CHAPITRE 6 (Retour au moment présent)
L’infirmière sort rapidement de la chambre, elle court presque dans les couloirs au grand étonnement de ceux qui croisent son chemin et ce n’est qu’une fois arrivé devant le cabinet du chirurgien s’occupant du jeune De Bierne, qu’elle s’arrête un instant pour reprendre son souffle avant de frapper brièvement à la porte et d’entrer sans attendre l’invitation de le faire, tellement elle est troublée.
Le docteur surpris la regarde sans comprendre.
- Oui Mademoiselle ? Que se passe-t-il donc ?
- Il est réveillé docteur !!!
- Qui donc ???
- Le patient de la chambre deux cent douze !! Vous savez ? Le rouquin !!
Le chirurgien se lève d’un bond.
- Mais !! C’est impossible, vous le savez aussi bien que moi !!!
- Je vous assure pourtant qu’il est sorti du coma docteur !!
L’homme sort de son cabinet et s’élance à son tour dans les couloirs suivis par la jeune femme qui tente de lui expliquer l’étrange changement de comportement du jeune garçon.
- Il ne semble pas se rappeler de moi docteur !!
- Les séquelles qu’a subies son cerveau sans doute !!
- Il m’a appelé « madame » docteur !!
Le médecin ne peut s’empêcher de sourire.
- Je ne vois pas ce qu’il y a là-dedans d’exceptionnel ?
- J’étais plutôt habituée à d’autres petits noms de sa part vous vous rappelez ?
L’homme ne répond pas, trop pris dans ses propres pensées et cherchant à comprendre comment ce réveil a été possible alors que les derniers scanners ne montraient aucune amélioration de son état.
Arrivé devant la chambre de son patient, il l’ouvre nerveusement et reste un instant ahuri sous le choc de ses yeux verts pénétrants qui le fixent avec curiosité et encore plus extraordinaire, avec une douceur d’expression qui le charme sitôt qu’il en prend conscience.
- Alors jeune homme !! On peut dire que vous revenez de loin !!
Il se tourne vers l’infirmière visiblement tout aussi ébahi que lui.
- Faites appeler un infirmier mademoiselle, je pense que ce jeune garçon sera content de prendre un bon bain.
- Bien docteur !!
- Ensuite vous le ferez amener en salle d’examens, je veux lui faire rapidement passer un scanner cérébral pour voir ce qu’il en est exactement !!
- Autre chose docteur ?
- Ce sera tout, mademoiselle !!
- Heu !! S’il vous plaît ??
Le chirurgien sursaute en entendant cette voix hésitante qui s’adresse à eux, son regard se reporte dans celui du garçon et un frisson lui traverse l’échine quand il croit un bref instant voir ses iris former deux fentes verticales, il revient vite à la raison en clignant fortement des yeux avant de rencontrer à nouveau ce regard d’un vert intense si particulier mais parfaitement normal cette fois-ci et lui faisant secouer la tête d’incrédulité devant ce qui ne pouvait être qu’issu de son imagination.
- Oui ??
- Pourrais-je avoir quelque chose à manger et à boire s’il vous plaît ??
- Dès que nous aurons fait les examens qui s’imposent mon garçon !!
Il va pour sortir accompagné de son infirmière quand la voix le rappelle.
- Le docteur Viala n’est donc pas de service aujourd’hui ?
Le chirurgien surpris.
- Il n’est plus ici depuis presque un an ? Lui et sa famille ont déménagé en province, je ne savais pas que tu connaissais Frédéric ?
- C’est lui qui s’occupe de moi depuis des années pourtant !!
L’homme plisse les yeux de surprise, il préfère sortir de la chambre sans répondre afin de chercher à comprendre les paroles étranges du garçon.
Il est certain cependant que jamais son collègue ne s’est occupé de son patient, lui-même étant celui qui depuis plusieurs années le suit lors de ses fréquents passages aux urgences.
Quelque chose ne va pas pense-t-il, le comportement du jeune rouquin ne ressemble en rien à celui auquel il était habitué venant de sa part et il repense alors aux paroles de l’infirmière qui se retrouvait étonnée à ce qu’il l’appelle poliment « madame »
.
CHAPITRE 7 (Incompréhension)
« Le lendemain matin »
C’est la lumière du jour qui me réveille, je me sens étrangement bien et reposé, la douleur ressentie la veille venant de tout mon corps semble avoir complètement disparu et le silence de la chambre m’interpelle, habitué depuis tant d’années à entendre sans en avoir conscience le Bip Bip des appareils de survie.
