Chapitre 21
Pendant l'après-midi, ils discutent un peu de la Terre, son histoire et ses mœurs, puis de fil en aiguille, Gwornal en vient à parler de sa propre vie et de la raison qui le pousse à vénérer le dieu-foudre plus que tout.
- Ça s'est passé quand Evran avait deux ans, Miraa, ma défunte épouse était commerçante. Elle traitait surtout avec les Neldars et leurs voisins. Comme tu dois le savoir, ils ne descendent de leurs montagnes qu'en hiver... Le reste du temps, ils sont dépendants de nous pour se nourrir, c'est pourquoi il y a toujours eu la paix entre nos deux races. Ils sont de très loin les meilleurs guerriers du monde mais s'ils entrent en conflit avec nous, nous cesserons tout commerce avec eux et il est probable que leur race ne s'en remette pas...
Il se racle la gorge avant de poursuivre.
- ... Donc ma femme était commerçante et je l'ai suivie dans son voyage vers Tanagre, une ville au pied des montagnes, loin au sud-ouest d'ici. Il est dangereux de s'attarder trop longtemps hors des villes et des forêts. Ce qui devait arriver arriva... Un Tarar nous a attaqués. Il était énorme... Il a piétiné ou dévoré toute l'expédition sauf moi. Au moment où je me suis résigné à mourir à mon tour, j'ai fait face au monstre. Mais la Foudre l'a châtié. Il est tombé raide mort, le cerveau carbonisé...
Un voile de tristesse passe sur son visage mais il poursuit son récit.
- Je n'avais plus de raison de vivre après ça, cette bête avait presque entièrement détruit ma vie : mes amis, ma femme, tous ont péri... J'ai perdu toute motivation dans mon travail. Seules deux choses comptaient encore pour moi à mes yeux : rendre grâce à Thorn pour le restant de mon existence, car il m'a permis de pouvoir élever mon fils. C'est pourquoi je suis revenu ici, dans ce village où je suis né. Car j'avais été heureux ici et c'était le meilleur endroit pour commencer une nouvelle vie. La Foudre veille sur Miraa désormais et je la rejoindrai lorsque mon heure viendra.
En dépit de son mépris démesuré pour la religion, Justin ressent un fort élan de respect et de sympathie pour cet homme. En plus d'abriter une volonté de vivre inimaginable, il est doté d'un rare bon sens. Beaucoup de gens auraient passé le reste de leur vie à haïr les dieux pour cette injustice. Lui voyait avant tout ce qui lui restait, avant de voir ce qu'il avait perdu.
Ils ne prennent congé de Gwornal que quelques heures après, en soirée. Lors du repas, autour de la table des Terriens, l'ambiance est électrique. Personne ne prononce un mot, de peur de déclencher un cataclysme...
- Bon appétit ! tente Bertrand, avec le sourire, pour détendre l'atmosphère.
Personne à l'exception de Jérémy ne bouge un cil. La tension monte d'un cran. Les homophobes le regardent d'un air mauvais mais ce dernier ne s'en formalise pas, préférant les ignorer pour le moment.
Mais en voyant qu'il est le centre de l'attention et qu'il le reste, Jérémy prend un fruit étrange dans sa main, une sorte de courgette sucrée avec un goût de banane, épluche une extrémité et... l'engouffre dans sa bouche d'un coup sec !
Il entame des vas et viens avec le fruit, en titillant l'extrémité avec sa langue de temps à autres en fixant les nouveaux arrivants droit dans les yeux. Lorsqu'il a terminé son manège, il repose le fruit et leur adresse un grand sourire, dont la signification signifie clairement « Je vous emmerde ».
Les huit hommes autour de la table sont complètement scandalisés : Certains, comme Adrien, tremblent d'énervement, tandis que d'autres détournent le regard, d'un air écœuré ou gêné. Les derniers regardent fixement Jérémy, en faisant passer dans leurs yeux toute leur haine.
