24-03-2021, 10:28 AM
Chapitre 23.
Le mauvais sort !
Nous finissons le dîner. Nous sommes sur la terrasse comme à chaque fois qu’il fait beau et que la température le permet. Nous attendons un moment avant de prendre le dessert. Julien semble bien calme, j’ai l’impression qu’il se projette déjà dans l’avenir, certes un avenir proche, mais dans l’avenir quand même. Papa discute avec Julien et Stéphanie. Il est question de finaliser l’émancipation de Stéphanie et de désigner les tuteurs pour Julien. (Il faut se rappeler que la majorité est fixée à 21 ans à cette époque.)
Je remarque que maman regarde régulièrement sa montre. Elle semble attendre quelque chose ou plutôt une visite. Je pense que c’est pour cette raison que nous attendons avant de prendre le dessert. Je vais près de ma génitrice en vue de lui poser la question, soit savoir qui est attendu ! Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit, j’entends qu’on sonne à la porte. Maman me demande de venir avec moi. Je suis de plus en plus intrigué.
Maman ouvre l’huis et je vois Lucas, mon copain de classe, avec Mathieu et la maman de ce dernier. Je fais un pas en arrière, je suis surpris de voir mes deux amis dont le visage est tuméfié. Je devine directement qu’ils ont été victime d’une attaque homophobe. Pas besoin de parler, les mots ne sont pas nécessaires, je m’avance vers eux et je les prends dans mes bras.
Nous nous dirigeons vers le salon où nous nous installons. Josiane, la maman de Mathieu nous explique que Math et Lucas voulaient venir me voir pour parler ce qui s’est passé. Lors d’un contact téléphonique en matinée avec maman, Josiane a appris ce qui s’était passé avec la famille de Julien : l’accident, le décès des deux parents et l’hospitalisation de Julien et son état actuel. Elle avait alors voulu passer non seulement pour voir Julien mais aussi pour que son fils Mathieu et Lucas puissent trouver du réconfort auprès de leurs deux amis que sont Phil et Julien.
Je reste profondément marqué de voir dans quel état se trouvent mes deux amis. Je n’ose pas demander ce qui s’est passé, je pense que les explications doivent être données par eux même sans les y forcer ni les brusquer. Nous nous levons pour rejoindre papa, Stéphanie, Delphine et Julien. Nous arrivons sur la terrasse, sans dire un mot. C’est Julien qui voit en premier nos amis présentant des têtes « au carré ». Son visage s’est directement assombri, les deux filles tournent la tête et elles disent : « Oh » ! Papa, qui se trouve de dos, se retourne et en les voyant a un mouvement de recul.
Je rejoins Julien, je me place à ses côtés. Lucas et Mathieu s’avancent vers nous. C’est Lucas qui salue en premier mon Juju. Il lui dit qu’il vient d’apprendre ce qui s’est passé et qu’il voulait le voir. Mathieu suit et fait de même. Ils sont tous les deux à la fois peiné de voir Julien assis dans une chaise roulante et à la fois inquiets de savoir ce que Julien pense de leur état, sachant qu’il va se poser la même question que celle que je me suis posée lorsque je les ai vus.
Josiane salue papa et les deux filles. Elle s’approche de Julien et lui fait la bise. Rien que par le regard on peut voir toute l’attention qu’elle porte à Julien. Maman fait asseoir les nouveaux arrivés. Il y a assez de chaises, c’est comme si c’était prévisible, c’est bien le cas, car maman savait que nos deux amis allaient venir avec Josiane.
Nous sommes assis les uns près des autres, nous les quatre garçons. Lucas voit très bien que Julien et moi souhaitons connaitre la mésaventure qu’ils ont vécue. Nous sommes alors tout ouïe, plus personne ne dit rien, sachant que c’est déjà assez pénible de dire ce qui s’est passé pour eux, mais c’est le fait de revivre indirectement cette situation en narrant l’histoire. Nous laissons le temps aux deux garçons de prendre leurs marques. Maman en profite pour apporter du café et de la limonade, Delphine l’aide en apportant tasses et verres.
