EPILOGUE
Même si cette expérience ne m'a pas empêché de vivre, elle est restée cantonnée au sommet de la liste de mes regrets. Ces actions, si simples au demeurant, si faciles pour peu qu'on prenne le courage de les réaliser, sont restées marquées dans ma mémoire, au creux de ma conscience. Pour autant, la vie est ainsi faite qu'elle offre parfois, comme une deuxième chance, une autre possibilité de se rattraper de ses erreurs passées.
Quinze ans plus tard, alors chef du service informatique d'un hôpital parisien renommé, j'ai vu arriver un beau matin la secrétaire que j'avais réclamée à cor et à cris depuis bientôt deux ans. Issue d'un concours externe, la jeune femme, pour sa première expérience, s'est retrouvée affectée dans un milieu essentiellement masculin.
Petite, d'origine espagnole, des cheveux à forte densité joyeusement ondulés jusque sur ses épaules avec des reflets dorés admirables, un visage enfantin au teint béni par le soleil, souriante à souhait, des seins d'une générosité affolante soulignés par un décolleté discret dans lequel on se perdrait volontiers, un corps tout ce qu'il y a de plus correct avec juste ce qu'il faut là où il faut.
Après l'entretien d'usage, et les présentations au sein du service, j'installe Catherine, ma nouvelle secrétaire dans l'open-space. Très vite, les premier quolibets sont arrivés, au départ sur le ton de la plaisanterie prudente et amicale puis petit à petit de plus en plus sexistes pour prendre une dimension un peu trop appuyée, suffisamment marquée pour que je décide de calmer les esprits échauffés.
Six mois après son arrivée, ma secrétaire revenant de déjeuner passe se changer dans l'unique vestiaire du service pour revêtir sa tenue hospitalière, comme tout un chacun. L'espace étant compté, la pièce est aussi utilisée pour stocker les consommables informatiques séparés de la partie principale par un rideau.
Cette semaine là, j'étais en congés dans mon appartement en petite couronne parisienne, proche du périphérique sud. Je reçois un appel téléphonique de la seule femme du service qui m'informe que Catherine vient d'être agressée sexuellement, qu'elle est en pleurs à côté d'elle, qu'elle est perdue, que n'étant pas encore titularisée, elle a peur de perdre son emploi, que désespérée elle ne sait plus vraiment quoi faire ni à qui se vouer.
Catherine, m'explique en pleurant chaudement au téléphone que l'un de mes collaborateurs directs, mon adjoint pour ne pas le nommer, s'est caché derrière le rideau dans le vestiaire où elle est entrée après avoir condamné la porte. Et ce n'est que lorsqu'elle s'est retrouvée en petite tenue que l'informaticien lui a sauté dessus, tentant de lui arracher de force un baiser avec des mains on ne peut plus baladeuses qui ont cherché sans commune mesure à s’immiscer au delà de la limite des sous-vêtements. Surprise par l'assaut, elle s'est mise à crier, à hurler même en se débattant comme elle a pu, giflant, griffant son agresseur. Devant les cris et la véhémence de la jeune femme, l'homme a fini par prendre peur et s'est enfuit du vestiaire pour regagner l'open-space, totalement inconscient, le sourire aux lèvres, encore tout émoustillé par son aventure.
Je suis consterné par son récit. Elle me répète qu'elle ne veut pas d'histoire. Que ce sera sa parole contre la sienne et qu'en pareille circonstance, ses accusations ne vaudront pas grand chose ; l'individu qui l'a agressée étant très bien considéré. Elle a aussi très peur de perdre son job, venant juste d'arriver, et qu'en plus on va lui reprocher d'avoir des tenues qui soulignent sa féminité.
En quelques millièmes de secondes, c'est un défilé d'images, de remords et de frustrations qui remontent en surface. je repense évidemment à Sylvie, son agression, ses peurs, ses doutes et ses angoisses. J'essaye de calmer ma secrétaire, de la rassurer sur son avenir. Je lui confirme que je n'ai aucune raison de mettre sa parole en doute, qu'elle n'y est pour rien et ce ne sont pas ses tenues si agréables qu'elles soient qui sont en cause mais bien la stupidité et l'indélicatesse de mon adjoint. Pour éviter de lui faire regagner l'open-space et de se retrouver face à son agresseur, j'invite Catherine à rentrer chez elle le temps que je puisse me retourner de mon côté.
