10-11-2023, 03:26 AM
Paris / Joachim
Il avait hésité, ne tenant plus vraiment à passer cette semaine seul en gîte à Caylus, il avait même proposé à Thomas de l’occuper, lui, avec qui il voulait, fut-ce même avec ce garçon, qu’il avait découvert dans leur lit, gémissant, accroché au corps de son mec. Son ex-mec…
Lit sur lequel il composait à présent le contenu de son sac de voyage, Tom ayant refusé sa proposition, Paris serait clairement un terrain de chasse bien plus giboyeux qu’un bled paumé du Tarn et Garonne.
Autant que j’en profite, finalement, pensa-t-il. À défaut de nous rapprocher, le séjour me permettra peut-être de passer à autre chose !
Ce qui l’avait pourtant fait légèrement hésiter, c’était aussi ce rêve qu’il avait fait la nuit précédente. Joachim ne leur accordait généralement aucune importance, les attribuant simplement au traitement par le cerveau, avant leur classement définitif, des souvenirs, des émotions, ou plutôt, dans ce cas-ci, de sa frustration.
Pourtant, celui de la nuit dernière avait été si prégnant ! Le gîte de village avait laissé la place à un petit château de province qu’il n’avait pourtant pas vu sur les photos du village qu’il avait googlées, et où un jeune homme prénommé Guillaume lui avait sauté dans les bras à son arrivée, un garçon aussi blond que Tom était brun de poil, et que surtout, il était absolument certain de n’avoir jamais rencontré.
Sauf à ne pas l’avoir remarqué, je ne voyais que Thomas… ajouta-t-il in petto, au final, c’était bien plus le fait de son désormais ex de traquer du regard tous les jolis mecs qu’il croisait, et qui, potentiellement…
Peut-être m’en doutais-je sans me l’avouer, mais alors, mon inconscient aurait déjà remplacé Tom par ce blond que je ne connais pas ?
Absurde ! s’était-il raisonné, les scenarii romantico-psychologiques, c’est juste bon pour les mauvais téléfilms de Noël, j’y ai encore échappé cette année, ce n’est pas pour m’en construire un en tête !
Caylus / Guillaume
‘Cher journal’, traça-t-il de son écriture fine, ‘Sous peu, je n’aurai plus besoin de toi, je vais le retrouver ! Ce que je te confie, je pourrai bientôt à nouveau le lui murmurer à l’oreille, en étreignant son corps. Il revient, je le sens, et même, je le sais.’
Guillaume avait remarqué l’agitation autour de la maison des parents de Joachim, et seul le soupçon qu’il n’y serait pas exactement le bienvenu l’avait empêché d’en approcher. Son intuition avait été renforcée après qu’il s’était réveillé en sueur, avant l’aurore…
Quel songe étrange, et perturbant, se dit-il, avant de le coucher sur le papier.
L’air était chargé d’orage, sous un ciel plombé de nuages menaçants. Depuis le perron du château, il épiait l’arrivée de l’objet de son affection, comme l’avait nommé Clémence, leur cuisinière, lorsqu’il lui avait raconté son rêve ce matin, au petit déjeuner.
Lorsqu’il avait vu sa silhouette en franchir les grilles, il avait remonté la drève en courant à sa rencontre et s’était jeté à son cou, pour couvrir son visage de bisous légers, avant d’écraser les lèvres sur sa bouche.
Le jeune homme n’ayant pas répondu à son baiser, Guillaume s’était légèrement écarté pour l’observer, inquiet. Il semblait ne pas le reconnaitre, et au lieu de l’habituel sourire lumineux, son masque presque impassible ne trahissait que l’égarement, alors que son regard balayait le parc et la demeure, comme s’il les découvrait, ainsi que Guillaume lui-même…
Bah ! Songe, mensonge ! L’essentiel, c’est que j’ai rêvé de lui… conclut-il, interrompant sa rédaction, pour porter le regard à travers la fenêtre, sur le parc illuminé par le soleil d’été.
Caylus / Joachim
Il gara sa voiture devant le bâtiment principal et en sortit, pour découvrir, à l’écart, un chalet de rondins, incongru dans cette région où les habitations en pierre sèche se fondent dans le relief naturel.
— Vous devez être monsieur Lécuyer… fit une voix tremblotante derrière lui. Il se tourna vers une petite bonne femme qui s’essuyait les mains sur un torchon avant de lever le regard sur lui. ‘’Vous avez trouvé faci…le…ment ?’’ articula-t-elle, apparemment un peu déstabilisée.
