Embouchure de la rivière de Syl
Rivière de Syl
Chapitre 24
Forêt de Syl.
Les soldats n'apprécient pas le colonel Melvis, ni ses stratégies étranges. Le camp militaire doit encore être déplacé d'une dizaine de mètres dans une heure. Mais comme le seigneur Frégast accorde sa confiance à cet homme, personne n'osera s'opposer à lui.
- Hugo ? Je te relève ! annonce un Fondateur quadragénaire.
Pas de réponse. L'homme pousse un soupir d'exaspération.
- T'es là ? Je suis sûr que tu dors, espèce de feignasse ! apostrophe l'homme, en apercevant les jambes de son collègue, derrière une tente. Deux bouteilles d'alcool gisent à ses pieds.
- Oh... Debout ! T'as piqué la vodka du groupe, poivrot ! J'en parlerais à Melvis.
Mais il ne parlera plus jamais, car une flèche noire vient se planter dans son cou. Il tombe, tué sur le coup, comme son collègue avant lui.
Dans les arbres, Gwornal, en tenue de camouflage, chuchote des ordres au jeune homme près de lui, qui n'est autre qu'Anthony Fournier.
- Parfait. Vas y maintenant.
- AU MEURTRE ! hurle Tony, en français, avant de se replier discrètement avec Gwornal.
Comme prévu, à la découverte des corps, les hommes s'activent et le colonel Melvis ordonne l'établissement d'un périmètre défensif.
Alors que les soldats scrutent les arbres du côté des cadavres, un appel à l'aide lointain retentit et tous les yeux se braquent dans cette direction. Les plus téméraires s'avancent doucement et une pluie de flèches tombe sur le groupe, venant de la direction opposée.
Des villageois de Syl sont embusqués de l'autre côté du cantonnement et les Terriens font volte-face, avant de se ruer du côté des archers. Les effectifs de la Fondation sont déjà réduits d'un tiers et le nombre de morts dans leurs rangs s'accentue encore lorsque le groupe camouflé commandé par Gwornal leur tire dessus, pendant qu'ils tournent le dos.
Il ne reste plus qu'une vingtaine d'hommes, dont la plupart tentent de se faire passer pour morts. Le colonel Melvis se départit de son sourire, avant de se réfugier dans sa tente.
- En avant ! Ils ont des armes mais face à notre discrétion, ils ne valent rien ! encourage Esso, en sortant de sa cachette, accompagné d'une vingtaine d'hommes armés.
Le groupe de Gwornal, plus important, fait de même. Ils s'affairent à la capture des Terriens survivants.
- Archonte ! Leur chef s'est enfui !
- Il a dû ramper entre les tentes... déduit Esso.
- C'est une catastrophe ! Si Melvis s'enfuit, tout sera à refaire dans quelques semaines ! avertit Anthony
- Cherchez-le !
Quand on parle du loup, on en voit la queue. Le colonel Melvis, qui rampait vers les arbres pendant cet échange, se redresse brusquement et lance quatre grenades vers Anthony et les dirigeants du village.
Heureusement réactifs, ils ne sont pas anéantis dans la série d'explosions, malgré qu'ils soient un peu sonnés. Le colonel Melvis en profite pour mettre les voiles.
- Des renforts ennemis arrivent ! avertit un guetteur complètement en sueur, qui semble avoir beaucoup couru.
- Il en va de notre vie ! Assommez les prisonniers et reprenez vos positions dans la végétation ! commande Esso.
- Je m'occupe de Melvis ! lance Anthony, avant de s'élancer dans la forêt, armé de sa fidèle matraque, n'étant pas habile à l'arc.
Pour le jeune homme, l'heure de la vengeance a sonné et il est hors de question de la laisser passer. Melvis doit payer pour ce que le seigneur Frégast et ses colonels ont fait à son frère.
Le concerné ne porte pas d'arme, trop encombré par sa grande sacoche pleine de grenades à fragmentation, qui le ralentit considérablement. Mais le colonel préfère garder les explosifs, il ne serait pas bon de croiser un dinosaure en étant sans défense.
Le trentenaire androgyne est rapidement rattrapé mais il sourit, avant de lancer des grenades derrière lui, sans même un regard vers son poursuivant.
Anthony est soufflé par la déflagration et son cri de panique fait rire Melvis aux éclats.
Sans perdre de temps, Anthony se relève, en prenant bien soin de zigzaguer derrière ce fou, qui tel le petit poucet, sème des traces bien visibles de son passage.
Attirés par le bruit tonitruant, une demi-douzaine de vélociraptors surgit devant le colonel. Celui-ci les fixe sans la moindre crainte et avec un petit sourire sadique aux lèvres, il leur jette un explosif.
Les bêtes, poussées par leur instinct, s'écartent. Lorsque la détonation retentit, les dinosaures épouvantés décident finalement qu'il est moins dangereux de s'attaquer à Anthony, qui commence à gagner du terrain sur son adversaire.