Catherine me supplie de ne pas ébruiter l'affaire. Je lui demande de me faire confiance. Étant informé qu'un fait à caractère délictueux s’étant passé dans mon service, il m'est dès lors impossible d'en faire l'impasse. je reprendrai contact avec elle une fois que j'y verrai un peu plus clair.
Aussitôt raccroché, je contacte mon collaborateur pour avoir sa version des faits. Il me confirme qu'il s'est bien caché derrière le rideau pour lui faire une farce, et que la voyant de temps en temps traîner avec d'autres personnes sur l'hôpital, il a pensé qu'il pouvait lui aussi avoir sa chance. Pour lui ce n'est qu'une plaisanterie sans incidence qu'elle a mal prise. Pour les attouchements, il se justifie en disant qu'il l'a à peine caressée, juste effleurée, rien de bien grave et comme elle n'a pas voulu, il est parti. je lui explique à demi-mot que sa situation est bien plus grave qu'il ne le pense puisque ses actes s'apparentent dans les faits à une tentative de viol sous autorité hiérarchique.
Avec les deux versions en tête, je contacte mes supérieurs qui se tournent directement sur la gendarmerie nationale.
Le lendemain, je suis auditionné individuellement avec quelques personnes de mon service, dont l'agresseur. Catherine est convoquée ultérieurement pour prendre sa déposition. Elle décidera de ne pas porter plainte à la condition expresse que les agissements s'arrêtent là.
Deux jours après, je suis convoqué chez le directeur de l'hôpital. Nous convenons de concert que les deux protagonistes ne peuvent plus cohabiter dans mon service. Et à ma très grande surprise, le chef d'établissement me demande de choisir l'une des deux personnes qui devra partir sachant qu'elle ne sera pas remplacée. Stupéfait par ce choix incongru, je décide sans aucune hésitation de conserver ma secrétaire, jugeant indécent et choquant voir même inadmissible de devoir faire subir à la victime un changement de poste alors qu'elle n'y est absolument pour rien.
Deux jours plus tard, mon adjoint a été muté sur un autre hôpital parisien en gardant sous silence les raisons de son changement de poste inopiné.
Catherine est revenue dans le service. Et après quelques séances de psychothérapie, elle a réussi à surmonter mentalement son agression, se permettant même de temps en temps de revêtir les tenues qu'elle trouvait légères pour notre plus grand plaisir.
Deux mois après cette histoire, au cours d'un entretien avec le directeur de l'hôpital, il m'a avoué avoir été extrêmement déçu par mon choix, arguant qu'en tant que manager, je n'avais pas choisi la solution de la performance. je lui ai rétorqué qu'avec ma solution, non seulement mes collaborateurs ont tous compensé sans rechigner l'activité de mon adjoint mais aussi, que j'avais pu par la confiance qu'ils m'ont témoignée par la suite, resserrer les liens de l'équipe de façon remarquable.
Si je suis sorti grandi de cette dernière histoire, il n'en demeure pas moins que je garde en mémoire le souvenir cruel et pénible de Sylvie, cette jeune femme pour laquelle je n'ai malheureusement pas su réagir comme il l'eut fallu. J'ignore ce qu'elle est devenue depuis que je me suis écarté du clan et je ne sais pas comment elle a géré sa vie par la suite. J'imagine une destinée un peu compliquée, perturbée par les agissements d'un agresseur qui en dix minutes de temps a su saccager sa vie et qui, à l'heure qu'il est, a retrouvé sa liberté, et probablement sa liberté de nuire...
Dans nos prisons, il serait surprenant que les loups deviennent des agneaux.
Des années durant, j'ai gardé en mémoire cet épisode peu glorieux de mon passé, sans honte, sans souffrance particulière, juste un profond regret, une douleur morale persistante entretenue régulièrement depuis par ma conscience.
Ne pas saisir une main tendue n'était pas dans ma nature surtout lorsqu'il s'agissait d'une personne que j'appréciais. Et j'appréciais énormément Sylvie ce qui m'agace d'avantage encore car là où l'importance de la situation le nécessitait, comme un impondérable non négociable, comme une exigence impérieuse, comme une urgence absolue, je n'ai pas su lever le petit doigt. Dure trahison d'une confiance inébranlable, d'une confiance sacrifiée, d'une confiance perdue. Ce jour là, j'ai compris que quelque chose s'était rompu, brisé de façon irrévocable, et qu'il me faudrait assumer. J'ignorai alors pour combien de temps et j'ai fini par comprendre que le temps n'y changerait rien.
