NDA Dans cet épisode, je vais évoquer deux artistes ayant réellement existé, plus âgés que mes héros. Cette rencontre sera totalement imaginaire, basée sur quelques éléments de leurs biographies et de leurs œuvres. C’est une tentative de sortir de ma routine habituelle, à vous de juger si ce sera convainquant ou pas et de me dire si vous préférez les éphèbes.
Je pense que la conversation s’est déroulée en anglais, bien que les deux hommes aient probablement aussi parlé le français. Je garde cependant le vouvoiement usuel dans notre langue.
Chapitre 2 - La traversée (9)
Jeudi 15 juillet 1965, à bord du France
Après le repas, Koen et Dom renoncèrent au café et accompagnèrent Amaury dans leurs cabines où Pierre les rejoindrait. Frédéric et Daniel se rendirent au salon et s’assirent à la table des deux musiciens. Les cousins étaient intimidés, le ténor les mit à l’aise, il commanda des cognacs et proposa de s’appeler par leurs prénoms.
— Nous connaissiez-vous déjà avant le concert de cet après-midi ? demanda le compositeur Benjamin Britten.
— Je vous connaissais, répondit Daniel, j’ai eu la chance de voir l’un de vos opéras.
— C’est rare que des jeunes aillent à l’opéra.
— Mon père était ambassadeur à New York et il avait un abonnement au Metropolitan Opera, le Met. C’était surtout pour faire plaisir à ma mère, il trouvait toujours des excuses pour ne pas y aller et c’était moi qui en profitais.
— Et vous ? demanda le ténor Peter Pears à Frédéric. Déjà vu l’un des opéras de mon ami ?
Frédéric se demanda quelle était la signification du mot « ami », puis il répondit :
— Non, mon père est plus assidu et va toujours aux représentations depuis la réouverture du Grand Théâtre de Genève dont il est un mécène. Il a cependant une belle collection de disques et j’ai du plaisir à les écouter sur sa nouvelle chaîne stéréo Revox. Pour être honnête, je ne sais plus s’il a des enregistrements de vos œuvres.
— Et quel opéra avez-vous vu, Daniel ?
— Peter Grimes. Un sujet plutôt difficile.
— Les opéras plus anciens parlaient aussi de sujets graves, dit Benjamin, mais ils nous touchent moins de nos jours lorsque l’action se déroule dans l’Antiquité ou il y a quelques siècles. Que retenez-vous de Peter Grimes ?
— La brutalité du pêcheur envers son mousse. Je me suis souvent demandé si ces mauvais traitements, symbolisés par des marques au visage, ne cachaient pas en fait aussi des abus sexuels et une homosexualité refoulée du marin.
— Je vous laisse interpréter cela comme vous le désirez, on ne peut évidemment pas tout montrer sur un plateau et le livret est déjà assez fort. Cela dépend aussi de la mise en scène qui peut suggérer une approche plutôt qu’une autre.
— Vous avez prononcé le mot « homosexualité », dit Peter, alors que d’autres personnes en restent à la maltraitance.
— Nous sommes homosexuels, fit Frédéric.
— J’en avais l’intuition, même si vous avez une femme à votre table. Bon, elle change de sexe lorsqu’elle va à la piscine… Beaucoup d’homosexuels aiment l’opéra, dit-on.
— Mythe ou réalité ?
— Nous ne demandons pas à nos spectateurs de décliner leur orientation sexuelle en achetant leurs billets, heureusement. Et vous désirez savoir si nous le sommes aussi, je suppose ?
— Je ne me permettrais pas de vous poser une telle question.
— C’est pourtant de notoriété publique, dit Benjamin, Peter est mon amant, de vieux amants dirais-je car nous nous connaissons depuis longtemps, bientôt 30 ans.
— J’admire votre fidélité, je ne sais pas si mon couple avec mon ami Koen durera si longtemps, il m’a laissé seul ce soir pour batifoler avec d’autres.
— Certainement la meilleure manière de faire durer un couple, se permettre de temps en temps une petite aventure.
— Avec Koen, ce n’est pas de temps en temps mais très souvent. Excusez-moi, on devrait parler de vos opéras.
Benjamin termina son verre de cognac et dit :
— Venez dans notre cabine, je vais vous jouer quelque chose.
La cabine des deux Anglais était un peu plus grande que celles des Suisses, Daniel remarqua la table couverte de partitions vierges ou sur lesquelles des notes étaient tracées au crayon ; il y avait aussi un piano droit contre un mur.
— Le piano est un privilège qui nous est accordé en échange d’un concert pour lequel nous ne recevons pas de cachet, fit Peter en enlevant sa veste et sa cravate, vous pouvez aussi vous mettre à l’aise.
Les jeunes gens l’imitèrent, ils s’assirent sur le sofa. Le compositeur leur montra un livre : Death in Venice (La Mort à Venise), de Thomas Mann.
