CHAPITRE 35 (Tribunal)
Mon cœur bat plus fort, je n’avais jamais vu mon père aussi joyeux et pour cause puisque dans mes souvenirs il était toujours triste de me voir clouer par la maladie et les faibles sourires que je recevais de lui n’avaient rien de commun avec celui éclatant que je lui vois en ce moment.
Je l’enlace avec nervosité, les yeux embués d’une joie qui m’ôte toute possibilité de prononcer la moindre parole et nous restons un long moment enlacés, nos corps pris dans les soubresauts d’une émotion bien trop grande à contenir.
Quelques longues minutes passent encore avant que nous nous détachions l’un de l’autre et que nous nous essuyons les yeux, souriant malgré tout de ce moment très fort.
***/***
Pierre remet le contact pour reprendre la route, il regarde l’horloge sur le tableau de bord en soupirant.
- Comme le temps passe !! Il n’y a plus un moment à perdre si nous voulons être à l’heure pour la convocation du tribunal.
- Tu crois qu’ils auront déjà reçu des nouvelles de l’autre conducteur ?
- (Pierre) Ce serait étonnant, il faudra juste que je demande à mes avocats d’en parler et ils trouveront bien l’excuse pour le faire pendant l’interrogatoire.
- Je devrais dire quoi si le juge m’interroge ?
- (Pierre) La vérité !! Que tu ne te souviens de rien !! Nous allons nous servir de ton amnésie pour tenter d’obtenir un non-lieu.
- Tu crois que ça va marcher ?
- (Pierre) D’après ceux qui ont étudié ton dossier, il y aurait eu jurisprudence sur des cas similaires et le dossier médical actuellement dans les mains du juge conforte le fait que tu ne te souviens plus de rien, d’ailleurs le médecin qui t’a suivi sera convoqué à la barre comme ceux des personnels soignants qui ont pu le constater.
- J’ai déjà eu affaire à ce juge ?
- (Pierre) Houla oui !!! À peu près deux fois par an si je ne m’abuse !!
- Hum !!
- (Pierre) Je me doute à quoi tu penses !! Mais je t’assure qu’il est honnête, tout autant que rigoureux de la loi et si notre défense démontre le bien-fondé du non-lieu, il le prononcera comme il l’a déjà fait à maintes reprises et ce sans ressasser le passé.
- Eh bien, nous avons de la chance alors !!
***/***
« Salle du tribunal »
- Affaire De Bierne !! Vol avec effraction !! Tentative de fuite !! Conduite hors des limites des vitesses autorisées, occasionnant un accident de la route et mettant le conducteur du véhicule heurté dans un état tel qu’à l’heure actuelle les médecins ne peuvent encore se prononcer sur l’importance des séquelles qu’il gardera sa vie durant. Que plaide la défense ?
L’avocat se lève pour se rendre à la barre, quand une voix encore juvénile mais ferme le devance.
- Coupable !!
L’intervention du jeune rouquin se tenant debout en fixant le juge dans les yeux, interpelle l’ensemble des personnes présentes dans la salle du tribunal.
Le juge surpris fait un signe de la main pour qu’il approche et reste un instant médusé devant l’assurance du jeune homme, dépourvu toutefois de l’arrogance habituelle qu’il ne lui connaissait jusqu’alors que trop bien.
- Pouvez-vous répéter jeune homme ?
L’avocat s’interpose entre son client et le juge.
- Je représente l’accusé qui est mineur monsieur le juge, ses paroles ne peuvent être prises en compte.
Le juge agacé.
- Je l’entends bien, maître !! Mais j’aimerais quand même l’entendre.
- Je plaide coupable !! Personne ne peut nier que j’étais bien le conducteur du véhicule incriminé, que je n’en ai plus le moindre souvenir ne changera rien à ce fait indéniable en soi et même si je suis horrifié par ce que j’ai appris depuis lors sur ma conduite de ces dernières années, je mérite certainement la sentence qui sera prononcé quelle qu’elle soit.
L’avocat n’a pas le temps de formuler sa nouvelle requête, que le jeune rouquin capte son regard en souriant et lui ôte toute velléité à répliquer.
Le juge lui aussi semble troublé, il ne reconnaît pas là le Florian De Bierne insolent, irrespectueux et effronté qu’il avait déjà eu maintes fois l’occasion de juger.
CHAPITRE 36 (Tribunal) (fin)
« Un coup de maillet sur le bureau »
- J’ai besoin de m’entretenir avec ce jeune homme !! Je prononce donc une interruption de séance d’une demi-heure !!
« Second coup de maillet sur le bureau »
Le juge parle à l’oreille de l’avocat qui va rejoindre le banc des accusés pour s’adresser à Pierre De Bierne et à ses homologues restés près de lui.
