête de Gaby se poser sur mon épaule droite : il s’était, lui aussi, assoupi.
A un moment Jean-Pierre, qui occupait la place avant, s’était retourné. Il avait pu voir que mes deux compagnons s’étaient endormis en mettant leur tête sur mes épaules. C’est avec un sourire complice ainsi qu’avec un clin d’œil que J-P m’avait fait signe. Il avait pu voir que pratiquement tous les scouts-pionniers s’étaient assoupis et même Fabrice s’endormait.
Finalement nous étions arrivés devant l’entrée du camp après une bonne heures de route. J’avais réveillé mes deux amis. Gaby le premier avait ouvert les yeux, ayant vu sa position, la tête posée sur mon épaule, il m’avait dit :
Gab : « Oh pardon, excuse-moi !
Moi : Pas de souci Gaby, cela ne m’a pas dérangé. Et puis tu dormais si bien !
Gab : Merci Phil, tu un véritable ami ! »
Ben lui aussi venait d’ouvrir les yeux, découvrant lui aussi sa position, la tête déposée sur mon épaule. Il m’avait regardé dans les yeux et comme à son habitude, j’avais pu découvrir dans son regard tout l’amour qu’il éprouvait pour moi. Pas besoin de mot, un seul regard suffisait, je savais qu’il me remerciait de l’avoir laissé se reposer, la tête délicatement appuyée presque au creux de mon cou. Je savais qu’il m’aimait, la lueur électrique de son regard me le confirmait.
Nous avions repris nos sacs pour rentrer dans le camp et rejoindre notre emplacement. Nous avions directement remis nos effets personnels dans nos tentes respectives. J’avais accompagné Fabrice et Alex pour reprendre la nourriture destinée à préparer notre souper. Nous avions utilisé les sacs vides destinés à remonter ce qu’il fallait.
Une fois arrivé près de la tente d’accueil où se trouvaient les réfrigérateurs, nous avions croisé Christian, Raphaël et une pionnière qui venaient juste de reprendre de quoi préparer à manger. Raphaël avait sa lèvre inférieure tuméfiée, un œil au « beurre noir » ; Christian avait le nez caché sous un pansement et des traces noires sous les yeux. Je m’étais arrêté net, le sac vide avait glissé sur le sol, m’ayant échappé des mains. J’avais tout de suite compris que mes deux amis suisses avaient été attaqués. Mes yeux s’étaient remplis de larmes qui ensuite s’écoulaient sur mes joues. J’étais sans voix. Raphaël m’ayant vu s’était lui aussi arrêté. Il avait déposé ce qu’il portait pour venir vers moi. Fabrice ayant vu ce qui se passait m’avait pris, par l’arrière, sous les bras, pour me faire asseoir. Raphaël et Christian s’étaient assis près de moi. Alex, quant à lui, avait pris place à mes côtés. Puis Raphaël avait pris la parole :
Rap : « Oh Phil, ne t’inquiète pas, ça va. Le plus dur est passé.
Ale : Qu’est-il arrivé ?
Rap : On a été attaqué hier soir par quatre pionniers germanophones lorsque nous revenions d’être allés prendre notre douche. Ils nous cherchaient parce que nous sommes homos !
Moi : Ce n’est pas possible, même ici, entre scouts ! »
Mes larmes redoublaient et coulaient sur mes joues. Alex tentait de me consoler. Fabrice avait alors demandé à Alex de rester auprès de moi ; il était remonté vers notre emplacement. Directement il avait été trouver Jean-Pierre pour lui expliquer ce qui venait de se passer. Jean-Pierre avait été trouver Benoît pour qu’il l’accompagne en vue de me rejoindre.
J’étais prostré, un tas d’images me revenaient à l’esprit, l’attaque près de la plage lorsque je remettais ma chaîne de vélo, le décès d’Henri, les propos de Roland lorsque j’étais revenu à la réunion à la troupe, ma tentative de suicide, etc. Alex savait que j’avais été attaqué moi aussi part des homophobes, que j’avais souffert et que c’est à l’hôpital que j’avais connu Benoît. Alex faisait ce qu’il pouvait pour me rassurer. Raphaël et Christian se demandaient pourquoi j’étais dans un tel état.