Quelque chose ne va pas depuis ma sortie du coma, déjà les personnes qui s’agitent depuis hier autour de moi et que je n’avais jamais vues jusqu’alors et ensuite les questions qu’ils me posent, semblant ne pas comprendre mes réponses.
Mon corps également qui ne semble plus affecté par ma myopathie mais demande au contraire à bouger pour échapper à l’état d’ankylose que ma position couchée depuis trop longtemps lui amène.
Trop de questions avec aucune réponse satisfaisante, je décide donc d’en dire le moins possible à partir de maintenant afin de comprendre ce qu’il m’arrive et de prendre le temps d’analyser chaque nouveau fait qui sera dorénavant porté à ma connaissance.
Un doute me vient néanmoins sur le fait que je sois ou pas de nouveau en plein rêve, les pansements propres et ma jambe toujours suspendue prêteraient à me faire penser que c’est bien la réalité et ce même si le simple fait de leur existence me semble incompréhensible.
J’en suis là dans mes réflexions quand la porte s’ouvre, mon cœur fait alors un bond en reconnaissant mes parents et du coup éloigne de moi l’idée d’être replongé dans ce rêve merveilleux qui reste et restera encore et toujours graver dans ma mémoire.
- B’jour p’pa !! B’jour m’man !!
Je vais pour leur poser une myriade de questions quand je me rappelle soudainement de ma dernière décision à laisser venir les choses afin de mieux comprendre ce qui m’arrive.
Ma mère s’effondre en larmes à genoux près de mon lit en me prenant la main alors que mon père me regarde, visiblement troublé par quelque chose que je ne comprends pas et qui le met dans cet état d’expectative face à moi.
- Comment tu te sens ?
- Bien !! Combien de temps je suis resté dans le coma ?
- Presque trois mois.
- Pas plus ??
- Tu es sûr que ça va bien ?
J’ai envie de savoir pour ma maladie, mais quelque chose me dit de poser autrement la question qui me brûle les lèvres.
- Très bien, oui !! Qu’est-ce qu’il m’est arrivé ?
- Tu ne te rappelles pas ?
- Non !!
- Tu as eu un accident, nous avons bien cru te perdre.
Houla !! Un accident ? Quel accident ? Je cherche en vain dans mes souvenirs et je pense que c’est ce qui me sauve vis-à-vis de mon père qui du coup reprend la parole.
- Tu ne te souviens vraiment de rien ?
- Écoute papa !! Quelque chose semble te contrarier, si tu me disais exactement ce qu’il en est ?
Pierre sent une boule le prendre à l’estomac, c’est la deuxième fois que son fils l’appelle naturellement « p’pa » alors qu’il ne l’avait plus habitué depuis bien longtemps à une parole aussi affectueuse.
- Si c’est un jeu que tu joues pour t’éviter la prison, ça peut à la rigueur marcher avec le juge, mais ça ne sert à rien avec moi !!
Le ton de sa voix me choque tellement elle est sèche et rébarbative, quelque chose me dit que je vais aller de surprise en surprise et qu’il va me falloir beaucoup de maîtrise pour ne pas passer pour un fou aux yeux de tous, car il va de soi que rien de ce que j’entends actuellement n’a de sens pour moi.
Rêve ou réalité ? Pour le premier je comprendrais alors que dans le second cas j’ai très certainement raté un, voire très certainement plusieurs épisodes.
- Tu crois que je te mens ? Et toi m’man ? Tu ne dis rien ?
Ma mère relève la tête vers moi et ses yeux embués de larmes m’amènent à venir me blottir contre elle dans un geste d’affection que je ne peux retenir.
- Je vais bien maintenant, ne pleure plus s’il te plaît !!
Pierre n’en revient pas, les larmes de sa femme redoublent d’intensité devant la réaction qu’a leur fils envers elle et qui apparemment lui est venu naturellement, il se souvient pourtant de la dernière fois où Florian a quitté la maison en claquant la porte et surtout la façon qu’il a eue de repousser brutalement sa mère alors qu’elle refusait de lui donner l’argent qu’il réclamait une fois de plus, la traitant de tous les noms.
Il s’était dirigé ensuite vers lui avec un rictus moqueur au coin des lèvres, pour avoir ce qu’il demandait en sachant très bien qu’il aurait gain de cause comme à chaque fois.
CHAPITRE 8 (Guérison ?)