Le jeune homme est de plus en plus désavantagé dans sa course folle. La meute qui le poursuit, sans compter les nouveaux spécimens qui surgissent sur les côtés l'empêchent désormais de zigzaguer et la pluie d'explosions s'accroît autant que l'hilarité de Melvis.
Occupé à rester vivant, Anthony met un moment pour remarquer la présence d'un petit fleuve devant eux. Sûrement celui qui dessert la rivière souterraine... L'ex-Fondateur sourit, le colonel n'a plus nulle part où fuir.
Néanmoins, ce dernier trouve un immense tronc, faisant office de pont. Anthony est rassuré, car aussi cinglé que soit cet homme, il doute sérieusement qu'il ose utiliser ses armes ici.
Ils s'avancent les uns après les autres sur le tronc pourri, qui est en plus glissant. En tournant brièvement la tête, le jeune homme constate avec horreur que les raptors s'engagent eux aussi en file indienne sur le pont, en y plantant leurs griffes.
- Je préfère être dans mon slip que dans le tien, Fournier ! rit le colonel.
- Cours, car si je t'attrape... JE TE FERAIS BOUFFER TES GRENADES, TU M'ENTENDS ?
Pour seule réponse, Melvis a un petit rire nerveux. Il est sans doute plus inquiet qu'il ne veut bien le montrer, devant la détermination avec laquelle son adversaire veut sa mort. Trop occupé à surveiller Anthony, le trentenaire glisse sur le tronc et ne peut pas se rattraper à cause de son sac encombrant.
Il manque de tomber à l'eau mais se raccroche en entourant le tronc de ses membres. Il tente se relever avant que son adversaire, plus motivé que jamais, ne prenne des risques fous pour s'approcher.
Malheureusement pour Melvis, il n'est encore qu'à genoux sur le titanesque tronc, lorsqu'Anthony arrive devant lui, le dominant de sa hauteur.
- D'accord... Tu m'as eu... se résigne-il, en observant les dinosaures, terriblement lents à l'extrémité du pont.
- Inutile de te rendre. Je vais te tuer.
- T'es vraiment un connard, comme garçon, souffle-il, avec un clin d'œil.
- Oh, tu m'as l'air un peu nerveux... se moque Anthony, en levant sa matraque.
- Non... On peut insulter les gens sans s'énerver, répond-il, d'une voix calme et bizarre, décalée compte tenu le dramatique de la situation.
Le jeune meurtrier reste abasourdi.
- Je ne parlais pas de cette nervosité-là.
- Peu importe... Je ne partirai pas seul en enfer, reprend le colonel, sûr de lui. En venant ici, tu as signé ton arrêt de mort.
- Je ne signerai qu'en présence de mon avocat ! raille Anthony, en entamant son coup fatal.
D'une poussée de bras fulgurante, Melvis s'éjecte un mètre en arrière, pour se retrouver. entre son ennemi et les reptiles grognant. Il laisse tomber son sac sur le tronc, d'un mouvement de la tête.
- Jeune sot.
Sous les yeux effarés du jeune homme, le militaire sort une grenade qu'il tenait cachée et l'expédie dans le sac, la goupille en moins. Sans laisser le temps à son adversaire de se ressaisir, il se laisse glisser sur le pont, afin de tomber dans le cours d'eau.
Sous le coup de l'adrénaline, Anthony dévale le pont à toutes jambes, donnant au passage un coup de pied au sac qui tombe à l'eau. Ce n'est que par un pur miracle qu'il ne tombe pas malgré deux glissades successives sur ce bois pourri.
Le sac explose, projetant le jeune Terrien et une partie du tronc sur la rive avec une puissance prodigieuse Les dinosaures, quant à eux, se retrouvent réduits en bouillie.
Toujours obsédé par la vengeance, il se relève et suit son ennemi au pas de course, en longeant la rive. Ce dernier est emporté par le courant, qui le fait heurter des rochers auxquels (trop étourdi par les chocs répétés) il ne peut s'accrocher à temps.
Le Fondateur finit sa course aquatique dans l'énorme chute d'eau que le jeune homme n'avait qu'aperçu de loin lorsqu'il se tenait sur le pont.
Anthony s'approche, puis déglutit. Le sol se trouve à au moins vingt mètres plus bas, la chute est vertigineuse.
Il aperçoit brièvement le colonel Melvis tomber et croit entendre les échos d'un cri avant de penser que son imagination lui joue des tours, il faut dire que ses oreilles bourdonnent.
Le jeune tourne le dos à la cascade, rassuré. Aucun être vivant ne peut survivre à ça, pas même le seigneur Frégast. Il frémit, en imaginant son ennemi se briser sur les rochers en contrebas. Melvis aurait eu une mort moins sale, s'il s'était laissé tuer.