— Oui, merci, madame Mayragues. Mais vous pouvez m’appeler Joachim, monsieur Lécuyer, c’est mon père.
— Joachim… vraiment… murmura-t-elle, en le dévisageant. Vous… avez de la famille par ici ?
— Pas du tout, et je n’ai même jamais mis un pied dans le Tarn. Ceci dit, c’est étrange, arrivé au village, j’ai eu l’impression que certains détails étaient curieusement familiers, j’aurais presque pu me passer des instructions du GPS pour rejoindre votre maison.
— Bizarre, à moins que… Bah, non, je suis une vieille femme qui radote. Venez, je vous fais visiter le gîte.
— Merci, le temps de prendre mon sac, et les quelques provisions que j’ai emportées, ne sachant pas si je trouverais un magasin au village.
— Il y a un petit Intermarché à Saint-Projet, à cinq kilomètres. Mais voudrez-vous partager mon diner, ce soir ? J’ai un cassoulet qui mijote, vous m’épargneriez de devoir en manger pendant trois jours.
— Si j’avais su… J’y ai déjeuné il y a une heure. J’y retournerai cet après-midi. Mais oui, avec plaisir, merci pour l’invitation, madame Mayragues.
— Appelez-moi Clémence, mon garçon.
Guillaume
Pourquoi Maman me ment-elle ? se demanda Guillaume, après qu’il avait surpris sa fin de la conversation à voix basse avec le facteur, et la mention du prénom de Joachim, ce qu’elle avait farouchement nié.
Joachim
— Entrez… Joachim, donc… La réservation était pour deux personnes, mais vous êtes seul.
— Oui, je… viens de me séparer, hésita-t-il, avant d’ajouter d’un filet de voix ‘’de mon compagnon, j’espère que je ne vous choque pas’’.
— Et pourquoi donc, j’ai connu deux jeunes hommes qui… C’était il y a longtemps, soupira-t-elle. ‘’Oh ! Vous avez pris du vin, il ne fallait pas, voyons.’’
— Je n’y connais pas grand-chose, c’est un Côtes de Gascogne, l’étiquette m’a inspiré, ainsi que le nom du domaine : Mas Guilhelm…
— Guil…, éructa Clémence. ‘’Pourquoi ce vin en particulier ?’’
— Je ne sais pas, c’est juste que… Vous allez trouver ça idiot, mais la nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange, il y avait un petit château aux tours crénelées, et un garçon blond qu’étrangement je savais s’appeler Guillaume, sauf que je ne le connais pas.
— Guilhem est la version occitane de ce prénom. Se pourrait-il que…
— Dites-moi, osa Joachim.
— Il est encore tôt, le cassoulet attendra, à défaut de vous dire, je voudrais vous montrer…
Guillaume
Cher journal, traça Guillaume sur le papier, ‘’je vais te refermer définitivement. Qu’aurais-je encore à te raconter ?’’.
Il regarda, par la fenêtre, le chêne rouvre du parc, derrière lequel ils avaient échangé leur premier baiser, maladroit mais si sincère, puis écrivit quelques vers de son poème préféré.
Cher arbre, je t’ai vu par le vent bousculé,
Et si toi, tu m’as vu quand j’étais allongé,
Tu m’as vu pris et par le plaisir balayé,
À mon amour éperdument abandonné. (*)
Il referma le carnet et l’inséra sous la languette mobile du parquet de sa chambre, puis porta son regard sur l’arbre centenaire.
(*) R. Frost – Tree at my Window
Joachim
Clémence lui demanda d’une voix émue de s’arrêter devant des grilles ouvragées, entrouvertes sur une drève, au bout de laquelle, il reconnut le bâtiment.
— C’est le château, celui de mon rêve ! s’exclama-t-il. ‘’Mais comment est-ce possible ? Je ne suis jamais venu ici’’.
— Vous, non… Mais continuons, voulez-vous, rejoignons le centre du village, Guillaume nous attend…
…
— Ici, vraiment ? demanda Joachim, interdit.
— À mon âge, lorsque l’on cherche quelqu’un, on a plus de chance de le trouver dans un cimetière que parmi les vivants. Suivez-moi, dit-elle, avant de le mener jusqu’à deux tombes isolées des autres, l’une garnie d’une simple croix de pierre bleue, et l’autre, d’une dalle de marbre.