A un moment j’avais entendu Ben crier, il m’appelait, j’entendais : « Phil, Phil ! », il devait courir comme un dératé. Ben est arrivé près de moi, en me voyant il était devenu rouge de rage, me voyant assis par terre, des larmes coulant sur mes joues. Puis Ben vit Raphaël et Christian qui étaient éberlués. Il voyait leurs visages tuméfiés ! Ben disait :
Ben : « Merde, merde qui vous a fait ça ?
Chr : Ils ont été éjectés du camp !
Ben : Mais ce n’est pas possible, on ne sera jamais tranquille ! »
D’autres pionniers s’étaient groupés près de la tente accueil en entendant tout le remue-ménage. Ils parlaient tout bas mais Ben se doutait qu’ils parlaient de Raphaël et Christian, mais aussi de nous deux. Jean-Pierre avait alors demandé à Ben de s’occuper de moi et de rentrer au camp. Ben m’avait pris par dessous les aisselles pour me soulever et ensuite il m’avait pris par les épaules pour remonter vers les tentes.
Jean-Pierre avait demandé ce qui s’était passé pour qu’ils soient dans cet état, la figure marquée par des coups. C’est Raphaël qui lui avait expliqué les circonstances de l’attaque. Jean-Pierre était outré de voir que cela puisse se passer dans un camp scout. Ensuite c’est Raphaël qui voulait savoir pourquoi j’avais réagi de la sorte. Jean-Pierre et Alex avaient expliqué dans les grandes lignes ce qui m’était arrivé : l’attaque homophobe et ses implications, ma tentative de suicide et ma venue à la troupe avec Benoît. Les deux amis suisses comprirent alors l’impact de leur attaque sur mon moral.
Raphaël et Christian avaient souhaité passer après le souper pour prendre de me nouvelles. En reprenant la nourriture avec Alex, Jean-Pierre était repassé par le camp des pionniers valaisans pour les inviter à venir passer la veillée chez nous, à notre campement. Le rendez-vous avait été fixé vers vingt-heures.
Nous venions de terminer le souper. Pour ma part, je n’avais pas mangé grand-chose, je n’avais pas faim. J’étais toujours perturbé par la vision des visages tuméfiés de Raphaël et de Christian. J’avais aidé à la vaisselle, ne voulant pas être un poids mort pour les autres pionniers. Tous savaient que j’avais été agressé, sans pour autant connaître tous les détails, et que j’avais aussi fait une tentative de suicide, alors que j’étais dans une autre troupe scoute. J’étais comme dans une bulle, un peu comme hors du temps. Je ne percevais pas tout ce qui se passait autour de moi. Ben avait vu que je n’étais toujours pas dans mon assiette. Il restait près de moi, sans rien dire. Il savait très bien que les mots qu’il aurait prononcés, n’auraient rien changé.
A un moment j’avais vu arriver vers moi Raphaël et Christian ; ils n’étaient qu’eux deux. Je pensais qu’ils voulaient me voir en aparté. Effectivement ils s’étaient approchés de moi. Ils m’avaient chacun donné un bisou sur la joue. J’avais déjà les larmes qui me montaient aux yeux, mais je me retenais. Puis nous nous étions mis un peu à l’écart du reste de la troupe. Benoît avait demandé s’il pouvait venir avec moi. J’avais fait signe que oui, nos deux amis suisses n’y voyant rien à redire. Je voyais aussi Gaby, qui se tenait lui aussi à l’écart. J’étais certain qu’il voulait voir de loin, si tout allait bien.
Notre Gaby avait été très impressionné de me voir revenir avec Fabrice. Il avait mal au cœur de me voir dans cet état. Il ne savait que faire. Il était resté près de moi jusqu’au souper sans dire un mot, l’air grave, son esprit en alerte, se demandant ce qu’il m’était arrivé. Il savait que mon état avait été causé par la vue des deux pionniers valaisans qui avaient été attaqués par quatre germanophones. Bref, Gaby restait aux aguets, prêt à intervenir pour m’aider !