« Cabinet du chirurgien, une heure plus tard »
Le chirurgien regarde pour la énième fois de la matinée les clichés agrafés au mur, ils montrent l’extraordinaire rémission qui a permis l’éveil du jeune De Bierne.
Le plus extraordinaire n’est pas la disparition des caillots dus au traumatisme de l’accident, mais à l’expansion galopante des zones actives de la conscience qui occupent habituellement à peine vingt pour cent d’un cerveau humain normalement constitué et qui aux derniers examens du jeune Florian révèlent un pourcentage d’activation beaucoup plus importante, de l’ordre du double d’un quidam lambda.
C’est comme s’il y avait deux consciences dans un même crâne pense alors le chirurgien en soupirant de frustration devant les photos pourtant bien réelles étant donné qu’il les a prises lui-même.
Le médecin tourne la tête vers d’autres clichés tout aussi troublant, des radios cette fois qui ont été prises dans la foulée du scanner cérébral et qui elles aussi montrent des anomalies incompréhensibles, pas au niveau du squelette qui a eu tout le temps de se reconstituer pendant la longue période de coma du jeune patient mais dans la musculature qui manque des effets habituels d’atrophie due à une longue période d’inactivité.
- Il pourrait remarcher sans éprouver la moindre gêne !! C’est quand même quelque chose !!
Le fait de parler seul ne semble pas le perturber outre mesure et laisserait à penser que c’est pour lui une habitude qui l’aide à réfléchir, il finit par détacher ses yeux des murs où sont affichées les dernières conclusions d’examens pour revenir sur d’autres résultats d’analyses, sanguines cette fois.
Tout semble homogène de ce côté, conforme à ce qu’il pouvait attendre d’un jeune homme de bientôt dix-huit ans et le fait de revenir dans des valeurs dites « normales », le rassure en pensant que parfois l’organisme a des réactions inattendues devant ce que la médecine donnait pourtant comme des lésions irréversibles.
« Toc ! Toc ! »
- Oui !! Entrer !!
Sa secrétaire montre le bout de son nez et sourit quand elle le voit tranquillement installé à son bureau.
- Les parents du jeune De Bierne sont là docteur !!
- Ah !! Très bien !! Je vous prie de les faire entrer.
- Bien docteur !!
Elle disparaît de sa vue, il l’entend parler dans le couloir.
- Le docteur vous attend !!
Le couple s’avance alors dans le bureau, la secrétaire refermant la porte derrière eux et le chirurgien leur montre des sièges d’un geste de la main les invitant à s’y installer, ce qu’ils font sans se faire prier.
- (Pierre) Vous nous avez fait appeler docteur ?
- En effet !! Je tenais à vous donner personnellement des nouvelles de l’état de santé de votre fils.
- (Hellènes) Il semble aller très bien !!
- Et c’est le cas madame, quoique je ne m’explique toujours pas la rapidité avec laquelle il se remet de ce terrible accident.
- (Pierre) Son corps a eu le temps de se reconstruire après ces douze semaines de coma, voilà tout !
- Cela n’explique pas tout !! Mais soyons heureux que tout aille pour le mieux, votre fils a très certainement des prédispositions génétiques et je ne serai pas étonné d’apprendre qu’il y a une forte longévité héréditaire dans vos gênes à tous les deux ?
- (Pierre) Mes grands-parents sont morts centenaires et mes parents sont toujours de ce monde en effet !!
- Et vous madame ?
- (Hellènes) Hélas !! Mes parents sont décédés accidentellement alors que je n’étais qu’un bébé et mon frère n’en sait pas plus car il ne s’entendait pas avec eux et a fait sa vie très jeune en émigrant loin d’ici, ce n’est d’ailleurs qu’après leurs décès qu’il a appris mon existence.
- Nous resterons donc sur ces suppositions, néanmoins il semblerait que son esprit ne se souvient plus de certaines périodes récentes et je tiens à vous rassurer, cette amnésie est tout à fait normale après le choc qu’il a subi.
- (Pierre) N’y a-t-il pas la possibilité qu’il fasse semblant docteur ?
- Je ne vois pas quelles motivations le pousseraient à faire une chose pareille ?
- (Pierre) J’en vois bien une !! Celle d’éviter d’avoir à répondre à ses dernières malversations par exemple !!
- (Hellènes) Allons chéri !! Il ne pourrait pas nous tromper à ce point ?
- (Pierre) Notre fils a un esprit assez retors pour inventer un truc pareil, il nous a déjà démontré à maintes reprises combien il se joue de la morale tout comme des convenances.
