Chapitre 1 - Le départ (1)
Vendredi 9 juillet 1965, gare de Lausanne
Frédéric et Koen avaient terminé les examens et passé leur bac à l’école Hinterhoden de Grindelwald, ils avaient ensuite quitté définitivement cet endroit, à regret. Frédéric resterait cependant en contact avec la directrice et avec Franz par l’intermédiaire de la fondation de son père. Les étudiants avaient échangé leurs adresses, s’étaient promis de se revoir régulièrement, le genre de promesses que l’on ne tient pas.
Koen était sorti le premier de tous les élèves, tout autre résultat eût été indigne de son génie et de son amour-propre. Frédéric avait eu des résultats moins bons, mais honorables compte tenu du changement d’école et de langue pour la dernière année. Daniel avait, lui aussi, passé son bac à l’École Française de Berne. Afin de les récompenser de leurs efforts, Charles avait ajouté au voyage en Amérique, prévu de longue date, la traversée de l’Atlantique sur le paquebot France à l’aller.
Frédéric n’avait pas pu prendre avec lui tous ceux qui s’étaient intéressés à ce voyage : Koen l’accompagnait, ainsi que son cousin Daniel avec son amie Dominique. Urbain les rejoindrait plus tard à New York en avion pour conduire leur véhicule, il serait accompagné par Séverin, le photographe, avec lequel il était en couple depuis peu. Celui-ci paierait lui-même le voyage, il gagnait assez en développant tous les films coquins des Lausannois. Koen avait été satisfait : il n’aurait pas à gaspiller de la pellicule pour photographier des paysages, aussi grandioses fussent-ils, Séverin s’en chargerait.
Les quatre amis attendaient le TEE Cisalpin, le Trans Europ Express, sur le quai 4 de la gare de Lausanne, ils feraient d’abord une halte à Paris. Il restait une demi-heure avant le départ prévu à 18 heures, ils étaient arrivés à l’avance pour ne pas rater le train. Grosse surprise pour Koen et Frédéric : Dominique n’avait pas mis ses habits féminins, elle avait raccourci ses cheveux et n’était pas maquillée.
— Tu as changé d’avis ? s’étonna Frédéric. Tu n’es plus une femme trans ?
— Seulement pour des questions pratiques, je crois que les douaniers des USA sont particulièrement acariâtres, je n’aimerais pas avoir d’ennuis en arrivant. Je suis toujours un homme sur mon passeport.
— Ils devraient faire une fouille au corps pour s’assurer que tu as bien une bite…
— Mais qui la ferait, un homme ou une femme ? J’ai pris des habits féminins dans ma valise.
Koen demanda ensuite en français car il l’avait appris pendant l’année et le parlait déjà presque parfaitement :
— Pourquoi ne prenons-nous pas le train de nuit ?
— Le trajet n’est pas assez long, répondit Frédéric, le sommeil serait trop court.
— Ce ne serait pas pour dormir, nous aurons toute la traversée pour nous reposer.
— Le Simplon Orient Express n’a plus le luxe d’autrefois.
— Sans compter les crimes qui s’y produisent, ajouta Dominique en souriant.
— Et tu es déjà venu en wagon-lit il y a quelques jours pour nous rejoindre, dit Frédéric.
— Ouais, mais je n’ai rien pu faire avec les autres passagers, expliqua Koen. C’étaient deux mormons, costards noirs, chemise blanche, cravate. Ils venaient en Suisse au temple de Zollikofen avant de rentrer chez eux.
— Tu ne leur as pas dit que cela ne te dérangeait pas qu’ils se déshabillent devant toi ? s’étonna Daniel.
— Si, mais ils avaient des sous-vêtements jusqu’aux genoux avec triple épaisseur de tissu pour cacher la bite et ils ne les ont pas enlevés. Ils m’ont expliqué : pas de masturbation, pas de sexe avant le mariage et pas de relations homosexuelles, cela va sans dire. L’un des deux m’a dit : « Mais vous, vous pouvez vous déshabiller devant nous, cela ne nous dérange pas ».
— Et tu l’as fait ?
— Oui, je voulais voir leur réaction. J’ai baissé mon slip et j’ai pissé dans le pot de chambre. Au lieu de détourner pudiquement la tête, ils ont regardé ma bite.
— Ils t’ont dit qu’elle était belle ? demanda Frédéric en riant.
— Non, ils m’ont demandé pourquoi je n’étais pas circoncis, ça va devenir lassant si tous les Américains qu’on rencontre le font.
— Tu seras à poil quand nous rencontrerons des Américains ?
— J’espère, et eux aussi. Les mormons se sont quand même branlés une fois couchés, je les entendus. Je leur avais parlé du voyage, l’un des deux m’a demandé le lendemain matin si nous passerions par Salt Lake City, Utah.
