CHAPITRE XVII (suite)
Dix-sept heures, je quitte mon bureau. Je m’arrête au supermarché du coin acheter du café. J’en profite aussi pour compléter le frigidaire de quelques produits en rupture de stock. On fera un ravitaillement généralisé avec Alice demain matin, avant de prendre la route. Je suis content d’accompagner Alice pour sa dernière compétition de la saison et … les mots résonnent dans ma tête. Je réalise que dans le scénario noir, cela pourrait être effectivement sa dernière compétition. Je sais qu’elle doit y penser elle aussi et j’admire son courage, sa force intérieure. Lorsqu’elle est heureuse, elle semble faire abstraction de ce destin hasardeux. Peut-être d’ailleurs n’est ce qu’une façade, qu’une apparence qu’elle se donnerait pour ne pas m’inquiéter, pour tenir mentalement elle aussi, pour ne pas s’effondrer, pour garder la tête haute malgré le cyclone intérieur qui immanquablement doit la tourmenter. Je me demande dans sa situation, quel comportement j’adopterais en sachant que dans trois jours qui suivent, le verdict va tomber. Psychologiquement ça doit être terrible et je ne suis pas certain d’avoir son courage.
J’évacue ces idées monstrueuses qui naissent de petit rien dès qu’il s’agit d’évoquer le lendemain.
Ah oui, j’en étais au van qu’il faudra atteler à sa voiture, aller chercher « Voie-Lactée » au centre équestre et prendre la route sans plus tarder. Pour moi, tout cela relève de l’inconnu. J’ai quelques difficultés à imaginer ma petite chérie seule, réaliser toutes ces opérations. Mais visiblement, elle est habituée. Elle est sereine et de facto moi aussi. Un sacré petit bout de femme quand même mon amoureuse.
Pour mon dernier cours, j’arrive au centre équestre avec un quart d’heure d’avance sur l’horaire prévu. Il fait beau. Il fait encore bien chaud pour un mois de septembre. Julie prépare les chevaux en prévision de la balade sur la plage. Je la regarde s’affairer. Elle est dynamique, sérieuse, enjouée aussi. Elle ne m’a pas vu. Elle se parle à elle-même. Elle fait les questions et les réponses. Je ne comprends pas ce qu’elle dit mais visiblement, c’est plutôt drôle.
- Hello Julie.
Julie sursaute, prise en flagrant délit.
- Bonjour Pascal. Tu m’as fait peur. Je ne t’ai pas entendu arriver.
- Tu causes toute seule toi maintenant lui dis-je avec un grand sourire ironique.
- Pas du tout. Tu te fais des idées. Je parle à mes chevaux. Qu’est-ce que tu crois ? je n’ai pas encore l’âge de radoter moi !
Ses yeux bleus sont posés sur mon regard. Elle sourit. Elle est belle, le teint mate avec sa mèche rebelle qui est de retour. Je souris moi aussi.
- Tu as de la chance. Alice vient juste de partir. Tiens vu que tu es là, tu vas m’aider.
C’est elle qui donne les ordres et moi j’exécute. Dans ce sens-là, je ne suis pas trop habitué. Je sens aussi qu’elle souligne le trait avec humour. Elle me montre la pose du tapis de selle, la selle, le sanglage puis la mise en place du filet. Nos corps se frôlent. Nos visages sont parfois si près qu’il suffirait d’un rien…
Conscient du danger, je fais attention à mes moindres gestes. Elle aussi est en pleine retenue. Elle est troublée. Elle parle pour se donner bonne conscience. Elle rit au-delà du naturel. Elle est fébrile. Ses doigts tremblent légèrement pour régler le filet. Je prétexte une envie pressante pour prendre un peu de distance, pour souffler discrètement aussi devant l’adversité. C’est sûr, elle ne me laisse pas indifférent et elle le sait pertinemment. J’en suis convaincu. Mais mon cœur est pour Alice, rien que pour Alice.
C’est d’ailleurs surprenant. En plein désert sentimental, on a tendance à y rester un bon moment avant de trouver une âme charitable qui s’intéresse à vous et dès qu'on en trouve une enfin, c'est une foule d'opportunités qui se précipitent subitement au portillon. C’est bien souvent comme ça. De mon côté, je sais que je n’ai plus l’embarras du choix puisque mon choix est déjà fait mais il doit y avoir quelque part dans le comportement humain un lien de cause à effet qui génère cette attraction surprenante : le vide attire le vide et le plein…
- Allez à cheval et que ça saute me dit Julie en enfourchant son canasson avec une velléité fantastique.
