24-11-2020, 04:41 PM
[Voici la seconde partie de la suite d'hier, malencontreusement coupée par la limitation du nombre de signe ! et merci à ceux qui me lisent régulièrement et qui, surtout, laisse des commentaires que j'apprécie beaucoup. Je suis heureux que, globalement, vous appréciez mon récit qui touche prochainement à sa fin. Mais j'ai déjà des idées pour les prochains...]
Nous devions être protégés des dieux, Romain et moi, car après quelques mois d'un travail passionnant dans ma nouvelle boîte, le directeur qui appréciait mes prestations et mon engagement, me demanda si je connaissais quelqu'un avec une formation plus spécialisée dans l'établissement des budgets et bilans. Il se trouvait que c'était justement le domaine préféré de Romain mais où, dans son entreprise actuelle, il ne jouissait d'aucune liberté. La décision fut vite prise mais auparavant, j'informais mon patron de notre relation à Romain et moi : il me remercia de l'en avoir informé mais que pour sa part, cela lui était parfaitement égal. Peu après, Romain intégrait son nouveau poste pour lequel il était bien mieux payé et son bureau se trouvait deux étages plus bas que le mien, ce qui au fond nous arrangeait, préférant être discret. Malgré cela, nos collègues surent rapidement que nous vivions ensemble, mais cela ne dérangea personne d'autant que nous faisions attention de ne pas être inutilement provoquant .
C'est au début de septembre que Romain reçut une lettre de ses parents qu'il s'empressa d'ouvrir pour trouver outre leur lettre une deuxième enveloppe, fermée et qui m'était destinée. Dans leur courrier personnelle, ses parents mentionnaient simplement qu'ils avaient hésité à me la transmettre se doutant de qui elle venait. Pour ma part je n'avais aucune idée de sa provenance et c'est avec curiosité que je l'ouvris et, immédiatement après l'avoir lue, je blêmis
- Ben / Oh non, ce n'est pas possible !
- Ro / Une mauvaise nouvelle ?
Je ne répondis pas et lui tendis la lettre pour qu'il en prenne connaissance :
Benjamin,
Tu le sais, je t'ai aimé. Je sais que tu m'aimes toujours et je pense que je t'aime. Je crois que notre serment est toujours valable. Je te donne rendez-vous le 15 novembre de cette année dans la petite chapelle de D. Si toi ou moi ne sommes pas là, nous aurons compris. Si nous sommes tous les deux présents, nous aurons aussi compris.
Toi comme moi, nous tenons notre destin personnel dans nos mains, en toute liberté.
Tibi, Florentin
A son tour, Romain blêmit, il se mit même à trembler, je vis ses yeux qui se mouillaient
- Ben / Romain, tu dois avoir confiance en moi, totalement et sans restriction. Je sais que cela va être une décision très difficile à prendre, probablement la plus grave que j'ai jamais dû affronter, mais je te le dis en te regardant dans les yeux et regard-moi s'il te plait, aujourd'hui et dans l'avenir, c'est toi et toi seul que j'aime, tu n'as rien à craindre, je te le promets.
Ce disant, je l'ai pris dans mes bras, je l'ai serré très fort contre moi, je l'ai basculé sur le divan du salon, je l'ai déshabillé, il m'a déshabillé et nous avons fait l'amour comme jamais nous l'avions fait depuis la première fois.
Evidemment, même si la décision de principe était prise, de manière irrévocable, il fallait décider de ma réaction. Pour ma part, je penchais pour ne pas réagir mais Romain estimait que ce serait lâche. J'ai pensé écrire pour lui expliquer ma situation et donc ma décision et pendant plusieurs jours j'ai cogité sur l'esprit de ma lettre : elle pouvait être brève et sèche, elle pouvait être plus explicite, elle pourrait exprimer des regrets mais que c'était trop tard, que j'avais refait ma vie, elle pourrait, enfin, lui dire qu'il restait mon ami et que j'espérais qu'il en serait de même de son côté. C'est sur la base de cette dernière version que je préparais ma réponse, réponse dont, honnêtement, j'étais assez satisfait.
