Chapitre XXIV (Suite)
Le premier à nous accueillir s’appelle Youki, un chien griffon tout noir, la queue en perpétuel mouvement. Il vient flairer mes chaussures de ville, peu habitué à ces odeurs venues d’un autre monde. Il me délaisse assez vite pour Alice, trop content de la retrouver. Dans l’encadrement de la porte un homme grand, costaud me dévisage avec un regard généreux, presque chaleureux sous un sourire voilé de tristesse.
- Roger, mon père. Pascal mon fiancé.
Elle ne s’est pas foulée mon amoureuse. Mais le principal y était et la poignée de main qui a suivi était d’une telle sincérité que je l’ai ressentie comme une providence. Derrière une petite femme, mince, jolie malgré l’impact du temps, avec des yeux noisette que je reconnais sans hésitation, tout de noir vêtue. Je suis stupéfié par la ressemblance.
- Chantal, ma maman.
Chantal me serre la main. Ses yeux sont identiques aux yeux d’Alice si ce n’est qu’il y a au fond des pupilles, une infinie tristesse qu’elle cache derrière un sourire presque contraint. La distanciation sociale n’est pas encore arrivée jusqu’ici. On est loin, très loin des préoccupations citadines, dans un environnement encore préservé par la faiblesse démographique.
- Entrez, je vous en prie.
On échange quelques banalités avant de se réunir autour de la table de cuisine pour l’apéritif, une gentiane fait maison. On trinque à notre arrivée, à la sortie d’hôpital d’Alice, à la fin de son calvaire médical.
Il y a dans cette pièce quelque chose de pesant. Un silence profond que nos paroles n’arrivent pas à meubler. Chantal et Roger sont face à nous. Alice me prend la main. Elle me glisse un regard furtif, presque gênée de m’avoir amené jusqu’ici. La lueur du jour diminue à travers les fenêtres de petites tailles et la lumière artificielle vient alimenter ce déclin naturel. Roger a le teint buriné par le soleil, tout comme Chantal. Au dessus de la chemine feu de bois, une photo de famille en monochrome. Je reconnais de suite le visage d’Alice, de ses parents. Mon amoureuse tient par les épaules un jeune garçon. Un peu plus loin, accroché au mur un portait qui ressemble à cet enfant. Je m’interroge. Alice pour moi était fille unique. Elle n’a jamais évoqué la présence d’une fratrie. Et, subitement, je comprends qu’il s’est passé ici quelque chose de terrible, quelque chose que la décence ne peut accepter tant la blessure dans la chair doit être profonde.
Alice me regarde et j’ai le sentiment qu’elle lit dans mes pensées. Elle ne dit rien mais j’ai l’intime conviction qu’elle a deviné que j’ai compris. Par une infinie pression de sa main contre la mienne, elle m’invite à garder le silence sur ce que je viens de découvrir.
On passe à table. Je manifeste beaucoup d’intérêt pour les races auvergnates et notamment les vaches Salers qui est reconnaissable à leur robe dorée et leurs cornes agressives en forme de lyre. Roger m’invite à participer à la traite du matin. Il me donne rendez-vous à cinq heures et demi pour escorter les ruminants du pâturage voisin à l’étable. J’accepte avec plaisir même si l’heure sonne plutôt la disgrâce dans mon esprit et j’avais en vue d’autres velléités bien matinales avec ma petite chérie. Ça ne sera que partie remise.
On se sépare. Notre chambre est à l’étage. On y accède par un petit escalier extérieur. A l’intérieur, c’est la simplicité même ; un lit d’un autre age, hors norme, avec un matelas dans lequel nos corps s’enfoncent facilement et un sommier grinçant, une petite commode sans fantaisie qui ferait pâlir d’envie les brocanteurs parisiens, un point d’eau avec une vasque travaillée, si petite qu’on imagine déjà le brin de toilette plutôt compliqué, un broc d’eau vide sur une chaise paillée, jouxtant le simili lavabo, quelques cadres posés depuis une éternité surveillent l’agitation de la chambre. Les draps sont lourds, épais, bien loin de ceux fabriqués aujourd’hui. Le parquet en chêne massif grince lui aussi dès qu’on pose le pied dessus.