Je mets un peu plus de temps avant d’occuper la selle en position stable. En chemin, Julie m’explique les règles de circulation. La signalétique et les points d’attention sur le parcours. La plage ce n’est pas la porte à côté. Il faut longer la Canche le long de la route, sur la piste cyclable, traverser la rue qui mène au club nautique, passer par l’aire des camping-cars, emprunter la promenade des dunes avant de pouvoir descendre sur la plage. Et là, ce n’est ni plus ni moins qu’exceptionnel.
- Alors ?
- C’est magnifique, Julie.
Haut perché, la vue est imprenable. L’embouchure de la Canche est à perte de vue. Par-ci par-là, on trouve des bancs de sable chahutés par les marées précédentes. Le paysage change à chaque marée, après chaque tempête. Des phoques par dizaine viennent se chauffer au soleil. Des bateaux naviguent sur l’horizon. Je suis conquis par cette vue imprenable. Je n’ai qu’un seul regret, celui de ne pas vivre ce moment idyllique avec Alice. Les choses sont ainsi. Julie me regarde. Je devine dans ce regard une intensité particulière. Je sais qu’elle est amoureuse elle aussi.
- Tu as pris de quoi préserver tes bijoux de famille ? Me lance t’elle en riant.
- Oui, c’est bon ! J’ai pris mes précautions. On peut y aller.
- Alors au trot.
C’est parti. On trotte ensemble sur la plage, côte à côte. J’essaye de synchroniser les mouvements de mon corps à ceux de Julie.
- Ne t’occupe pas de moi. Tu dois sentir ton cheval. C’est avec lui qu’il faut te synchroniser. Tu verras, après ça ira tout seul. On essaye de passer au galop ? On va jusqu’à la mer. Ok ?
- Ok
Mon cheval a quelques difficultés à démarrer ou c’est moi qui n’arrive pas bien à lui donner les bonnes instructions mais il finit par partir. C’est compliqué à tout gérer ; le pied de départ, la vitesse. J’évite de me laisser entraîner mais j’avoue que mon canasson est plutôt lent et tout compte fait, cela me va très bien. Arrivé à la lisière de la mer, mon cheval ralentit et s’arrête.
- Très bien, on repart là où on était et on recommence.
Après trois essais, je finis par me sentir à l’aise même si la fatigue commence à se manifester.
- Tu te débrouilles bien. Je propose qu’on longe la mer en petites foulée. Tu me suis.
Julie passe devant et je lui emboîte le pas. J’avoue que la vue sur son fessier est très sympathique. On s’arrête à la lisière de la plage surveillée.
- On va marcher un peu.
On descend de nos montures et on prend le chemin du retour, à pieds. Julie parle de son enfance, de ce qu’elle aime, de ce qu’elle déteste. On discute, on rit. Je ne la voyais pas sous cet angle. Elle s’arrête. Elle me regarde, un regard inquisiteur, sérieux, profond et tendre en même temps.
- Si vous deviez vous séparer toi et Alice, je serais vraiment heureuse si tu pensais à moi.
Je m’attendais à quelque chose de ce style là mais je reste décontenancé devant autant d’aplomb.
- Promis Julie, j’y penserais mais je ne veux pas te donner de faux espoirs. Je suis trop bien avec Alice et je cherche plutôt à me stabiliser. Tu comprends ?
- Oui, je comprends. Je savais par avance que ma démarche était vouée à l’échec et j’avais juste envie que tu saches que tu me plais beaucoup.
- J’avais remarqué Julie. A défaut d’amour on pourrait être de vrais amis maintenant que j’ai appris à te connaître, à t’apprécier. J’aime bien ta compagnie, ton humour et aussi parfois ton sale caractère.
- Comment ça mon sale caractère ?
- Oui Mademoiselle, un sale caractère de jeune fille en mal d’autorité. Mais ça ne te va pas si mal. Viens, on va seller notre amitié.
Je lui dépose un bisou sur le front.
- A toi
- Si je chope le coronavirus, tu es un homme mort. Allez, baisse-toi un peu, tu es trop grand pour moi.
Je sens ses lèvres caresser mon front.
- Elle a de la chance Alice de t’avoir rencontré. Je l’aime bien comme fille.
- Ah ! Toi aussi ?
- T’es trop bête quand même. Allez mon ami, on se fait un petit galop pour rentrer, ça sera toujours mieux que d’entendre des conneries.