— C’est possible, dit Daniel, c’est sur le chemin de l’Ouest. Il y a quoi à voir ?
— Leur temple. Il m’a donné son numéro de téléphone pour le contacter si nous nous arrêtons dans cette ville.
— Pourquoi ? s’étonna Dom.
— Si j’ai bien compris, il y a un débat dans leur Église au sujet de la masturbation, est-ce un péché ou pas ? Ils aimeraient avoir l’avis d’un expert externe lors de réunions.
— Tu es un expert ?
— Lorsque je me suis présenté, j’ai dit que j’étais un journaliste à la rédaction du magazine Der Ring, spécialisé dans la sexualité ; j’ai ajouté, pour être honnête avec eux, qu’il était destiné aux homosexuels. Cela n’a pas eu l’air de les déranger.
— Tu veux devenir journaliste maintenant, plus médecin ? demanda Daniel.
— C’est juste un hobby, expliqua Koen. J’écrirai un article si nous voyons quelque chose d’intéressant pour les lecteurs. C’était surtout pour avoir une carte de presse, officielle et traduite en anglais, Séverin en a aussi une comme photographe. Cela nous facilitera peut-être l’accès à certains lieux.
— Surtout si tu montres un exemplaire du magazine…
— L’imprimeur m’a fourni des exemplaires bidonnés, avec de faux articles à l’intérieur si ce n’est pas un lieu réservé aux gays.
— Je vois que tu as tout prévu dans les moindres détails, dit Dominique.
— Presque, fit Frédéric, Koen n’a changé que 50 dollars pour tout le voyage.
— C’est pour m’acheter des livres, dit celui-ci. Pour le reste, tu as ta carte de crédit.
— Oui, mais dis-nous lorsque tu seras fauché, on te prêtera de l’argent. Tu as ton passeport ?
— Je l’ai, ne t’inquiète pas, il est autour du cou dans une pochette.
Koen le montra, les autres contrôlèrent également qu’ils n’avaient pas oublié ce document avec les visas nécessaires pour entrer aux États-Unis et au Canada. Frédéric avait effectivement une carte de crédit, même deux : Visa et American Express ; Daniel et Dominique avaient pris des chèques de voyage en réserve.
La rame quadricourant des CFF RAe 1052 entra en gare à l’heure, en provenance de Milano Centrale et à destination de Paris Gare de Lyon. Un garçon, âgé de six ans, était sur le quai avec sa mère et les regarda monter dans ce magnifique train avec envie.
Vendredi 9 juillet 1965, gare de Lausanne
Frédéric et Koen avaient terminé les examens et passé leur bac à l’école Hinterhoden de Grindelwald, ils avaient ensuite quitté définitivement cet endroit, à regret. Frédéric resterait cependant en contact avec la directrice et avec Franz par l’intermédiaire de la fondation de son père. Les étudiants avaient échangé leurs adresses, s’étaient promis de se revoir régulièrement, le genre de promesses que l’on ne tient pas.
Koen était sorti le premier de tous les élèves, tout autre résultat eût été indigne de son génie et de son amour-propre. Frédéric avait eu des résultats moins bons, mais honorables compte tenu du changement d’école et de langue pour la dernière année. Daniel avait, lui aussi, passé son bac à l’École Française de Berne. Afin de les récompenser de leurs efforts, Charles avait ajouté au voyage en Amérique, prévu de longue date, la traversée de l’Atlantique sur le paquebot France à l’aller.
Frédéric n’avait pas pu prendre avec lui tous ceux qui s’étaient intéressés à ce voyage : Koen l’accompagnait, ainsi que son cousin Daniel avec son amie Dominique. Urbain les rejoindrait plus tard à New York en avion pour conduire leur véhicule, il serait accompagné par Séverin, le photographe, avec lequel il était en couple depuis peu. Celui-ci paierait lui-même le voyage, il gagnait assez en développant tous les films coquins des Lausannois. Koen avait été satisfait : il n’aurait pas à gaspiller de la pellicule pour photographier des paysages, aussi grandioses fussent-ils, Séverin s’en chargerait.
Les quatre amis attendaient le TEE Cisalpin, le Trans Europ Express, sur le quai 4 de la gare de Lausanne, ils feraient d’abord une halte à Paris. Il restait une demi-heure avant le départ prévu à 18 heures, ils étaient arrivés à l’avance pour ne pas rater le train. Grosse surprise pour Koen et Frédéric : Dominique n’avait pas mis ses habits féminins, elle avait raccourci ses cheveux et n’était pas maquillée.
— Tu as changé d’avis ? s’étonna Frédéric. Tu n’es plus une femme trans ?
— Seulement pour des questions pratiques, je crois que les douaniers des USA sont particulièrement acariâtres, je n’aimerais pas avoir d’ennuis en arrivant. Je suis toujours un homme sur mon passeport.