— Je le connais, dit Frédéric, nous l’avons étudié en allemand à mon école où j’ai passé le bac.
— Étonnant, dit Benjamin, ce n’est pas ce genre d’histoires que je m’attendrais à trouver au programme d’un lycée.
— C’était une école privée, très tolérante envers les homosexuels.
— Comme les pensionnats anglais… Non, je plaisante.
— Je ne l’ai pas lu, dit Daniel.
— Je vais vous le résumer brièvement : un écrivain allemand en séjour à Venise est troublé par un jeune adolescent polonais, Tadzio, qui le fascine par sa beauté. Ce sera le sujet de l’un de mes prochains opéras.
— Un adolescent ? Il chantera ? Je me souviens d’Yniold dans Pélléas et Mélisande.
— Non, Peter pourrait difficilement passer pour un jeune adolescent avec sa carrure.
— Pourquoi pas ? fit celui-ci. Je n’ai presque pas changé et je…
— Que voulais-tu dire ?
— Hem ! Ce que je voulais dire n’est pas convenable lorsque nous avons des invités.
— Dis-le quand même.
— Je voulais dire, excusez-moi messieurs, que je bande aussi dur que lorsque j’étais ado.
Les deux cousins éclatèrent de rire.
— J’aime mieux ça, dit Benjamin, je pensais que tu voulais dire que tu étais aussi attiré par les ados, comme le vieil écrivain. Peter chantera ce rôle, Tadzio sera un rôle muet, un danseur.
Le compositeur se mit au piano.
— Vous serez mes premiers auditeurs. Peter ne va pas chanter, sinon il réveillerait tous nos voisins. Je n’ai d’ailleurs pas encore reçu le livret, ce ne sont que des esquisses.
Il joua quelques extraits. Les deux cousins se laissèrent envouter par la musique.
— C’était très beau, fit Daniel.
— J’espère que ce n’est pas par politesse que vous le dites, fit Benjamin, il me reste encore beaucoup de travail pour aboutir au résultat final.
— Non, je le pense vraiment. C’était un privilège de vous écouter. Je vais m’empresser de lire le livre.
— Vous me laisserez vos adresses, j’essaierai de vous envoyer des billets pour la première.
— Oh, merci ! dit Frédéric.
— Ne vous réjouissez pas trop vite, ce ne sera pas avant quelques années.
— Nous allons vous laisser, dit Daniel, nous avons assez abusé de votre temps, merci beaucoup de nous avoir reçus.
— Déjà ? fit Peter, étonné. Vous n’êtes plus de jeunes ados, vous avez l’âge, comment dire, de troubler un vieil écrivain, ou son interprète, sans que celui-ci ait d’arrière-pensées.
Je pense que la conversation s’est déroulée en anglais, bien que les deux hommes aient probablement aussi parlé le français. Je garde cependant le vouvoiement usuel dans notre langue.
Chapitre 2 - La traversée (9)
Jeudi 15 juillet 1965, à bord du France
Après le repas, Koen et Dom renoncèrent au café et accompagnèrent Amaury dans leurs cabines où Pierre les rejoindrait. Frédéric et Daniel se rendirent au salon et s’assirent à la table des deux musiciens. Les cousins étaient intimidés, le ténor les mit à l’aise, il commanda des cognacs et proposa de s’appeler par leurs prénoms.
— Nous connaissiez-vous déjà avant le concert de cet après-midi ? demanda le compositeur Benjamin Britten.
— Je vous connaissais, répondit Daniel, j’ai eu la chance de voir l’un de vos opéras.
— C’est rare que des jeunes aillent à l’opéra.
— Mon père était ambassadeur à New York et il avait un abonnement au Metropolitan Opera, le Met. C’était surtout pour faire plaisir à ma mère, il trouvait toujours des excuses pour ne pas y aller et c’était moi qui en profitais.
— Et vous ? demanda le ténor Peter Pears à Frédéric. Déjà vu l’un des opéras de mon ami ?
Frédéric se demanda quelle était la signification du mot « ami », puis il répondit :
— Non, mon père est plus assidu et va toujours aux représentations depuis la réouverture du Grand Théâtre de Genève dont il est un mécène. Il a cependant une belle collection de disques et j’ai du plaisir à les écouter sur sa nouvelle chaîne stéréo Revox. Pour être honnête, je ne sais plus s’il a des enregistrements de vos œuvres.
— Et quel opéra avez-vous vu, Daniel ?
— Peter Grimes. Un sujet plutôt difficile.
— Les opéras plus anciens parlaient aussi de sujets graves, dit Benjamin, mais ils nous touchent moins de nos jours lorsque l’action se déroule dans l’Antiquité ou il y a quelques siècles. Que retenez-vous de Peter Grimes ?
— La brutalité du pêcheur envers son mousse. Je me suis souvent demandé si ces mauvais traitements, symbolisés par des marques au visage, ne cachaient pas en fait aussi des abus sexuels et une homosexualité refoulée du marin.
