24-03-2023, 07:21 PM
- Tu sais Bé, il n'y a qu'un truc qui me manque, ici. C'est de jouer de la musique.
- Tu ne m'en avais jamais parlé. De quel instrument tu joues ?
- Du piano, mais j'adore jouer de l’orgue.
- Il y a un orgue à l’église. Il faudra demander au père de Tim si tu peux en jouer. Il a la clef, en plus. Tu veux qu'on lui téléphone pour lui demander ?
- Tu crois qu'on peut ?
- Je te dis ça, de suite.
On mangea le plat favori des garçons, c'est à dire du pain, de la charcuterie et du fromage, au grand désespoir de Hans qui, lui, aurait voulu qu'on mange des salades.
Les garçons partirent sur le canapé et je les voyais se parler à l’oreille. Qu'est-ce qu’ils manigançaient encore ? Je n'allais pas tarder à le savoir.
- Papa, viens, on veut te dire un secret.
- Vous n'avez qu'à me le dire de loin.
- Mais nooon, c'est un secret, très, très secret !
- Alors les crapauds c'est quoi ce secret très secret.
- Papa, tu crois qu'on peut appeler Hans, Papa, aussi ? Tu veux bien, dis ? On l’aime très beaucoup !
- Moi, je veux bien mais ce n'est pas à moi qu'il faut le demander.
- Chut ! Mais parle pas si fort.
- Je crois que la meilleure façon de le savoir, c'est de le lui demander.
- Tu le fais avec nous ?
- Oui, mais c'est vous qui le lui demandez.
- Et on lui dit quoi ?
- Un truc tout simple. Par exemple : Hans, est-ce qu’on peut t'appeler Papa ?
- Et s’il veut pas, il faudra qu'on l'appelle comment, alors ?
- Comme maintenant, Hans.
- C'est bon, Hans, tu peux venir. On a fini.
- Vous êtes sûr que vous avez fini vos messes basses ?
- Oui, allez viens, on veut te demander un truc.
- Voilà, je suis là, alors, que voulez-vous me demander ?
- Hans, les jumeaux veulent te demander une chose très importante pour eux. Je compte jusqu'à trois et vous lui demandez. Un, deux, Trois.
- Hans, on peut t'appeler Papa ?
- Papa, il veut pas !
- Ne pleurez, pas les p’tits gars. Vous n'en savez rien. Laissez lui le temps de vous répondre. Il est très ému par votre demande, c'est pour ça qu'il pleure. Regardez, il a repris sa respiration !
- Oui, je veux bien que vous m'appeliez Papa.
- C'est vrai, tu veux ?
- Mais bien sûr que je le veux bien… mes fistons.
- Papas, on peut dormir avec vous ? On a un peu peur de l’orage. Il fait trop de bruit, celui-là !
- Tu en penses quoi, Hans, on les laisse dormir avec nous ou pas ?
- Allez, grimpez les monstres.
- Je viens aux nouvelles. Si vous voulez venir à la maison, on a de la lumière nous.
- On verra, si ça dure. On va aller à la carrière, Bé, le réseau n'est pas le même, on verra bien si on peut travailler ou pas.
- À la radio, dans la voiture, ils disaient que la coupure était générale et qu'il faudra quelques jours pour que ça soit rétabli de partout.
- On y va, Bé ?
On fit demi-tour et l'autre route n'était pas mieux.
- Bé, on retourne à la carrière, on prend les chargeuses et on commence à dégager la route.
- On va se gêner Pa.
- Toi tu prends la route du village et moi je prends l’autre. J'espère qu'on n'en aura pas pour trop longtemps.
Exceptionnellement, la télé était allumée pour voir les informations et on apprit que la région avait vraiment morflé. Qu'il faudrait quelques jours pour que tout soit rentré dans l'ordre surtout pour les petits hameaux éloignés.
Après le repas, la première chose que l'on fit, fut d'aller chercher les deux congélateurs de mes grands-parents, celui de mes parents, celui de Gaston et celui des parents de Tim afin de les rebrancher dans la remise. Ça évita que tout soit perdu.
Et pendant qu'on retournait travailler avec mon père, les autres s'organisèrent pour loger chez moi le temps que tout rentre dans l’ordre. Le soir j'avais fait la moitié de la route et mon père pareil.