Par la suite, je me suis souvent demandé comment la femme à qui on a fait subir pareille outrage, percevait son environnement proche, ces hommes parfois si inconscients, ces silences, ces rumeurs, ces paroles laconiques, de celles qui se veulent parfaitement rassurantes voire même faussement compréhensives. De ces choses là on ne parle pas ou très peu. Alors, j'ai traîné lorsque l'occasion se présentait devant des débats télévisés, dans les salles de cinéma aussi pour essayer de comprendre. Et contrairement à toute attente, j'y ai trouvé beaucoup plus de courroux que de paix intérieure, rien de réellement rassurant.
Aujourd'hui encore, une agression sexuelle à lieu toutes les neuf minutes en France. C'est énorme et la justices des hommes lorsqu'elle n'a pas failli lamentablement, n'a pas toujours été présente pour soutenir les victimes. Aujourd'hui, les choses changent, c'est vrai mais si doucement qu'il faudra encore plusieurs décennies pour tenter d'effacer tous ces traumatismes du passé qui resurgissent les uns derrière les autres. Ce matin dans un journal local, c'était une fillette de 11 ans, violée, séquestrée. Au journal télévisé, après Georges Duhamel, Richard Berry, c'est maintenant au tour de Gérard Depardieu de se retrouver lui aussi comme tant d'autres dans le sillage d'un viol. La célébrité, le pouvoir, la politique, rattrapés par ces affaires sombres où, à les entendre, tous ces hommes sont d'une innocence évidente. Parole d'homme affirmé du haut de leur piédestal, parole chétive de femme décontenancée dans toute leur désolation. Et ici, on ne parle que du grand monde...
J'ai l'intime conviction que pour Sylvie, il ne manquait pas grand chose et, par delà l'immensité de ce pas grand chose, il n'en demeure pas moins que l'un des grands regrets de mon passé, de ceux qui entachent ma fierté personnelle en ayant marqué profondément ma raison d'être, c'est qu'à un moment donné, là où j'aurai dû, là où j'aurai pu, je n'ai pas su...
Même si cette expérience ne m'a pas empêché de vivre, elle est restée cantonnée au sommet de la liste de mes regrets. Ces actions, si simples au demeurant, si faciles pour peu qu'on prenne le courage de les réaliser, sont restées marquées dans ma mémoire, au creux de ma conscience. Pour autant, la vie est ainsi faite qu'elle offre parfois, comme une deuxième chance, une autre possibilité de se rattraper de ses erreurs passées.
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Quinze ans plus tard, alors chef du service informatique d'un hôpital parisien renommé, j'ai vu arriver un beau matin la secrétaire que j'avais réclamée à cor et à cris depuis bientôt deux ans. Issue d'un concours externe, la jeune femme, pour sa première expérience, s'est retrouvée affectée dans un milieu essentiellement masculin.
Petite, d'origine espagnole, des cheveux à forte densité joyeusement ondulés jusque sur ses épaules avec des reflets dorés admirables, un visage enfantin au teint béni par le soleil, souriante à souhait, des seins d'une générosité affolante soulignés par un décolleté discret dans lequel on se perdrait volontiers, un corps tout ce qu'il y a de plus correct avec juste ce qu'il faut là où il faut.
Après l'entretien d'usage, et les présentations au sein du service, j'installe Catherine, ma nouvelle secrétaire dans l'open-space. Très vite, les premier quolibets sont arrivés, au départ sur le ton de la plaisanterie prudente et amicale puis petit à petit de plus en plus sexistes pour prendre une dimension un peu trop appuyée, suffisamment marquée pour que je décide de calmer les esprits échauffés.
Six mois après son arrivée, ma secrétaire revenant de déjeuner passe se changer dans l'unique vestiaire du service pour revêtir sa tenue hospitalière, comme tout un chacun. L'espace étant compté, la pièce est aussi utilisée pour stocker les consommables informatiques séparés de la partie principale par un rideau.
Cette semaine là, j'étais en congés dans mon appartement en petite couronne parisienne, proche du périphérique sud. Je reçois un appel téléphonique de la seule femme du service qui m'informe que Catherine vient d'être agressée sexuellement, qu'elle est en pleurs à côté d'elle, qu'elle est perdue, que n'étant pas encore titularisée, elle a peur de perdre son emploi, que désespérée elle ne sait plus vraiment quoi faire ni à qui se vouer.
