Foret de Malroh
Chapitre 32
Dans l'orée forêt de Malroh, au sud de Valtunin.
Javal et ses compagnons de route s'apprêtent à traverser la grande forêt de Malroh. La petite équipe est composé de cinq hommes tous plus fringants les uns que les autres. Un jeune commerçant rondelet n'ayant jamais quitté la cité, un homme trentenaire et muet, suivi de près par un jeune légèrement déficient, intellectuellement parlant.
Deux autres font office de chefs, bien qu'ils soient un peu en retrait. Il s'agit du prophète Javal et de son oncle Allukar. Il s'agit d'un quinquagénaire très barbu et un peu aigri, ayant la ferme intention de surveiller son neveu, qu'il sait étourdi, ce qui n'est pas un défaut très indiqué pour voyager sur Sterrn.
- Arrêtez ! supplie Boudhar, ruisselant de transpiration. J'en peux plus !
- C'est bon pour toi, tu seras moins gros après... Râle Allukar, désarmant de franchise.
- Mais j'en peux plus ! je vais crever !
- Mais non... N'emmerde pas le monde et avance !
- Mais je vous dis que je suis crevé !
- Bon ! Dix minutes de pause ! décide Javal.
- On perd encore du temps...
La petite équipe s'assied et ils commencent à parler de leurs métiers respectifs.
- Moi, je vais bientôt reprendre l'entreprise familiale et en échange je devrai verser un peu de mes revenus à mon père pour qu'il puisse enfin avoir la retraite dont il rêve depuis des années ! dit Boudhar, plutôt content.
- Ça consiste en quoi ? demande Furgon, qui n'est pas en mesure de tout comprendre du premier coup.
- Je fournis gratuitement certains alchimistes de ma connaissance en ingrédients et ils me vendent à prix très réduits leurs trucs. Ça rapporte pas mal ! Mais d'après mon grand-père, c'était encore mieux du temps où Grohen semait la terreur...
- Ah ?
- Pour le matériel médical, le poison et même les solutions dopantes, très prisées par les Éclairs de ce temps...
- Ah bon ?
- Ils avaient beaucoup de travail... Reprend Boudhar, agacé d'avoir systématiquement cette réponse.
- Ah ?
- Tu le fais exprès ?
- Ah mais non !
- On va repartir ! signale le prophète.
- Attendez... Il est où Parlay ? demande Allukar.
- Ah c'est vrai... Constate Furgon. PARLAY !
- Arrêtez, ça sert à rien de gueuler, il ne pourra pas vous répondre, il est muet... Regardez plutôt les traces...
- Il n'est quand même pas... Craint Javal.
- Si... Pourquoi il est parti tout seul dans la forêt, ce con ?
- Mais comment on va le retrouver ? demande le commerçant.
- J'ai bien une solution... Propose le prophète, sérieux.
- On est assez dans la merde comme ça, je crois... Raille Allukar, qui connaît trop bien son neveu.
- On a qu'à s'attacher à la corde que tu trimballes dans ton sac, comme ça on couvrira plus de surface en traversant et il aura une bonne chance de nous retrouver... Surtout s'il rencontre la corde. Et puis ça limite le risque de se perdre !
- Au lieu de se perdre séparément, on se perdra tous ensemble, ça change tout... Commente Allukar.
Malgré ses réserves, l'idée est adoptée. Une demi-heure plus tard, les quatre compagnons de galère s'enfoncent dans la forêt, liés par une corde, à cinq cents mètres les uns des autres.
Tout se passe relativement bien jusqu'à ce que Javal marche dans un creux et tombe brutalement, donnant une importante secousse à la corde.
Boudhar, loin derrière le prophète, vient de se coincer la jambe dans des ronces, il peine à s'en dépêtrer sans se blesser, lorsque la secousse l'arrache brusquement des ronces.
- AIE ! MAIS QU'EST-CE QU'IL SE PASSE ?
- DÉSOLÉ, JE SUIS TOMBÉ ! hurle le prophète, de manière à être entendu de son suiveur.
De son côté, le commerçant voit du sang couler de son pied et ressent une vive douleur.
- ARRÊTEZ-VOUS ! J'ME SUIS RETOURNÉ UN ONGLE !
Javal comprend et s'arrête. Mais Allukar, n'ayant pas entendu, s'étonne et force sur la corde, en bon bourrin qu'il est.
- ARRÊTE ! BOUDHAR N'AVANCE PLUS !
- MAIS QU'EST-CE QU'IL FOUT CE CON ? ON VA PAS PASSER LA NUIT LÀ !