Sur la première, il lut ‘Joachim Cayzac 13.3.1940 - 1.7.1962’, et sur la seconde, surmonté de la photo d’un jeune homme blond ‘Guillaume d’Ombre de Segonzac 21.5.1942 – 4.7.1962’
— Le père Cayzac s’est fendu du minimum pour la sépulture de Joachim, mais j’ai une photo d’eux que je vous montrerai, vous verrez qu’outre le prénom commun, vous lui ressemblez beaucoup, ça m’a frappée lorsque vous êtes arrivé…
— Vous m’aviez semblé surprise, je commence à comprendre, là.
— J’étais cuisinière au château, nous avions le même âge, je les ai bien connus. Il a été tué à la fin de la guerre d’Algérie, murmura-t-elle en pointant la simple croix de pierre. ‘’Son corps a été rapatrié, tout le village était à l’enterrement, sauf Guillaume, qu’on a retrouvé le soir, pendu au grand chêne du parc. La crypte familiale est au fond du cimetière, mais Madame a voulu qu’il soit inhumé auprès de Joachim, et elle avait acheté les concessions latérales, pour les réunir, tout en les isolant des autres, comme ils auraient probablement vécu.’’
— Oui, à l’époque, ça ne devait pas être facile pour les gens comme… nous.
— Le monde était méchant il y a soixante ans, Joachim, il n’avait rien appris de l’autre guerre, vingt ans plus tôt, et je me dis qu’encore maintenant… Ce garçon, votre compagnon…
— Thomas.
— Ne gardez pas de rancune, et encore moins de regrets, la vie peut être belle, et pleine d’opportunités, Guillaume ne l’avait tout simplement pas vu, et s’était abandonné à son chagrin.
Chaque jour de sa semaine à Caylus, Joachim avait rejoint le parc du château, pour s’asseoir au pied du rouvre, et finir par imaginer qu’il voyait les deux garçons courir et se rouler sur l’herbe, puis parfois, qu’il entendait leurs rires et des mots chuchotés.
Le dimanche de son départ, alors qu’il se redressait, il vit une voiture s’arrêter devant les grilles. Un jeune homme blond en descendit pour y apposer une affiche ‘À VENDRE’, avant de reculer de quelques pas et, l’air satisfait, d’accueillir Joachim d’une voix joyeuse ‘’La propriétaire était à l’EHPAS de Saint-Projet, une baronne ou un truc du genre, elle vient de mourir, à cent-onze ans, c’est fou, non ? Seriez-vous intéressé ? Ce serait ma première vente, et la plus rapide de ma future carrière ! Notez, j’adore ce domaine, et vu sa localisation, il partira pour une bouchée de pain, mais seul, je ne pourrais pas me le permettre’’.
— Je suis malheureusement dans la même situation, et moi aussi, sous le charme depuis que je l’ai découvert. C’est un endroit étrange, depuis une semaine, je vais de surprise en surprise, comme le fait que tu ressembles beaucoup à… quelqu’un que je n’ai jamais connu, en fait ! Ce que je dis n’a pas de sens, et en plus, je vous tutoie, désolé.
— J’aime beaucoup les paradoxes ! Et tu peux me tutoyer, nous avons déjà en commun le goût des vieilles pierres et des endroits romantiques.
— Un signe, dirait Clémence… Moi, c’est Joachim.
— Et moi, William.
— William… Guillaume… Guilhem… murmura-t-il
— Tu as un prénom biblique, assez sérieux. Le mien est un peu excentrique, choisi par mes parents qui ne le sont pas moins, et je tente de faire perdurer la tradition familiale, mais ce n’est pas toujours au goût de mon patron à l’agence. Ils pourraient avoir une influence intéressante l’un sur l’autre. Mais… qui est Clémence ?
— La propriétaire du gîte que j’occupais cette semaine, un petit bout de femme adorable, et la mémoire du village. Elle t’offrira l’apéritif, si tu as un moment.
— Elle pourra surtout me parler du domaine ! Dans ma branche, quelques détails historiques croustillants peuvent faciliter une vente. Attends, deux-trois appels pour réorganiser mon agenda, et je te suis.
Plus tard dans l’après-midi, d’un clin d’œil, Clémence prit Joachim à part. ‘’Vous avez perdu de vue l’heure de votre retour à Paris, mon garçon’’.