Je regarde amusé ce décor moyenâgeux.
- Ma chambre. Elle te plaît ?
- C’est rigolo, un peu décalé mais avec le charme d’antan.
- Je t’avais prévenue.
Je pose valises et sacs sur le parquet et mes mains libérées viennent caresser le visage rayonnant de mon amoureuse.
- Viens, regarde !
Alice m’a pris la main et elle m’emmène près de la fenêtre.
- Assieds-toi à côté de moi. Tu vois, c’est ici que mes rêves prenaient source, des rêves de petites filles bien sage devant l’immensité de ce paysage. Je connais chaque aspérité, chaque arbre, presque chaque brindille qui poussent ici dans la vallée. Tu vois là-bas, il y a un petit cours d’eau. Demain, je t’y emmènerai. On peut s’y baigner. Avec mon petit frère, on avait construit un barrage qui n’a pas résisté bien longtemps. J’aimerais beaucoup le reconstruire avec toi.
- Je ne savais pas que tu avais un frère ?
- Il a disparu à l’âge de seize ans, happé par une machine agricole sur laquelle il intervenait. C’est mon père que l’a trouvé. Mes parents ne s’en sont jamais remis. Ils continuent à porter le deuil. A la maison, on n’en parle jamais. Quand je me suis rendu-compte que tu avais compris, j’ai craints un instant que tu poses la question. Et comme à ton habitude, tu as été super.
- J’ai trouvé effectivement beaucoup de tristesse dans leur générosité. J’ai été impressionné par la simplicité de l’accueil mais il y avait énormément de chaleur. J’ai apprécié. Tu vois que je ne suis pas le monstre de technologie imbus de sa modernité ? Je suis bien avec toi, si bien que partout où tu es je me sens bien parce que tu es là. Je t’aime ma chérie. Ça fait longtemps que je ne te l’ai pas dit. Si on allais se coucher ? Demain il faut que je me lève tôt et je voudrais profiter ce soir, avant de m’endormir, de ta nouvelle poitrine.
- Embrasse-moi gros coquin et pour jouir de ma poitrine, faudra commencer par demander très très gentiment.
Le premier à nous accueillir s’appelle Youki, un chien griffon tout noir, la queue en perpétuel mouvement. Il vient flairer mes chaussures de ville, peu habitué à ces odeurs venues d’un autre monde. Il me délaisse assez vite pour Alice, trop content de la retrouver. Dans l’encadrement de la porte un homme grand, costaud me dévisage avec un regard généreux, presque chaleureux sous un sourire voilé de tristesse.
- Roger, mon père. Pascal mon fiancé.
Elle ne s’est pas foulée mon amoureuse. Mais le principal y était et la poignée de main qui a suivi était d’une telle sincérité que je l’ai ressentie comme une providence. Derrière une petite femme, mince, jolie malgré l’impact du temps, avec des yeux noisette que je reconnais sans hésitation, tout de noir vêtue. Je suis stupéfié par la ressemblance.
- Chantal, ma maman.
Chantal me serre la main. Ses yeux sont identiques aux yeux d’Alice si ce n’est qu’il y a au fond des pupilles, une infinie tristesse qu’elle cache derrière un sourire presque contraint. La distanciation sociale n’est pas encore arrivée jusqu’ici. On est loin, très loin des préoccupations citadines, dans un environnement encore préservé par la faiblesse démographique.
- Entrez, je vous en prie.
On échange quelques banalités avant de se réunir autour de la table de cuisine pour l’apéritif, une gentiane fait maison. On trinque à notre arrivée, à la sortie d’hôpital d’Alice, à la fin de son calvaire médical.
Il y a dans cette pièce quelque chose de pesant. Un silence profond que nos paroles n’arrivent pas à meubler. Chantal et Roger sont face à nous. Alice me prend la main. Elle me glisse un regard furtif, presque gênée de m’avoir amené jusqu’ici. La lueur du jour diminue à travers les fenêtres de petites tailles et la lumière artificielle vient alimenter ce déclin naturel. Roger a le teint buriné par le soleil, tout comme Chantal. Au dessus de la chemine feu de bois, une photo de famille en monochrome. Je reconnais de suite le visage d’Alice, de ses parents. Mon amoureuse tient par les épaules un jeune garçon. Un peu plus loin, accroché au mur un portait qui ressemble à cet enfant. Je m’interroge. Alice pour moi était fille unique. Elle n’a jamais évoqué la présence d’une fratrie. Et, subitement, je comprends qu’il s’est passé ici quelque chose de terrible, quelque chose que la décence ne peut accepter tant la blessure dans la chair doit être profonde.
