22-12-2020, 06:24 PM
Deux hommes et cinq garçons…
Ce récit, totalement imaginaire (??), faisant abstraction des réalités juridiques, financières ou techniques, a néanmoins un appui dans la réalité en ce sens que c'est l'écriture d'une situation que, dans l'idéal, j'aurais éventuellement souhaité connaître et même, peut-être, vivre. Un peu équivoque, je l'admets !
Pierre et moi, Antoine, avons pratiquement été élevés ensemble : nous sommes nés le même jour, à dix minutes d'intervalle (je suis l'aîné !) et dans la même clinique. Nos parents habitaient dans une grande maison dont la partie gauche était occupée par notre famille alors que la partie droite abritait la famille de Pierre. Le jardin, presque un parc, était commun tout comme la vaste piscine et ses annexes. Nos parents étaient de grands amis et les quatre travaillaient ensemble pour une très grande firme internationale qui les faisait voyager aux quatre coins du monde durant une bonne partie de l'année de sorte que, lors des vacances qu'ils avaient bien méritées, ils n'avaient aucune envie de s'embarrasser de deux bambins. Nos parents étaient pour nous une abstraction plus qu'autre chose, le genre étoile filante que l'on entrevoyait et qui, tout aussi vite, disparaissait.
C'est Blanche, notre adorable et aimante nounou, qui s'est occupé de nous deux et qui, jusqu'à six ans, nous a pratiquement élevés. C'était une femme d'une quarantaine d'années qui nous aimait comme si nous avions été ses propres garçons, douce mais ne se laissant pas marcher sur les pieds, sachant nous consoler quand c'était nécessaire mais veillant à nous endurcir : nous l'adorions, nous faisions tout pour lui faire plaisir tout en lui jouant des tours on ne peut plus pendables, ce qui nous valait de sévères réprimandes. Il y avait encore une cuisinière et une aide-ménagère qui venait tous les matins avec qui nous entretenions également de très bonnes relations.
Et puis, il y avait Pierre et moi. Nous étions le centre du monde ou tout au moins de la maison mais il n'était pas pour autant question que nous fassions nos quatre volontés, il y avait des directives, des règles très strictes que nous avions intérêt à respecter ne serait-ce qu'en raison qu'elles avaient été établies par nos parents qui veillaient, je n'ai jamais très bien su comment, à ce qu'elles soient suivies et que notre éducation, dans le sens le plus large du terme, soit parfaite. Lors de leurs brèves apparitions, en général non annoncées, nous étions soumis à une véritable inspection qui allait, pour ce qui nous concernait, de la propreté de nos oreilles, à notre tenue à table et à l'avancement de nos connaissances préscolaires. Le résultat de leur inspection ne nous était pas connu mais nous nous apercevions, dans les jours suivants leur visite, qu'un certain nombre de règles avaient été modifiées, à notre avantage comme à notre désavantage.
Nous avons donc pris nos biberons ensemble et il semble que les premiers jours à la maternité furent éprouvants pour tout le monde ; nos petits berceaux étaient dans deux pièces différentes et dès les premières heures de notre vie, nous avons hurlé, sans interruption, le visage congestionné ; rien n'y faisait, chacun de notre côté, nous hurlions gênant les autres poupons et rendant dingue les adultes. Le pédiatre nous avait réexaminé et n'avait rien décelé d'anormal, mais nous hurlions toujours. Finalement, excédées, les puéricultrices nous mirent tous les deux dans une minuscule pièce et, miracle, nous nous tûmes immédiatement. Le soir, on nous remit dans nos pièces respectives et… nos hurlements reprirent de plus belles ! Nous voulions déjà être ensemble, et, de ce jour, nous l'avons toujours été. Nous avons gouté nos premiers légumes de concert, nous avons marché le même jour en nous donnant la main, nous avons feuilleté le même livre d'images ensemble et nous dormions, bien sûr, dans la même chambre. J'oubliais, c'est Pierre, le jour de nos quatre ans, qui, pour la première fois, m'embrassa. La première fois mais pas la dernière, mais cela nous ne le savions pas encore.
Dans cette grande et belle maison, ce parc avec de vieux arbres qui dispensaient une ombre bien agréable en été, une ambiance aimante avec un personnel adorable, nous avions tout pour être heureux et, effectivement nous étions heureux. L'absence de nos parents ne nous pesaient pas vraiment et quand ils étaient là, c'est toujours vers les personnes qui prenaient soin de nous chaque jour que nous allions nous réfugier.
Le jour de nos six ans, qui aurait dû être une belle journée, nous sentions Pierre et moi qu'il se passait quelque chose d'inquiétant, nos parents étaient là depuis la veille et tenaient des conciliabules inhabituels, Blanche – notre nounou – avait les yeux rouges, la cuisinière également. Nous étions dans notre chambre de jeux et, intuitivement, nous nous tenions tranquilles et qu'il était peut-être dans notre intérêt de nous faire oublier.