Romain balaya toutes les hypothèses et, tout simplement, déchira mon projet, je le regardais interloqué, je le connaissais comme un garçon pondéré et réfléchi et là il m'étonnait
- Ro / Non, Benjamin, tu n'as qu'une chose à faire, c'est de prendre un billet d'avion et d'aller à ce rendez-vous, et tu lui diras en face, avec toute la gentillesse dont je te sais capable, la décision finale que tu auras prise en ton âme et conscience. Toutes autres solutions seraient de la lâcheté, cela ne serait pas toi et tu aurais toute ta vie mauvaise conscience. Je sais que cette perspective te fait peur, mais tu dois, absolument, le faire
- Ben / Tu as peut-être raison, mais dit moi tu as parlé de décision finale, mais ma décision, je te l'ai dit, elle est prise
- Ro / Je sais et je te crois. Mais, pour l'avenir, notre avenir à toi et moi, il est indispensable que jusqu'à l'ultime moment tu te sentes totalement libre de ton choix. Je sais que tu resteras avec moi et, pourtant, lorsque vos deux regards se croiseront dans cette première fraction de seconde, tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir ce que cela pourrait déclencher. Avec Florentin, tu as vécu des moments tellement forts que tu ne pourras jamais totalement les oublier, et heureusement. De même, vous avez vécu ensemble des moments graves mais tu ignores ce que de son côté il a pu vivre sans toi, du bonheur ou du tragique, de l'insouciance ou de la sagesse, de l'amour ou de la trahison. Oui, Benjamin, avec tout l'amour que j'ai pour toi, je te demande de faire le déplacement. Mais je souhaite de tout mon cœur que tu me reviennes plus fort encore, mais sache-le si tu devais choisir de vivre avec lui, j'en serais forcément malheureux mais j'accepterais ta décision et je resterais ton ami, quoiqu'il arrive.
- Ben / Je te donnerai ma réponse demain matin, il me faut une nuit pour réfléchir à tous tes arguments. Oh, Romain, c'est une vraie tragédie que je vis en ce moment, mais la seule certitude que j'ai, c'est que je t'aime et je veux que tu puisses m'aimer sans avoir honte de moi.
- Ro / Il est tard, je vais me coucher, tu as besoin d'être un moment seul avec toi-même, rejoint-moi quand tu en auras envie et viens te blottir contre moi.
Benjamin avait passé une bonne partie de la nuit éveillé, dans le salon ou sur la terrasse avec sa vue sur la ville endormie et la baie entourée de lumière. Vers trois heures, alors qu'il sentait ses paupières se fermer, sa décision fut prise : oui, il fallait, il devait y aller mais il demanderait à Romain de l'accompagner ; son compagnon serait le premier à savoir si leur amour avait triomphé ou si, au contraire, cet amour éteint avec Florentin renaissait de ses cendres.
Depuis des heures, Romain et Benjamin sont dans cet avion qui va les amener à l'aéroport de Zurich d'où ils gagneront, en train, le village de D. leur lieu de rendez-vous, tout au moins celui de Benjamin car, sur l'insistance de Romain ce dernier n'assistera pas à la toute première rencontre, celle de la fraction de seconde où, selon Benjamin, tout devrait se décider. Les deux garçons ont prévu d'arriver deux jours avant ce qui sera bien nécessaire pour absorber les neuf heures de décalage horaire.
Les deux jours avant le 15 novembre
Benjamin et Romain sont dans la chambre du petit hôtel qu'ils ont réservée et qu'ils n'ont pratiquement pas quittée, tellement ils sont épuisés par ce très long voyage. Et nos deux voyageurs ont quitté San Francisco par une température très agréable alors qu'ici, à 1800 mètres d'altitude, la température est inférieure à 0°, il y a au moins 20 à trente centimètres de neige, une neige qui continue à tomber à l'horizontale en raison du fort vent, glacé, qui souffle.