- Je ne pense pas qu’il cherche à nous tromper, d’ici quelques jours peut-être mais pas aussi près d’être sorti de son coma, son cerveau n’aurait pas eu le temps d’inventer une histoire pareille et puis j’ai eu le sentiment d’un changement profond dans le comportement de votre fils, je pense que vous l’aurez remarqué également.
- (Hellènes) Il est devenu… gentil !!
- « Adorable » si je me réfère à ce qui se dit auprès du personnel soignant.
- (Pierre) Vous savez docteur, il y a eu beaucoup de mots employés pour définir notre fils Florian et je peux vous certifier que celui que vous venez de prononcer n’en fait pas parti !
CHAPITRE 9 (Retour à la maison)
« Quelques jours plus tard, chambre de Florian »
Une buée sort de la salle de bains quand je la quitte en me séchant la tête avec la serviette-éponge, heureux de sortir enfin de cet hôpital d’ici quelques heures et je m’habille tranquillement en attendant que mes parents viennent me chercher, sans m’apercevoir que la porte s’ouvre derrière mon dos.
- Hum ! Hum !
Je me retourne vivement et je souris en reconnaissant ma visiteuse.
- Fini les soins « Nini », je rentre chez moi !!
L’infirmière sourit à son tour avec une pointe de regret qui lui fait une moue amusante.
- Pour quelqu’un qui ne pouvait pas me sentir, on dirait que tu regrettes que je parte maintenant Hi ! Hi !
- Je te l’ai déjà dit Florian !! Tu dois être un sosie de l’autre, ce n’est pas possible autrement !!
- Désolez ma grande mais jusqu’à preuve du contraire je n’ai pas de frère caché !!
L’infirmière s’avance et me prend dans ses bras pour me déposer un bisou sur le front.
- Alors reste comme tu es et ne redeviens jamais l’autre !!
- Promis « Nini », je n’ai aucun souvenir de celui que j’étais avant et du peu que j’en ai appris, je ne souhaite vraiment pas redevenir comme lui.
- C’est très bien dans ce cas, tu verras que tout s’arrangera pour toi si tu restes dans cet état d’esprit et j’espère que tu viendras nous rendre visite, mais pas comme patient cette fois !!
- Comme médecin alors ??
- Si tu veux, oui Hi ! Hi ! Déjà ça voudra dire que tu as repris des études sérieuses, c’est tout ce que je te souhaite mon petit.
- Rhhaaa !! Je ne suis pas si petit que ça !!
L’infirmière me sourit, un dernier baiser sur mon front puis elle s’écarte de moi en écrasant du doigt la larme qui commençait à couler sur sa joue.
- Fais attention à toi mon « grand » !!
***/***
Stéphanie sort rapidement pour ne pas montrer l’émotion qui maintenant lui noue l’estomac, cette semaine passée à prodiguer les soins à ce jeune garçon si attachant restera pour elle un souvenir impérissable et c’est justement pour connaître des moments comme ceux-là qu’elle a choisi cette profession, ou il faudrait plutôt dire cette vocation.
Elle a du mal à se rappeler l’ignoble individu qu’il était avant, pourtant elle avait eu plusieurs fois l’occasion de subir ses paroles acerbes ainsi que ses manières de petit caïd imbu de sa personne et de son argent, ne prenant du plaisir qu’en rabaissant les autres en leur faisant bien sentir qu’ils ne représentaient rien moins d’autres pour lui que de vulgaires kleenex qu’il se sert quand il en a besoin avant de les jeter une fois devenus inutiles.
***/***
« Une heure plus tard »
Je claque la portière de la voiture en me demandant encore une fois ce que pouvait bien être le Florian duquel j’ai sans conteste pris la place.
Le regard surpris de ma mère quand je lui ai ouvert la portière pour la laisser monter à côté de mon père, démontre une fois de plus qu’il va falloir que je fasse très attention dans mes actes du quotidien avant d’en savoir suffisamment sur ce qu’il m’arrive.
J’en suis toujours à me demander si tout est réel ou encore le fruit de mon imagination, j’ai encore en mémoire aussi bien la vie que j’avais alors que la maladie me clouait au lit ou dans mon fauteuil roulant et également celle magnifique que j’ai vécu avec tous mes amis, une vie riche en émotion où l’amour et l’amitié n’avaient de cesse d’enrichir mon affectif.
Cette pensée m’en remonte une autre qui accélère mon cœur et me fait pousser un cri angoissé.