— Mais pas ce que vous m’avez dit sur la vie, et les opportunités… sourit-il.
Il avait hésité, ne tenant plus vraiment à passer cette semaine seul en gîte à Caylus, il avait même proposé à Thomas de l’occuper, lui, avec qui il voulait, fut-ce même avec ce garçon, qu’il avait découvert dans leur lit, gémissant, accroché au corps de son mec. Son ex-mec…
Lit sur lequel il composait à présent le contenu de son sac de voyage, Tom ayant refusé sa proposition, Paris serait clairement un terrain de chasse bien plus giboyeux qu’un bled paumé du Tarn et Garonne.
Autant que j’en profite, finalement, pensa-t-il. À défaut de nous rapprocher, le séjour me permettra peut-être de passer à autre chose !
Ce qui l’avait pourtant fait légèrement hésiter, c’était aussi ce rêve qu’il avait fait la nuit précédente. Joachim ne leur accordait généralement aucune importance, les attribuant simplement au traitement par le cerveau, avant leur classement définitif, des souvenirs, des émotions, ou plutôt, dans ce cas-ci, de sa frustration.
Pourtant, celui de la nuit dernière avait été si prégnant ! Le gîte de village avait laissé la place à un petit château de province qu’il n’avait pourtant pas vu sur les photos du village qu’il avait googlées, et où un jeune homme prénommé Guillaume lui avait sauté dans les bras à son arrivée, un garçon aussi blond que Tom était brun de poil, et que surtout, il était absolument certain de n’avoir jamais rencontré.
Sauf à ne pas l’avoir remarqué, je ne voyais que Thomas… ajouta-t-il in petto, au final, c’était bien plus le fait de son désormais ex de traquer du regard tous les jolis mecs qu’il croisait, et qui, potentiellement…
Peut-être m’en doutais-je sans me l’avouer, mais alors, mon inconscient aurait déjà remplacé Tom par ce blond que je ne connais pas ?
Absurde ! s’était-il raisonné, les scenarii romantico-psychologiques, c’est juste bon pour les mauvais téléfilms de Noël, j’y ai encore échappé cette année, ce n’est pas pour m’en construire un en tête !
Caylus / Guillaume
‘Cher journal’, traça-t-il de son écriture fine, ‘Sous peu, je n’aurai plus besoin de toi, je vais le retrouver ! Ce que je te confie, je pourrai bientôt à nouveau le lui murmurer à l’oreille, en étreignant son corps. Il revient, je le sens, et même, je le sais.’
Guillaume avait remarqué l’agitation autour de la maison des parents de Joachim, et seul le soupçon qu’il n’y serait pas exactement le bienvenu l’avait empêché d’en approcher. Son intuition avait été renforcée après qu’il s’était réveillé en sueur, avant l’aurore…
Quel songe étrange, et perturbant, se dit-il, avant de le coucher sur le papier.
L’air était chargé d’orage, sous un ciel plombé de nuages menaçants. Depuis le perron du château, il épiait l’arrivée de l’objet de son affection, comme l’avait nommé Clémence, leur cuisinière, lorsqu’il lui avait raconté son rêve ce matin, au petit déjeuner.
Lorsqu’il avait vu sa silhouette en franchir les grilles, il avait remonté la drève en courant à sa rencontre et s’était jeté à son cou, pour couvrir son visage de bisous légers, avant d’écraser les lèvres sur sa bouche.
Le jeune homme n’ayant pas répondu à son baiser, Guillaume s’était légèrement écarté pour l’observer, inquiet. Il semblait ne pas le reconnaitre, et au lieu de l’habituel sourire lumineux, son masque presque impassible ne trahissait que l’égarement, alors que son regard balayait le parc et la demeure, comme s’il les découvrait, ainsi que Guillaume lui-même…
Bah ! Songe, mensonge ! L’essentiel, c’est que j’ai rêvé de lui… conclut-il, interrompant sa rédaction, pour porter le regard à travers la fenêtre, sur le parc illuminé par le soleil d’été.
Caylus / Joachim
Il gara sa voiture devant le bâtiment principal et en sortit, pour découvrir, à l’écart, un chalet de rondins, incongru dans cette région où les habitations en pierre sèche se fondent dans le relief naturel.