Nous nous étions assis en cercle. C’est Christian qui a pris la parole. Il avait été en contact avec moi lors de la veillée durant laquelle nous avions fait plus amplement connaissance.
Chr : « Phil, comment vas-tu ?
Moi : Ça va un peu mieux, mais il me faudra un peu de temps pour pouvoir aller de l’avant !
Chr : Quand nous nous sommes vus devant la tente d’accueil, et que tu t’es effondré, je m’étais demandé ce qu’il se passait. C’est Alex qui m’a dit que tu avais été victime d’une agression homophobe et que tu avais ..., euh que …, enfin je…
Moi : Tu peux dire le mot, tenté de me suicider !
Chr : Oui Phil.
Moi : Ce n’est pas facile Christian, fin août, ça fera un an que mon ami Henri est décédé. Il a été renversé par une voiture. Nous étions dans la même patrouille lors de notre camp scout. A cette époque j’étais dans une autre troupe, d’une autre unité. Puis nous nous sommes aimés, à la fin du camp et après. Mes parents avaient accepté que mon ami Henri soit de la partie pour passer des vacances en Vendée. »
Un moment de pause. J’avais la gorge sèche. Ben avait remarqué que le ton de ma voix avait changé. Il savait que j’allais avoir difficile de poursuivre le récit sans verser une larme ou même de m’effondrer. Ben avait fait signe à Gaby, qui était toujours aux aguets, de s’approcher. Il lui demanda d’aller chercher un verre d’eau. Pendant ce laps de temps, nos deux amis Raphaël et Christian ne disaient rien. Ils savaient qu’il fallait me laisser un peu de temps pour que je reprenne mes esprits. J’avais remercié Gaby de m’avoir apporté le verre d’eau. Puis il s’était éloigné, pour me laisser avec les autres.
Moi : « Désolé. Puis lors de ces vacances, j’ai été attaqué par trois jeunes homophobes. Le plus méchant s’en est pris à moi et il a tenté de me …, de me… violer. »
Des larmes coulaient sur mes joues. J’étais devenu rouge, je commençais à trembler. Ben m’avait pris dans ses bras. Lui aussi, qui pourtant savait ce qui m’était arrivé, pleurait. J’avais vu la tête de mes amis suisses blêmir. Puis reprenant le dessus, j’avais poursuivi :
Moi : « Il avait commencé à m’enfoncer un bout de bois dans l’anus !
Chr : Merde, merde alors. »
Raphaël avait des larmes qui lui coulaient sur les joues. Il venait de se rendre compte de la méchanceté et de la bêtise humaine. Où j’en étais, il fallait que je poursuive, coûte que coûte !
Moi : « Henri a pu s’échapper pour appeler du secours. Finalement je me suis évanoui tellement j’avais mal et que je croyais mourir.
Raph : C’est incroyable. Je n’en reviens pas, c’est monstrueux !
Moi : Oui Raphaël, c’est monstrueux. Puis c’est Henri qui est « parti », renversé par une voiture alors qu’on devait se rejoindre. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’est que de perdre un être aimé, son ami, son amant ! Le pire, après ça, c’est le retour à la première réunion chez les scouts. A peine arrivé, un des scouts, Roland, s’en est pris à moi en me disant qu’il ne voulait plus voir de « PD » à la troupe. Ce jour-là je me suis enfui et je suis rentré à la maison.
Chr : Mais il est complètement malade ce Roland. Mais c’est indigne d’un scout !
Moi : Quand tu penses que Roland était dans ma patrouille lors du camp et qu’il savait très bien ce qui se passait. Bref, j’étais monté dans ma chambre avec une bouteille de whisky et des médicaments pour me… me suicider ! »
Des larmes coulaient à nouveau sur mes joues. J’étais comme dans un état second. Christian et Raphaël ne disaient rien, ils avaient les larmes aux yeux. Ils comprenaient ce que le poids des mots pouvait avoir comme conséquences. J’avais une nouvelle fois surmonté mon angoisse et j’avais repris.