Florentin est arrivé en début de soirée du quatorze novembre, chaudement habillé car il connait bien le climat de son village. A la sortie de la gare, il entend une voix, en romanche, la langue du pays
- Primus / Ma parole mais c'est Florentin qui arrive ! Quelle joie de te revoir, qu'est-ce que tu fais ici par un temps pareil ?
De voir cet ami avec qui il a partagé tant de journées d'école, avec qui il a partagé tant d'émotions en gravissant tous les sommets des environs lui fait chaud au cœur et les deux tombent dans les bras l'un de l'autre, Florentin sent même les larmes prêtes à jaillir car tous ces temps il est terriblement sensible. Lorsqu'il parle de la chambre qu'il a réservé, Primus éclate de rire en lui disant
- Mais voyons, il n'en est pas question, tu vas dormir chez moi, c'est-à-dire dans l'ancien appartement de mes parents qu'ils m'ont laissé lorsque j'ai repris le magasin
- Flo / Mais je ne veux pas te déranger
- Primus / Tu ne me déranges pas du tout puisque je te le propose, tu ne peux savoir le plaisir que j'éprouve à te revoir après tant d'années. En passant devant ton hôtel, j'annulerai ta réservation. Allez viens, on y va !
Primus entre dans l'hôtel dont il connait bien le patron et qui ne fait donc pas de difficultés à cette annulation de dernière minute. Le patron est dans le hall en train de discuter en anglais avec deux jeunes hommes à la mine sympathique et avec qui il échange un bref salut de la tête. Primus informe le patron qui comprend la situation puis il sort retrouvé Florentin qui l'attend dans le froid mordant. Quelques minutes plus tard ils sont chez Primus, l'appartement a été refait à neuf, un poêle dispense une agréable chaleur, un petit repas froid est préparé, une bouteille de vin rouge surgit sur la petite table du salon, les deux garçons sont manifestement heureux de se retrouver. Florentin explique les raisons de sa venue, Primus l'écoute très attentivement et constate, sans rien dire évidemment, que la narration de Florentin correspond à ce que le Père B. lui avait confié et aux confidences de l'ami romain de son camarade. Il est tard, Primus dors dans sa chambre et Florentin dans la chambre d'ami qui est toujours prête pour recevoir un visiteur inattendu, comme c'est le cas ce soir.
Primus est songeur, cette rencontre dans ce contexte très particulier le préoccupe, il se sait rempli d'une mission confiée par le Père B. et il espère de tout son cœur que cette rencontre à haut risque se déroulera dans le calme et la sérénité. Il est à peu près sûr que l'un des garçons est le fameux Benjamin et il suppose, avec une certaine crainte, que l'autre est probablement son ami : cela pourrait dire qu'une réconciliation entre Florentin et Benjamin est peu probable et quelle sera alors la réaction de son ancien camarade ?
Le quinze novembre
Florentin a dormi longtemps car le voyage en train de Rome à D. est vraiment très long et avec de nombreux changements mais, pour la première fois depuis quelques semaines, il a très bien dormi, c'est pense-t-il le fait de se trouver dans son village. Primus a laissé un mot pour dire qu'il est dans l'épicerie mais qu'il fermera exceptionnellement l'après-midi pour profiter de son ami et aussi, mais cela il le garde pour lui, veiller sur lui.
La température est glaciale, la neige continue à couvrir le sol désormais totalement blanc. Florentin a prévenu qu'il partait marcher dans la montagne et qu'il serait de retour vers les quinze heures. Primus le met en garde car le temps est vraiment mauvais, il est inquiet de le voir partir seul.