Evran l'observe, un peu interloqué, puis éclate d'un rire nerveux qui relâche la pression. Celui-ci gagne Christophe, puis Justin et Anthony. Élodie paraît ne pas pas tout comprendre et Bertrand, quant à lui, paraît gêné et se tait.
Les plus hostiles marmonnent entre eux et Bertrand saisit au vol les termes peu élogieux à l'encontre de Jérémy, puis des menaces de mort à peine voilées.
- Je ne suis plus très jeune mais pas sourd... Partez, vous me coupez l'appétit, dit le septuagénaire, qui souhaite garder son calme cette fois-ci.
- Mais c'est de sa faute ! proteste Adrien.
- Partez ! renchérit Christophe.
Tout en râlant, les huit soldats quittent la table. Bertrand attend qu'ils soient à bonne distance avant d'exploser. Le calme n'aura pas tenu bien longtemps.
- Bon dieu ! Jérémy, t'es vraiment un abruti ! Déjà qu'ils sont cons à la base, tu veux vraiment te mettre dans la merde et moi avec ? Tu sais qu'ils ont failli agresser Justin alors qu'il ne l'avait pas ramenée ?
- Heu... Non... Bafouille Jérémy, impressionné par ce soudain accès de colère.
- Alors maintenant tu as intérêt à te tenir à carreaux ! Ces connards m'ont pourri la journée, alors ne me rajoute pas une couche de soucis, nom de dieu !
- Heu... Oui, c'est bon... Fallait le dire dès le départ... Capitule le jeune homme, penaud.
- Si je t'avais engueulé devant eux, ils l'auraient interprété comme si je partageais leur avis ! Tu as vraiment envie de te faire casser la gueule ?
- D'accord, merci Bertrand. Ça ne se reproduira plus, je saurais me tenir devant ces cons-là... Je vous le promets.
- Bon, maintenant que j'ai tout mis à plat, parlons de votre prochaine mission, avec Chris, nous avons décidé...
- Nous avons décidé que Justin serait l'émissaire de la Fondation dans la capitale des hommes de ce monde, termine Christophe.
- Moi ? s'étonne le jeune homme. Mais Bertrand est de loin plus qualifié que moi ! Et si je n'étais pas à la hauteur ?
- Tu le seras, ne t'inquiète pas... J'ai demandé à Esso de te fournir un guide pour te rendre à Valtunin à pied, car le bruit des moteurs attire les prédateurs les plus dangereux...
- On avait remarqué... Mais qui sera mon guide ?
- Je ne sais pas, un volontaire, certainement... Si je puis me permettre, je crois savoir qui serait ravi de remplir ce rôle... Insinue le septuagénaire, en souriant.
Une joie sans borne naît dans l'esprit de Justin. Il se voit partir en expédition avec Evran, dans les confins de ce monde... Mais une pensée vient briser ce rêve aussi vite qu'il est apparu.
- Ce n'est peut-être pas une bonne idée, Gwornal a déjà perdu sa femme dans un voyage comme celui-ci ! Et puis je ne pense pas que je sois apte à assurer sa sécurité, Ce n'est pas pour ça que la Fondation m'a recruté...
- Tu oublies un détail : selon leurs lois, Evran est un homme depuis belle lurette, donc tu peux lui demander directement... Et puis son père l'aime trop pour se fâcher contre lui plus d'une heure, ne t'inquiète pas à ce sujet.
L'ambassadeur se veut persuasif mais un dernier point tracasse sérieusement Justin. Ce que Bertrand devine facilement.
- Mais...
- Pour la sécurité, c'est Anthony ou Jérémy qui s'en chargera, vous en pensez quoi, vous deux ? demande-il, en les consultants du regard.
- Personnellement, je me sens très bien ici ! déclare Jérémy, sans surprise.
- C'est ce que j'avais cru comprendre... En ce qui me concerne, où va Justin, je vais, déclare Anthony solennel, qui n'a pas oublié sa promesse de prendre soin de son ami.
- Alors c'est entendu. Plus qu'à attendre demain pour renvoyer une partie de l'équipe de Chris' dans la Base-Noyau.
- En effet... Approuve Christophe, pas mécontent de s'en séparer.