Je regarde leurs visages, je suis effaré, ils ont dû morfler ! Les yeux bleuis, les pommettes noires, les lèvres épaissies par l’hématome avec des bouts de sparadrap, le front rougi et un pansement sur le nez ! Je tourne la tête vers Julien, il a le regard fixé sur nos amis, bouche-bée. Les filles ne disent rien, elles nous regardent et se doutent que c’est grave, que c’est probablement l’œuvre de détraqués homophobes. Elles savent que les garçons gays sont plus exposés que les lesbiennes, quoi que ! Pendant ce temps les deux mamans parlent à voix basse. Je vois maman qui réagit aux paroles de Josiane, elle se tourne un petit moment. Elle refait face à nous, je vois qu’elle a les yeux humides. Je sens qu’il y a quelque chose de plus grave encore, je me demande quelle catastrophe va être annoncée.
Lucas boit un peu de limonade et s’éclaircit la voix. Il prend une bonne inspiration et nous dit :
Luc : « Bon, vous avez compris qu’il s’est passé quelque chose. En fait hier nous étions à la piscine ensemble Mathieu et moi, mais aussi avec Maxime. Nous avions nagé une partie de l’après-midi. Après la douche nous nous sommes mis dans la même cabine Math et moi, Maxime dans une autre un peu plus loin. Nous nous sommes embrassés en nous habillant. Je ne sais pas ce qui s’est passé, nous avons entendu des voix et des bruits dans les cabines voisines de la nôtre. Nous n’y avons pas prêté plus attention que ça. Toujours est-il qu’il y a trois gars qui attendaient à la sortie du parking et ils nous ont invectivés en nous traitant de « sales PD », de « déchets de la société », … etc. »
Lucas prend le temps de se reprendre, ses yeux sont déjà embués. Je vois Mathieu qui a les joues mouillées par ses larmes. Je me rappelle cette journée organisée pour nos deux anniversaires dans le hall des sports quand j’ai été pris à partie par une bande de jeunes dont l’un d’eux était dans mon école. Je sais combien ça fait mal.
Lucas reprend le récit avec une voix éraillée :
Luc : « A un moment deux des gars s’en sont pris à nous, les coups pleuvent sur nous. J’en reçois plein la figure, mais aussi dans le dos, sur les membres, enfin partout. Je ne vois plus Math, je sais que lui aussi reçoit des coups tout comme moi car je l’entends crier. Les trois gars gueulent « salles PD, bande d’enculés … etc » Je suis certain que Maxime ne reste pas sans réagir, il se rue sur l’un ou l’autre des assaillants, j’entends bien qu’il crie en demandant d’arrêter de nous frapper. Puis je suppose que le troisième gars est intervenu. J’entends mon frère hurler de mal, puis plus rien. D’un coup, l’un des assaillant a dit : « c’est bon, on se taille ». Les trois connards se sont alors enfuis, nous laissant à terre.
Lucas s’effondre en larmes, Mathieu lui aussi pleure de rage tout comme ceux qui ont entendu ce qui s’est passé. Lucas tente de reprendre le récit :
Luc : Je me suis relevé, j’avais du sang sur le visage, j’avais un œil fermé. J’ai vu que Math se relevait lui aussi. Je me suis alors penché sur Max, il ne réagissait pas. Du sang lui sortait du nez et de la bouche. Je croyais qu’il …. je …
Lucas ne sait plus dire un mot, il s’effondre comme une loque, maman a juste le temps de le retenir pour qu’il ne tombe sur le sol de la terrasse. C’est alors Josiane qui prend la parole :
Jos : Appel a été fait aux services de secours. Maxime a été emmené en ambulance à l’hôpital. Il …, il a été mis dans un coma artificiel !
Nous sommes abasourdis, mes larmes s’écoulent sur mes joues, Maxime a tenté de protéger son frère et l’ami de celui-ci mais il se fait démonter par le troisième individu d’une telle façon, qu’il est envoyé à l’hosto, et plongé dans le coma. Mais c’est le monde qui s’effondre autour de nous. Julien est blême, il pleure seul dans son fauteuil sur roulettes ! Maman s’occupe de Lucas, Papa s’occupe de moi et je vois les deux filles qui vont vers Julien. Mathieu lui est blotti dans les bras de sa maman, ils sont tous les deux en pleurs une nouvelle et énième fois.
