CHAPITRE XII (Fin du chapitre)
Juste après le repas, Alice me regarde. Je lui connais ce regard sérieux. Celui qui ne laisse plus court à l'humour. Elle prend son courage à deux mains. Je sais qu'elle va m'annoncer quelque chose d'important, de difficile. Je sais aussi que je vais souffrir pour elle et j'ai juste le temps de m'attacher pour éviter de plonger mes yeux dans les larmes de mon corps.
- Je t’avais promis une soirée coquine ce soir mais je suis fatiguée et je n’ai pas trop le moral. Je suis convoquée pour mercredi en huit. Je suis super angoissée. Avant je n’avais pas peur de mourir mais depuis que tu es là, je me dis que ce serait vraiment trop injuste. Un bonheur comme celui que tu me donnes, ça n'a pas de prix et ça ne peut pas être que pour quelques mois. C’est juste pas possible. Je ne sais pas comment gérer ce stress, vivre avec autant d’incertitudes sur l’avenir. Je voudrais comme les autres pouvoir me projeter en avant mais je n’y arrive pas ou je n’ose pas. Je voudrais des enfants, une jolie maison et un compagnon pour partager toute cette joie de vivre. Le compagnon, j’en suis certaine maintenant, c’est toi. C’est ce que j’ai de plus précieux à ce jour, et je me dis à deux, qu’on a déjà fait le plus compliqué, celui de s’être trouvés l’un l’autre. La maison, les enfants, tout cela reste accessoires et même si on en a pas, on fera sans. Mais partir alors que je viens à peine de goûter au bonheur, c’est juste impensable. Je me dis aussi que si ça tourne mal, je vais te laisser, toi sur le bord de la route, tout seul comme un grand. J’ai peur Pascal que tu ne sois pas suffisamment préparé pour le mal que je risque de te laisser en héritage. Je suis terrorisée par cette idée même si j’essaye de ne pas trop y penser.
Elle continue.
- Le cancer que j’ai, c’est une rechute. C’est plus compliqué. C’est aussi beaucoup plus hasardeux pour la guérison. Le corps humain dispose d’un certain nombre de défenses, des boucliers qui le protègent des agressions. Ces protections, je n’en ai plus beaucoup. On m’a retiré les principales la première fois. Et maintenant, que la tumeur est réapparue, on ne sait plus dire si les cellules malignes se sont propagées ou non dans mon organisme. Il faudra attendre l’opération chirurgicale. Quoi qu’il en soit, il faut faire vite. Chaque jour qui passe me condamne un peu plus. Si les cellules cancéreuses sont restées cantonnées dans les seins, l’ablation va régler le problème et je pourrais continuer à vivre. Dans le cas contraire, les métastases vont se répandre un peu partout dans mon corps et me grignoter de l'intérieur. On peut médicalement ralentir le processus mais ce n’est qu’un répit de quelques jours, quelques semaines voire un ou deux mois tout au plus. Selon les organes touchés, ça peut être très rapide ou ça peut prendre un peu plus de temps. On ne sait pas encore prévoir à l'avance.
Alice poursuit.
- Dans mon cas, ils ont plusieurs options. Soit diminuer l’étendue des tumeurs par chimiothérapie pour tenter de préserver mes seins mais en situation de récidive, ils ne sont pas chauds. Soit procéder à l’ablation pure et simple. Si je dois passer par la chimio - c'est là où je devrais commencer à perdre mes cheveux - je partirais pour huit à dix mois de traitement sans aucune garantie sur mes chances de succès. Et si au final ça ne marchait pas, je devrais quand même me les faire enlever. L’ablation, c’est l’option radicale. Je n’aurai plus de sein. C’est une amputation physique et morale. J’avais déjà du mal avec ma poitrine déformée et là, je m’aperçois que tout compte fait, même s’ils sont horribles, j’y tiens encore beaucoup. Quand tu poses ta main sur eux, j’adore. Je me dis qu’il faut que j’en profite parce qu’après, ce sera définitivement terminé. Je n’aurai plus de sensation. Il faudra bien que je m’y fasse là aussi. Mes démons vont probablement revenir au galop. Moi, j’y arriverai. De toute façon, je n’aurais pas réellement le choix mais toi, devant mon corps encore plus meurtri qu’il ne l’est déjà, je ne sais pas. J’ai confiance mais j’ai peur aussi de ne plus être désirable à tes yeux. Pour l’instant, ils ne savent pas me dire si je pourrais bénéficier d’une reconstruction immédiate des seins au moment de l’opération. Ce serait la solution idéale. Mais si la reconstruction est différée, il me faudra vivre une ou deux années sans seins. Je n’ose même pas y songer.
Un éclair illumine la tristesse qui a envahie son visage d'Alice.