- Thomas !!!!
L’infirmière sort rapidement de la chambre, elle court presque dans les couloirs au grand étonnement de ceux qui croisent son chemin et ce n’est qu’une fois arrivé devant le cabinet du chirurgien s’occupant du jeune De Bierne, qu’elle s’arrête un instant pour reprendre son souffle avant de frapper brièvement à la porte et d’entrer sans attendre l’invitation de le faire, tellement elle est troublée.
Le docteur surpris la regarde sans comprendre.
- Oui Mademoiselle ? Que se passe-t-il donc ?
- Il est réveillé docteur !!!
- Qui donc ???
- Le patient de la chambre deux cent douze !! Vous savez ? Le rouquin !!
Le chirurgien se lève d’un bond.
- Mais !! C’est impossible, vous le savez aussi bien que moi !!!
- Je vous assure pourtant qu’il est sorti du coma docteur !!
L’homme sort de son cabinet et s’élance à son tour dans les couloirs suivis par la jeune femme qui tente de lui expliquer l’étrange changement de comportement du jeune garçon.
- Il ne semble pas se rappeler de moi docteur !!
- Les séquelles qu’a subies son cerveau sans doute !!
- Il m’a appelé « madame » docteur !!
Le médecin ne peut s’empêcher de sourire.
- Je ne vois pas ce qu’il y a là-dedans d’exceptionnel ?
- J’étais plutôt habituée à d’autres petits noms de sa part vous vous rappelez ?
L’homme ne répond pas, trop pris dans ses propres pensées et cherchant à comprendre comment ce réveil a été possible alors que les derniers scanners ne montraient aucune amélioration de son état.
Arrivé devant la chambre de son patient, il l’ouvre nerveusement et reste un instant ahuri sous le choc de ses yeux verts pénétrants qui le fixent avec curiosité et encore plus extraordinaire, avec une douceur d’expression qui le charme sitôt qu’il en prend conscience.
- Alors jeune homme !! On peut dire que vous revenez de loin !!
Il se tourne vers l’infirmière visiblement tout aussi ébahi que lui.
- Faites appeler un infirmier mademoiselle, je pense que ce jeune garçon sera content de prendre un bon bain.
- Bien docteur !!
- Ensuite vous le ferez amener en salle d’examens, je veux lui faire rapidement passer un scanner cérébral pour voir ce qu’il en est exactement !!
- Autre chose docteur ?
- Ce sera tout, mademoiselle !!
- Heu !! S’il vous plaît ??
Le chirurgien sursaute en entendant cette voix hésitante qui s’adresse à eux, son regard se reporte dans celui du garçon et un frisson lui traverse l’échine quand il croit un bref instant voir ses iris former deux fentes verticales, il revient vite à la raison en clignant fortement des yeux avant de rencontrer à nouveau ce regard d’un vert intense si particulier mais parfaitement normal cette fois-ci et lui faisant secouer la tête d’incrédulité devant ce qui ne pouvait être qu’issu de son imagination.
- Oui ??
- Pourrais-je avoir quelque chose à manger et à boire s’il vous plaît ??
- Dès que nous aurons fait les examens qui s’imposent mon garçon !!
Il va pour sortir accompagné de son infirmière quand la voix le rappelle.
- Le docteur Viala n’est donc pas de service aujourd’hui ?
Le chirurgien surpris.
- Il n’est plus ici depuis presque un an ? Lui et sa famille ont déménagé en province, je ne savais pas que tu connaissais Frédéric ?
- C’est lui qui s’occupe de moi depuis des années pourtant !!
L’homme plisse les yeux de surprise, il préfère sortir de la chambre sans répondre afin de chercher à comprendre les paroles étranges du garçon.
Il est certain cependant que jamais son collègue ne s’est occupé de son patient, lui-même étant celui qui depuis plusieurs années le suit lors de ses fréquents passages aux urgences.
Quelque chose ne va pas pense-t-il, le comportement du jeune rouquin ne ressemble en rien à celui auquel il était habitué venant de sa part et il repense alors aux paroles de l’infirmière qui se retrouvait étonnée à ce qu’il l’appelle poliment « madame »
.
CHAPITRE 7 (Incompréhension)
« Le lendemain matin »
C’est la lumière du jour qui me réveille, je me sens étrangement bien et reposé, la douleur ressentie la veille venant de tout mon corps semble avoir complètement disparu et le silence de la chambre m’interpelle, habitué depuis tant d’années à entendre sans en avoir conscience le Bip Bip des appareils de survie.