- Le juge semble perturbé par l’intervention de votre fils, il demande que vous le rejoigniez avec Florian dans son bureau pour avoir une discussion en tête à tête !!
- (Pierre) Ce n’est pas très protocolaire ?? Que me conseillez-vous ?
- (L’avocat) C’est à vous de prendre cette décision monsieur, tout ce qu’il se dira ne pourra entrer en ligne de compte lors de la reprise des débats !! Juste que cela jouera très certainement sur la décision finale, je ne saurai que vous conseiller de rester dans la ligne de défense que nous avons mise au point.
- (Pierre) De toute façon c’est l’exacte vérité, non ? Profitez de cette interruption de séance pour prendre des nouvelles du conducteur de la camionnette !!
« Une demi-heure plus tard, reprise de la séance »
Le silence se fait au retour du juge qui ne quitte pas des yeux la silhouette frêle du jeune garçon, quand celui-ci se rassoit à son tour sur sa chaise près de son père.
Les débats reprennent donc, accusation et défense amenant chacun ces argumentaires, pour faire fléchir la décision finale.
Le juge semble absent, ses yeux toujours rivés dans ceux de Florian qui maintient son regard avec une gentillesse et une douceur perturbante pour cet homme qui à l’énoncé de son nom lors de la préparation de séance, avait pris la décision de ne pas s’en laisser conter cette fois encore et de prononcer une sentence qui mettra pour de longues années ce jeune délinquant notoire dans l’impossibilité de nuire davantage à son prochain.
Une fois les divers témoins entendus, le silence revient dans la salle et le juge se force à détacher enfin ses yeux de ceux du petit rouquin, non sans au préalable lui envoyer un sourire rassurant qui amène immédiatement les larmes sur le visage du jeune homme.
L’envie de se lever pour le prendre dans ses bras est si fort que le juge se retrouve soudainement debout, il se reprend juste à temps et fait visiblement un gros effort de volonté pour revenir à sa fonction première.
Le temps étant pour lui de prendre sa décision, il ne s’est pas encore rendu compte qu’elle puisse être déjà prise bien avant son retour sur l’estrade.
- Assoyez-vous, je vous prie !!
Il attend quelques instants que chacun soit à sa place et que le silence se fasse, frappant une nouvelle fois de son maillet pour officialiser la sentence.
- Après avoir pris connaissance des accusations portées contre l’accusé, celui-ci est reconnu coupable des charges portées contre lui !!
Un brouhaha de voix l’empêche de poursuivre, il observe ceux qui semblent satisfaits et ceux proches de Florian qui restent hébétés par la décision qui vient de tomber.
Un nouveau coup de maillet pour exiger le silence.
- Silence s’il vous plaît !!! Je disais donc que l’accusé est reconnu coupable des trois chefs d’accusations portés contre lui !! Il y a toutefois les circonstances atténuantes qu’attestent les rapports médicaux, comme l’amnésie du prévenu qui semblerait n’avoir plus aucun souvenir de ses mauvaises actions passées. J’ai pu moi-même constaté pour hélas bien l’avoir connu, qu’un changement radical s’est produit dans la façon d’être du jeune De Bierne et les dépositions reçus pendant les divers interrogatoires de témoins, corroborent mon impression. De plus !! Les dernières informations sur l’état de la victime étant des plus encourageantes sur une guérison « miraculeuse » aux dires d’experts !! J’ai décidé de mettre jusqu’à ses dix-huit ans passés d’un semestre le jeune Florian De Bierne sous tutelle d’un juge pour mineur qui devra le suivre chaque trimestre avec l’aide d’un expert psychiatre pour définir si le changement apparent de comportement du susdit nommé peut être acté dans la durée, faute de quoi ou en cas de récidive, il purgera une peine de trois ans de prison ferme sans possibilité de recours !!
CHAPITRE 37 (Mes amis sont mes ennemis et mes ennemis mes amis ?)
***/***
« Sortie du tribunal »
Pierre sert la main à ses avocats avant de rejoindre sa voiture avec son fils, le verdict en demi-teinte est quand même satisfaisant rien que déjà par le fait que Florian en soit sorti libre.
Ce n’est qu’une fois en route pour retourner à la maison, que Pierre reprend la parole devant le silence de son fils.
- Quelque chose ne va pas Florian ?
- Non, rien !!
- (Pierre) Tu peux tout me dire tu sais ? Je vois bien que quelque chose te préoccupe !!
- Ça va être comme ça à chaque fois tu crois ?
- (Pierre) Explique-toi ?
- Dans mes souvenirs, je n’avais quasiment que des amis et ici j’ai l’impression de n’avoir en face de moi que des gens qui me détestent !!
- (Pierre) J’ai bien peur qu’il te faille les reconquérir un par un, l’amitié n’était pas vraiment le souci principal du Florian d’avant l’accident.