— Je vous laisse interpréter cela comme vous le désirez, on ne peut évidemment pas tout montrer sur un plateau et le livret est déjà assez fort. Cela dépend aussi de la mise en scène qui peut suggérer une approche plutôt qu’une autre.
— Vous avez prononcé le mot « homosexualité », dit Peter, alors que d’autres personnes en restent à la maltraitance.
— Nous sommes homosexuels, fit Frédéric.
— J’en avais l’intuition, même si vous avez une femme à votre table. Bon, elle change de sexe lorsqu’elle va à la piscine… Beaucoup d’homosexuels aiment l’opéra, dit-on.
— Mythe ou réalité ?
— Nous ne demandons pas à nos spectateurs de décliner leur orientation sexuelle en achetant leurs billets, heureusement. Et vous désirez savoir si nous le sommes aussi, je suppose ?
— Je ne me permettrais pas de vous poser une telle question.
— C’est pourtant de notoriété publique, dit Benjamin, Peter est mon amant, de vieux amants dirais-je car nous nous connaissons depuis longtemps, bientôt 30 ans.
— J’admire votre fidélité, je ne sais pas si mon couple avec mon ami Koen durera si longtemps, il m’a laissé seul ce soir pour batifoler avec d’autres.
— Certainement la meilleure manière de faire durer un couple, se permettre de temps en temps une petite aventure.
— Avec Koen, ce n’est pas de temps en temps mais très souvent. Excusez-moi, on devrait parler de vos opéras.
Benjamin termina son verre de cognac et dit :
— Venez dans notre cabine, je vais vous jouer quelque chose.
La cabine des deux Anglais était un peu plus grande que celles des Suisses, Daniel remarqua la table couverte de partitions vierges ou sur lesquelles des notes étaient tracées au crayon ; il y avait aussi un piano droit contre un mur.
— Le piano est un privilège qui nous est accordé en échange d’un concert pour lequel nous ne recevons pas de cachet, fit Peter en enlevant sa veste et sa cravate, vous pouvez aussi vous mettre à l’aise.
Les jeunes gens l’imitèrent, ils s’assirent sur le sofa. Le compositeur leur montra un livre : Death in Venice (La Mort à Venise), de Thomas Mann.
— Je le connais, dit Frédéric, nous l’avons étudié en allemand à mon école où j’ai passé le bac.
— Étonnant, dit Benjamin, ce n’est pas ce genre d’histoires que je m’attendrais à trouver au programme d’un lycée.
— C’était une école privée, très tolérante envers les homosexuels.
— Comme les pensionnats anglais… Non, je plaisante.
— Je ne l’ai pas lu, dit Daniel.
— Je vais vous le résumer brièvement : un écrivain allemand en séjour à Venise est troublé par un jeune adolescent polonais, Tadzio, qui le fascine par sa beauté. Ce sera le sujet de l’un de mes prochains opéras.
— Un adolescent ? Il chantera ? Je me souviens d’Yniold dans Pélléas et Mélisande.
— Non, Peter pourrait difficilement passer pour un jeune adolescent avec sa carrure.
— Pourquoi pas ? fit celui-ci. Je n’ai presque pas changé et je…
— Que voulais-tu dire ?
— Hem ! Ce que je voulais dire n’est pas convenable lorsque nous avons des invités.
— Dis-le quand même.
— Je voulais dire, excusez-moi messieurs, que je bande aussi dur que lorsque j’étais ado.
Les deux cousins éclatèrent de rire.
— J’aime mieux ça, dit Benjamin, je pensais que tu voulais dire que tu étais aussi attiré par les ados, comme le vieil écrivain. Peter chantera ce rôle, Tadzio sera un rôle muet, un danseur.
Le compositeur se mit au piano.
— Vous serez mes premiers auditeurs. Peter ne va pas chanter, sinon il réveillerait tous nos voisins. Je n’ai d’ailleurs pas encore reçu le livret, ce ne sont que des esquisses.
Il joua quelques extraits. Les deux cousins se laissèrent envouter par la musique.
— C’était très beau, fit Daniel.
— J’espère que ce n’est pas par politesse que vous le dites, fit Benjamin, il me reste encore beaucoup de travail pour aboutir au résultat final.
— Non, je le pense vraiment. C’était un privilège de vous écouter. Je vais m’empresser de lire le livre.
— Vous me laisserez vos adresses, j’essaierai de vous envoyer des billets pour la première.
— Oh, merci ! dit Frédéric.
— Ne vous réjouissez pas trop vite, ce ne sera pas avant quelques années.
— Nous allons vous laisser, dit Daniel, nous avons assez abusé de votre temps, merci beaucoup de nous avoir reçus.
— Déjà ? fit Peter, étonné. Vous n’êtes plus de jeunes ados, vous avez l’âge, comment dire, de troubler un vieil écrivain, ou son interprète, sans que celui-ci ait d’arrière-pensées.
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