Dix-sept heures, je quitte mon bureau. Je m’arrête au supermarché du coin acheter du café. J’en profite aussi pour compléter le frigidaire de quelques produits en rupture de stock. On fera un ravitaillement généralisé avec Alice demain matin, avant de prendre la route. Je suis content d’accompagner Alice pour sa dernière compétition de la saison et … les mots résonnent dans ma tête. Je réalise que dans le scénario noir, cela pourrait être effectivement sa dernière compétition. Je sais qu’elle doit y penser elle aussi et j’admire son courage, sa force intérieure. Lorsqu’elle est heureuse, elle semble faire abstraction de ce destin hasardeux. Peut-être d’ailleurs n’est ce qu’une façade, qu’une apparence qu’elle se donnerait pour ne pas m’inquiéter, pour tenir mentalement elle aussi, pour ne pas s’effondrer, pour garder la tête haute malgré le cyclone intérieur qui immanquablement doit la tourmenter. Je me demande dans sa situation, quel comportement j’adopterais en sachant que dans trois jours qui suivent, le verdict va tomber. Psychologiquement ça doit être terrible et je ne suis pas certain d’avoir son courage.
J’évacue ces idées monstrueuses qui naissent de petit rien dès qu’il s’agit d’évoquer le lendemain.
Ah oui, j’en étais au van qu’il faudra atteler à sa voiture, aller chercher « Voie-Lactée » au centre équestre et prendre la route sans plus tarder. Pour moi, tout cela relève de l’inconnu. J’ai quelques difficultés à imaginer ma petite chérie seule, réaliser toutes ces opérations. Mais visiblement, elle est habituée. Elle est sereine et de facto moi aussi. Un sacré petit bout de femme quand même mon amoureuse.
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Pour mon dernier cours, j’arrive au centre équestre avec un quart d’heure d’avance sur l’horaire prévu. Il fait beau. Il fait encore bien chaud pour un mois de septembre. Julie prépare les chevaux en prévision de la balade sur la plage. Je la regarde s’affairer. Elle est dynamique, sérieuse, enjouée aussi. Elle ne m’a pas vu. Elle se parle à elle-même. Elle fait les questions et les réponses. Je ne comprends pas ce qu’elle dit mais visiblement, c’est plutôt drôle.
- Hello Julie.
Julie sursaute, prise en flagrant délit.
- Bonjour Pascal. Tu m’as fait peur. Je ne t’ai pas entendu arriver.
- Tu causes toute seule toi maintenant lui dis-je avec un grand sourire ironique.
- Pas du tout. Tu te fais des idées. Je parle à mes chevaux. Qu’est-ce que tu crois ? je n’ai pas encore l’âge de radoter moi !
Ses yeux bleus sont posés sur mon regard. Elle sourit. Elle est belle, le teint mate avec sa mèche rebelle qui est de retour. Je souris moi aussi.
- Tu as de la chance. Alice vient juste de partir. Tiens vu que tu es là, tu vas m’aider.
C’est elle qui donne les ordres et moi j’exécute. Dans ce sens-là, je ne suis pas trop habitué. Je sens aussi qu’elle souligne le trait avec humour. Elle me montre la pose du tapis de selle, la selle, le sanglage puis la mise en place du filet. Nos corps se frôlent. Nos visages sont parfois si près qu’il suffirait d’un rien…
Conscient du danger, je fais attention à mes moindres gestes. Elle aussi est en pleine retenue. Elle est troublée. Elle parle pour se donner bonne conscience. Elle rit au-delà du naturel. Elle est fébrile. Ses doigts tremblent légèrement pour régler le filet. Je prétexte une envie pressante pour prendre un peu de distance, pour souffler discrètement aussi devant l’adversité. C’est sûr, elle ne me laisse pas indifférent et elle le sait pertinemment. J’en suis convaincu. Mais mon cœur est pour Alice, rien que pour Alice.
C’est d’ailleurs surprenant. En plein désert sentimental, on a tendance à y rester un bon moment avant de trouver une âme charitable qui s’intéresse à vous et dès qu'on en trouve une enfin, c'est une foule d'opportunités qui se précipitent subitement au portillon. C’est bien souvent comme ça. De mon côté, je sais que je n’ai plus l’embarras du choix puisque mon choix est déjà fait mais il doit y avoir quelque part dans le comportement humain un lien de cause à effet qui génère cette attraction surprenante : le vide attire le vide et le plein…
- Allez à cheval et que ça saute me dit Julie en enfourchant son canasson avec une velléité fantastique.