- De ce que j’en sais maintenant, c’était plutôt l’art de se faire des ennemis qui prédominait chez lui !! Comment peut-on vivre de la sorte en cherchant toujours à faire le mal ?
- (Pierre) Tu as eu un grave traumatisme étant bébé suite à l’accident et tous les spécialistes chez qui nous t’avons emmené quand tu as commencé à devenir « difficile », pensaient également que ça venait de là.
- Faudra éviter que je prenne un nouveau coup sur le crâne alors Hi ! Hi ! Clac !! Méchant !! Clac !! Gentil !!
- (Pierre) Vu comme c’est parti, évite comme la peste ceux que se diront amis avec toi !! Je doute qu’au final tu t’entendes réellement avec eux.
- J’avais bien compris t’inquiète !!
- (Pierre) Hi ! Hi !
Je tourne la tête vers mon père, surpris de l’entendre rire tout seul.
- Je ne vois pas le comique dans tout ça ?
Pierre tourne la tête à son tour un bref instant pour croiser le regard de son fils.
- Je repensais à Yuan Hi ! Hi ! Tu étais vraiment avec lui ?
- Dans la vie que je me rappelle c’était un de mes seuls amis avec Antoine et Damien, mais ça a aussi été un de mes chéris, oui !! Du moins dans ce que je prenais jusque-là pour un rêve.
Un nouveau coup de frein brutal, me colle une nouvelle fois la poitrine contre la ceinture de sécurité.
- Aïeeee !! C’est une manie ou quoi ?
Comme à l’aller quand il m’emmenait au tribunal, mon père se gare pour me fixer ensuite avec le visage marquant une telle surprise que je ne peux m’empêcher de sourire à mon tour.
- Eh bien quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore !! Il va falloir éviter de se parler en voiture, sinon on va finir par se faire rentrer dedans Hi ! Hi !
- (Pierre) Un de tes chéris ?? Il y en avait d’autres ?? En même temps ??
- C’est compliqué à expliquer tu sais p’pa !! Je pensais que c’était un rêve et tu le sais aussi bien que moi que dans un rêve tous les fantasmes sont permis !! Seulement voilà !! Maintenant que je réalise que c’était sans doute une autre réalité, ça change tout et j’en suis tout autant étonné que toi, même si j’en ai un merveilleux souvenir et que je ne regrette rien !!
- (Pierre) Moi qui pensais en avoir suffisamment entendu pour ne plus être étonné !!
- C’est sans doute parce que j’étais cloué sur mon lit, une sorte de compensation tu comprends ?
- (Pierre) Tu étais conscient de vivre tes deux expériences en même temps alors ?
- Bah non, justement !!
- (Pierre) Je connais peut-être tes autres amoureux ?
La question de mon père me met dans un état de nervosité qu’il ne manque pas de remarquer, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? C’est donc d’une voix pleine d’espoir que je lui réponds.
- Il y avait deux garçons qui habitaient près de chez mamy, Thomas et Éric !!
- (Pierre) Il faudra que tu demandes à tes grands-parents alors !! Parce qu’à moi ça ne me dit rien du tout.
- Raphaël et Antonin ? Ça te parle ?
- (Pierre) Je crains bien que non !! Wouf !! Cinq ? Rien que ça ? Mon fils est un tombeur alors ? Mais dis-moi « Flo » ? Ce ne serait pas le même Thomas que celui qui t’a fait crier son nom quand on est sorti de l’hôpital ?
Mes yeux commencent à laisser couler mes larmes.
- (Pierre) Hum !! Quelque chose me dis que ce Thomas comptait beaucoup plus que les autres, je me trompe ?
J’ai du mal à répondre tant le fait de penser à mon grand blond au visage d’ange me fait mal, le reverrais-je un jour ? Son visage souriant remplit brusquement ma tête et mes larmes redoublent alors d’intensité.
- Je l’ai abandonné p’pa !! Il est resté là-bas alors que j’ai été rappelé !! Il faut que je le retrouve tu comprends ? Il le faut sinon je vais devenir fou !!
Pierre enlace les épaules de son fils pour le réconforter, la détresse qu’il peut lire dans ses yeux le marque lui aussi et il comprend qu’un lien très fort devait unir ce garçon à Florian.
- Nous le retrouverons fiston, s’il existe quelque part sur cette terre nous le retrouverons et vous serez à nouveau ensemble, je te le promets !
CHAPITRE 38 (Antoine)
« Aéroport Charles de Gaule »
Le chauffeur du taxi aide le couple à mettre les bagages dans le coffre quand un jeune homme arrive à son tour, visiblement pas très heureux d’avoir eu à quitter son pays et lance son sac à dos à l’arrière du véhicule, avant de s’y asseoir boudeur.