Le calme est revenu bien que les yeux soient encore rougis et chargés de larmes. Josiane reprend alors la parole :
Jos : La police est intervenue car leurs services ont été appelés sur les lieux d’une « bagarre », ainsi qu’une ambulance. Appel a été fait pour un second véhicule de secours. Nous avons appris par la suite qu’il y a eu deux témoins des faits, deux jeunes garçons âgés de douze ans. Ils ont pu décrire les trois agresseurs. Selon les deux jeunes, le groupe des fauteurs de troublent espionnait les personnes qui entraient dans les cabines pour se changer. C’est probablement l’un d’eux qui a vu Lucas et Mathieu s’embrasser et qui a alerté ses copains.
Mat : Je n’avais jamais vu les trois gars. Je ne vous dis pas, mais ça s’est passé à une vitesse incroyable. Je n’ai rien vu venir. Quand je pense que Max est intervenu pour prendre notre défense et qu’il est à l’hosto, je … je m’en veux.
Luc : Arrête Math, tu n’y es pour rien. On est dans une cabine et on s’embrasse ! Normalement personne ne doit pouvoir le voir ! Les trois connards sont des pervers, des détraqués qui zieutent dans les cabines de bain pour se rincer l’œil !
Mat : Je sais Lucas, mais je m’en veux !
Moi : Vous n’avez rien fait de mal. C’est eux qui sont fautifs, vous êtes tombés sur des connards de première, des homophobes en prime !
Pap : Je suis certain que vous n’êtes en rien responsable. Ce sont les circonstances de lieux, de temps et d’un manque de chance qui a fait que vous vous soyez retrouvés dans ce traquenard. Vous ne devez pas vous en vouloir. Tu sais Lucas, ton frère est intervenu au péril de sa vie pour vous sauver, mais l’un des imbéciles n’a pas accepté qu’il s’en mêle.
Mat : Je sais que Max a fait ce qu’il pouvait, mais c’est injuste pour lui !
Pap : Je le sais Mathieu, je sais que c’est injuste ! Dis-moi Lucas, tes parents sont auprès de ton frère en ce moment ?
Luc : Oui, ils sont à l’hôpital d’Ixelles.
Pap : Josiane, si vous le souhaitez je peux prendre contact avec un psychologue pour venir en aide à Mathieu !
Jos : Je pense qu’il lui sera d’une aide précieuse.
Pap : D’autant plus qu’il connait très bien le monde des personnes différentes, tels que les gays, les trans et autres personnes handicapées, suite à des accidents, pour leurs venir en aide.
Jos : Tu es d’accord Mathieu ?
Mat : Oui, je pense que j’ai besoin d’en parler. Oui, c’est une bonne chose. Tu sais maman, j’aurai ainsi l’occasion de parler de ce que je ressens et que j’ai du mal à te dire.
Jos : C’est très bien mon grand, je t’approuve dans cette démarche. Merci Alain pour cette proposition. »
De mon côté je suis près de Lucas. Je le rassure tant bien que mal et je lui demande s’il ne veut pas lui aussi être aidé. Il me regarde et je vois dans ses yeux comme un vide, un manque de quelque chose, c’est qu’il est très inquiet pour son petit frère, pour Maxime. Papa se rend compte que Lucas est dans un état de stress et qu’il a besoin d’être aidé, d’être soutenu. Je sais que papa fera le maximum pour lui apporter toute l’aide nécessaire.
Papa prend Lucas dans ses bras et lui fait un énorme câlin. Il lui parle doucement à l’oreille. Des larmes coulent encore sur les joues de mon copain de classe. Lucas reste ainsi au moins une bonne dizaine de minutes. Nous parlons entre nous à voix basse, l’atmosphère est déjà moins tendue. Lucas se calme, il ne pleure plus. Maman prend alors le relais et le fait s’asseoir. Elle reste à côté de lui. Puis c’est Mathieu qui s’assied de l’autre côté et lui donne un baiser sur la joue. Nous décidons de prendre place autour de la table. Pour ma part je m’installe près de mon Juju. Il s’est calmé, il est assis dans son fauteuil.
Delphine et Stéphanie sont parties à la cuisine. Je pense bien qu’elles préparent du café et qu’elles s’occupent de prévoir ce qu’il faut pour partager le dessert. En effet elles apportent des assiettes et des cuillères pour pouvoir manger le tiramisu préparé par maman. Le calme est bien revenu, mais je pense à Maxime qui est allongé sur un lit d’hôpital. Il faut positiver et je me reprends. Je fais le service avec les deux filles. Je ne dois plus tant m’occuper de Julien, il se débrouille très bien maintenant qu’il n’est plus plâtré au bras.