Je mets un peu plus de temps avant d’occuper la selle en position stable. En chemin, Julie m’explique les règles de circulation. La signalétique et les points d’attention sur le parcours. La plage ce n’est pas la porte à côté. Il faut longer la Canche le long de la route, sur la piste cyclable, traverser la rue qui mène au club nautique, passer par l’aire des camping-cars, emprunter la promenade des dunes avant de pouvoir descendre sur la plage. Et là, ce n’est ni plus ni moins qu’exceptionnel.
- Alors ?
- C’est magnifique, Julie.
Haut perché, la vue est imprenable. L’embouchure de la Canche est à perte de vue. Par-ci par-là, on trouve des bancs de sable chahutés par les marées précédentes. Le paysage change à chaque marée, après chaque tempête. Des phoques par dizaine viennent se chauffer au soleil. Des bateaux naviguent sur l’horizon. Je suis conquis par cette vue imprenable. Je n’ai qu’un seul regret, celui de ne pas vivre ce moment idyllique avec Alice. Les choses sont ainsi. Julie me regarde. Je devine dans ce regard une intensité particulière. Je sais qu’elle est amoureuse elle aussi.
- Tu as pris de quoi préserver tes bijoux de famille ? Me lance t’elle en riant.
- Oui, c’est bon ! J’ai pris mes précautions. On peut y aller.
- Alors au trot.
C’est parti. On trotte ensemble sur la plage, côte à côte. J’essaye de synchroniser les mouvements de mon corps à ceux de Julie.
- Ne t’occupe pas de moi. Tu dois sentir ton cheval. C’est avec lui qu’il faut te synchroniser. Tu verras, après ça ira tout seul. On essaye de passer au galop ? On va jusqu’à la mer. Ok ?
- Ok
Mon cheval a quelques difficultés à démarrer ou c’est moi qui n’arrive pas bien à lui donner les bonnes instructions mais il finit par partir. C’est compliqué à tout gérer ; le pied de départ, la vitesse. J’évite de me laisser entraîner mais j’avoue que mon canasson est plutôt lent et tout compte fait, cela me va très bien. Arrivé à la lisière de la mer, mon cheval ralentit et s’arrête.
- Très bien, on repart là où on était et on recommence.
Après trois essais, je finis par me sentir à l’aise même si la fatigue commence à se manifester.
- Tu te débrouilles bien. Je propose qu’on longe la mer en petites foulée. Tu me suis.
Julie passe devant et je lui emboîte le pas. J’avoue que la vue sur son fessier est très sympathique. On s’arrête à la lisière de la plage surveillée.
- On va marcher un peu.
On descend de nos montures et on prend le chemin du retour, à pieds. Julie parle de son enfance, de ce qu’elle aime, de ce qu’elle déteste. On discute, on rit. Je ne la voyais pas sous cet angle. Elle s’arrête. Elle me regarde, un regard inquisiteur, sérieux, profond et tendre en même temps.
- Si vous deviez vous séparer toi et Alice, je serais vraiment heureuse si tu pensais à moi.
Je m’attendais à quelque chose de ce style là mais je reste décontenancé devant autant d’aplomb.
- Promis Julie, j’y penserais mais je ne veux pas te donner de faux espoirs. Je suis trop bien avec Alice et je cherche plutôt à me stabiliser. Tu comprends ?
- Oui, je comprends. Je savais par avance que ma démarche était vouée à l’échec et j’avais juste envie que tu saches que tu me plais beaucoup.
- J’avais remarqué Julie. A défaut d’amour on pourrait être de vrais amis maintenant que j’ai appris à te connaître, à t’apprécier. J’aime bien ta compagnie, ton humour et aussi parfois ton sale caractère.
- Comment ça mon sale caractère ?
- Oui Mademoiselle, un sale caractère de jeune fille en mal d’autorité. Mais ça ne te va pas si mal. Viens, on va seller notre amitié.
Je lui dépose un bisou sur le front.
- A toi
- Si je chope le coronavirus, tu es un homme mort. Allez, baisse-toi un peu, tu es trop grand pour moi.
Je sens ses lèvres caresser mon front.
- Elle a de la chance Alice de t’avoir rencontré. Je l’aime bien comme fille.
- Ah ! Toi aussi ?
- T’es trop bête quand même. Allez mon ami, on se fait un petit galop pour rentrer, ça sera toujours mieux que d’entendre des conneries.
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