Quelque chose ne va pas depuis ma sortie du coma, déjà les personnes qui s’agitent depuis hier autour de moi et que je n’avais jamais vues jusqu’alors et ensuite les questions qu’ils me posent, semblant ne pas comprendre mes réponses.
Mon corps également qui ne semble plus affecté par ma myopathie mais demande au contraire à bouger pour échapper à l’état d’ankylose que ma position couchée depuis trop longtemps lui amène.
Trop de questions avec aucune réponse satisfaisante, je décide donc d’en dire le moins possible à partir de maintenant afin de comprendre ce qu’il m’arrive et de prendre le temps d’analyser chaque nouveau fait qui sera dorénavant porté à ma connaissance.
Un doute me vient néanmoins sur le fait que je sois ou pas de nouveau en plein rêve, les pansements propres et ma jambe toujours suspendue prêteraient à me faire penser que c’est bien la réalité et ce même si le simple fait de leur existence me semble incompréhensible.
J’en suis là dans mes réflexions quand la porte s’ouvre, mon cœur fait alors un bond en reconnaissant mes parents et du coup éloigne de moi l’idée d’être replongé dans ce rêve merveilleux qui reste et restera encore et toujours graver dans ma mémoire.
- B’jour p’pa !! B’jour m’man !!
Je vais pour leur poser une myriade de questions quand je me rappelle soudainement de ma dernière décision à laisser venir les choses afin de mieux comprendre ce qui m’arrive.
Ma mère s’effondre en larmes à genoux près de mon lit en me prenant la main alors que mon père me regarde, visiblement troublé par quelque chose que je ne comprends pas et qui le met dans cet état d’expectative face à moi.
- Comment tu te sens ?
- Bien !! Combien de temps je suis resté dans le coma ?
- Presque trois mois.
- Pas plus ??
- Tu es sûr que ça va bien ?
J’ai envie de savoir pour ma maladie, mais quelque chose me dit de poser autrement la question qui me brûle les lèvres.
- Très bien, oui !! Qu’est-ce qu’il m’est arrivé ?
- Tu ne te rappelles pas ?
- Non !!
- Tu as eu un accident, nous avons bien cru te perdre.
Houla !! Un accident ? Quel accident ? Je cherche en vain dans mes souvenirs et je pense que c’est ce qui me sauve vis-à-vis de mon père qui du coup reprend la parole.
- Tu ne te souviens vraiment de rien ?
- Écoute papa !! Quelque chose semble te contrarier, si tu me disais exactement ce qu’il en est ?
Pierre sent une boule le prendre à l’estomac, c’est la deuxième fois que son fils l’appelle naturellement « p’pa » alors qu’il ne l’avait plus habitué depuis bien longtemps à une parole aussi affectueuse.
- Si c’est un jeu que tu joues pour t’éviter la prison, ça peut à la rigueur marcher avec le juge, mais ça ne sert à rien avec moi !!
Le ton de sa voix me choque tellement elle est sèche et rébarbative, quelque chose me dit que je vais aller de surprise en surprise et qu’il va me falloir beaucoup de maîtrise pour ne pas passer pour un fou aux yeux de tous, car il va de soi que rien de ce que j’entends actuellement n’a de sens pour moi.
Rêve ou réalité ? Pour le premier je comprendrais alors que dans le second cas j’ai très certainement raté un, voire très certainement plusieurs épisodes.
- Tu crois que je te mens ? Et toi m’man ? Tu ne dis rien ?
Ma mère relève la tête vers moi et ses yeux embués de larmes m’amènent à venir me blottir contre elle dans un geste d’affection que je ne peux retenir.
- Je vais bien maintenant, ne pleure plus s’il te plaît !!
Pierre n’en revient pas, les larmes de sa femme redoublent d’intensité devant la réaction qu’a leur fils envers elle et qui apparemment lui est venu naturellement, il se souvient pourtant de la dernière fois où Florian a quitté la maison en claquant la porte et surtout la façon qu’il a eue de repousser brutalement sa mère alors qu’elle refusait de lui donner l’argent qu’il réclamait une fois de plus, la traitant de tous les noms.
Il s’était dirigé ensuite vers lui avec un rictus moqueur au coin des lèvres, pour avoir ce qu’il demandait en sachant très bien qu’il aurait gain de cause comme à chaque fois.
CHAPITRE 8 (Guérison ?)