C'est Hans et les trois gamins qui sont venus me chercher, quand on rentra, ça sentait bon la cuisine.
- C'est quand même pratique ton groupe électrogène. On dirait pas qu'il y a une panne générale.
- L'électricité c'est pas le problème, parce qu'avec les panneaux solaires sur le toit ça aurait suffi pour l’éclairage de la maison mais pas le four et encore moins les congélateurs.
- Allez, à table. On a fait avec ce qu'on avait. Demain on allume le four pour faire du pain. C'est la seule chose qui va nous manquer d'ici la fin de la semaine.
- Vous voulez que je le prépare ?
- Il est prêt. On a fait le levain tout à l’heure, je vais pétrir ce soir et laisser reposer et demain, les gamins, on en fera des spéciaux.
- C'est quoi des pains spéciaux, Mamé ?
- Des pains où on met des choses dedans.
- C'est des sandwichs, ça, Mamé.
- Non, Gus, tu verras, c'est meilleur.
- C'est l'heure d'aller au lit, les loupiots.
- Pas encore, allez Papa, encore un peu.
- Allez, assez discuté, on monte.
On redescendit et on discuta un peu. Puis, Cyprien, Gaston et mon père montèrent se coucher. Je les suivis de peu et je n'entendis même pas quand Hans se coucha, tellement que j'étais fatigué.
Et ce qui me surprit le plus, le matin, en me levant ce fut de voir mon père, mon grand-père, Cyprien et Gaston, assis à la table de la cuisine en train de boire le café. C’est papé qui m’apostropha :
- C'est pratique ta machine à café. Tu devrais faire bistrot aussi. Et le café est drôlement bon.
- Bébé, tu en es où du gas-oil avec la chargeuse.
- Je vais être court, Pa, surtout que je vais devoir chaîner parce que là je vais attaquer une coulée de boue pas triste.
- Moi c'est pareil. On va passer à la carrière, on prendra le camion et les chaînes.
- Je vous accompagne, à trois, ça ira plus vite.
- Buvez votre café et on y va.
Godet après godet je réussis à nettoyer la route. Et c'est Tim qui vint me chercher pour manger. Il était accompagné par les trois diablotins. Il ne me restait que quelques coups de pelle à donner pour finir la portion entamée et je les donnais, avec Adeline sur mes genoux pour les premiers, suivi par Chip et enfin par Gus.
- On t'a bien aidé, Papa, pas vrai ?
- Sans vous je n'y serais pas arrivé. Heureusement que vous êtes venus m’aider.
- Tu sais, ce matin, Papa, y'a un hélicoptère qui est venu nous voir. Il voulait qu'on parte avec eux mais on n'a pas voulu.
- Et Mamé leur a même offert le café.
- Et on les a aidés à faire le pain, aussi.
- Qui ça ? Les gens de l’hélicoptère ?
- Mais nooon ! Papé et Mamé. Et Papé Cyprien et Gaston, ils leur disaient comment faire.
- Moi je m'en ai fait un avec des olives et des petits lards dedans.
- Et moi avec des noix et plein de gruyère.
- Et moi je m'en ai fait un tout plat avec de la sauce tomate, du jambon et plein de gruyère.
- Tu t'es fait une pizza, Gus.
- Mais non, après, j'ai tout roulé.
- Ha, d'accord ! Tu t'es fait une pizza roulée.
- Mais nooon c'est du pain roulé à la tomate, au gruyère et au jambon.
- D’accord. On pourra les goûter ?
- Mais oui, Papa.
Je me régalais avec le pain fabriqué dans mon four. Et celui des gamins était surprenant mais très mangeable.
Et je repartis travailler. Ce n’est qu’à 18 heures passées que j'arrivais dans la plaine, au rond-point qui permettait de monter au village.
Au loin un gars me faisait des grands signes. Il y avait de la boue de partout sur la route. J'arrivais jusqu'à lui.
- Bonjour, je peux vous aider ?
- Oui, s'il vous plaît. J'habite un lotissement un peu plus loin et il y a un petit ruisseau au bas. Des arbres sont tombés dedans et l'eau monte de plus en plus vite, si on ne fait rien, l'eau va bientôt inonder les premières maisons.