Au bout de deux heures, il arrive à un petit chalet d'alpage dans lequel il s'abrite pour manger le pain et une saucisse fumée qu'il a acheté avant de se mettre en route. La tempête redouble, le vent siffle au travers des vieilles poutres centenaires et le feu qu'il a allumé dans l'âtre où se prépare le fromage ne tempère que très légèrement la pièce. Florentin est dans un état intermédiaire entre le réveil et le sommeil, mais son esprit travaille. Un bref instant, il envisage de laisser le feu s'éteindre, le froid reprendrait possession des lieux et bientôt son corps se refroidirait jusqu'à ce que son esprit, à son tour, s'éteigne. Tout serait terminé comme cela avait commencé, mais pas dans le ventre de sa maman mais… oui, mais où au fait ? Le feu n'est pas encore éteint, Florentin a un frisson et brusquement il se redresse
- Non, pas cela, je n'ai pas le droit, je ne peux pas décevoir le Père B. qui ne pourrait pas me pardonner un tel geste. Non, je ne peux pas faire cela à Benjamin que j'aime même s'il ne devait plus m'aimer, non, non, il y a également Jean-Marie qui lui aussi croit en moi, il y a Primus cet ami de toujours que j'ai retrouvé.
Allez Florentin, debout, secoue-toi !
Regarde le feu qui n'est plus que braises. Il se tait, il sent que quelque chose se passe dans son cerveau, quelque chose d'essentiel mais qu'il ne parvient pas encore à cerner.
Il ne veut pas que Primus s'inquiète, éteint soigneusement le feu en pissant dessus et se met en route d'un bon pas, bravant le froid et la neige qui bientôt lui fait comme une carapace sur la figure.
Il marche vite, il court presque malgré la neige dans laquelle il enfonce de plus en plus, il arrive au village et voit Primus entrain de fermer son magasin, notoirement soulagé de le voir arriver mais il éclate de rire en le voyant, tel un bonhomme de neige qui se serait mis à marcher. Il est à quelques mètres de son ami qui achève son rire de bienvenue, Florentin s'est arrêté et a secoué la neige qui le recouvrait mais reste immobile, pensif comme s'il était très loin dans ses pensées. Primus prend brusquement conscience que l'instant est important et se tait tout en regardant son ami avec bienveillance. Soudain Florentin revient sur terre, il a un immense sourire, ses yeux ont retrouvé tout leur éclat, Primus retrouve le Florentin qu'il a connu, celui qu'il aimait.
Nous devions être protégés des dieux, Romain et moi, car après quelques mois d'un travail passionnant dans ma nouvelle boîte, le directeur qui appréciait mes prestations et mon engagement, me demanda si je connaissais quelqu'un avec une formation plus spécialisée dans l'établissement des budgets et bilans. Il se trouvait que c'était justement le domaine préféré de Romain mais où, dans son entreprise actuelle, il ne jouissait d'aucune liberté. La décision fut vite prise mais auparavant, j'informais mon patron de notre relation à Romain et moi : il me remercia de l'en avoir informé mais que pour sa part, cela lui était parfaitement égal. Peu après, Romain intégrait son nouveau poste pour lequel il était bien mieux payé et son bureau se trouvait deux étages plus bas que le mien, ce qui au fond nous arrangeait, préférant être discret. Malgré cela, nos collègues surent rapidement que nous vivions ensemble, mais cela ne dérangea personne d'autant que nous faisions attention de ne pas être inutilement provoquant .
C'est au début de septembre que Romain reçut une lettre de ses parents qu'il s'empressa d'ouvrir pour trouver outre leur lettre une deuxième enveloppe, fermée et qui m'était destinée. Dans leur courrier personnelle, ses parents mentionnaient simplement qu'ils avaient hésité à me la transmettre se doutant de qui elle venait. Pour ma part je n'avais aucune idée de sa provenance et c'est avec curiosité que je l'ouvris et, immédiatement après l'avoir lue, je blêmis
- Ben / Oh non, ce n'est pas possible !
- Ro / Une mauvaise nouvelle ?
