CHAPITRE XXVII
J’ai longtemps hésité et c’est en faisant le trie de mes sous-vêtements que je me suis décidée à poursuivre notre histoire. J’ai dans la main une petite culotte trouée, celle avec laquelle nous avions fait l’amour sous la douche. J’entends encore Pascal me demander de la conserver en souvenir, de ne pas la jeter. C’était un signe prémonitoire, j’en suis maintenant intimement convaincue. Je n’y avais pas prêté attention sur le moment et à vrai dire, je l’avais même oubliée. Désormais, elle ira rejoindre elle aussi ma boîte à trésors.
Juste après l’accident, la douleur mentale était telle que je me suis effondrée. La vie sans lui était inimaginable et il a fallu l’imaginer quand même, pire que cela, au-delà de l’imaginaire, il m’a aussi fallu la vivre ... seule, sans lui.
Avec ma maladie, j’étais terrorisée à l’idée de le laisser au bord de la route et j’étais loin de m’imaginer que debout sur cette route, l’ombre de mes tourments nocturnes, ça n’était que moi.
Je me souviens de ce jour-là, un jour comme les autres et avec Pascal aucun jour ne ressemblait à celui d’avant. C’était donc un jour nouveau plein de surprises, de joies, de tendresse et de bonheur, un jour comme il m’avait habitué à vivre, un jour normal comme il disait.
Ce jour-là, il s’est levé très tôt, préoccupé par un appel téléphonique reçu la veille. Sur la table de la cuisine, j’ai trouvé un paquet emballé avec un petit nœud dessus, posé sur une feuille de papier pliée en quatre où il avait écrit « C’est pour toi. Je t’aime ».
Lorsque j’ai ouvert la boîte, j’ai trouvé des préservatifs tous coupés à leur extrémité, au niveau du réservoir. Au fond de la boîte, un autre papier plié en huit cette fois sur lequel il avait écrit avec humour « Je suis prêt. C’est quand tu veux ma chérie mais je ne suis pas sûr de leur étanchéité ».
Il a quitté notre appartement de bon matin avec dans sa tête, l’idée que si moi je l’étais, il était prêt lui aussi pour me faire un enfant. Avant de partir il a déposé sur mon épaule un baiser si délicat que je m’en souviens encore. Et le soir de cette journée maudite, lorsque je suis rentrée chez nous en sachant que maintenant, ça ne serait plus désormais que chez moi, j’ai retrouvé le petit paquet que j’avais mis de côté sur ma boîte à trésors.
L’idée qu’il fut parti était insupportable. Mais l’idée qu’il fut parti sans que j’ai pu lui donner l’occasion de concrétiser notre projet le plus cher, était encore plus cruelle. Je me suis enfermée des semaines durant et sous les persiennes closes, mes jours ressemblaient à mes nuits, incapable de me lever, incapable de m’alimenter, incapable même de m’occuper de « Voie-Lactée ». J’étais devenue une autre moi, un zombi imaginaire, une somnambule aérienne terrassée par la souffrance, au bord de la démence. Je ne sais pas ce que j’attendais ou si, je savais pertinemment ce que je voulais mais je n’ai pas trouvé le courage...
Ce soir-là, alors que je m’apprêtais à quitter mon service, je me vois encore échafauder différents stratagèmes pour le surprendre lui aussi, le faire vaciller dans ses certitudes pour jouer, pour le provoquer parce que je savais qu’il adorait. Je n’avais pas encore le scénario précis en tête lorsque je suis passée par les Urgences. Je me rappelle que je souriais malgré la fatigue de la journée. J’étais heureuse de retrouver Pascal, d’aller me blottir dans ses bras, de recevoir ses petits baisers en faisant mine d’être agacée mais en priant pour qu’il continue. Il le savait le coquin et il en jouait à sa guise. Il adorait me chahuter et je ne demandais qu’à me faire chahuter.
Sur un brancard, un homme allongé. Je n’y ai pas prêté attention tout de suite parce qu’on est habitué aux accidentés de la route. Et celui-là, il était particulièrement esquinté avec les mêmes chaussures que mon chéri, la même veste. D’un simple regard, on savait qu’il n’avait aucune chance et que c’était déjà inouï qu’il puisse être encore en vie.
- Il s’appelle comment ?
- Euh … Olivier …
Et je me suis approchée.
J’ai crié, je crois. Je ne sais plus. Peut-être même que j’ai hurlé. Mon ventre s’est recroquevillé sur ma douleur, mon corps tout entier voulait reprendre la taille d’un fœtus. Et par-delà la souffrance, j’ai trouvé la force de prendre sa main. Je sentais son pouls avec un rythme désordonné, aléatoire, saccadé mais il était en vie. Alors j’ai repris espoir au-delà de mes convictions. J’ai caressé sa main. Elle était douce. Cette même main qui passait hier soir sur mes seins réconciliés, tout en douceur, tout en délicatesse, comme à son habitude. J’ai vu ses paupières tressaillir, maculées de sang et j’ai su qu’il savait. J’ai déposé un baiser sur son front. J’ai appliqué une légère pression sur ses doigts et la réponse est venue en retour, presque imperceptible, comme un message d’adieu. A la commissure de ses lèvres, il y avait un sourire accroché, tout petit lui aussi et lorsque j’ai vu une larme couler sur sa joue sans terminer sa course, j’ai su que … c’était fini.