Nous mangeons alors un peu de tiramisu pour honorer le dessert que maman a préparé. Nous parlons alors d’autre chose, des vacances, enfin bon un peu particulières pour Juju et moi, puis de mes cours de conduite et de mon examen prévu dans deux jours. Josiane vient près de Julien, elle lui demande comment il va et s’enquière de son état de santé. Julien lui explique qu’il va bientôt pourvoir faire retirer les plâtres de ses jambes et qu’ensuite ce sera la rééducation. Julien ne parle pas de l’accident, je pense qu’il ne souhaite plus y penser et c’est mieux comme ça pour qu’il puisse aller de l’avant.
Je vois que papa revient près de la tablée, il est allé téléphoner au psy qui travaille pour l’association. Il fait part à Josiane et à Mathieu que ce praticien peut le recevoir demain en fin d’après-midi dans les locaux du groupement d’aide au LGBT. Mathieu a le visage qui change, il semble un peu plus détendu. Papa dit aussi à Lucas que s’il le souhaite, il peut également se rendre au même endroit dans deux jours. Lucas semble intéressé et dit qu’il veut lui aussi bénéficier de cette aide et qu’il en parlera avec ses parents.
Le temps passe et je remarque que nous sommes tous dans un meilleur état surtout Lucas et Mathieu. Je suggère, pour profiter de ce moment d’accalmie, de faire un tour dans la piscine. Je demande aux deux blessés s’ils veulent se baigner bien entendu en faisant attention à leur visage. Lucas semble intéressé, Mathieu regarde sa maman qui lui fait signe d’y aller lui aussi. J’attends que l’un d’eux prononce la phrase habituelle : « Je n’ai pas de maillot », mais elle ne vient pas. Je me souviens alors que Lucas était déjà venu se baigner avec nous et qu’il sait que nous sommes nus dans la piscine.
Nous nous dirigeons vers ce rectangle bleu au milieu de la pelouse et je me demande si Julien veut lui aussi se rapprocher de nous. Je vois un large sourire sur son visage et je le prends avec papa pour le déposer sur une chaise longue. Nous nous dévêtons et nous entrons dans l’eau qui est à une très bonne température avoisinant les vingt-six degrés. Maman est restée avec Josiane et papa sur la terrasse.
Je suis certain que cette baignade a fait du bien à nos deux amis. Les filles sont aux petits soins pour eux, elles les cajolent et discutent avec eux. Ils se connaissent grâce aux vacances à la mer où nous avions partagé une nuit tous ensemble dans l’appartement.
Je vois que papa prépare le barbecue, je suis certain que nous allons être tous réunis pour le souper. Je ne dis rien, je sors de la piscine et je rejoins papa pour l’aider. Je reste nu, c’est une habitude pour nous dans la famille, étant naturistes. Je sais que maman en a parlé avec Josiane, mais qu’elle n’est pas partante pour le moment. Pour Mathieu, cela ne pose pas de problème, il a l’habitude dans les vestiaires de son club de sport.
Nous sommes tous les cinq couchés, nus, auprès du siège de Julien, sur l’herbe pour profiter des rayons du soleil. Maman nous apporte de la crème en vue d’éviter d’attraper un coup de soleil.
Il est temps de prendre l’apéro. Nous nous rhabillons par décence pour Josiane. Je m’occupe de servir un verre de kir bien frais. Delphine va chercher quelques chips et morceaux de fromage. Papa s’occupe de la cuisson de la viande et les deux filles s’activent en cuisine, elles préparent les légumes et les pâtes froides.
Nous mangeons tranquillement sur la terrasse étant donné l’excellente météo que nous offre ce mois d’août. Alors que nous terminons de bon repas, j’entends le téléphone sonner. Papa va décrocher dans le hall d’entrée. Nous n’entendons pas grand-chose. Puis après deux minutes, il revient et demande à Lucas d’aller prendre le cornet car c’est sa maman qui téléphone ! Je vois le visage de mon copain changer. Est-ce une bonne ou alors une mauvaise nouvelle ? Je ne sais que penser mais nous le saurons très vite.