Catherine, m'explique en pleurant chaudement au téléphone que l'un de mes collaborateurs directs, mon adjoint pour ne pas le nommer, s'est caché derrière le rideau dans le vestiaire où elle est entrée après avoir condamné la porte. Et ce n'est que lorsqu'elle s'est retrouvée en petite tenue que l'informaticien lui a sauté dessus, tentant de lui arracher de force un baiser avec des mains on ne peut plus baladeuses qui ont cherché sans commune mesure à s’immiscer au delà de la limite des sous-vêtements. Surprise par l'assaut, elle s'est mise à crier, à hurler même en se débattant comme elle a pu, giflant, griffant son agresseur. Devant les cris et la véhémence de la jeune femme, l'homme a fini par prendre peur et s'est enfuit du vestiaire pour regagner l'open-space, totalement inconscient, le sourire aux lèvres, encore tout émoustillé par son aventure.
Je suis consterné par son récit. Elle me répète qu'elle ne veut pas d'histoire. Que ce sera sa parole contre la sienne et qu'en pareille circonstance, ses accusations ne vaudront pas grand chose ; l'individu qui l'a agressée étant très bien considéré. Elle a aussi très peur de perdre son job, venant juste d'arriver, et qu'en plus on va lui reprocher d'avoir des tenues qui soulignent sa féminité.
En quelques millièmes de secondes, c'est un défilé d'images, de remords et de frustrations qui remontent en surface. je repense évidemment à Sylvie, son agression, ses peurs, ses doutes et ses angoisses. J'essaye de calmer ma secrétaire, de la rassurer sur son avenir. Je lui confirme que je n'ai aucune raison de mettre sa parole en doute, qu'elle n'y est pour rien et ce ne sont pas ses tenues si agréables qu'elles soient qui sont en cause mais bien la stupidité et l'indélicatesse de mon adjoint. Pour éviter de lui faire regagner l'open-space et de se retrouver face à son agresseur, j'invite Catherine à rentrer chez elle le temps que je puisse me retourner de mon côté.
Catherine me supplie de ne pas ébruiter l'affaire. Je lui demande de me faire confiance. Étant informé qu'un fait à caractère délictueux s’étant passé dans mon service, il m'est dès lors impossible d'en faire l'impasse. je reprendrai contact avec elle une fois que j'y verrai un peu plus clair.
Aussitôt raccroché, je contacte mon collaborateur pour avoir sa version des faits. Il me confirme qu'il s'est bien caché derrière le rideau pour lui faire une farce, et que la voyant de temps en temps traîner avec d'autres personnes sur l'hôpital, il a pensé qu'il pouvait lui aussi avoir sa chance. Pour lui ce n'est qu'une plaisanterie sans incidence qu'elle a mal prise. Pour les attouchements, il se justifie en disant qu'il l'a à peine caressée, juste effleurée, rien de bien grave et comme elle n'a pas voulu, il est parti. je lui explique à demi-mot que sa situation est bien plus grave qu'il ne le pense puisque ses actes s'apparentent dans les faits à une tentative de viol sous autorité hiérarchique.
Avec les deux versions en tête, je contacte mes supérieurs qui se tournent directement sur la gendarmerie nationale.
Le lendemain, je suis auditionné individuellement avec quelques personnes de mon service, dont l'agresseur. Catherine est convoquée ultérieurement pour prendre sa déposition. Elle décidera de ne pas porter plainte à la condition expresse que les agissements s'arrêtent là.
Deux jours après, je suis convoqué chez le directeur de l'hôpital. Nous convenons de concert que les deux protagonistes ne peuvent plus cohabiter dans mon service. Et à ma très grande surprise, le chef d'établissement me demande de choisir l'une des deux personnes qui devra partir sachant qu'elle ne sera pas remplacée. Stupéfait par ce choix incongru, je décide sans aucune hésitation de conserver ma secrétaire, jugeant indécent et choquant voir même inadmissible de devoir faire subir à la victime un changement de poste alors qu'elle n'y est absolument pour rien.
Deux jours plus tard, mon adjoint a été muté sur un autre hôpital parisien en gardant sous silence les raisons de son changement de poste inopiné.