Je ne répondis pas et lui tendis la lettre pour qu'il en prenne connaissance :
Benjamin,
Tu le sais, je t'ai aimé. Je sais que tu m'aimes toujours et je pense que je t'aime. Je crois que notre serment est toujours valable. Je te donne rendez-vous le 15 novembre de cette année dans la petite chapelle de D. Si toi ou moi ne sommes pas là, nous aurons compris. Si nous sommes tous les deux présents, nous aurons aussi compris.
Toi comme moi, nous tenons notre destin personnel dans nos mains, en toute liberté.
Tibi, Florentin
A son tour, Romain blêmit, il se mit même à trembler, je vis ses yeux qui se mouillaient
- Ben / Romain, tu dois avoir confiance en moi, totalement et sans restriction. Je sais que cela va être une décision très difficile à prendre, probablement la plus grave que j'ai jamais dû affronter, mais je te le dis en te regardant dans les yeux et regard-moi s'il te plait, aujourd'hui et dans l'avenir, c'est toi et toi seul que j'aime, tu n'as rien à craindre, je te le promets.
Ce disant, je l'ai pris dans mes bras, je l'ai serré très fort contre moi, je l'ai basculé sur le divan du salon, je l'ai déshabillé, il m'a déshabillé et nous avons fait l'amour comme jamais nous l'avions fait depuis la première fois.
Evidemment, même si la décision de principe était prise, de manière irrévocable, il fallait décider de ma réaction. Pour ma part, je penchais pour ne pas réagir mais Romain estimait que ce serait lâche. J'ai pensé écrire pour lui expliquer ma situation et donc ma décision et pendant plusieurs jours j'ai cogité sur l'esprit de ma lettre : elle pouvait être brève et sèche, elle pouvait être plus explicite, elle pourrait exprimer des regrets mais que c'était trop tard, que j'avais refait ma vie, elle pourrait, enfin, lui dire qu'il restait mon ami et que j'espérais qu'il en serait de même de son côté. C'est sur la base de cette dernière version que je préparais ma réponse, réponse dont, honnêtement, j'étais assez satisfait.
Romain balaya toutes les hypothèses et, tout simplement, déchira mon projet, je le regardais interloqué, je le connaissais comme un garçon pondéré et réfléchi et là il m'étonnait
- Ro / Non, Benjamin, tu n'as qu'une chose à faire, c'est de prendre un billet d'avion et d'aller à ce rendez-vous, et tu lui diras en face, avec toute la gentillesse dont je te sais capable, la décision finale que tu auras prise en ton âme et conscience. Toutes autres solutions seraient de la lâcheté, cela ne serait pas toi et tu aurais toute ta vie mauvaise conscience. Je sais que cette perspective te fait peur, mais tu dois, absolument, le faire
- Ben / Tu as peut-être raison, mais dit moi tu as parlé de décision finale, mais ma décision, je te l'ai dit, elle est prise
- Ro / Je sais et je te crois. Mais, pour l'avenir, notre avenir à toi et moi, il est indispensable que jusqu'à l'ultime moment tu te sentes totalement libre de ton choix. Je sais que tu resteras avec moi et, pourtant, lorsque vos deux regards se croiseront dans cette première fraction de seconde, tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir ce que cela pourrait déclencher. Avec Florentin, tu as vécu des moments tellement forts que tu ne pourras jamais totalement les oublier, et heureusement. De même, vous avez vécu ensemble des moments graves mais tu ignores ce que de son côté il a pu vivre sans toi, du bonheur ou du tragique, de l'insouciance ou de la sagesse, de l'amour ou de la trahison. Oui, Benjamin, avec tout l'amour que j'ai pour toi, je te demande de faire le déplacement. Mais je souhaite de tout mon cœur que tu me reviennes plus fort encore, mais sache-le si tu devais choisir de vivre avec lui, j'en serais forcément malheureux mais j'accepterais ta décision et je resterais ton ami, quoiqu'il arrive.
- Ben / Je te donnerai ma réponse demain matin, il me faut une nuit pour réfléchir à tous tes arguments. Oh, Romain, c'est une vraie tragédie que je vis en ce moment, mais la seule certitude que j'ai, c'est que je t'aime et je veux que tu puisses m'aimer sans avoir honte de moi.