Le mauvais sort !
Nous finissons le dîner. Nous sommes sur la terrasse comme à chaque fois qu’il fait beau et que la température le permet. Nous attendons un moment avant de prendre le dessert. Julien semble bien calme, j’ai l’impression qu’il se projette déjà dans l’avenir, certes un avenir proche, mais dans l’avenir quand même. Papa discute avec Julien et Stéphanie. Il est question de finaliser l’émancipation de Stéphanie et de désigner les tuteurs pour Julien. (Il faut se rappeler que la majorité est fixée à 21 ans à cette époque.)
Je remarque que maman regarde régulièrement sa montre. Elle semble attendre quelque chose ou plutôt une visite. Je pense que c’est pour cette raison que nous attendons avant de prendre le dessert. Je vais près de ma génitrice en vue de lui poser la question, soit savoir qui est attendu ! Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit, j’entends qu’on sonne à la porte. Maman me demande de venir avec moi. Je suis de plus en plus intrigué.
Maman ouvre l’huis et je vois Lucas, mon copain de classe, avec Mathieu et la maman de ce dernier. Je fais un pas en arrière, je suis surpris de voir mes deux amis dont le visage est tuméfié. Je devine directement qu’ils ont été victime d’une attaque homophobe. Pas besoin de parler, les mots ne sont pas nécessaires, je m’avance vers eux et je les prends dans mes bras.
Nous nous dirigeons vers le salon où nous nous installons. Josiane, la maman de Mathieu nous explique que Math et Lucas voulaient venir me voir pour parler ce qui s’est passé. Lors d’un contact téléphonique en matinée avec maman, Josiane a appris ce qui s’était passé avec la famille de Julien : l’accident, le décès des deux parents et l’hospitalisation de Julien et son état actuel. Elle avait alors voulu passer non seulement pour voir Julien mais aussi pour que son fils Mathieu et Lucas puissent trouver du réconfort auprès de leurs deux amis que sont Phil et Julien.
Je reste profondément marqué de voir dans quel état se trouvent mes deux amis. Je n’ose pas demander ce qui s’est passé, je pense que les explications doivent être données par eux même sans les y forcer ni les brusquer. Nous nous levons pour rejoindre papa, Stéphanie, Delphine et Julien. Nous arrivons sur la terrasse, sans dire un mot. C’est Julien qui voit en premier nos amis présentant des têtes « au carré ». Son visage s’est directement assombri, les deux filles tournent la tête et elles disent : « Oh » ! Papa, qui se trouve de dos, se retourne et en les voyant a un mouvement de recul.
Je rejoins Julien, je me place à ses côtés. Lucas et Mathieu s’avancent vers nous. C’est Lucas qui salue en premier mon Juju. Il lui dit qu’il vient d’apprendre ce qui s’est passé et qu’il voulait le voir. Mathieu suit et fait de même. Ils sont tous les deux à la fois peiné de voir Julien assis dans une chaise roulante et à la fois inquiets de savoir ce que Julien pense de leur état, sachant qu’il va se poser la même question que celle que je me suis posée lorsque je les ai vus.
Josiane salue papa et les deux filles. Elle s’approche de Julien et lui fait la bise. Rien que par le regard on peut voir toute l’attention qu’elle porte à Julien. Maman fait asseoir les nouveaux arrivés. Il y a assez de chaises, c’est comme si c’était prévisible, c’est bien le cas, car maman savait que nos deux amis allaient venir avec Josiane.
Nous sommes assis les uns près des autres, nous les quatre garçons. Lucas voit très bien que Julien et moi souhaitons connaitre la mésaventure qu’ils ont vécue. Nous sommes alors tout ouïe, plus personne ne dit rien, sachant que c’est déjà assez pénible de dire ce qui s’est passé pour eux, mais c’est le fait de revivre indirectement cette situation en narrant l’histoire. Nous laissons le temps aux deux garçons de prendre leurs marques. Maman en profite pour apporter du café et de la limonade, Delphine l’aide en apportant tasses et verres.