Pendant l'après-midi, ils discutent un peu de la Terre, son histoire et ses mœurs, puis de fil en aiguille, Gwornal en vient à parler de sa propre vie et de la raison qui le pousse à vénérer le dieu-foudre plus que tout.
- Ça s'est passé quand Evran avait deux ans, Miraa, ma défunte épouse était commerçante. Elle traitait surtout avec les Neldars et leurs voisins. Comme tu dois le savoir, ils ne descendent de leurs montagnes qu'en hiver... Le reste du temps, ils sont dépendants de nous pour se nourrir, c'est pourquoi il y a toujours eu la paix entre nos deux races. Ils sont de très loin les meilleurs guerriers du monde mais s'ils entrent en conflit avec nous, nous cesserons tout commerce avec eux et il est probable que leur race ne s'en remette pas...
Il se racle la gorge avant de poursuivre.
- ... Donc ma femme était commerçante et je l'ai suivie dans son voyage vers Tanagre, une ville au pied des montagnes, loin au sud-ouest d'ici. Il est dangereux de s'attarder trop longtemps hors des villes et des forêts. Ce qui devait arriver arriva... Un Tarar nous a attaqués. Il était énorme... Il a piétiné ou dévoré toute l'expédition sauf moi. Au moment où je me suis résigné à mourir à mon tour, j'ai fait face au monstre. Mais la Foudre l'a châtié. Il est tombé raide mort, le cerveau carbonisé...
Un voile de tristesse passe sur son visage mais il poursuit son récit.
- Je n'avais plus de raison de vivre après ça, cette bête avait presque entièrement détruit ma vie : mes amis, ma femme, tous ont péri... J'ai perdu toute motivation dans mon travail. Seules deux choses comptaient encore pour moi à mes yeux : rendre grâce à Thorn pour le restant de mon existence, car il m'a permis de pouvoir élever mon fils. C'est pourquoi je suis revenu ici, dans ce village où je suis né. Car j'avais été heureux ici et c'était le meilleur endroit pour commencer une nouvelle vie. La Foudre veille sur Miraa désormais et je la rejoindrai lorsque mon heure viendra.
En dépit de son mépris démesuré pour la religion, Justin ressent un fort élan de respect et de sympathie pour cet homme. En plus d'abriter une volonté de vivre inimaginable, il est doté d'un rare bon sens. Beaucoup de gens auraient passé le reste de leur vie à haïr les dieux pour cette injustice. Lui voyait avant tout ce qui lui restait, avant de voir ce qu'il avait perdu.
Ils ne prennent congé de Gwornal que quelques heures après, en soirée. Lors du repas, autour de la table des Terriens, l'ambiance est électrique. Personne ne prononce un mot, de peur de déclencher un cataclysme...
- Bon appétit ! tente Bertrand, avec le sourire, pour détendre l'atmosphère.
Personne à l'exception de Jérémy ne bouge un cil. La tension monte d'un cran. Les homophobes le regardent d'un air mauvais mais ce dernier ne s'en formalise pas, préférant les ignorer pour le moment.
Mais en voyant qu'il est le centre de l'attention et qu'il le reste, Jérémy prend un fruit étrange dans sa main, une sorte de courgette sucrée avec un goût de banane, épluche une extrémité et... l'engouffre dans sa bouche d'un coup sec !
Il entame des vas et viens avec le fruit, en titillant l'extrémité avec sa langue de temps à autres en fixant les nouveaux arrivants droit dans les yeux. Lorsqu'il a terminé son manège, il repose le fruit et leur adresse un grand sourire, dont la signification signifie clairement « Je vous emmerde ».
Les huit hommes autour de la table sont complètement scandalisés : Certains, comme Adrien, tremblent d'énervement, tandis que d'autres détournent le regard, d'un air écœuré ou gêné. Les derniers regardent fixement Jérémy, en faisant passer dans leurs yeux toute leur haine.
Evran l'observe, un peu interloqué, puis éclate d'un rire nerveux qui relâche la pression. Celui-ci gagne Christophe, puis Justin et Anthony. Élodie paraît ne pas pas tout comprendre et Bertrand, quant à lui, paraît gêné et se tait.