- QU'EST-CE QU'IL À DIT ?
- ALLUKAR DEMANDE POURQUOI ON S'ARRÊTE ? crie le prophète, qui s'essouffle vite.
- J'AI - UN - ONGLE - QUI - S'EST - RETOURNÉ !
- IL DIT QU'IL À UN ONGLE ARRACHÉ !
- MAIS ON NE PEUT PAS S'ARRÊTER POUR ÇA ! AVEC LA NUIT, CETTE FORÊT VA GROUILLER DE VÉLARS ! râle Allukar.
- ALLUKAR DIT QUE C'EST DANGEREUX DE S'ARRÊTER ICI !
- J'AI UN ONGLE DE PIED QUI S'EST RETOURNÉ !
- OUI ! ÇA VA, J'AI COMPRIS ! peste Javal, en se massant la gorge qui lui est douloureuse à force de crier.
Pendant cet échange cocasse, Furgon, en dernière position de la corde, ricane bêtement, avant de décider de se mêler de tout ça.
Il prend son élan et tire la corde de toutes ses forces. La réaction ne se fait pas attendre : les trois hommes au-devant, pourtant séparés par une longue distance, tombent à la renverse et hurlent.
- C'EST QUOI CE BORDEL ? hurle Allukar, furieux, alors que les autres reprennent leurs esprits.
- QU'EST-CE QUI SE PASSE ? reprend Javal, qui transmet le message.
- C'EST CE CONNARD DE FURGON QUI S'AMUSE ! répond Boudhar, qui tente de rester debout avec une seule jambe.
De son côté, Furgon rit aux éclats, amusé de sa propre bêtise.
- LES GARS ! PUISQUE QU'ON AVANCE PLUS, JE VAIS ME DÉTACHER LE TEMPS DE PISSER ! prévient le prophète de Shyna.
- HORS DE QUESTION, ON PART MAINTENANT ! proteste Allukar, lassé de ce voyage catastrophique.
Sans l'écouter, Javal se décroche, avant de s'avancer dans les arbres. Il entend encore son oncle Allukar lui crier dessus au loin, lorsqu'il sort son sexe et commence à uriner contre un rocher.
A sa grande surprise, ce dernier frémit et ouvre un œil. Le prophète fronce les sourcils et frôle la crise cardiaque quand il comprend que ce rocher est en fait une tête de tyrannosaure qui dormait. Il reste un moment pétrifié jusqu'à ce que la bête se réveille complètement.
- Oh merde... Souffle-il, penaud.
Le reptile semble très étonné et entrouvre la gueule, la vue des crocs fait hurler le prophète. Le dinosaure, encore plus surpris cligne des paupières avant de rugir de fureur en se dégageant des feuillages. Javal ne demande pas son reste et part à toutes jambes, le tyrannosaure à ses trousses.
Javal ne parcourt qu'une dizaine de mètres avant que le monstre ne soit lancé à pleine vitesse. Dans sa précipitation, le dinosaure ne s'aperçoit pas qu'il traîne la corde qui était restée tendue.
Heureusement pour le prophète, son poursuivant doit zigzaguer entre les arbres, ce qui lui donne une petite chance de survie.
De leurs côtés, les autres Valtunois encore attachés à la corde ne comprennent pas ce qui leur arrive. Une force d'une puissance phénoménale les tire bien malgré eux, à grande vitesse à travers la forêt. Ce n'est que par miracle s'ils ne percutent pas d'arbres, ce qui leur aurait causé la mort, ou au moins des blessures sévères.
Au moment où il s'y attendait le moins, Allukar percute Parlay le disparu. Bien qu'interloqué, le muet s'accroche à lui.
- Pas à ma barbe ! proteste Allukar, les larmes aux yeux.
A ce rythme, ils se retrouvent hors de la forêt au bout de quelques secondes et bien qu'étourdis par ce qu'ils viennent de vivre, ils se détachent à la hâte. Ils comprennent tout en apercevant le dinosaure, puis Javal, en sueur, qui revient vers eux.
Heureusement, le reptile s'est pris les pattes dans la corde et lutte un moment pour rester en équilibre, avant de finalement s'écrouler lourdement sur le sol.
- Vite ! Barrez-vous ! ordonne Allukar. Qu'est-ce que tu as encore foutu, Javal ?
- Au moins, on est sortis de la forêt plus vite que prévu ! Le château de Shyna n'est plus très loin ! répond Javal, qui préfère voir le bon côté des choses, tout en galopant avec ses compagnons de route.