- Après, si tout va bien, si tu es dégourdi, et si tu en as toujours envie, tu pourras commencer à m’acheter des sous-vêtements grandes tailles. Évite les strings. Même si j’y prends goût, avec un gros ventre ça pourrait vite devenir compliqué. En attendant, je suis en ménopause forcée de ce côté. Je plaisante mais j’ai une trouille bleue de ne pas avoir le temps de voir tout ça. J’avais besoin de t’en parler, Pascal. J’ai cru que je n’y arriverai pas. Et puis tout compte fait, c’est factuel, sans larme, sans dramatiser. Tu es la seule personne avec qui j'évoque ce sujet. Même mes parents n’en savent pas autant, d’ailleurs ils ne savent presque rien parce que je ne veux pas les inquiéter. Ils ont déjà beaucoup donné eux aussi. Maintenant, j’ai vraiment envie d’être tout contre toi. Laisse-moi une petite place. Oui, là. Pousse-toi gros coquin, tu prends toujours toute la place.
J’ai écouté Alice sans rien dire. Chaque mot est un nouveau pieu qu’on martèle dans mon esprit, dans mon corps tout entier. J'avais prévu que ce serait difficile et j'ai réussi à ne pas craquer, à rester stoïque. Je me pousse un peu juste pour la faire râler. J'aime quand elle râle, c'est toujours avec une délicatesse somptueuse.
- Tu sais ma puce, tes seins, je comprends que c’est important pour ta féminité. Mais ce qui compte le plus à mes yeux, c’est toi, ta guérison, ton sourire, ta bonne humeur, ta joie de vivre malgré le glaive qui tourne au-dessus de ta tête. Pour moi ta force est réconfortante parce que je sais que tu vas te battre. Et j’admire ta sérénité mentale. Ce qui peut arriver dans les mois qui viennent, j’y pense mais ce n’est pas ça qui m’empêche de continuer à vivre avec toi une aventure hors du commun. Et j’espère bien que cette aventure pourra consolider les fondements même de notre couple pour encore très longtemps. Je suis content que tu en parles. J’y vois plus clair moi aussi et ensemble, main dans la main, nous allons pouvoir poursuivre le chemin. Je t'aime. Ne crois pas que je radote même si ça fait au moins dix mille fois que je te le dis. Je t'aime très fort ma puce.
- On va essayer de dormir mon chéri sinon demain on aura une tête de déterré tous les deux. Serre-moi fort dans tes bras.
- Bonne nuit ma princesse.
- Bonne nuit mon amour, fais de beaux rêves.
Juste après le repas, Alice me regarde. Je lui connais ce regard sérieux. Celui qui ne laisse plus court à l'humour. Elle prend son courage à deux mains. Je sais qu'elle va m'annoncer quelque chose d'important, de difficile. Je sais aussi que je vais souffrir pour elle et j'ai juste le temps de m'attacher pour éviter de plonger mes yeux dans les larmes de mon corps.
- Je t’avais promis une soirée coquine ce soir mais je suis fatiguée et je n’ai pas trop le moral. Je suis convoquée pour mercredi en huit. Je suis super angoissée. Avant je n’avais pas peur de mourir mais depuis que tu es là, je me dis que ce serait vraiment trop injuste. Un bonheur comme celui que tu me donnes, ça n'a pas de prix et ça ne peut pas être que pour quelques mois. C’est juste pas possible. Je ne sais pas comment gérer ce stress, vivre avec autant d’incertitudes sur l’avenir. Je voudrais comme les autres pouvoir me projeter en avant mais je n’y arrive pas ou je n’ose pas. Je voudrais des enfants, une jolie maison et un compagnon pour partager toute cette joie de vivre. Le compagnon, j’en suis certaine maintenant, c’est toi. C’est ce que j’ai de plus précieux à ce jour, et je me dis à deux, qu’on a déjà fait le plus compliqué, celui de s’être trouvés l’un l’autre. La maison, les enfants, tout cela reste accessoires et même si on en a pas, on fera sans. Mais partir alors que je viens à peine de goûter au bonheur, c’est juste impensable. Je me dis aussi que si ça tourne mal, je vais te laisser, toi sur le bord de la route, tout seul comme un grand. J’ai peur Pascal que tu ne sois pas suffisamment préparé pour le mal que je risque de te laisser en héritage. Je suis terrorisée par cette idée même si j’essaye de ne pas trop y penser.
Elle continue.