« Cabinet du chirurgien, une heure plus tard »
Le chirurgien regarde pour la énième fois de la matinée les clichés agrafés au mur, ils montrent l’extraordinaire rémission qui a permis l’éveil du jeune De Bierne.
Le plus extraordinaire n’est pas la disparition des caillots dus au traumatisme de l’accident, mais à l’expansion galopante des zones actives de la conscience qui occupent habituellement à peine vingt pour cent d’un cerveau humain normalement constitué et qui aux derniers examens du jeune Florian révèlent un pourcentage d’activation beaucoup plus importante, de l’ordre du double d’un quidam lambda.
C’est comme s’il y avait deux consciences dans un même crâne pense alors le chirurgien en soupirant de frustration devant les photos pourtant bien réelles étant donné qu’il les a prises lui-même.
Le médecin tourne la tête vers d’autres clichés tout aussi troublant, des radios cette fois qui ont été prises dans la foulée du scanner cérébral et qui elles aussi montrent des anomalies incompréhensibles, pas au niveau du squelette qui a eu tout le temps de se reconstituer pendant la longue période de coma du jeune patient mais dans la musculature qui manque des effets habituels d’atrophie due à une longue période d’inactivité.
- Il pourrait remarcher sans éprouver la moindre gêne !! C’est quand même quelque chose !!
Le fait de parler seul ne semble pas le perturber outre mesure et laisserait à penser que c’est pour lui une habitude qui l’aide à réfléchir, il finit par détacher ses yeux des murs où sont affichées les dernières conclusions d’examens pour revenir sur d’autres résultats d’analyses, sanguines cette fois.
Tout semble homogène de ce côté, conforme à ce qu’il pouvait attendre d’un jeune homme de bientôt dix-huit ans et le fait de revenir dans des valeurs dites « normales », le rassure en pensant que parfois l’organisme a des réactions inattendues devant ce que la médecine donnait pourtant comme des lésions irréversibles.
« Toc ! Toc ! »
- Oui !! Entrer !!
Sa secrétaire montre le bout de son nez et sourit quand elle le voit tranquillement installé à son bureau.
- Les parents du jeune De Bierne sont là docteur !!
- Ah !! Très bien !! Je vous prie de les faire entrer.
- Bien docteur !!
Elle disparaît de sa vue, il l’entend parler dans le couloir.
- Le docteur vous attend !!
Le couple s’avance alors dans le bureau, la secrétaire refermant la porte derrière eux et le chirurgien leur montre des sièges d’un geste de la main les invitant à s’y installer, ce qu’ils font sans se faire prier.
- (Pierre) Vous nous avez fait appeler docteur ?
- En effet !! Je tenais à vous donner personnellement des nouvelles de l’état de santé de votre fils.
- (Hellènes) Il semble aller très bien !!
- Et c’est le cas madame, quoique je ne m’explique toujours pas la rapidité avec laquelle il se remet de ce terrible accident.
- (Pierre) Son corps a eu le temps de se reconstruire après ces douze semaines de coma, voilà tout !
- Cela n’explique pas tout !! Mais soyons heureux que tout aille pour le mieux, votre fils a très certainement des prédispositions génétiques et je ne serai pas étonné d’apprendre qu’il y a une forte longévité héréditaire dans vos gênes à tous les deux ?
- (Pierre) Mes grands-parents sont morts centenaires et mes parents sont toujours de ce monde en effet !!
- Et vous madame ?
- (Hellènes) Hélas !! Mes parents sont décédés accidentellement alors que je n’étais qu’un bébé et mon frère n’en sait pas plus car il ne s’entendait pas avec eux et a fait sa vie très jeune en émigrant loin d’ici, ce n’est d’ailleurs qu’après leurs décès qu’il a appris mon existence.
- Nous resterons donc sur ces suppositions, néanmoins il semblerait que son esprit ne se souvient plus de certaines périodes récentes et je tiens à vous rassurer, cette amnésie est tout à fait normale après le choc qu’il a subi.
- (Pierre) N’y a-t-il pas la possibilité qu’il fasse semblant docteur ?
- Je ne vois pas quelles motivations le pousseraient à faire une chose pareille ?
- (Pierre) J’en vois bien une !! Celle d’éviter d’avoir à répondre à ses dernières malversations par exemple !!
- (Hellènes) Allons chéri !! Il ne pourrait pas nous tromper à ce point ?
- (Pierre) Notre fils a un esprit assez retors pour inventer un truc pareil, il nous a déjà démontré à maintes reprises combien il se joue de la morale tout comme des convenances.