Moi : « C’est mon petit frère Jean qui m’a découvert à temps. Puis je me suis retrouvé dans le coma, hospitalisé durant des semaines. Heureusement que j’ai pu rencontrer Benoît. C’est un peu grâce à lui que j’ai su remonter la pente. C’est là, dans la même chambre que nous sommes tombés amoureux.
Ben : Voilà les amis. Il y a encore quelques péripéties, mais bon. Vous savez que de vous voir comme ça la figure tuméfiée par les coups que vous avez reçus, que Phil a été confronté, indirectement, à votre propre agression. Il a revécu en une fraction de seconde ses propres souffrances.
Moi : Faites très attention quand vous êtes ensemble, de ne pas vous afficher comme vous l’avez fait assez souvent dans ce camp. Se tenir par la main, oui c’est très beau, mais c’est un signal envers ceux qui n’acceptent pas les gays. Je vous en supplie, faites attention à vous.
Chr : Oui Phil, on a très bien compris. Merci à toi d’avoir expliqué ce qui t’était arrivé. J’en suis toujours abasourdi. »
Je m’étais une nouvelle fois effondré, des larmes coulaient et coulaient sur mon tee-shirt. Ben tentait de me consoler. Christian et Raphaël pleuraient eux aussi. Puis ils s’étaient mis à m’enlacer. Nous étions restés un bon moment, unis tous les quatre. Nous avions fini par nous reprendre. Nous avions essuyé nos larmes. Gaby n’avait rien manqué de ce qui venait de se passer, ni même Jean-Pierre qui avait suivi la fin de notre rencontre.
Finalement les pionniers valaisans étaient tous arrivés pour la veillée. Ils s’étaient placés autour du feu de camp, se mêlant à mes amis pionniers. Raphaël, Christian, Ben et moi nous étions restés ensemble pour cette veillée. Nous avions été rejoints par Gaby. La pression s’était atténuée, laissant place aux chants et aux rires.
Attaque !
Nous étions montés dans le bus qui devait nous reconduire au camp. Une fois installés, nous étions restés calmes, presque personne ne parlait. Sur la banquette arrière Gaby s’était placé à côté de moi et Ben de l’autre côté, nous étions fourbus. Il n’avait pas fallu cinq minutes pour que Ben s’endorme, la tête posée sur mon épaule gauche. Je m’efforçais de ne pas trop bouger pour ne pas le réveiller. A peine dix minutes plus tard, j’avais senti la tête de Gaby se poser sur mon épaule droite : il s’était, lui aussi, assoupi.
A un moment Jean-Pierre, qui occupait la place avant, s’était retourné. Il avait pu voir que mes deux compagnons s’étaient endormis en mettant leur tête sur mes épaules. C’est avec un sourire complice ainsi qu’avec un clin d’œil que J-P m’avait fait signe. Il avait pu voir que pratiquement tous les scouts-pionniers s’étaient assoupis et même Fabrice s’endormait.
Finalement nous étions arrivés devant l’entrée du camp après une bonne heures de route. J’avais réveillé mes deux amis. Gaby le premier avait ouvert les yeux, ayant vu sa position, la tête posée sur mon épaule, il m’avait dit :
Gab : « Oh pardon, excuse-moi !
Moi : Pas de souci Gaby, cela ne m’a pas dérangé. Et puis tu dormais si bien !
Gab : Merci Phil, tu un véritable ami ! »
Ben lui aussi venait d’ouvrir les yeux, découvrant lui aussi sa position, la tête déposée sur mon épaule. Il m’avait regardé dans les yeux et comme à son habitude, j’avais pu découvrir dans son regard tout l’amour qu’il éprouvait pour moi. Pas besoin de mot, un seul regard suffisait, je savais qu’il me remerciait de l’avoir laissé se reposer, la tête délicatement appuyée presque au creux de mon cou. Je savais qu’il m’aimait, la lueur électrique de son regard me le confirmait.
Nous avions repris nos sacs pour rentrer dans le camp et rejoindre notre emplacement. Nous avions directement remis nos effets personnels dans nos tentes respectives. J’avais accompagné Fabrice et Alex pour reprendre la nourriture destinée à préparer notre souper. Nous avions utilisé les sacs vides destinés à remonter ce qu’il fallait.