Catherine est revenue dans le service. Et après quelques séances de psychothérapie, elle a réussi à surmonter mentalement son agression, se permettant même de temps en temps de revêtir les tenues qu'elle trouvait légères pour notre plus grand plaisir.
Deux mois après cette histoire, au cours d'un entretien avec le directeur de l'hôpital, il m'a avoué avoir été extrêmement déçu par mon choix, arguant qu'en tant que manager, je n'avais pas choisi la solution de la performance. je lui ai rétorqué qu'avec ma solution, non seulement mes collaborateurs ont tous compensé sans rechigner l'activité de mon adjoint mais aussi, que j'avais pu par la confiance qu'ils m'ont témoignée par la suite, resserrer les liens de l'équipe de façon remarquable.
- °° -
Si je suis sorti grandi de cette dernière histoire, il n'en demeure pas moins que je garde en mémoire le souvenir cruel et pénible de Sylvie, cette jeune femme pour laquelle je n'ai malheureusement pas su réagir comme il l'eut fallu. J'ignore ce qu'elle est devenue depuis que je me suis écarté du clan et je ne sais pas comment elle a géré sa vie par la suite. J'imagine une destinée un peu compliquée, perturbée par les agissements d'un agresseur qui en dix minutes de temps a su saccager sa vie et qui, à l'heure qu'il est, a retrouvé sa liberté, et probablement sa liberté de nuire...
Dans nos prisons, il serait surprenant que les loups deviennent des agneaux.
- °° -
Des années durant, j'ai gardé en mémoire cet épisode peu glorieux de mon passé, sans honte, sans souffrance particulière, juste un profond regret, une douleur morale persistante entretenue régulièrement depuis par ma conscience.
Ne pas saisir une main tendue n'était pas dans ma nature surtout lorsqu'il s'agissait d'une personne que j'appréciais. Et j'appréciais énormément Sylvie ce qui m'agace d'avantage encore car là où l'importance de la situation le nécessitait, comme un impondérable non négociable, comme une exigence impérieuse, comme une urgence absolue, je n'ai pas su lever le petit doigt. Dure trahison d'une confiance inébranlable, d'une confiance sacrifiée, d'une confiance perdue. Ce jour là, j'ai compris que quelque chose s'était rompu, brisé de façon irrévocable, et qu'il me faudrait assumer. J'ignorai alors pour combien de temps et j'ai fini par comprendre que le temps n'y changerait rien.
Par la suite, je me suis souvent demandé comment la femme à qui on a fait subir pareille outrage, percevait son environnement proche, ces hommes parfois si inconscients, ces silences, ces rumeurs, ces paroles laconiques, de celles qui se veulent parfaitement rassurantes voire même faussement compréhensives. De ces choses là on ne parle pas ou très peu. Alors, j'ai traîné lorsque l'occasion se présentait devant des débats télévisés, dans les salles de cinéma aussi pour essayer de comprendre. Et contrairement à toute attente, j'y ai trouvé beaucoup plus de courroux que de paix intérieure, rien de réellement rassurant.
Aujourd'hui encore, une agression sexuelle à lieu toutes les neuf minutes en France. C'est énorme et la justices des hommes lorsqu'elle n'a pas failli lamentablement, n'a pas toujours été présente pour soutenir les victimes. Aujourd'hui, les choses changent, c'est vrai mais si doucement qu'il faudra encore plusieurs décennies pour tenter d'effacer tous ces traumatismes du passé qui resurgissent les uns derrière les autres. Ce matin dans un journal local, c'était une fillette de 11 ans, violée, séquestrée. Au journal télévisé, après Georges Duhamel, Richard Berry, c'est maintenant au tour de Gérard Depardieu de se retrouver lui aussi comme tant d'autres dans le sillage d'un viol. La célébrité, le pouvoir, la politique, rattrapés par ces affaires sombres où, à les entendre, tous ces hommes sont d'une innocence évidente. Parole d'homme affirmé du haut de leur piédestal, parole chétive de femme décontenancée dans toute leur désolation. Et ici, on ne parle que du grand monde...
J'ai l'intime conviction que pour Sylvie, il ne manquait pas grand chose et, par delà l'immensité de ce pas grand chose, il n'en demeure pas moins que l'un des grands regrets de mon passé, de ceux qui entachent ma fierté personnelle en ayant marqué profondément ma raison d'être, c'est qu'à un moment donné, là où j'aurai dû, là où j'aurai pu, je n'ai pas su...
- FIN -