***/***
« La veille chez les Massery »
- Non !!! Je n’irai pas avec vous !! En plus j’ai mes examens à réviser !!
- (Adrien) C’est ton oncle et ta tante qui demandent que tu viennes !!
- Oui !! Mais il y a l’autre taré et je ne veux plus le voir, j’avais pourtant eu l’impression d’être clair !!
- (Florence) Pierre dit que Florian n’est plus du tout le même depuis sa sortie du coma !!
- (Antoine) J’aurais bien aimé qu’il n’en sorte jamais !!
- (Florence) Ne dis pas des choses pareilles !! C’est quand même ton cousin !!
- (Antoine) C’est à lui qu’il faut dire ça m’man, à mon avis cette option lui a toujours échappé ou alors il doit confondre avec le moustique du même nom, puisque à chaque fois que je le vois il cherche à m’écraser !!
- (Pierre) Tu lui en veux toujours de l’année dernière ?
- (Antoine) C’est bien simple !! Pour moi il n’existe plus !!
- (Florence) Mais enfin Antoine !! Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Ce ne peut pas être aussi grave pour tenir des propos pareils ??
- (Antoine furieux) A vraiment ?? Et bien si figure toi !! C’est même plus grave que tu ne pourras jamais t’imaginer !! Et arrête de me casser les pieds avec ce pourri, tu veux bien !! Je serais venu volontiers, oui !! Mais à son enterrement, et ça juste pour cracher sur sa tombe !!
- (Adrien) Ne parle pas comme ça à ta mère, tu veux bien !! Tu sais très bien que nous non plus n’aimons pas Florian, si nous partons c’est juste pour voir ma sœur et son mari !! Ils viennent de vivre une dure épreuve et je ne parle pas que de l’accident de leur putain de fils, bon Dieu !!! Ta grand-tante a eu un arrêt cardiaque, d’après Pierre c’est grâce à son fils si elle a réussi à s’en sortir.
- (Antoine) Tatie Maryse a failli mourir ?
- (Adrien) D’après ton oncle, c’est un miracle qu’elle s’en soit sorti et j’ai bien senti dans sa voix combien sa famille lui manque, alors que tu le veuilles ou pas !! Tu vas venir avec nous et je te conseille d’en profiter pour faire le point une bonne fois pour toutes avec ton cousin, je ne sais pas moi !! Casse lui la gueule, ça te soulagera !! C’est tout ce qu’il mérite et ce n’est pas moi qui te donnerai tort, tu peux en être sûr !!
***/***
« Dans le taxi »
Le silence oppressant à bord du taxi ne donne qu’une hâte au chauffeur, celle d’arriver le plus rapidement possible à destination pour être débarrassé de ces clients taciturnes.
Adrien commence à regretter d’avoir répondu à l’appel des De Bierne, la colère de son fils n’annonce rien de bon et il craint plus que tout que la prochaine rencontre entre les deux cousins ne soit de celle qui brise l’amitié des familles.
Florence reste dans l’expectative, le matin même elle a eu une longue conversation téléphonique avec sa belle-sœur et ne sait plus depuis qu’en penser, celle-ci ayant retrouvé une telle joie de vivre dans sa voix qu’elle ne peut pas imaginer qu’il n’y ait un semblant de vérité quand elle lui a affirmé à plusieurs reprises que son Florian n’avait plus rien à voir avec celui qu’il était avant l’accident.
Antoine sent ses nerfs se nouer de colère au fur et à mesure que l’heure du face-à-face se rapproche, il ne fait aucun doute pour lui que sitôt devant lui, il va le massacrer et tant pis pour son oncle et sa tante si cela ne leur fait pas plaisir, ça fait un an maintenant qu’il rumine en silence de ce que lui a fait subir ce connard à la gueule d’ange.
Il a été tellement marqué par ce viol, qu’Antoine depuis a mis complètement sa sexualité de côté et n’éprouve plus rien que les affreux cauchemars qui hantent ses nuits, le réveillant en sursaut couvert d’une sueur malsaine.
***/***
« Chez les De Bierne, Paris »
Hellènes entend la porte de l’entrée s’ouvrir, elle se précipite dans le couloir trop impatiente de connaître le verdict à l’encontre de son fils.
Elle est si nerveuse depuis qu’ils sont partis, qu’elle n’a même pas pensé à passer un coup de fil à son mari et est restée prostrée une bonne partie de la matinée, à attendre leur retour.
Elle les voit donc entrer tout souriant, comprenant que tout doit être enfin terminé et un immense soulagement la libère enfin de tout le stress des dernières heures, n’ayant soudainement plus la force de faire un pas de plus et ce sont ses deux hommes qui viennent l’enlacer, l’embrassant tendrement en la soutenant le temps qu’elle se reprenne.