Une fois arrivé près de la tente d’accueil où se trouvaient les réfrigérateurs, nous avions croisé Christian, Raphaël et une pionnière qui venaient juste de reprendre de quoi préparer à manger. Raphaël avait sa lèvre inférieure tuméfiée, un œil au « beurre noir » ; Christian avait le nez caché sous un pansement et des traces noires sous les yeux. Je m’étais arrêté net, le sac vide avait glissé sur le sol, m’ayant échappé des mains. J’avais tout de suite compris que mes deux amis suisses avaient été attaqués. Mes yeux s’étaient remplis de larmes qui ensuite s’écoulaient sur mes joues. J’étais sans voix. Raphaël m’ayant vu s’était lui aussi arrêté. Il avait déposé ce qu’il portait pour venir vers moi. Fabrice ayant vu ce qui se passait m’avait pris, par l’arrière, sous les bras, pour me faire asseoir. Raphaël et Christian s’étaient assis près de moi. Alex, quant à lui, avait pris place à mes côtés. Puis Raphaël avait pris la parole :
Rap : « Oh Phil, ne t’inquiète pas, ça va. Le plus dur est passé.
Ale : Qu’est-il arrivé ?
Rap : On a été attaqué hier soir par quatre pionniers germanophones lorsque nous revenions d’être allés prendre notre douche. Ils nous cherchaient parce que nous sommes homos !
Moi : Ce n’est pas possible, même ici, entre scouts ! »
Mes larmes redoublaient et coulaient sur mes joues. Alex tentait de me consoler. Fabrice avait alors demandé à Alex de rester auprès de moi ; il était remonté vers notre emplacement. Directement il avait été trouver Jean-Pierre pour lui expliquer ce qui venait de se passer. Jean-Pierre avait été trouver Benoît pour qu’il l’accompagne en vue de me rejoindre.
J’étais prostré, un tas d’images me revenaient à l’esprit, l’attaque près de la plage lorsque je remettais ma chaîne de vélo, le décès d’Henri, les propos de Roland lorsque j’étais revenu à la réunion à la troupe, ma tentative de suicide, etc. Alex savait que j’avais été attaqué moi aussi part des homophobes, que j’avais souffert et que c’est à l’hôpital que j’avais connu Benoît. Alex faisait ce qu’il pouvait pour me rassurer. Raphaël et Christian se demandaient pourquoi j’étais dans un tel état.
A un moment j’avais entendu Ben crier, il m’appelait, j’entendais : « Phil, Phil ! », il devait courir comme un dératé. Ben est arrivé près de moi, en me voyant il était devenu rouge de rage, me voyant assis par terre, des larmes coulant sur mes joues. Puis Ben vit Raphaël et Christian qui étaient éberlués. Il voyait leurs visages tuméfiés ! Ben disait :
Ben : « Merde, merde qui vous a fait ça ?
Chr : Ils ont été éjectés du camp !
Ben : Mais ce n’est pas possible, on ne sera jamais tranquille ! »
D’autres pionniers s’étaient groupés près de la tente accueil en entendant tout le remue-ménage. Ils parlaient tout bas mais Ben se doutait qu’ils parlaient de Raphaël et Christian, mais aussi de nous deux. Jean-Pierre avait alors demandé à Ben de s’occuper de moi et de rentrer au camp. Ben m’avait pris par dessous les aisselles pour me soulever et ensuite il m’avait pris par les épaules pour remonter vers les tentes.
Jean-Pierre avait demandé ce qui s’était passé pour qu’ils soient dans cet état, la figure marquée par des coups. C’est Raphaël qui lui avait expliqué les circonstances de l’attaque. Jean-Pierre était outré de voir que cela puisse se passer dans un camp scout. Ensuite c’est Raphaël qui voulait savoir pourquoi j’avais réagi de la sorte. Jean-Pierre et Alex avaient expliqué dans les grandes lignes ce qui m’était arrivé : l’attaque homophobe et ses implications, ma tentative de suicide et ma venue à la troupe avec Benoît. Les deux amis suisses comprirent alors l’impact de leur attaque sur mon moral.