Les plus hostiles marmonnent entre eux et Bertrand saisit au vol les termes peu élogieux à l'encontre de Jérémy, puis des menaces de mort à peine voilées.
- Je ne suis plus très jeune mais pas sourd... Partez, vous me coupez l'appétit, dit le septuagénaire, qui souhaite garder son calme cette fois-ci.
- Mais c'est de sa faute ! proteste Adrien.
- Partez ! renchérit Christophe.
Tout en râlant, les huit soldats quittent la table. Bertrand attend qu'ils soient à bonne distance avant d'exploser. Le calme n'aura pas tenu bien longtemps.
- Bon dieu ! Jérémy, t'es vraiment un abruti ! Déjà qu'ils sont cons à la base, tu veux vraiment te mettre dans la merde et moi avec ? Tu sais qu'ils ont failli agresser Justin alors qu'il ne l'avait pas ramenée ?
- Heu... Non... Bafouille Jérémy, impressionné par ce soudain accès de colère.
- Alors maintenant tu as intérêt à te tenir à carreaux ! Ces connards m'ont pourri la journée, alors ne me rajoute pas une couche de soucis, nom de dieu !
- Heu... Oui, c'est bon... Fallait le dire dès le départ... Capitule le jeune homme, penaud.
- Si je t'avais engueulé devant eux, ils l'auraient interprété comme si je partageais leur avis ! Tu as vraiment envie de te faire casser la gueule ?
- D'accord, merci Bertrand. Ça ne se reproduira plus, je saurais me tenir devant ces cons-là... Je vous le promets.
- Bon, maintenant que j'ai tout mis à plat, parlons de votre prochaine mission, avec Chris, nous avons décidé...
- Nous avons décidé que Justin serait l'émissaire de la Fondation dans la capitale des hommes de ce monde, termine Christophe.
- Moi ? s'étonne le jeune homme. Mais Bertrand est de loin plus qualifié que moi ! Et si je n'étais pas à la hauteur ?
- Tu le seras, ne t'inquiète pas... J'ai demandé à Esso de te fournir un guide pour te rendre à Valtunin à pied, car le bruit des moteurs attire les prédateurs les plus dangereux...
- On avait remarqué... Mais qui sera mon guide ?
- Je ne sais pas, un volontaire, certainement... Si je puis me permettre, je crois savoir qui serait ravi de remplir ce rôle... Insinue le septuagénaire, en souriant.
Une joie sans borne naît dans l'esprit de Justin. Il se voit partir en expédition avec Evran, dans les confins de ce monde... Mais une pensée vient briser ce rêve aussi vite qu'il est apparu.
- Ce n'est peut-être pas une bonne idée, Gwornal a déjà perdu sa femme dans un voyage comme celui-ci ! Et puis je ne pense pas que je sois apte à assurer sa sécurité, Ce n'est pas pour ça que la Fondation m'a recruté...
- Tu oublies un détail : selon leurs lois, Evran est un homme depuis belle lurette, donc tu peux lui demander directement... Et puis son père l'aime trop pour se fâcher contre lui plus d'une heure, ne t'inquiète pas à ce sujet.
L'ambassadeur se veut persuasif mais un dernier point tracasse sérieusement Justin. Ce que Bertrand devine facilement.
- Mais...
- Pour la sécurité, c'est Anthony ou Jérémy qui s'en chargera, vous en pensez quoi, vous deux ? demande-il, en les consultants du regard.
- Personnellement, je me sens très bien ici ! déclare Jérémy, sans surprise.
- C'est ce que j'avais cru comprendre... En ce qui me concerne, où va Justin, je vais, déclare Anthony solennel, qui n'a pas oublié sa promesse de prendre soin de son ami.
- Alors c'est entendu. Plus qu'à attendre demain pour renvoyer une partie de l'équipe de Chris' dans la Base-Noyau.
- En effet... Approuve Christophe, pas mécontent de s'en séparer.