Je regarde leurs visages, je suis effaré, ils ont dû morfler ! Les yeux bleuis, les pommettes noires, les lèvres épaissies par l’hématome avec des bouts de sparadrap, le front rougi et un pansement sur le nez ! Je tourne la tête vers Julien, il a le regard fixé sur nos amis, bouche-bée. Les filles ne disent rien, elles nous regardent et se doutent que c’est grave, que c’est probablement l’œuvre de détraqués homophobes. Elles savent que les garçons gays sont plus exposés que les lesbiennes, quoi que ! Pendant ce temps les deux mamans parlent à voix basse. Je vois maman qui réagit aux paroles de Josiane, elle se tourne un petit moment. Elle refait face à nous, je vois qu’elle a les yeux humides. Je sens qu’il y a quelque chose de plus grave encore, je me demande quelle catastrophe va être annoncée.
Lucas boit un peu de limonade et s’éclaircit la voix. Il prend une bonne inspiration et nous dit :
Luc : « Bon, vous avez compris qu’il s’est passé quelque chose. En fait hier nous étions à la piscine ensemble Mathieu et moi, mais aussi avec Maxime. Nous avions nagé une partie de l’après-midi. Après la douche nous nous sommes mis dans la même cabine Math et moi, Maxime dans une autre un peu plus loin. Nous nous sommes embrassés en nous habillant. Je ne sais pas ce qui s’est passé, nous avons entendu des voix et des bruits dans les cabines voisines de la nôtre. Nous n’y avons pas prêté plus attention que ça. Toujours est-il qu’il y a trois gars qui attendaient à la sortie du parking et ils nous ont invectivés en nous traitant de « sales PD », de « déchets de la société », … etc. »
Lucas prend le temps de se reprendre, ses yeux sont déjà embués. Je vois Mathieu qui a les joues mouillées par ses larmes. Je me rappelle cette journée organisée pour nos deux anniversaires dans le hall des sports quand j’ai été pris à partie par une bande de jeunes dont l’un d’eux était dans mon école. Je sais combien ça fait mal.
Lucas reprend le récit avec une voix éraillée :
Luc : « A un moment deux des gars s’en sont pris à nous, les coups pleuvent sur nous. J’en reçois plein la figure, mais aussi dans le dos, sur les membres, enfin partout. Je ne vois plus Math, je sais que lui aussi reçoit des coups tout comme moi car je l’entends crier. Les trois gars gueulent « salles PD, bande d’enculés … etc » Je suis certain que Maxime ne reste pas sans réagir, il se rue sur l’un ou l’autre des assaillants, j’entends bien qu’il crie en demandant d’arrêter de nous frapper. Puis je suppose que le troisième gars est intervenu. J’entends mon frère hurler de mal, puis plus rien. D’un coup, l’un des assaillant a dit : « c’est bon, on se taille ». Les trois connards se sont alors enfuis, nous laissant à terre.
Lucas s’effondre en larmes, Mathieu lui aussi pleure de rage tout comme ceux qui ont entendu ce qui s’est passé. Lucas tente de reprendre le récit :
Luc : Je me suis relevé, j’avais du sang sur le visage, j’avais un œil fermé. J’ai vu que Math se relevait lui aussi. Je me suis alors penché sur Max, il ne réagissait pas. Du sang lui sortait du nez et de la bouche. Je croyais qu’il …. je …
Lucas ne sait plus dire un mot, il s’effondre comme une loque, maman a juste le temps de le retenir pour qu’il ne tombe sur le sol de la terrasse. C’est alors Josiane qui prend la parole :
Jos : Appel a été fait aux services de secours. Maxime a été emmené en ambulance à l’hôpital. Il …, il a été mis dans un coma artificiel !
Nous sommes abasourdis, mes larmes s’écoulent sur mes joues, Maxime a tenté de protéger son frère et l’ami de celui-ci mais il se fait démonter par le troisième individu d’une telle façon, qu’il est envoyé à l’hosto, et plongé dans le coma. Mais c’est le monde qui s’effondre autour de nous. Julien est blême, il pleure seul dans son fauteuil sur roulettes ! Maman s’occupe de Lucas, Papa s’occupe de moi et je vois les deux filles qui vont vers Julien. Mathieu lui est blotti dans les bras de sa maman, ils sont tous les deux en pleurs une nouvelle et énième fois.