Raphaël et Christian avaient souhaité passer après le souper pour prendre de me nouvelles. En reprenant la nourriture avec Alex, Jean-Pierre était repassé par le camp des pionniers valaisans pour les inviter à venir passer la veillée chez nous, à notre campement. Le rendez-vous avait été fixé vers vingt-heures.
Nous venions de terminer le souper. Pour ma part, je n’avais pas mangé grand-chose, je n’avais pas faim. J’étais toujours perturbé par la vision des visages tuméfiés de Raphaël et de Christian. J’avais aidé à la vaisselle, ne voulant pas être un poids mort pour les autres pionniers. Tous savaient que j’avais été agressé, sans pour autant connaître tous les détails, et que j’avais aussi fait une tentative de suicide, alors que j’étais dans une autre troupe scoute. J’étais comme dans une bulle, un peu comme hors du temps. Je ne percevais pas tout ce qui se passait autour de moi. Ben avait vu que je n’étais toujours pas dans mon assiette. Il restait près de moi, sans rien dire. Il savait très bien que les mots qu’il aurait prononcés, n’auraient rien changé.
A un moment j’avais vu arriver vers moi Raphaël et Christian ; ils n’étaient qu’eux deux. Je pensais qu’ils voulaient me voir en aparté. Effectivement ils s’étaient approchés de moi. Ils m’avaient chacun donné un bisou sur la joue. J’avais déjà les larmes qui me montaient aux yeux, mais je me retenais. Puis nous nous étions mis un peu à l’écart du reste de la troupe. Benoît avait demandé s’il pouvait venir avec moi. J’avais fait signe que oui, nos deux amis suisses n’y voyant rien à redire. Je voyais aussi Gaby, qui se tenait lui aussi à l’écart. J’étais certain qu’il voulait voir de loin, si tout allait bien.
Notre Gaby avait été très impressionné de me voir revenir avec Fabrice. Il avait mal au cœur de me voir dans cet état. Il ne savait que faire. Il était resté près de moi jusqu’au souper sans dire un mot, l’air grave, son esprit en alerte, se demandant ce qu’il m’était arrivé. Il savait que mon état avait été causé par la vue des deux pionniers valaisans qui avaient été attaqués par quatre germanophones. Bref, Gaby restait aux aguets, prêt à intervenir pour m’aider !
Nous nous étions assis en cercle. C’est Christian qui a pris la parole. Il avait été en contact avec moi lors de la veillée durant laquelle nous avions fait plus amplement connaissance.
Chr : « Phil, comment vas-tu ?
Moi : Ça va un peu mieux, mais il me faudra un peu de temps pour pouvoir aller de l’avant !
Chr : Quand nous nous sommes vus devant la tente d’accueil, et que tu t’es effondré, je m’étais demandé ce qu’il se passait. C’est Alex qui m’a dit que tu avais été victime d’une agression homophobe et que tu avais ..., euh que …, enfin je…
Moi : Tu peux dire le mot, tenté de me suicider !
Chr : Oui Phil.
Moi : Ce n’est pas facile Christian, fin août, ça fera un an que mon ami Henri est décédé. Il a été renversé par une voiture. Nous étions dans la même patrouille lors de notre camp scout. A cette époque j’étais dans une autre troupe, d’une autre unité. Puis nous nous sommes aimés, à la fin du camp et après. Mes parents avaient accepté que mon ami Henri soit de la partie pour passer des vacances en Vendée. »
Un moment de pause. J’avais la gorge sèche. Ben avait remarqué que le ton de ma voix avait changé. Il savait que j’allais avoir difficile de poursuivre le récit sans verser une larme ou même de m’effondrer. Ben avait fait signe à Gaby, qui était toujours aux aguets, de s’approcher. Il lui demanda d’aller chercher un verre d’eau. Pendant ce laps de temps, nos deux amis Raphaël et Christian ne disaient rien. Ils savaient qu’il fallait me laisser un peu de temps pour que je reprenne mes esprits. J’avais remercié Gaby de m’avoir apporté le verre d’eau. Puis il s’était éloigné, pour me laisser avec les autres.