— Ils devraient faire une fouille au corps pour s’assurer que tu as bien une bite…
— Mais qui la ferait, un homme ou une femme ? J’ai pris des habits féminins dans ma valise.
Koen demanda ensuite en français car il l’avait appris pendant l’année et le parlait déjà presque parfaitement :
— Pourquoi ne prenons-nous pas le train de nuit ?
— Le trajet n’est pas assez long, répondit Frédéric, le sommeil serait trop court.
— Ce ne serait pas pour dormir, nous aurons toute la traversée pour nous reposer.
— Le Simplon Orient Express n’a plus le luxe d’autrefois.
— Sans compter les crimes qui s’y produisent, ajouta Dominique en souriant.
— Et tu es déjà venu en wagon-lit il y a quelques jours pour nous rejoindre, dit Frédéric.
— Ouais, mais je n’ai rien pu faire avec les autres passagers, expliqua Koen. C’étaient deux mormons, costards noirs, chemise blanche, cravate. Ils venaient en Suisse au temple de Zollikofen avant de rentrer chez eux.
— Tu ne leur as pas dit que cela ne te dérangeait pas qu’ils se déshabillent devant toi ? s’étonna Daniel.
— Si, mais ils avaient des sous-vêtements jusqu’aux genoux avec triple épaisseur de tissu pour cacher la bite et ils ne les ont pas enlevés. Ils m’ont expliqué : pas de masturbation, pas de sexe avant le mariage et pas de relations homosexuelles, cela va sans dire. L’un des deux m’a dit : « Mais vous, vous pouvez vous déshabiller devant nous, cela ne nous dérange pas ».
— Et tu l’as fait ?
— Oui, je voulais voir leur réaction. J’ai baissé mon slip et j’ai pissé dans le pot de chambre. Au lieu de détourner pudiquement la tête, ils ont regardé ma bite.
— Ils t’ont dit qu’elle était belle ? demanda Frédéric en riant.
— Non, ils m’ont demandé pourquoi je n’étais pas circoncis, ça va devenir lassant si tous les Américains qu’on rencontre le font.
— Tu seras à poil quand nous rencontrerons des Américains ?
— J’espère, et eux aussi. Les mormons se sont quand même branlés une fois couchés, je les entendus. Je leur avais parlé du voyage, l’un des deux m’a demandé le lendemain matin si nous passerions par Salt Lake City, Utah.
— C’est possible, dit Daniel, c’est sur le chemin de l’Ouest. Il y a quoi à voir ?
— Leur temple. Il m’a donné son numéro de téléphone pour le contacter si nous nous arrêtons dans cette ville.
— Pourquoi ? s’étonna Dom.
— Si j’ai bien compris, il y a un débat dans leur Église au sujet de la masturbation, est-ce un péché ou pas ? Ils aimeraient avoir l’avis d’un expert externe lors de réunions.
— Tu es un expert ?
— Lorsque je me suis présenté, j’ai dit que j’étais un journaliste à la rédaction du magazine Der Ring, spécialisé dans la sexualité ; j’ai ajouté, pour être honnête avec eux, qu’il était destiné aux homosexuels. Cela n’a pas eu l’air de les déranger.
— Tu veux devenir journaliste maintenant, plus médecin ? demanda Daniel.
— C’est juste un hobby, expliqua Koen. J’écrirai un article si nous voyons quelque chose d’intéressant pour les lecteurs. C’était surtout pour avoir une carte de presse, officielle et traduite en anglais, Séverin en a aussi une comme photographe. Cela nous facilitera peut-être l’accès à certains lieux.
— Surtout si tu montres un exemplaire du magazine…
— L’imprimeur m’a fourni des exemplaires bidonnés, avec de faux articles à l’intérieur si ce n’est pas un lieu réservé aux gays.
— Je vois que tu as tout prévu dans les moindres détails, dit Dominique.
— Presque, fit Frédéric, Koen n’a changé que 50 dollars pour tout le voyage.
— C’est pour m’acheter des livres, dit celui-ci. Pour le reste, tu as ta carte de crédit.
— Oui, mais dis-nous lorsque tu seras fauché, on te prêtera de l’argent. Tu as ton passeport ?
— Je l’ai, ne t’inquiète pas, il est autour du cou dans une pochette.
Koen le montra, les autres contrôlèrent également qu’ils n’avaient pas oublié ce document avec les visas nécessaires pour entrer aux États-Unis et au Canada. Frédéric avait effectivement une carte de crédit, même deux : Visa et American Express ; Daniel et Dominique avaient pris des chèques de voyage en réserve.
La rame quadricourant des CFF RAe 1052 entra en gare à l’heure, en provenance de Milano Centrale et à destination de Paris Gare de Lyon. Un garçon, âgé de six ans, était sur le quai avec sa mère et les regarda monter dans ce magnifique train avec envie.
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