Mon cœur bat plus fort, je n’avais jamais vu mon père aussi joyeux et pour cause puisque dans mes souvenirs il était toujours triste de me voir clouer par la maladie et les faibles sourires que je recevais de lui n’avaient rien de commun avec celui éclatant que je lui vois en ce moment.
Je l’enlace avec nervosité, les yeux embués d’une joie qui m’ôte toute possibilité de prononcer la moindre parole et nous restons un long moment enlacés, nos corps pris dans les soubresauts d’une émotion bien trop grande à contenir.
Quelques longues minutes passent encore avant que nous nous détachions l’un de l’autre et que nous nous essuyons les yeux, souriant malgré tout de ce moment très fort.
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Pierre remet le contact pour reprendre la route, il regarde l’horloge sur le tableau de bord en soupirant.
- Comme le temps passe !! Il n’y a plus un moment à perdre si nous voulons être à l’heure pour la convocation du tribunal.
- Tu crois qu’ils auront déjà reçu des nouvelles de l’autre conducteur ?
- (Pierre) Ce serait étonnant, il faudra juste que je demande à mes avocats d’en parler et ils trouveront bien l’excuse pour le faire pendant l’interrogatoire.
- Je devrais dire quoi si le juge m’interroge ?
- (Pierre) La vérité !! Que tu ne te souviens de rien !! Nous allons nous servir de ton amnésie pour tenter d’obtenir un non-lieu.
- Tu crois que ça va marcher ?
- (Pierre) D’après ceux qui ont étudié ton dossier, il y aurait eu jurisprudence sur des cas similaires et le dossier médical actuellement dans les mains du juge conforte le fait que tu ne te souviens plus de rien, d’ailleurs le médecin qui t’a suivi sera convoqué à la barre comme ceux des personnels soignants qui ont pu le constater.
- J’ai déjà eu affaire à ce juge ?
- (Pierre) Houla oui !!! À peu près deux fois par an si je ne m’abuse !!
- Hum !!
- (Pierre) Je me doute à quoi tu penses !! Mais je t’assure qu’il est honnête, tout autant que rigoureux de la loi et si notre défense démontre le bien-fondé du non-lieu, il le prononcera comme il l’a déjà fait à maintes reprises et ce sans ressasser le passé.
- Eh bien, nous avons de la chance alors !!
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« Salle du tribunal »
- Affaire De Bierne !! Vol avec effraction !! Tentative de fuite !! Conduite hors des limites des vitesses autorisées, occasionnant un accident de la route et mettant le conducteur du véhicule heurté dans un état tel qu’à l’heure actuelle les médecins ne peuvent encore se prononcer sur l’importance des séquelles qu’il gardera sa vie durant. Que plaide la défense ?
L’avocat se lève pour se rendre à la barre, quand une voix encore juvénile mais ferme le devance.
- Coupable !!
L’intervention du jeune rouquin se tenant debout en fixant le juge dans les yeux, interpelle l’ensemble des personnes présentes dans la salle du tribunal.
Le juge surpris fait un signe de la main pour qu’il approche et reste un instant médusé devant l’assurance du jeune homme, dépourvu toutefois de l’arrogance habituelle qu’il ne lui connaissait jusqu’alors que trop bien.
- Pouvez-vous répéter jeune homme ?
L’avocat s’interpose entre son client et le juge.
- Je représente l’accusé qui est mineur monsieur le juge, ses paroles ne peuvent être prises en compte.
Le juge agacé.
- Je l’entends bien, maître !! Mais j’aimerais quand même l’entendre.
- Je plaide coupable !! Personne ne peut nier que j’étais bien le conducteur du véhicule incriminé, que je n’en ai plus le moindre souvenir ne changera rien à ce fait indéniable en soi et même si je suis horrifié par ce que j’ai appris depuis lors sur ma conduite de ces dernières années, je mérite certainement la sentence qui sera prononcé quelle qu’elle soit.
L’avocat n’a pas le temps de formuler sa nouvelle requête, que le jeune rouquin capte son regard en souriant et lui ôte toute velléité à répliquer.
Le juge lui aussi semble troublé, il ne reconnaît pas là le Florian De Bierne insolent, irrespectueux et effronté qu’il avait déjà eu maintes fois l’occasion de juger.
CHAPITRE 36 (Tribunal) (fin)
« Un coup de maillet sur le bureau »
- J’ai besoin de m’entretenir avec ce jeune homme !! Je prononce donc une interruption de séance d’une demi-heure !!
« Second coup de maillet sur le bureau »
Le juge parle à l’oreille de l’avocat qui va rejoindre le banc des accusés pour s’adresser à Pierre De Bierne et à ses homologues restés près de lui.