Moi : « Désolé. Puis lors de ces vacances, j’ai été attaqué par trois jeunes homophobes. Le plus méchant s’en est pris à moi et il a tenté de me …, de me… violer. »
Des larmes coulaient sur mes joues. J’étais devenu rouge, je commençais à trembler. Ben m’avait pris dans ses bras. Lui aussi, qui pourtant savait ce qui m’était arrivé, pleurait. J’avais vu la tête de mes amis suisses blêmir. Puis reprenant le dessus, j’avais poursuivi :
Moi : « Il avait commencé à m’enfoncer un bout de bois dans l’anus !
Chr : Merde, merde alors. »
Raphaël avait des larmes qui lui coulaient sur les joues. Il venait de se rendre compte de la méchanceté et de la bêtise humaine. Où j’en étais, il fallait que je poursuive, coûte que coûte !
Moi : « Henri a pu s’échapper pour appeler du secours. Finalement je me suis évanoui tellement j’avais mal et que je croyais mourir.
Raph : C’est incroyable. Je n’en reviens pas, c’est monstrueux !
Moi : Oui Raphaël, c’est monstrueux. Puis c’est Henri qui est « parti », renversé par une voiture alors qu’on devait se rejoindre. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’est que de perdre un être aimé, son ami, son amant ! Le pire, après ça, c’est le retour à la première réunion chez les scouts. A peine arrivé, un des scouts, Roland, s’en est pris à moi en me disant qu’il ne voulait plus voir de « PD » à la troupe. Ce jour-là je me suis enfui et je suis rentré à la maison.
Chr : Mais il est complètement malade ce Roland. Mais c’est indigne d’un scout !
Moi : Quand tu penses que Roland était dans ma patrouille lors du camp et qu’il savait très bien ce qui se passait. Bref, j’étais monté dans ma chambre avec une bouteille de whisky et des médicaments pour me… me suicider ! »
Des larmes coulaient à nouveau sur mes joues. J’étais comme dans un état second. Christian et Raphaël ne disaient rien, ils avaient les larmes aux yeux. Ils comprenaient ce que le poids des mots pouvait avoir comme conséquences. J’avais une nouvelle fois surmonté mon angoisse et j’avais repris.
Moi : « C’est mon petit frère Jean qui m’a découvert à temps. Puis je me suis retrouvé dans le coma, hospitalisé durant des semaines. Heureusement que j’ai pu rencontrer Benoît. C’est un peu grâce à lui que j’ai su remonter la pente. C’est là, dans la même chambre que nous sommes tombés amoureux.
Ben : Voilà les amis. Il y a encore quelques péripéties, mais bon. Vous savez que de vous voir comme ça la figure tuméfiée par les coups que vous avez reçus, que Phil a été confronté, indirectement, à votre propre agression. Il a revécu en une fraction de seconde ses propres souffrances.
Moi : Faites très attention quand vous êtes ensemble, de ne pas vous afficher comme vous l’avez fait assez souvent dans ce camp. Se tenir par la main, oui c’est très beau, mais c’est un signal envers ceux qui n’acceptent pas les gays. Je vous en supplie, faites attention à vous.
Chr : Oui Phil, on a très bien compris. Merci à toi d’avoir expliqué ce qui t’était arrivé. J’en suis toujours abasourdi. »
Je m’étais une nouvelle fois effondré, des larmes coulaient et coulaient sur mon tee-shirt. Ben tentait de me consoler. Christian et Raphaël pleuraient eux aussi. Puis ils s’étaient mis à m’enlacer. Nous étions restés un bon moment, unis tous les quatre. Nous avions fini par nous reprendre. Nous avions essuyé nos larmes. Gaby n’avait rien manqué de ce qui venait de se passer, ni même Jean-Pierre qui avait suivi la fin de notre rencontre.
Finalement les pionniers valaisans étaient tous arrivés pour la veillée. Ils s’étaient placés autour du feu de camp, se mêlant à mes amis pionniers. Raphaël, Christian, Ben et moi nous étions restés ensemble pour cette veillée. Nous avions été rejoints par Gaby. La pression s’était atténuée, laissant place aux chants et aux rires.