Le lendemain, à l'heure du petit-déjeuner où nos parents étaient présents ce qui n'était pas dans leur habitude, ils nous annoncèrent d'abord qu'ils repartaient en début de soirée ce qui, franchement dit, nous laissa assez indifférents, peut-être même avec un certain contentement de retrouver notre routine habituelle.
En revanche la suite nous tomba dessus comme la foudre dans un ciel serein : nos parents estimaient que notre entourage, à commencer par Blanche, ne convenait plus à l'ambition qu'ils avaient pour notre avenir et que, par conséquent, nous allions être envoyés dans un institut alpin réputé dans les Alpes valaisannes. Ils avaient d'abord décidé de nous séparer avant finalement de renoncer à ce qui pour nous aurait été la catastrophe ultime, inconcevable.
Bon, finalement l'essentiel était préservé, nous resterions ensemble, certes dans un environnement très différent mais pas forcément désagréable. Mais ce qui nous peina énormément ce fut d'apprendre que notre Blanche était en fait atteinte d'une grave maladie et que, de toutes façons, elle n'aurait plus pu s'occuper de nous deux. La dizaine de jours qui restait avant notre déménagement, nous avons témoigné une extrême tendresse vis-à-vis de celle qui nous avait servi de mère et que nous aimions comme tel. Et c'est bien sûr la pauvre Blanche qui prépara toutes nos affaires, tous ces petits objets que les jeunes enfants aiment conserver, même s'ils ne servent à rien et dont bien souvent, finalement, on oublie jusqu'à leur existence.
Le grand jour du départ finit par arriver, ce fut véritablement dramatique car non seulement nous laissions notre maison, nos amis, notre école mais surtout ceux que nous quittions qui étaient les seules personnes qui nous aimaient pour ce que nous étions, les seules personnes que nous aimions véritablement et auxquelles nous étions attachés. Ce fut le chauffeur qui devait nous amener à notre nouveau lieu de vie qui dû, presque physiquement, nous arracher à ces gens simples qui avaient tout fait pour que nous soyons heureux, et nous l'avions réellement été. Durant tout le trajet, deux bonnes heures au maximum, nous n'avons pratiquement pas prononcé une seule parole mais nous ne nous sommes pas quittés du regard, un regard dans lequel nous avons mis toute notre force, toute notre détermination : QUOIQU'IL ARRIVE, NOUS RESTONS ENSEMBLE.
Ce récit, totalement imaginaire (??), faisant abstraction des réalités juridiques, financières ou techniques, a néanmoins un appui dans la réalité en ce sens que c'est l'écriture d'une situation que, dans l'idéal, j'aurais éventuellement souhaité connaître et même, peut-être, vivre. Un peu équivoque, je l'admets !
Pierre et moi, Antoine, avons pratiquement été élevés ensemble : nous sommes nés le même jour, à dix minutes d'intervalle (je suis l'aîné !) et dans la même clinique. Nos parents habitaient dans une grande maison dont la partie gauche était occupée par notre famille alors que la partie droite abritait la famille de Pierre. Le jardin, presque un parc, était commun tout comme la vaste piscine et ses annexes. Nos parents étaient de grands amis et les quatre travaillaient ensemble pour une très grande firme internationale qui les faisait voyager aux quatre coins du monde durant une bonne partie de l'année de sorte que, lors des vacances qu'ils avaient bien méritées, ils n'avaient aucune envie de s'embarrasser de deux bambins. Nos parents étaient pour nous une abstraction plus qu'autre chose, le genre étoile filante que l'on entrevoyait et qui, tout aussi vite, disparaissait.
C'est Blanche, notre adorable et aimante nounou, qui s'est occupé de nous deux et qui, jusqu'à six ans, nous a pratiquement élevés. C'était une femme d'une quarantaine d'années qui nous aimait comme si nous avions été ses propres garçons, douce mais ne se laissant pas marcher sur les pieds, sachant nous consoler quand c'était nécessaire mais veillant à nous endurcir : nous l'adorions, nous faisions tout pour lui faire plaisir tout en lui jouant des tours on ne peut plus pendables, ce qui nous valait de sévères réprimandes. Il y avait encore une cuisinière et une aide-ménagère qui venait tous les matins avec qui nous entretenions également de très bonnes relations.
Et puis, il y avait Pierre et moi. Nous étions le centre du monde ou tout au moins de la maison mais il n'était pas pour autant question que nous fassions nos quatre volontés, il y avait des directives, des règles très strictes que nous avions intérêt à respecter ne serait-ce qu'en raison qu'elles avaient été établies par nos parents qui veillaient, je n'ai jamais très bien su comment, à ce qu'elles soient suivies et que notre éducation, dans le sens le plus large du terme, soit parfaite. Lors de leurs brèves apparitions, en général non annoncées, nous étions soumis à une véritable inspection qui allait, pour ce qui nous concernait, de la propreté de nos oreilles, à notre tenue à table et à l'avancement de nos connaissances préscolaires. Le résultat de leur inspection ne nous était pas connu mais nous nous apercevions, dans les jours suivants leur visite, qu'un certain nombre de règles avaient été modifiées, à notre avantage comme à notre désavantage.