— Vous devez être monsieur Lécuyer… fit une voix tremblotante derrière lui. Il se tourna vers une petite bonne femme qui s’essuyait les mains sur un torchon avant de lever le regard sur lui. ‘’Vous avez trouvé faci…le…ment ?’’ articula-t-elle, apparemment un peu déstabilisée.
— Oui, merci, madame Mayragues. Mais vous pouvez m’appeler Joachim, monsieur Lécuyer, c’est mon père.
— Joachim… vraiment… murmura-t-elle, en le dévisageant. Vous… avez de la famille par ici ?
— Pas du tout, et je n’ai même jamais mis un pied dans le Tarn. Ceci dit, c’est étrange, arrivé au village, j’ai eu l’impression que certains détails étaient curieusement familiers, j’aurais presque pu me passer des instructions du GPS pour rejoindre votre maison.
— Bizarre, à moins que… Bah, non, je suis une vieille femme qui radote. Venez, je vous fais visiter le gîte.
— Merci, le temps de prendre mon sac, et les quelques provisions que j’ai emportées, ne sachant pas si je trouverais un magasin au village.
— Il y a un petit Intermarché à Saint-Projet, à cinq kilomètres. Mais voudrez-vous partager mon diner, ce soir ? J’ai un cassoulet qui mijote, vous m’épargneriez de devoir en manger pendant trois jours.
— Si j’avais su… J’y ai déjeuné il y a une heure. J’y retournerai cet après-midi. Mais oui, avec plaisir, merci pour l’invitation, madame Mayragues.
— Appelez-moi Clémence, mon garçon.
Guillaume
Pourquoi Maman me ment-elle ? se demanda Guillaume, après qu’il avait surpris sa fin de la conversation à voix basse avec le facteur, et la mention du prénom de Joachim, ce qu’elle avait farouchement nié.
Joachim
— Entrez… Joachim, donc… La réservation était pour deux personnes, mais vous êtes seul.
— Oui, je… viens de me séparer, hésita-t-il, avant d’ajouter d’un filet de voix ‘’de mon compagnon, j’espère que je ne vous choque pas’’.
— Et pourquoi donc, j’ai connu deux jeunes hommes qui… C’était il y a longtemps, soupira-t-elle. ‘’Oh ! Vous avez pris du vin, il ne fallait pas, voyons.’’
— Je n’y connais pas grand-chose, c’est un Côtes de Gascogne, l’étiquette m’a inspiré, ainsi que le nom du domaine : Mas Guilhelm…
— Guil…, éructa Clémence. ‘’Pourquoi ce vin en particulier ?’’
— Je ne sais pas, c’est juste que… Vous allez trouver ça idiot, mais la nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange, il y avait un petit château aux tours crénelées, et un garçon blond qu’étrangement je savais s’appeler Guillaume, sauf que je ne le connais pas.
— Guilhem est la version occitane de ce prénom. Se pourrait-il que…
— Dites-moi, osa Joachim.
— Il est encore tôt, le cassoulet attendra, à défaut de vous dire, je voudrais vous montrer…
Guillaume
Cher journal, traça Guillaume sur le papier, ‘’je vais te refermer définitivement. Qu’aurais-je encore à te raconter ?’’.
Il regarda, par la fenêtre, le chêne rouvre du parc, derrière lequel ils avaient échangé leur premier baiser, maladroit mais si sincère, puis écrivit quelques vers de son poème préféré.
Cher arbre, je t’ai vu par le vent bousculé,
Et si toi, tu m’as vu quand j’étais allongé,
Tu m’as vu pris et par le plaisir balayé,
À mon amour éperdument abandonné. (*)
Il referma le carnet et l’inséra sous la languette mobile du parquet de sa chambre, puis porta son regard sur l’arbre centenaire.
(*) R. Frost – Tree at my Window
Joachim
Clémence lui demanda d’une voix émue de s’arrêter devant des grilles ouvragées, entrouvertes sur une drève, au bout de laquelle, il reconnut le bâtiment.
— C’est le château, celui de mon rêve ! s’exclama-t-il. ‘’Mais comment est-ce possible ? Je ne suis jamais venu ici’’.
— Vous, non… Mais continuons, voulez-vous, rejoignons le centre du village, Guillaume nous attend…
…
— Ici, vraiment ? demanda Joachim, interdit.