- Ro / Il est tard, je vais me coucher, tu as besoin d'être un moment seul avec toi-même, rejoint-moi quand tu en auras envie et viens te blottir contre moi.
Benjamin avait passé une bonne partie de la nuit éveillé, dans le salon ou sur la terrasse avec sa vue sur la ville endormie et la baie entourée de lumière. Vers trois heures, alors qu'il sentait ses paupières se fermer, sa décision fut prise : oui, il fallait, il devait y aller mais il demanderait à Romain de l'accompagner ; son compagnon serait le premier à savoir si leur amour avait triomphé ou si, au contraire, cet amour éteint avec Florentin renaissait de ses cendres.
Depuis des heures, Romain et Benjamin sont dans cet avion qui va les amener à l'aéroport de Zurich d'où ils gagneront, en train, le village de D. leur lieu de rendez-vous, tout au moins celui de Benjamin car, sur l'insistance de Romain ce dernier n'assistera pas à la toute première rencontre, celle de la fraction de seconde où, selon Benjamin, tout devrait se décider. Les deux garçons ont prévu d'arriver deux jours avant ce qui sera bien nécessaire pour absorber les neuf heures de décalage horaire.
Les deux jours avant le 15 novembre
Benjamin et Romain sont dans la chambre du petit hôtel qu'ils ont réservée et qu'ils n'ont pratiquement pas quittée, tellement ils sont épuisés par ce très long voyage. Et nos deux voyageurs ont quitté San Francisco par une température très agréable alors qu'ici, à 1800 mètres d'altitude, la température est inférieure à 0°, il y a au moins 20 à trente centimètres de neige, une neige qui continue à tomber à l'horizontale en raison du fort vent, glacé, qui souffle.
Florentin est arrivé en début de soirée du quatorze novembre, chaudement habillé car il connait bien le climat de son village. A la sortie de la gare, il entend une voix, en romanche, la langue du pays
- Primus / Ma parole mais c'est Florentin qui arrive ! Quelle joie de te revoir, qu'est-ce que tu fais ici par un temps pareil ?
De voir cet ami avec qui il a partagé tant de journées d'école, avec qui il a partagé tant d'émotions en gravissant tous les sommets des environs lui fait chaud au cœur et les deux tombent dans les bras l'un de l'autre, Florentin sent même les larmes prêtes à jaillir car tous ces temps il est terriblement sensible. Lorsqu'il parle de la chambre qu'il a réservé, Primus éclate de rire en lui disant
- Mais voyons, il n'en est pas question, tu vas dormir chez moi, c'est-à-dire dans l'ancien appartement de mes parents qu'ils m'ont laissé lorsque j'ai repris le magasin
- Flo / Mais je ne veux pas te déranger
- Primus / Tu ne me déranges pas du tout puisque je te le propose, tu ne peux savoir le plaisir que j'éprouve à te revoir après tant d'années. En passant devant ton hôtel, j'annulerai ta réservation. Allez viens, on y va !
Primus entre dans l'hôtel dont il connait bien le patron et qui ne fait donc pas de difficultés à cette annulation de dernière minute. Le patron est dans le hall en train de discuter en anglais avec deux jeunes hommes à la mine sympathique et avec qui il échange un bref salut de la tête. Primus informe le patron qui comprend la situation puis il sort retrouvé Florentin qui l'attend dans le froid mordant. Quelques minutes plus tard ils sont chez Primus, l'appartement a été refait à neuf, un poêle dispense une agréable chaleur, un petit repas froid est préparé, une bouteille de vin rouge surgit sur la petite table du salon, les deux garçons sont manifestement heureux de se retrouver. Florentin explique les raisons de sa venue, Primus l'écoute très attentivement et constate, sans rien dire évidemment, que la narration de Florentin correspond à ce que le Père B. lui avait confié et aux confidences de l'ami romain de son camarade. Il est tard, Primus dors dans sa chambre et Florentin dans la chambre d'ami qui est toujours prête pour recevoir un visiteur inattendu, comme c'est le cas ce soir.