Le calme est revenu bien que les yeux soient encore rougis et chargés de larmes. Josiane reprend alors la parole :
Jos : La police est intervenue car leurs services ont été appelés sur les lieux d’une « bagarre », ainsi qu’une ambulance. Appel a été fait pour un second véhicule de secours. Nous avons appris par la suite qu’il y a eu deux témoins des faits, deux jeunes garçons âgés de douze ans. Ils ont pu décrire les trois agresseurs. Selon les deux jeunes, le groupe des fauteurs de troublent espionnait les personnes qui entraient dans les cabines pour se changer. C’est probablement l’un d’eux qui a vu Lucas et Mathieu s’embrasser et qui a alerté ses copains.
Mat : Je n’avais jamais vu les trois gars. Je ne vous dis pas, mais ça s’est passé à une vitesse incroyable. Je n’ai rien vu venir. Quand je pense que Max est intervenu pour prendre notre défense et qu’il est à l’hosto, je … je m’en veux.
Luc : Arrête Math, tu n’y es pour rien. On est dans une cabine et on s’embrasse ! Normalement personne ne doit pouvoir le voir ! Les trois connards sont des pervers, des détraqués qui zieutent dans les cabines de bain pour se rincer l’œil !
Mat : Je sais Lucas, mais je m’en veux !
Moi : Vous n’avez rien fait de mal. C’est eux qui sont fautifs, vous êtes tombés sur des connards de première, des homophobes en prime !
Pap : Je suis certain que vous n’êtes en rien responsable. Ce sont les circonstances de lieux, de temps et d’un manque de chance qui a fait que vous vous soyez retrouvés dans ce traquenard. Vous ne devez pas vous en vouloir. Tu sais Lucas, ton frère est intervenu au péril de sa vie pour vous sauver, mais l’un des imbéciles n’a pas accepté qu’il s’en mêle.
Mat : Je sais que Max a fait ce qu’il pouvait, mais c’est injuste pour lui !
Pap : Je le sais Mathieu, je sais que c’est injuste ! Dis-moi Lucas, tes parents sont auprès de ton frère en ce moment ?
Luc : Oui, ils sont à l’hôpital d’Ixelles.
Pap : Josiane, si vous le souhaitez je peux prendre contact avec un psychologue pour venir en aide à Mathieu !
Jos : Je pense qu’il lui sera d’une aide précieuse.
Pap : D’autant plus qu’il connait très bien le monde des personnes différentes, tels que les gays, les trans et autres personnes handicapées, suite à des accidents, pour leurs venir en aide.
Jos : Tu es d’accord Mathieu ?
Mat : Oui, je pense que j’ai besoin d’en parler. Oui, c’est une bonne chose. Tu sais maman, j’aurai ainsi l’occasion de parler de ce que je ressens et que j’ai du mal à te dire.
Jos : C’est très bien mon grand, je t’approuve dans cette démarche. Merci Alain pour cette proposition. »
De mon côté je suis près de Lucas. Je le rassure tant bien que mal et je lui demande s’il ne veut pas lui aussi être aidé. Il me regarde et je vois dans ses yeux comme un vide, un manque de quelque chose, c’est qu’il est très inquiet pour son petit frère, pour Maxime. Papa se rend compte que Lucas est dans un état de stress et qu’il a besoin d’être aidé, d’être soutenu. Je sais que papa fera le maximum pour lui apporter toute l’aide nécessaire.
Papa prend Lucas dans ses bras et lui fait un énorme câlin. Il lui parle doucement à l’oreille. Des larmes coulent encore sur les joues de mon copain de classe. Lucas reste ainsi au moins une bonne dizaine de minutes. Nous parlons entre nous à voix basse, l’atmosphère est déjà moins tendue. Lucas se calme, il ne pleure plus. Maman prend alors le relais et le fait s’asseoir. Elle reste à côté de lui. Puis c’est Mathieu qui s’assied de l’autre côté et lui donne un baiser sur la joue. Nous décidons de prendre place autour de la table. Pour ma part je m’installe près de mon Juju. Il s’est calmé, il est assis dans son fauteuil.
Delphine et Stéphanie sont parties à la cuisine. Je pense bien qu’elles préparent du café et qu’elles s’occupent de prévoir ce qu’il faut pour partager le dessert. En effet elles apportent des assiettes et des cuillères pour pouvoir manger le tiramisu préparé par maman. Le calme est bien revenu, mais je pense à Maxime qui est allongé sur un lit d’hôpital. Il faut positiver et je me reprends. Je fais le service avec les deux filles. Je ne dois plus tant m’occuper de Julien, il se débrouille très bien maintenant qu’il n’est plus plâtré au bras.
