28-07-2020, 05:48 PM
CHAPITRE LII
''Caedite eos. Novit enim dominus qui sunt ejus''
- Tu es donc au service du Duc ? demanda Oli'.
- Oui, en quelque sorte...
- Et tu recherches le comte. Il est vrai que, d'après ce que j'ai entendu dire, la prime pour sa capture est conséquente...
- Ce n'est pas pour la prime que je le recherche. C'est plus compliqué que ça...
- C'est à dire ?
Burydan hésita. Mais, et il ne savait pas pourquoi, il sentit qu'il pouvait faire confiance au marchand. Et il lui raconta tout, le chantage du Duc, sa vie et sa liberté en guise de prime...
- Je vois, dit Oli'. Es tu sûr que le comte soit toujours à Brittania ?
- Pratiquement, oui.
Oli' hocha la tête et leur resservit deux verres d’hydromel.
- Réfléchissons, reprit le marchand, le comte est l'ennemi du Duc et veut le renverser, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Et il se cache en Brittania ?
- Oui.
- Et aucun chasseur de prime ne l'a trouvé depuis plus de deux ans ?
- Non.
- Donc il doit être caché dans un endroit où il est sûr de ne pas être dénoncé, toujours d'accord .
- Oui. Mais où ?
- Tu n'as pas une petite idée ?
- Euh... malheureusement non...
- Réfléchis... un endroit où il ne sera pas dénoncé... un endroit où les ennemis du Duc peuvent se réfugier... un endroit où on hait Galbatorix...
Burydan réfléchit et se rappela un passage du journal de son maître.
- Alméria, dit-il. Alméria la sanglante...
Oli' sourit.
Quand Galbatorix s'était autoproclamé Duc, trois barons le traitèrent d'usurpateur et rassemblèrent une grande armé de mercenaires pour marcher sur Ank'Arat.
Mais le Duc avait le soutien des soldats. Et lorsque les barons arrivèrent devant les murs de la capitale, ils se retrouvèrent face à l'armée ducale. Le combat s'engagea. Les mercenaires se battirent vaillamment, mais ils étaient à un contre cinq. Et ils furent tous taillés en pièces. Les barons et le peu de soldats qui leur restait fuirent et se réfugièrent à Alméria.
Alméria était dirigée, à cette époque, par le comte Wilhelm de Bats. Son ancêtre, général des armées de Carlus Magnus, avait soutenu le conseiller de l'empereur lorsqu'il voulu devenir Duc. En reconnaissance, le tout nouveau maître de Brittania lui donna Alméria, grand port de la Côte des Épées, ainsi que la province qui l'entourait, et Alméria obtint même le statut de ville franche, le comte y édictant ses propres lois et le Duc n'ayant aucun droit sur cette cité.
Le comte Wilhelm détestait Galbatorix, pas assez ''né'' pour lui, et il accueillit donc les trois barons et le reste de leur armée et leur offrit sa protection. Mais il savait que le Duc n'allait pas en rester là, et se prépara donc à l'affrontement inévitable.
Et en effet, Galbatorix, apprenant que les barons renégats s'étaient réfugiés à Alméria, envoya un émissaire au comte de Bats pour lui demandé de les lui livrer. Il refusa, arguant qu'ils étaient ses invités et qu'ils pouvaient rester à Alméria aussi longtemps qu'ils le désiraient.
Le Duc, furieux, décida d'assiéger Alméria. Il déploya son armée tout autour de la ville, ravageant la province au passage.
Mais Alméria était un port. Aucun risque de manquer de nourriture. Le Duc essaya bien un blocus maritime et, pourquoi pas, un débarquement par le port, mais les défenses de celui-ci et les marins almériens mirent en échec sa tentative. Et les citernes de réserve d'eau douce étaient pleines à ras bord.
Le siège dura de longs mois et toutes les tentatives pour abattre les hautes murailles d'Alméria échouèrent.
Un soir, un homme sortit en secret de la vile et demanda à voir le Duc. Il s'appelait Juda et proposa un marché à Galbatorix : étant gardien d'une des portes de la cité, il permettrait à l'armée ducale d'entrer en échange de la vie sauve pour lui, sa femme et ses deux enfants, et d'une grande quantité de pécunes. Le Duc accepta.
Le lendemain soir, la porte fut ouverte et l'armée du Duc entra dans la ville.
Pendant trois jours et trois nuits ce ne fut que massacres, viols et pillages. Les soldats, frustrés d'avoir dû patienter des mois avant d'entrer dans la ville se déchaînèrent. Les ordres du Duc étaient simples : le comte, les barons et leurs familles vivants, les autres...
Sur les 3500 habitants que comptait la ville, 200 survécurent au massacre, certains se cachant dans les caves, sous des légumes ou des fruits pourris, d'autres, aux premiers échos du massacre, montant dans des bateaux et fuyant vers la mer. Quand ils revinrent, ils virent l'horreur de la furie des soldats. Tous les hommes, femmes, enfants et vieillards avaient été égorgés ou éventrés et jetés sur le pavé. Un des survivants dit que les rues ruisselaient carrément de sang. C'était depuis ce jour que la ville était appelée ''Alméria la sanglante''
Les trois barons rebelles et le comte furent jugés, condamnés à mort pour trahison et sédition et décapités, leurs biens confisqués et leurs familles bannies de Brittania.
Juda, quant à lui, ne pu profiter de ses biens si mal acquis : le Duc le fit pendre, en disant qu'il haïssait les traîtres, et sa femme et ses enfants furent vendus comme esclaves.
Alméria était tombée dans les possessions du Duc. De nouveaux habitants s'y installèrent. Mais, comme si la cité, qui avait vue trop d'horreur commises par les armées ducales, imprégnait les esprits, les Almériens détestaient viscéralement tous ceux qui appartenaient au Duc, les miliciens eux-mêmes sortant rarement de leur poste, étant constamment insultés, conspués et parfois même molestés.
Si un homme, recherché par le Duc, voulait se cacher, Alméria était le meilleur endroit de tout Brittania.