Alice me regarde et j’ai le sentiment qu’elle lit dans mes pensées. Elle ne dit rien mais j’ai l’intime conviction qu’elle a deviné que j’ai compris. Par une infinie pression de sa main contre la mienne, elle m’invite à garder le silence sur ce que je viens de découvrir.
On passe à table. Je manifeste beaucoup d’intérêt pour les races auvergnates et notamment les vaches Salers qui est reconnaissable à leur robe dorée et leurs cornes agressives en forme de lyre. Roger m’invite à participer à la traite du matin. Il me donne rendez-vous à cinq heures et demi pour escorter les ruminants du pâturage voisin à l’étable. J’accepte avec plaisir même si l’heure sonne plutôt la disgrâce dans mon esprit et j’avais en vue d’autres velléités bien matinales avec ma petite chérie. Ça ne sera que partie remise.
On se sépare. Notre chambre est à l’étage. On y accède par un petit escalier extérieur. A l’intérieur, c’est la simplicité même ; un lit d’un autre age, hors norme, avec un matelas dans lequel nos corps s’enfoncent facilement et un sommier grinçant, une petite commode sans fantaisie qui ferait pâlir d’envie les brocanteurs parisiens, un point d’eau avec une vasque travaillée, si petite qu’on imagine déjà le brin de toilette plutôt compliqué, un broc d’eau vide sur une chaise paillée, jouxtant le simili lavabo, quelques cadres posés depuis une éternité surveillent l’agitation de la chambre. Les draps sont lourds, épais, bien loin de ceux fabriqués aujourd’hui. Le parquet en chêne massif grince lui aussi dès qu’on pose le pied dessus.
Je regarde amusé ce décor moyenâgeux.
- Ma chambre. Elle te plaît ?
- C’est rigolo, un peu décalé mais avec le charme d’antan.
- Je t’avais prévenue.
Je pose valises et sacs sur le parquet et mes mains libérées viennent caresser le visage rayonnant de mon amoureuse.
- Viens, regarde !
Alice m’a pris la main et elle m’emmène près de la fenêtre.
- Assieds-toi à côté de moi. Tu vois, c’est ici que mes rêves prenaient source, des rêves de petites filles bien sage devant l’immensité de ce paysage. Je connais chaque aspérité, chaque arbre, presque chaque brindille qui poussent ici dans la vallée. Tu vois là-bas, il y a un petit cours d’eau. Demain, je t’y emmènerai. On peut s’y baigner. Avec mon petit frère, on avait construit un barrage qui n’a pas résisté bien longtemps. J’aimerais beaucoup le reconstruire avec toi.
- Je ne savais pas que tu avais un frère ?
- Il a disparu à l’âge de seize ans, happé par une machine agricole sur laquelle il intervenait. C’est mon père que l’a trouvé. Mes parents ne s’en sont jamais remis. Ils continuent à porter le deuil. A la maison, on n’en parle jamais. Quand je me suis rendu-compte que tu avais compris, j’ai craints un instant que tu poses la question. Et comme à ton habitude, tu as été super.
- J’ai trouvé effectivement beaucoup de tristesse dans leur générosité. J’ai été impressionné par la simplicité de l’accueil mais il y avait énormément de chaleur. J’ai apprécié. Tu vois que je ne suis pas le monstre de technologie imbus de sa modernité ? Je suis bien avec toi, si bien que partout où tu es je me sens bien parce que tu es là. Je t’aime ma chérie. Ça fait longtemps que je ne te l’ai pas dit. Si on allais se coucher ? Demain il faut que je me lève tôt et je voudrais profiter ce soir, avant de m’endormir, de ta nouvelle poitrine.
- Embrasse-moi gros coquin et pour jouir de ma poitrine, faudra commencer par demander très très gentiment.
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