- Je ne pense pas qu’il cherche à nous tromper, d’ici quelques jours peut-être mais pas aussi près d’être sorti de son coma, son cerveau n’aurait pas eu le temps d’inventer une histoire pareille et puis j’ai eu le sentiment d’un changement profond dans le comportement de votre fils, je pense que vous l’aurez remarqué également.
- (Hellènes) Il est devenu… gentil !!
- « Adorable » si je me réfère à ce qui se dit auprès du personnel soignant.
- (Pierre) Vous savez docteur, il y a eu beaucoup de mots employés pour définir notre fils Florian et je peux vous certifier que celui que vous venez de prononcer n’en fait pas parti !
CHAPITRE 9 (Retour à la maison)
« Quelques jours plus tard, chambre de Florian »
Une buée sort de la salle de bains quand je la quitte en me séchant la tête avec la serviette-éponge, heureux de sortir enfin de cet hôpital d’ici quelques heures et je m’habille tranquillement en attendant que mes parents viennent me chercher, sans m’apercevoir que la porte s’ouvre derrière mon dos.
- Hum ! Hum !
Je me retourne vivement et je souris en reconnaissant ma visiteuse.
- Fini les soins « Nini », je rentre chez moi !!
L’infirmière sourit à son tour avec une pointe de regret qui lui fait une moue amusante.
- Pour quelqu’un qui ne pouvait pas me sentir, on dirait que tu regrettes que je parte maintenant Hi ! Hi !
- Je te l’ai déjà dit Florian !! Tu dois être un sosie de l’autre, ce n’est pas possible autrement !!
- Désolez ma grande mais jusqu’à preuve du contraire je n’ai pas de frère caché !!
L’infirmière s’avance et me prend dans ses bras pour me déposer un bisou sur le front.
- Alors reste comme tu es et ne redeviens jamais l’autre !!
- Promis « Nini », je n’ai aucun souvenir de celui que j’étais avant et du peu que j’en ai appris, je ne souhaite vraiment pas redevenir comme lui.
- C’est très bien dans ce cas, tu verras que tout s’arrangera pour toi si tu restes dans cet état d’esprit et j’espère que tu viendras nous rendre visite, mais pas comme patient cette fois !!
- Comme médecin alors ??
- Si tu veux, oui Hi ! Hi ! Déjà ça voudra dire que tu as repris des études sérieuses, c’est tout ce que je te souhaite mon petit.
- Rhhaaa !! Je ne suis pas si petit que ça !!
L’infirmière me sourit, un dernier baiser sur mon front puis elle s’écarte de moi en écrasant du doigt la larme qui commençait à couler sur sa joue.
- Fais attention à toi mon « grand » !!
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Stéphanie sort rapidement pour ne pas montrer l’émotion qui maintenant lui noue l’estomac, cette semaine passée à prodiguer les soins à ce jeune garçon si attachant restera pour elle un souvenir impérissable et c’est justement pour connaître des moments comme ceux-là qu’elle a choisi cette profession, ou il faudrait plutôt dire cette vocation.
Elle a du mal à se rappeler l’ignoble individu qu’il était avant, pourtant elle avait eu plusieurs fois l’occasion de subir ses paroles acerbes ainsi que ses manières de petit caïd imbu de sa personne et de son argent, ne prenant du plaisir qu’en rabaissant les autres en leur faisant bien sentir qu’ils ne représentaient rien moins d’autres pour lui que de vulgaires kleenex qu’il se sert quand il en a besoin avant de les jeter une fois devenus inutiles.
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« Une heure plus tard »
Je claque la portière de la voiture en me demandant encore une fois ce que pouvait bien être le Florian duquel j’ai sans conteste pris la place.
Le regard surpris de ma mère quand je lui ai ouvert la portière pour la laisser monter à côté de mon père, démontre une fois de plus qu’il va falloir que je fasse très attention dans mes actes du quotidien avant d’en savoir suffisamment sur ce qu’il m’arrive.
J’en suis toujours à me demander si tout est réel ou encore le fruit de mon imagination, j’ai encore en mémoire aussi bien la vie que j’avais alors que la maladie me clouait au lit ou dans mon fauteuil roulant et également celle magnifique que j’ai vécu avec tous mes amis, une vie riche en émotion où l’amour et l’amitié n’avaient de cesse d’enrichir mon affectif.
Cette pensée m’en remonte une autre qui accélère mon cœur et me fait pousser un cri angoissé.
- Thomas !!!!