De là j'allais jusqu'à la mairie. Le père de Tim était descendu à la mairie au tout début de l’orage et y était resté.
Partout les gens sortaient de la boue des maisons et quand je me garais devant la mairie, le père de Tim était sur le haut des marches et discutait avec des gens. Il me fit signe de venir.
- Salut Bé. Comment ça se passe là-haut ?
- Salut Bernard, ça se passe bien. Tout le monde est chez moi, comme je suis le seul à avoir de la lumière. Et avec les conserves et le stock de chacun, on peut tenir encore plusieurs semaines.
- Tu es venu comment, avec la pelle ?
- Oui, ça fait deux jours que je nettoie la route d'un côté et mon père de l’autre.
- Viens avec moi à l’intérieur, je vais te signer un papier de réquisition, comme ça vous pourrez envoyer la facture de vos heures à la mairie. Tu vas remonter je suppose.
- Oui, Tim doit venir me récupérer. Je vais retourner au rond point et s'il n'est pas là je le nettoierai en l’attendant.
- Demain tu peux venir aider ici ?
- Oui, sans souci, mais il va falloir que je remette du gas-oil, parce que je n'en ai bientôt plus.
- Aie, ça va être un problème parce que les cuves ici ont été inondées et il y a de l'eau dedans.
- On descendra le camion, si besoin. On a été livré la veille de l’orage. Alors y'a du stock.
- Dis à ton père de passer me voir demain.
- Tu remontes quand ?
- D'ici un ou deux jours. Tu peux demander à Nadine de me préparer un sac avec des affaires de rechanges, parce que depuis trois jours, j'ai toujours les mêmes.
- Je t'apporte ça demain.
- Monsieur le maire, c'est monsieur le préfet à la radio. Il veut vous parler d’urgence.
- Dites-lui que j'arrive de suite. À demain Bé et fais-leur un bisou de ma part à tous.
- Ça sera fait.
Je repartis et quand j'arrivais au rond-point je vis la voiture de Tim venir dans ma direction.
- Tu as fait un sacré boulot. Tu étais où ?
- En ville. Je suis allé dire bonjour à ton père. Il est fatigué.
- À la radio ils ont dit que demain, normalement, l'électricité sera rétablie. Au plus tard, après demain. C'est Gaston qui est content parce que ses enfants pourront venir, enfin, si les routes sont carrossables. Au fait, non seulement il y a le courant à la carrière mais, là, l’antenne relais passe. Et quand j'y suis allé, mon portable m'a surpris en vibrant. Du coup, cet après-midi on y est tous descendus pour donner des nouvelles à tout le monde.
- Les pauvres ! Si ça se trouve il y a des gens qui ont tout perdu.
- Tu sais j'ai pas vu grand-chose, il y avait de la boue de partout. Je suis réquisitionné et le père aussi.
- Il nous a dit qu'il irait jusque chez son frère voir comment ça s’est passé pour eux. Mais comme ils habitent en hauteur il ne pense pas qu’ils ont eu des gros problèmes. On a essayé de leur téléphoner mais ça ne répondait pas.
- Ils n'ont peut-être pas encore l’électricité.
- Jean-François, il faut que je te parle en privé.
- Qu'est-ce qu’il se passe Mamy ?
- Viens avec moi dehors.
- Qu'est-ce qu’il se passe Mamy, tu me fais peur là.
- Non, c'est juste que je suis perturbée par ce que j'ai vu hier à la télé. Je regardais une émission sur des personnes disparues. Et j'ai dû m'endormir un peu mais quand je me suis réveillé ils parlaient de la fille d'un lord ou de je ne sais plus quoi, je ne me souviens plus de son nom, qui a disparu depuis neuf ans. Et j'ai cru reconnaître le pendentif que Victoria avait laissé quand elle est partie. Il y avait un numéro de téléphone mais je n'avais rien pour le noter. Je te jure que je n’ai pas arrêté d’y penser.
- Mamy, demain, je vais aller à la carrière. Avec un peu de chance, il y aura internet et je regarderai. C'est vrai qu'elle ne m'a jamais rien dit sur son passé, sauf qu’elle était anglaise.
- Tu veux pas qu'on y aille maintenant ? On a encore le temps avant l'heure du repas.
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