- Le juge semble perturbé par l’intervention de votre fils, il demande que vous le rejoigniez avec Florian dans son bureau pour avoir une discussion en tête à tête !!
- (Pierre) Ce n’est pas très protocolaire ?? Que me conseillez-vous ?
- (L’avocat) C’est à vous de prendre cette décision monsieur, tout ce qu’il se dira ne pourra entrer en ligne de compte lors de la reprise des débats !! Juste que cela jouera très certainement sur la décision finale, je ne saurai que vous conseiller de rester dans la ligne de défense que nous avons mise au point.
- (Pierre) De toute façon c’est l’exacte vérité, non ? Profitez de cette interruption de séance pour prendre des nouvelles du conducteur de la camionnette !!
« Une demi-heure plus tard, reprise de la séance »
Le silence se fait au retour du juge qui ne quitte pas des yeux la silhouette frêle du jeune garçon, quand celui-ci se rassoit à son tour sur sa chaise près de son père.
Les débats reprennent donc, accusation et défense amenant chacun ces argumentaires, pour faire fléchir la décision finale.
Le juge semble absent, ses yeux toujours rivés dans ceux de Florian qui maintient son regard avec une gentillesse et une douceur perturbante pour cet homme qui à l’énoncé de son nom lors de la préparation de séance, avait pris la décision de ne pas s’en laisser conter cette fois encore et de prononcer une sentence qui mettra pour de longues années ce jeune délinquant notoire dans l’impossibilité de nuire davantage à son prochain.
Une fois les divers témoins entendus, le silence revient dans la salle et le juge se force à détacher enfin ses yeux de ceux du petit rouquin, non sans au préalable lui envoyer un sourire rassurant qui amène immédiatement les larmes sur le visage du jeune homme.
L’envie de se lever pour le prendre dans ses bras est si fort que le juge se retrouve soudainement debout, il se reprend juste à temps et fait visiblement un gros effort de volonté pour revenir à sa fonction première.
Le temps étant pour lui de prendre sa décision, il ne s’est pas encore rendu compte qu’elle puisse être déjà prise bien avant son retour sur l’estrade.
- Assoyez-vous, je vous prie !!
Il attend quelques instants que chacun soit à sa place et que le silence se fasse, frappant une nouvelle fois de son maillet pour officialiser la sentence.
- Après avoir pris connaissance des accusations portées contre l’accusé, celui-ci est reconnu coupable des charges portées contre lui !!
Un brouhaha de voix l’empêche de poursuivre, il observe ceux qui semblent satisfaits et ceux proches de Florian qui restent hébétés par la décision qui vient de tomber.
Un nouveau coup de maillet pour exiger le silence.
- Silence s’il vous plaît !!! Je disais donc que l’accusé est reconnu coupable des trois chefs d’accusations portés contre lui !! Il y a toutefois les circonstances atténuantes qu’attestent les rapports médicaux, comme l’amnésie du prévenu qui semblerait n’avoir plus aucun souvenir de ses mauvaises actions passées. J’ai pu moi-même constaté pour hélas bien l’avoir connu, qu’un changement radical s’est produit dans la façon d’être du jeune De Bierne et les dépositions reçus pendant les divers interrogatoires de témoins, corroborent mon impression. De plus !! Les dernières informations sur l’état de la victime étant des plus encourageantes sur une guérison « miraculeuse » aux dires d’experts !! J’ai décidé de mettre jusqu’à ses dix-huit ans passés d’un semestre le jeune Florian De Bierne sous tutelle d’un juge pour mineur qui devra le suivre chaque trimestre avec l’aide d’un expert psychiatre pour définir si le changement apparent de comportement du susdit nommé peut être acté dans la durée, faute de quoi ou en cas de récidive, il purgera une peine de trois ans de prison ferme sans possibilité de recours !!
CHAPITRE 37 (Mes amis sont mes ennemis et mes ennemis mes amis ?)
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« Sortie du tribunal »
Pierre sert la main à ses avocats avant de rejoindre sa voiture avec son fils, le verdict en demi-teinte est quand même satisfaisant rien que déjà par le fait que Florian en soit sorti libre.
Ce n’est qu’une fois en route pour retourner à la maison, que Pierre reprend la parole devant le silence de son fils.
- Quelque chose ne va pas Florian ?
- Non, rien !!
- (Pierre) Tu peux tout me dire tu sais ? Je vois bien que quelque chose te préoccupe !!
- Ça va être comme ça à chaque fois tu crois ?
- (Pierre) Explique-toi ?
- Dans mes souvenirs, je n’avais quasiment que des amis et ici j’ai l’impression de n’avoir en face de moi que des gens qui me détestent !!
- (Pierre) J’ai bien peur qu’il te faille les reconquérir un par un, l’amitié n’était pas vraiment le souci principal du Florian d’avant l’accident.