Nous avons donc pris nos biberons ensemble et il semble que les premiers jours à la maternité furent éprouvants pour tout le monde ; nos petits berceaux étaient dans deux pièces différentes et dès les premières heures de notre vie, nous avons hurlé, sans interruption, le visage congestionné ; rien n'y faisait, chacun de notre côté, nous hurlions gênant les autres poupons et rendant dingue les adultes. Le pédiatre nous avait réexaminé et n'avait rien décelé d'anormal, mais nous hurlions toujours. Finalement, excédées, les puéricultrices nous mirent tous les deux dans une minuscule pièce et, miracle, nous nous tûmes immédiatement. Le soir, on nous remit dans nos pièces respectives et… nos hurlements reprirent de plus belles ! Nous voulions déjà être ensemble, et, de ce jour, nous l'avons toujours été. Nous avons gouté nos premiers légumes de concert, nous avons marché le même jour en nous donnant la main, nous avons feuilleté le même livre d'images ensemble et nous dormions, bien sûr, dans la même chambre. J'oubliais, c'est Pierre, le jour de nos quatre ans, qui, pour la première fois, m'embrassa. La première fois mais pas la dernière, mais cela nous ne le savions pas encore.
Dans cette grande et belle maison, ce parc avec de vieux arbres qui dispensaient une ombre bien agréable en été, une ambiance aimante avec un personnel adorable, nous avions tout pour être heureux et, effectivement nous étions heureux. L'absence de nos parents ne nous pesaient pas vraiment et quand ils étaient là, c'est toujours vers les personnes qui prenaient soin de nous chaque jour que nous allions nous réfugier.
Le jour de nos six ans, qui aurait dû être une belle journée, nous sentions Pierre et moi qu'il se passait quelque chose d'inquiétant, nos parents étaient là depuis la veille et tenaient des conciliabules inhabituels, Blanche – notre nounou – avait les yeux rouges, la cuisinière également. Nous étions dans notre chambre de jeux et, intuitivement, nous nous tenions tranquilles et qu'il était peut-être dans notre intérêt de nous faire oublier.
Le lendemain, à l'heure du petit-déjeuner où nos parents étaient présents ce qui n'était pas dans leur habitude, ils nous annoncèrent d'abord qu'ils repartaient en début de soirée ce qui, franchement dit, nous laissa assez indifférents, peut-être même avec un certain contentement de retrouver notre routine habituelle.
En revanche la suite nous tomba dessus comme la foudre dans un ciel serein : nos parents estimaient que notre entourage, à commencer par Blanche, ne convenait plus à l'ambition qu'ils avaient pour notre avenir et que, par conséquent, nous allions être envoyés dans un institut alpin réputé dans les Alpes valaisannes. Ils avaient d'abord décidé de nous séparer avant finalement de renoncer à ce qui pour nous aurait été la catastrophe ultime, inconcevable.
Bon, finalement l'essentiel était préservé, nous resterions ensemble, certes dans un environnement très différent mais pas forcément désagréable. Mais ce qui nous peina énormément ce fut d'apprendre que notre Blanche était en fait atteinte d'une grave maladie et que, de toutes façons, elle n'aurait plus pu s'occuper de nous deux. La dizaine de jours qui restait avant notre déménagement, nous avons témoigné une extrême tendresse vis-à-vis de celle qui nous avait servi de mère et que nous aimions comme tel. Et c'est bien sûr la pauvre Blanche qui prépara toutes nos affaires, tous ces petits objets que les jeunes enfants aiment conserver, même s'ils ne servent à rien et dont bien souvent, finalement, on oublie jusqu'à leur existence.
Le grand jour du départ finit par arriver, ce fut véritablement dramatique car non seulement nous laissions notre maison, nos amis, notre école mais surtout ceux que nous quittions qui étaient les seules personnes qui nous aimaient pour ce que nous étions, les seules personnes que nous aimions véritablement et auxquelles nous étions attachés. Ce fut le chauffeur qui devait nous amener à notre nouveau lieu de vie qui dû, presque physiquement, nous arracher à ces gens simples qui avaient tout fait pour que nous soyons heureux, et nous l'avions réellement été. Durant tout le trajet, deux bonnes heures au maximum, nous n'avons pratiquement pas prononcé une seule parole mais nous ne nous sommes pas quittés du regard, un regard dans lequel nous avons mis toute notre force, toute notre détermination : QUOIQU'IL ARRIVE, NOUS RESTONS ENSEMBLE.