Volcan de Deloray
Chapitre 32
Shyna observe attentivement le valvor a l'air radicalement différent du reste de son espèce, surtout caractérisée par sa violence. Comment est-ce possible ?
- Je peux vous poser une question ?
- Vous vous demandez sûrement ce que fait un valvor sur cette île ? répond-il, pas dupe.
- Oui... Ne le prenez pas mal, vous avez l'air de quelqu'un de très bien mais je suis un peu perplexe.
- Il n'y a pas de mal, je comprends. Je suis arrivé avec l'armée de Morgal lorsqu'il a tenté de prendre d'assaut cette île, il y a deux mille ans. J'étais si jeune que je ne savais ni parler, ni vraiment raisonner... Après la bataille, j'ai été abandonné ici. Ne constituant pas un grand danger, les immortels ont décidé de me prendre sous leur protection et de refaire mon éducation.
- Il y a d'autres valvors ?
- Oui, mon frère, de soixante ans mon aîné. Il est maintenant le bibliothécaire de l'île.
Ils arrivent dans un petit village. Les maisons sont toutes plus originales les unes que les autres, qu'elles soient en bois, creusée, ou en granit.
Cependant, peu d'habitants encombrent le village, ils doivent être trop occupés par leurs divers travaux. Seuls des enfants jouent entre eux. Mévik s'étonne de leur présence.
- Les habitants de l'île évitent d'enfanter, car leur progéniture finirait par mourir de vieillesse alors qu'eux ne prendraient pas une ride. Les enfants que vous voyez sont des immortels. Pour une raison inconnue, certaines personnes cessent un jour de vieillir. Pour certains, il s'agirait d'un don, alors que d'autres pensent que c'est une maladie ou une malédiction.
Le valvor s'interrompt un instant pour observer le petit groupe qui s'amuse au milieu des habitations, avant de reprendre ses explications.
- Ceux-là étaient encore enfants quand le phénomène s'est produit en eux. Alors, nous préférons les emmener sur l'île, où ils se sentent mieux entourés avec des gens qui leur ressemblent. Ici, personne ne souffre du deuil, sauf en cas d'accident.
Pendant qu'ils parlent, Shyna se rend compte qu'un esprit particulièrement discret se retire du sien. Elle se retourne, étonnée de n'avoir rien perçu avant et aperçoit un enfant aux cheveux d'une blancheur étrange s'enfuir a toutes jambes en riant.
- JE T'AI DÉJÀ DIT DE NE PAS SONDER LES GENS ! beugle à son égard le valvor, qui a compris son manège.
La déesse et Mévik sursautent, surpris du soudain éclat de voix de ce valvor qui paraissait si calme.
- Ne vous inquiétez pas, il fait ça à tous les nouveaux arrivants. C'est très agaçant mais pardonnez-le, ça doit l'aider à se sentir en sécurité, il a vécu tellement de choses... C'est le doyen d'entre nous, si on excepte le Dragon.
- Quel âge a-il ? demande Mévik, curieux.
- Il ne sait pas lui-même mais il est né au cours de la préhistoire. Deloray l'estime à cent mille ans. Impossible également de savoir de quel monde il vient, car il a beaucoup voyagé...
Ils arrivent devant une énorme caverne, qui semble se diriger vers le volcan quand le guide s'arrête.
- Vous y êtes... Je vous conseille de faire du bruit en arrivant, il doit dormir.
- Reste ici, Mévik, ordonne la déesse.
Shyna s'avance à l'intérieur, impressionnée par la taille de la grotte. Une maison de taille moyenne tiendrait entière à l'intérieur. Le souterrain de Syl n'est qu'un trou de souris en comparaison.
Une respiration lourde et régulière remplit l'espace. En avançant, la déesse donne des coups de pied dans les petites pierres qui jonchent le sol. Réveiller brutalement un dragon équivaut à un aller simple vers la tombe et elle ne compte pas faire cette erreur.
Le bruit est répercuté par l'écho et Shyna entend quelque chose bouger au fond de la caverne. Elle s'avance davantage et une mousse scintillante révèle le Dragon à sa vue.
La créature légendaire mesure plus de dix mètres de long pour cinq de hauteur. Reconnaissant Shyna, elle investit l'esprit de la déesse pour entamer une communication silencieuse. Le langage draconique ne nécessite pas la parole. Il se fait par un échange de sensations, de souvenirs, d'images et de sentiments. Cela rend les conversations bien plus riches qu'un banal échange de mots.
Shyna comprend que le Dragon est à la fois surpris et heureux de la voir ici après ces nombreux siècles.
Il se renfrogne, lorsque Shyna explique la venue des Terriens sur Sterrn et le risque de propagation du Mal qu'engendre l'activité de la Fondation.
Le Mal a autrefois décimé les Dragons et d'autres nombreuses formes de vie moins nobles. Même les Nainyrs, pourtant plus solides que les Dragons, n'en sont pas complètement à l'abri, malgré leur apparente invincibilité.
Après un long entretien entre divinités, le doyen se redresse et s'empresse de quitter sa tanière.
« Shyna, tu es ici chez toi. N'hésite pas à te reposer le temps qu'il te plaira. Je pars immédiatement, ce Frégast ignore avec quelles forces il joue. De plus, je ne laisserai rien ni personne souiller mon monde natal. Au retour, j'irai interroger Morgal dans ta forteresse, comme tu le désirais. »
- Quand atteindras-tu Sterrn ?
« Dans une heure environ, je vais utiliser le Kranyn pour gagner du temps. Au revoir, mon amie. »
Shyna ignore ce qu'est le Kranyn mais elle repousse ses interrogations à plus tard et s'écarte. Le titanesque reptile sort au grand jour, sous les yeux émerveillés de Mévik, qui n'avait jamais imaginé voir un jour le Dragon. La puissante créature se dresse sur ses pattes arrière, avant de déployer ses ailes, pour mieux se lancer dans les airs. Les humains présents tombent à terre à cause de l'appel d'air que cela cause.
Le dieu prend de l'altitude en amplifiant ses mouvements, avant de s'élancer vers le cratère du volcan, qui n'est qu'à quelques coups d'ailes tant il est rapide. Il augmente encore son allure et Shyna craint qu'il ne s'écrase contre la paroi volcanique mais le dieu disparaît dans une lumière blanche aussi éblouissante qu'éphémère, comme aspiré par un vortex. Ce doit être le Kranyn, cette île recèle bien des merveilles.
- J'adore cette île... Qu'est-ce que j'aimerai me reposer ici quelques jours... souffle Mévik, en revenant à la réalité.
- Tu ne crois pas si bien dire... répond Shyna, avec un sourire crapuleux.