J’ai longtemps hésité et c’est en faisant le trie de mes sous-vêtements que je me suis décidée à poursuivre notre histoire. J’ai dans la main une petite culotte trouée, celle avec laquelle nous avions fait l’amour sous la douche. J’entends encore Pascal me demander de la conserver en souvenir, de ne pas la jeter. C’était un signe prémonitoire, j’en suis maintenant intimement convaincue. Je n’y avais pas prêté attention sur le moment et à vrai dire, je l’avais même oubliée. Désormais, elle ira rejoindre elle aussi ma boîte à trésors.
Juste après l’accident, la douleur mentale était telle que je me suis effondrée. La vie sans lui était inimaginable et il a fallu l’imaginer quand même, pire que cela, au-delà de l’imaginaire, il m’a aussi fallu la vivre ... seule, sans lui.
Avec ma maladie, j’étais terrorisée à l’idée de le laisser au bord de la route et j’étais loin de m’imaginer que debout sur cette route, l’ombre de mes tourments nocturnes, ça n’était que moi.
Je me souviens de ce jour-là, un jour comme les autres et avec Pascal aucun jour ne ressemblait à celui d’avant. C’était donc un jour nouveau plein de surprises, de joies, de tendresse et de bonheur, un jour comme il m’avait habitué à vivre, un jour normal comme il disait.
Ce jour-là, il s’est levé très tôt, préoccupé par un appel téléphonique reçu la veille. Sur la table de la cuisine, j’ai trouvé un paquet emballé avec un petit nœud dessus, posé sur une feuille de papier pliée en quatre où il avait écrit « C’est pour toi. Je t’aime ».
Lorsque j’ai ouvert la boîte, j’ai trouvé des préservatifs tous coupés à leur extrémité, au niveau du réservoir. Au fond de la boîte, un autre papier plié en huit cette fois sur lequel il avait écrit avec humour « Je suis prêt. C’est quand tu veux ma chérie mais je ne suis pas sûr de leur étanchéité ».
Il a quitté notre appartement de bon matin avec dans sa tête, l’idée que si moi je l’étais, il était prêt lui aussi pour me faire un enfant. Avant de partir il a déposé sur mon épaule un baiser si délicat que je m’en souviens encore. Et le soir de cette journée maudite, lorsque je suis rentrée chez nous en sachant que maintenant, ça ne serait plus désormais que chez moi, j’ai retrouvé le petit paquet que j’avais mis de côté sur ma boîte à trésors.
L’idée qu’il fut parti était insupportable. Mais l’idée qu’il fut parti sans que j’ai pu lui donner l’occasion de concrétiser notre projet le plus cher, était encore plus cruelle. Je me suis enfermée des semaines durant et sous les persiennes closes, mes jours ressemblaient à mes nuits, incapable de me lever, incapable de m’alimenter, incapable même de m’occuper de « Voie-Lactée ». J’étais devenue une autre moi, un zombi imaginaire, une somnambule aérienne terrassée par la souffrance, au bord de la démence. Je ne sais pas ce que j’attendais ou si, je savais pertinemment ce que je voulais mais je n’ai pas trouvé le courage...
Ce soir-là, alors que je m’apprêtais à quitter mon service, je me vois encore échafauder différents stratagèmes pour le surprendre lui aussi, le faire vaciller dans ses certitudes pour jouer, pour le provoquer parce que je savais qu’il adorait. Je n’avais pas encore le scénario précis en tête lorsque je suis passée par les Urgences. Je me rappelle que je souriais malgré la fatigue de la journée. J’étais heureuse de retrouver Pascal, d’aller me blottir dans ses bras, de recevoir ses petits baisers en faisant mine d’être agacée mais en priant pour qu’il continue. Il le savait le coquin et il en jouait à sa guise. Il adorait me chahuter et je ne demandais qu’à me faire chahuter.
Sur un brancard, un homme allongé. Je n’y ai pas prêté attention tout de suite parce qu’on est habitué aux accidentés de la route. Et celui-là, il était particulièrement esquinté avec les mêmes chaussures que mon chéri, la même veste. D’un simple regard, on savait qu’il n’avait aucune chance et que c’était déjà inouï qu’il puisse être encore en vie.
- Il s’appelle comment ?
- Euh … Olivier …
Et je me suis approchée.
J’ai crié, je crois. Je ne sais plus. Peut-être même que j’ai hurlé. Mon ventre s’est recroquevillé sur ma douleur, mon corps tout entier voulait reprendre la taille d’un fœtus. Et par-delà la souffrance, j’ai trouvé la force de prendre sa main. Je sentais son pouls avec un rythme désordonné, aléatoire, saccadé mais il était en vie. Alors j’ai repris espoir au-delà de mes convictions. J’ai caressé sa main. Elle était douce. Cette même main qui passait hier soir sur mes seins réconciliés, tout en douceur, tout en délicatesse, comme à son habitude. J’ai vu ses paupières tressaillir, maculées de sang et j’ai su qu’il savait. J’ai déposé un baiser sur son front. J’ai appliqué une légère pression sur ses doigts et la réponse est venue en retour, presque imperceptible, comme un message d’adieu. A la commissure de ses lèvres, il y avait un sourire accroché, tout petit lui aussi et lorsque j’ai vu une larme couler sur sa joue sans terminer sa course, j’ai su que … c’était fini.
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