Primus est songeur, cette rencontre dans ce contexte très particulier le préoccupe, il se sait rempli d'une mission confiée par le Père B. et il espère de tout son cœur que cette rencontre à haut risque se déroulera dans le calme et la sérénité. Il est à peu près sûr que l'un des garçons est le fameux Benjamin et il suppose, avec une certaine crainte, que l'autre est probablement son ami : cela pourrait dire qu'une réconciliation entre Florentin et Benjamin est peu probable et quelle sera alors la réaction de son ancien camarade ?
Le quinze novembre
Florentin a dormi longtemps car le voyage en train de Rome à D. est vraiment très long et avec de nombreux changements mais, pour la première fois depuis quelques semaines, il a très bien dormi, c'est pense-t-il le fait de se trouver dans son village. Primus a laissé un mot pour dire qu'il est dans l'épicerie mais qu'il fermera exceptionnellement l'après-midi pour profiter de son ami et aussi, mais cela il le garde pour lui, veiller sur lui.
La température est glaciale, la neige continue à couvrir le sol désormais totalement blanc. Florentin a prévenu qu'il partait marcher dans la montagne et qu'il serait de retour vers les quinze heures. Primus le met en garde car le temps est vraiment mauvais, il est inquiet de le voir partir seul.
Au bout de deux heures, il arrive à un petit chalet d'alpage dans lequel il s'abrite pour manger le pain et une saucisse fumée qu'il a acheté avant de se mettre en route. La tempête redouble, le vent siffle au travers des vieilles poutres centenaires et le feu qu'il a allumé dans l'âtre où se prépare le fromage ne tempère que très légèrement la pièce. Florentin est dans un état intermédiaire entre le réveil et le sommeil, mais son esprit travaille. Un bref instant, il envisage de laisser le feu s'éteindre, le froid reprendrait possession des lieux et bientôt son corps se refroidirait jusqu'à ce que son esprit, à son tour, s'éteigne. Tout serait terminé comme cela avait commencé, mais pas dans le ventre de sa maman mais… oui, mais où au fait ? Le feu n'est pas encore éteint, Florentin a un frisson et brusquement il se redresse
- Non, pas cela, je n'ai pas le droit, je ne peux pas décevoir le Père B. qui ne pourrait pas me pardonner un tel geste. Non, je ne peux pas faire cela à Benjamin que j'aime même s'il ne devait plus m'aimer, non, non, il y a également Jean-Marie qui lui aussi croit en moi, il y a Primus cet ami de toujours que j'ai retrouvé.
Allez Florentin, debout, secoue-toi !
Regarde le feu qui n'est plus que braises. Il se tait, il sent que quelque chose se passe dans son cerveau, quelque chose d'essentiel mais qu'il ne parvient pas encore à cerner.
Il ne veut pas que Primus s'inquiète, éteint soigneusement le feu en pissant dessus et se met en route d'un bon pas, bravant le froid et la neige qui bientôt lui fait comme une carapace sur la figure.
Il marche vite, il court presque malgré la neige dans laquelle il enfonce de plus en plus, il arrive au village et voit Primus entrain de fermer son magasin, notoirement soulagé de le voir arriver mais il éclate de rire en le voyant, tel un bonhomme de neige qui se serait mis à marcher. Il est à quelques mètres de son ami qui achève son rire de bienvenue, Florentin s'est arrêté et a secoué la neige qui le recouvrait mais reste immobile, pensif comme s'il était très loin dans ses pensées. Primus prend brusquement conscience que l'instant est important et se tait tout en regardant son ami avec bienveillance. Soudain Florentin revient sur terre, il a un immense sourire, ses yeux ont retrouvé tout leur éclat, Primus retrouve le Florentin qu'il a connu, celui qu'il aimait.