Nous mangeons alors un peu de tiramisu pour honorer le dessert que maman a préparé. Nous parlons alors d’autre chose, des vacances, enfin bon un peu particulières pour Juju et moi, puis de mes cours de conduite et de mon examen prévu dans deux jours. Josiane vient près de Julien, elle lui demande comment il va et s’enquière de son état de santé. Julien lui explique qu’il va bientôt pourvoir faire retirer les plâtres de ses jambes et qu’ensuite ce sera la rééducation. Julien ne parle pas de l’accident, je pense qu’il ne souhaite plus y penser et c’est mieux comme ça pour qu’il puisse aller de l’avant.
Je vois que papa revient près de la tablée, il est allé téléphoner au psy qui travaille pour l’association. Il fait part à Josiane et à Mathieu que ce praticien peut le recevoir demain en fin d’après-midi dans les locaux du groupement d’aide au LGBT. Mathieu a le visage qui change, il semble un peu plus détendu. Papa dit aussi à Lucas que s’il le souhaite, il peut également se rendre au même endroit dans deux jours. Lucas semble intéressé et dit qu’il veut lui aussi bénéficier de cette aide et qu’il en parlera avec ses parents.
Le temps passe et je remarque que nous sommes tous dans un meilleur état surtout Lucas et Mathieu. Je suggère, pour profiter de ce moment d’accalmie, de faire un tour dans la piscine. Je demande aux deux blessés s’ils veulent se baigner bien entendu en faisant attention à leur visage. Lucas semble intéressé, Mathieu regarde sa maman qui lui fait signe d’y aller lui aussi. J’attends que l’un d’eux prononce la phrase habituelle : « Je n’ai pas de maillot », mais elle ne vient pas. Je me souviens alors que Lucas était déjà venu se baigner avec nous et qu’il sait que nous sommes nus dans la piscine.
Nous nous dirigeons vers ce rectangle bleu au milieu de la pelouse et je me demande si Julien veut lui aussi se rapprocher de nous. Je vois un large sourire sur son visage et je le prends avec papa pour le déposer sur une chaise longue. Nous nous dévêtons et nous entrons dans l’eau qui est à une très bonne température avoisinant les vingt-six degrés. Maman est restée avec Josiane et papa sur la terrasse.
Je suis certain que cette baignade a fait du bien à nos deux amis. Les filles sont aux petits soins pour eux, elles les cajolent et discutent avec eux. Ils se connaissent grâce aux vacances à la mer où nous avions partagé une nuit tous ensemble dans l’appartement.
Je vois que papa prépare le barbecue, je suis certain que nous allons être tous réunis pour le souper. Je ne dis rien, je sors de la piscine et je rejoins papa pour l’aider. Je reste nu, c’est une habitude pour nous dans la famille, étant naturistes. Je sais que maman en a parlé avec Josiane, mais qu’elle n’est pas partante pour le moment. Pour Mathieu, cela ne pose pas de problème, il a l’habitude dans les vestiaires de son club de sport.
Nous sommes tous les cinq couchés, nus, auprès du siège de Julien, sur l’herbe pour profiter des rayons du soleil. Maman nous apporte de la crème en vue d’éviter d’attraper un coup de soleil.
Il est temps de prendre l’apéro. Nous nous rhabillons par décence pour Josiane. Je m’occupe de servir un verre de kir bien frais. Delphine va chercher quelques chips et morceaux de fromage. Papa s’occupe de la cuisson de la viande et les deux filles s’activent en cuisine, elles préparent les légumes et les pâtes froides.
Nous mangeons tranquillement sur la terrasse étant donné l’excellente météo que nous offre ce mois d’août. Alors que nous terminons de bon repas, j’entends le téléphone sonner. Papa va décrocher dans le hall d’entrée. Nous n’entendons pas grand-chose. Puis après deux minutes, il revient et demande à Lucas d’aller prendre le cornet car c’est sa maman qui téléphone ! Je vois le visage de mon copain changer. Est-ce une bonne ou alors une mauvaise nouvelle ? Je ne sais que penser mais nous le saurons très vite.