- De ce que j’en sais maintenant, c’était plutôt l’art de se faire des ennemis qui prédominait chez lui !! Comment peut-on vivre de la sorte en cherchant toujours à faire le mal ?
- (Pierre) Tu as eu un grave traumatisme étant bébé suite à l’accident et tous les spécialistes chez qui nous t’avons emmené quand tu as commencé à devenir « difficile », pensaient également que ça venait de là.
- Faudra éviter que je prenne un nouveau coup sur le crâne alors Hi ! Hi ! Clac !! Méchant !! Clac !! Gentil !!
- (Pierre) Vu comme c’est parti, évite comme la peste ceux que se diront amis avec toi !! Je doute qu’au final tu t’entendes réellement avec eux.
- J’avais bien compris t’inquiète !!
- (Pierre) Hi ! Hi !
Je tourne la tête vers mon père, surpris de l’entendre rire tout seul.
- Je ne vois pas le comique dans tout ça ?
Pierre tourne la tête à son tour un bref instant pour croiser le regard de son fils.
- Je repensais à Yuan Hi ! Hi ! Tu étais vraiment avec lui ?
- Dans la vie que je me rappelle c’était un de mes seuls amis avec Antoine et Damien, mais ça a aussi été un de mes chéris, oui !! Du moins dans ce que je prenais jusque-là pour un rêve.
Un nouveau coup de frein brutal, me colle une nouvelle fois la poitrine contre la ceinture de sécurité.
- Aïeeee !! C’est une manie ou quoi ?
Comme à l’aller quand il m’emmenait au tribunal, mon père se gare pour me fixer ensuite avec le visage marquant une telle surprise que je ne peux m’empêcher de sourire à mon tour.
- Eh bien quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore !! Il va falloir éviter de se parler en voiture, sinon on va finir par se faire rentrer dedans Hi ! Hi !
- (Pierre) Un de tes chéris ?? Il y en avait d’autres ?? En même temps ??
- C’est compliqué à expliquer tu sais p’pa !! Je pensais que c’était un rêve et tu le sais aussi bien que moi que dans un rêve tous les fantasmes sont permis !! Seulement voilà !! Maintenant que je réalise que c’était sans doute une autre réalité, ça change tout et j’en suis tout autant étonné que toi, même si j’en ai un merveilleux souvenir et que je ne regrette rien !!
- (Pierre) Moi qui pensais en avoir suffisamment entendu pour ne plus être étonné !!
- C’est sans doute parce que j’étais cloué sur mon lit, une sorte de compensation tu comprends ?
- (Pierre) Tu étais conscient de vivre tes deux expériences en même temps alors ?
- Bah non, justement !!
- (Pierre) Je connais peut-être tes autres amoureux ?
La question de mon père me met dans un état de nervosité qu’il ne manque pas de remarquer, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? C’est donc d’une voix pleine d’espoir que je lui réponds.
- Il y avait deux garçons qui habitaient près de chez mamy, Thomas et Éric !!
- (Pierre) Il faudra que tu demandes à tes grands-parents alors !! Parce qu’à moi ça ne me dit rien du tout.
- Raphaël et Antonin ? Ça te parle ?
- (Pierre) Je crains bien que non !! Wouf !! Cinq ? Rien que ça ? Mon fils est un tombeur alors ? Mais dis-moi « Flo » ? Ce ne serait pas le même Thomas que celui qui t’a fait crier son nom quand on est sorti de l’hôpital ?
Mes yeux commencent à laisser couler mes larmes.
- (Pierre) Hum !! Quelque chose me dis que ce Thomas comptait beaucoup plus que les autres, je me trompe ?
J’ai du mal à répondre tant le fait de penser à mon grand blond au visage d’ange me fait mal, le reverrais-je un jour ? Son visage souriant remplit brusquement ma tête et mes larmes redoublent alors d’intensité.
- Je l’ai abandonné p’pa !! Il est resté là-bas alors que j’ai été rappelé !! Il faut que je le retrouve tu comprends ? Il le faut sinon je vais devenir fou !!
Pierre enlace les épaules de son fils pour le réconforter, la détresse qu’il peut lire dans ses yeux le marque lui aussi et il comprend qu’un lien très fort devait unir ce garçon à Florian.
- Nous le retrouverons fiston, s’il existe quelque part sur cette terre nous le retrouverons et vous serez à nouveau ensemble, je te le promets !
CHAPITRE 38 (Antoine)
« Aéroport Charles de Gaule »
Le chauffeur du taxi aide le couple à mettre les bagages dans le coffre quand un jeune homme arrive à son tour, visiblement pas très heureux d’avoir eu à quitter son pays et lance son sac à dos à l’arrière du véhicule, avant de s’y asseoir boudeur.