- Le cancer que j’ai, c’est une rechute. C’est plus compliqué. C’est aussi beaucoup plus hasardeux pour la guérison. Le corps humain dispose d’un certain nombre de défenses, des boucliers qui le protègent des agressions. Ces protections, je n’en ai plus beaucoup. On m’a retiré les principales la première fois. Et maintenant, que la tumeur est réapparue, on ne sait plus dire si les cellules malignes se sont propagées ou non dans mon organisme. Il faudra attendre l’opération chirurgicale. Quoi qu’il en soit, il faut faire vite. Chaque jour qui passe me condamne un peu plus. Si les cellules cancéreuses sont restées cantonnées dans les seins, l’ablation va régler le problème et je pourrais continuer à vivre. Dans le cas contraire, les métastases vont se répandre un peu partout dans mon corps et me grignoter de l'intérieur. On peut médicalement ralentir le processus mais ce n’est qu’un répit de quelques jours, quelques semaines voire un ou deux mois tout au plus. Selon les organes touchés, ça peut être très rapide ou ça peut prendre un peu plus de temps. On ne sait pas encore prévoir à l'avance.
Alice poursuit.
- Dans mon cas, ils ont plusieurs options. Soit diminuer l’étendue des tumeurs par chimiothérapie pour tenter de préserver mes seins mais en situation de récidive, ils ne sont pas chauds. Soit procéder à l’ablation pure et simple. Si je dois passer par la chimio - c'est là où je devrais commencer à perdre mes cheveux - je partirais pour huit à dix mois de traitement sans aucune garantie sur mes chances de succès. Et si au final ça ne marchait pas, je devrais quand même me les faire enlever. L’ablation, c’est l’option radicale. Je n’aurai plus de sein. C’est une amputation physique et morale. J’avais déjà du mal avec ma poitrine déformée et là, je m’aperçois que tout compte fait, même s’ils sont horribles, j’y tiens encore beaucoup. Quand tu poses ta main sur eux, j’adore. Je me dis qu’il faut que j’en profite parce qu’après, ce sera définitivement terminé. Je n’aurai plus de sensation. Il faudra bien que je m’y fasse là aussi. Mes démons vont probablement revenir au galop. Moi, j’y arriverai. De toute façon, je n’aurais pas réellement le choix mais toi, devant mon corps encore plus meurtri qu’il ne l’est déjà, je ne sais pas. J’ai confiance mais j’ai peur aussi de ne plus être désirable à tes yeux. Pour l’instant, ils ne savent pas me dire si je pourrais bénéficier d’une reconstruction immédiate des seins au moment de l’opération. Ce serait la solution idéale. Mais si la reconstruction est différée, il me faudra vivre une ou deux années sans seins. Je n’ose même pas y songer.
Un éclair illumine la tristesse qui a envahie son visage d'Alice.
- Après, si tout va bien, si tu es dégourdi, et si tu en as toujours envie, tu pourras commencer à m’acheter des sous-vêtements grandes tailles. Évite les strings. Même si j’y prends goût, avec un gros ventre ça pourrait vite devenir compliqué. En attendant, je suis en ménopause forcée de ce côté. Je plaisante mais j’ai une trouille bleue de ne pas avoir le temps de voir tout ça. J’avais besoin de t’en parler, Pascal. J’ai cru que je n’y arriverai pas. Et puis tout compte fait, c’est factuel, sans larme, sans dramatiser. Tu es la seule personne avec qui j'évoque ce sujet. Même mes parents n’en savent pas autant, d’ailleurs ils ne savent presque rien parce que je ne veux pas les inquiéter. Ils ont déjà beaucoup donné eux aussi. Maintenant, j’ai vraiment envie d’être tout contre toi. Laisse-moi une petite place. Oui, là. Pousse-toi gros coquin, tu prends toujours toute la place.
J’ai écouté Alice sans rien dire. Chaque mot est un nouveau pieu qu’on martèle dans mon esprit, dans mon corps tout entier. J'avais prévu que ce serait difficile et j'ai réussi à ne pas craquer, à rester stoïque. Je me pousse un peu juste pour la faire râler. J'aime quand elle râle, c'est toujours avec une délicatesse somptueuse.
- Tu sais ma puce, tes seins, je comprends que c’est important pour ta féminité. Mais ce qui compte le plus à mes yeux, c’est toi, ta guérison, ton sourire, ta bonne humeur, ta joie de vivre malgré le glaive qui tourne au-dessus de ta tête. Pour moi ta force est réconfortante parce que je sais que tu vas te battre. Et j’admire ta sérénité mentale. Ce qui peut arriver dans les mois qui viennent, j’y pense mais ce n’est pas ça qui m’empêche de continuer à vivre avec toi une aventure hors du commun. Et j’espère bien que cette aventure pourra consolider les fondements même de notre couple pour encore très longtemps. Je suis content que tu en parles. J’y vois plus clair moi aussi et ensemble, main dans la main, nous allons pouvoir poursuivre le chemin. Je t'aime. Ne crois pas que je radote même si ça fait au moins dix mille fois que je te le dis. Je t'aime très fort ma puce.
- On va essayer de dormir mon chéri sinon demain on aura une tête de déterré tous les deux. Serre-moi fort dans tes bras.
- Bonne nuit ma princesse.
- Bonne nuit mon amour, fais de beaux rêves.
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