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« La veille chez les Massery »
- Non !!! Je n’irai pas avec vous !! En plus j’ai mes examens à réviser !!
- (Adrien) C’est ton oncle et ta tante qui demandent que tu viennes !!
- Oui !! Mais il y a l’autre taré et je ne veux plus le voir, j’avais pourtant eu l’impression d’être clair !!
- (Florence) Pierre dit que Florian n’est plus du tout le même depuis sa sortie du coma !!
- (Antoine) J’aurais bien aimé qu’il n’en sorte jamais !!
- (Florence) Ne dis pas des choses pareilles !! C’est quand même ton cousin !!
- (Antoine) C’est à lui qu’il faut dire ça m’man, à mon avis cette option lui a toujours échappé ou alors il doit confondre avec le moustique du même nom, puisque à chaque fois que je le vois il cherche à m’écraser !!
- (Pierre) Tu lui en veux toujours de l’année dernière ?
- (Antoine) C’est bien simple !! Pour moi il n’existe plus !!
- (Florence) Mais enfin Antoine !! Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Ce ne peut pas être aussi grave pour tenir des propos pareils ??
- (Antoine furieux) A vraiment ?? Et bien si figure toi !! C’est même plus grave que tu ne pourras jamais t’imaginer !! Et arrête de me casser les pieds avec ce pourri, tu veux bien !! Je serais venu volontiers, oui !! Mais à son enterrement, et ça juste pour cracher sur sa tombe !!
- (Adrien) Ne parle pas comme ça à ta mère, tu veux bien !! Tu sais très bien que nous non plus n’aimons pas Florian, si nous partons c’est juste pour voir ma sœur et son mari !! Ils viennent de vivre une dure épreuve et je ne parle pas que de l’accident de leur putain de fils, bon Dieu !!! Ta grand-tante a eu un arrêt cardiaque, d’après Pierre c’est grâce à son fils si elle a réussi à s’en sortir.
- (Antoine) Tatie Maryse a failli mourir ?
- (Adrien) D’après ton oncle, c’est un miracle qu’elle s’en soit sorti et j’ai bien senti dans sa voix combien sa famille lui manque, alors que tu le veuilles ou pas !! Tu vas venir avec nous et je te conseille d’en profiter pour faire le point une bonne fois pour toutes avec ton cousin, je ne sais pas moi !! Casse lui la gueule, ça te soulagera !! C’est tout ce qu’il mérite et ce n’est pas moi qui te donnerai tort, tu peux en être sûr !!
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« Dans le taxi »
Le silence oppressant à bord du taxi ne donne qu’une hâte au chauffeur, celle d’arriver le plus rapidement possible à destination pour être débarrassé de ces clients taciturnes.
Adrien commence à regretter d’avoir répondu à l’appel des De Bierne, la colère de son fils n’annonce rien de bon et il craint plus que tout que la prochaine rencontre entre les deux cousins ne soit de celle qui brise l’amitié des familles.
Florence reste dans l’expectative, le matin même elle a eu une longue conversation téléphonique avec sa belle-sœur et ne sait plus depuis qu’en penser, celle-ci ayant retrouvé une telle joie de vivre dans sa voix qu’elle ne peut pas imaginer qu’il n’y ait un semblant de vérité quand elle lui a affirmé à plusieurs reprises que son Florian n’avait plus rien à voir avec celui qu’il était avant l’accident.
Antoine sent ses nerfs se nouer de colère au fur et à mesure que l’heure du face-à-face se rapproche, il ne fait aucun doute pour lui que sitôt devant lui, il va le massacrer et tant pis pour son oncle et sa tante si cela ne leur fait pas plaisir, ça fait un an maintenant qu’il rumine en silence de ce que lui a fait subir ce connard à la gueule d’ange.
Il a été tellement marqué par ce viol, qu’Antoine depuis a mis complètement sa sexualité de côté et n’éprouve plus rien que les affreux cauchemars qui hantent ses nuits, le réveillant en sursaut couvert d’une sueur malsaine.
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« Chez les De Bierne, Paris »
Hellènes entend la porte de l’entrée s’ouvrir, elle se précipite dans le couloir trop impatiente de connaître le verdict à l’encontre de son fils.
Elle est si nerveuse depuis qu’ils sont partis, qu’elle n’a même pas pensé à passer un coup de fil à son mari et est restée prostrée une bonne partie de la matinée, à attendre leur retour.
Elle les voit donc entrer tout souriant, comprenant que tout doit être enfin terminé et un immense soulagement la libère enfin de tout le stress des dernières heures, n’ayant soudainement plus la force de faire un pas de plus et ce sont ses deux hommes qui viennent l’enlacer, l’embrassant tendrement en la soutenant le temps qu’elle se reprenne.