— À mon âge, lorsque l’on cherche quelqu’un, on a plus de chance de le trouver dans un cimetière que parmi les vivants. Suivez-moi, dit-elle, avant de le mener jusqu’à deux tombes isolées des autres, l’une garnie d’une simple croix de pierre bleue, et l’autre, d’une dalle de marbre.
Sur la première, il lut ‘Joachim Cayzac 13.3.1940 - 1.7.1962’, et sur la seconde, surmonté de la photo d’un jeune homme blond ‘Guillaume d’Ombre de Segonzac 21.5.1942 – 4.7.1962’
— Le père Cayzac s’est fendu du minimum pour la sépulture de Joachim, mais j’ai une photo d’eux que je vous montrerai, vous verrez qu’outre le prénom commun, vous lui ressemblez beaucoup, ça m’a frappée lorsque vous êtes arrivé…
— Vous m’aviez semblé surprise, je commence à comprendre, là.
— J’étais cuisinière au château, nous avions le même âge, je les ai bien connus. Il a été tué à la fin de la guerre d’Algérie, murmura-t-elle en pointant la simple croix de pierre. ‘’Son corps a été rapatrié, tout le village était à l’enterrement, sauf Guillaume, qu’on a retrouvé le soir, pendu au grand chêne du parc. La crypte familiale est au fond du cimetière, mais Madame a voulu qu’il soit inhumé auprès de Joachim, et elle avait acheté les concessions latérales, pour les réunir, tout en les isolant des autres, comme ils auraient probablement vécu.’’
— Oui, à l’époque, ça ne devait pas être facile pour les gens comme… nous.
— Le monde était méchant il y a soixante ans, Joachim, il n’avait rien appris de l’autre guerre, vingt ans plus tôt, et je me dis qu’encore maintenant… Ce garçon, votre compagnon…
— Thomas.
— Ne gardez pas de rancune, et encore moins de regrets, la vie peut être belle, et pleine d’opportunités, Guillaume ne l’avait tout simplement pas vu, et s’était abandonné à son chagrin.
Chaque jour de sa semaine à Caylus, Joachim avait rejoint le parc du château, pour s’asseoir au pied du rouvre, et finir par imaginer qu’il voyait les deux garçons courir et se rouler sur l’herbe, puis parfois, qu’il entendait leurs rires et des mots chuchotés.
Le dimanche de son départ, alors qu’il se redressait, il vit une voiture s’arrêter devant les grilles. Un jeune homme blond en descendit pour y apposer une affiche ‘À VENDRE’, avant de reculer de quelques pas et, l’air satisfait, d’accueillir Joachim d’une voix joyeuse ‘’La propriétaire était à l’EHPAS de Saint-Projet, une baronne ou un truc du genre, elle vient de mourir, à cent-onze ans, c’est fou, non ? Seriez-vous intéressé ? Ce serait ma première vente, et la plus rapide de ma future carrière ! Notez, j’adore ce domaine, et vu sa localisation, il partira pour une bouchée de pain, mais seul, je ne pourrais pas me le permettre’’.
— Je suis malheureusement dans la même situation, et moi aussi, sous le charme depuis que je l’ai découvert. C’est un endroit étrange, depuis une semaine, je vais de surprise en surprise, comme le fait que tu ressembles beaucoup à… quelqu’un que je n’ai jamais connu, en fait ! Ce que je dis n’a pas de sens, et en plus, je vous tutoie, désolé.
— J’aime beaucoup les paradoxes ! Et tu peux me tutoyer, nous avons déjà en commun le goût des vieilles pierres et des endroits romantiques.
— Un signe, dirait Clémence… Moi, c’est Joachim.
— Et moi, William.
— William… Guillaume… Guilhem… murmura-t-il
— Tu as un prénom biblique, assez sérieux. Le mien est un peu excentrique, choisi par mes parents qui ne le sont pas moins, et je tente de faire perdurer la tradition familiale, mais ce n’est pas toujours au goût de mon patron à l’agence. Ils pourraient avoir une influence intéressante l’un sur l’autre. Mais… qui est Clémence ?
— La propriétaire du gîte que j’occupais cette semaine, un petit bout de femme adorable, et la mémoire du village. Elle t’offrira l’apéritif, si tu as un moment.
— Elle pourra surtout me parler du domaine ! Dans ma branche, quelques détails historiques croustillants peuvent faciliter une vente. Attends, deux-trois appels pour réorganiser mon agenda, et je te suis.
Plus tard dans l’après-midi, d’un clin d’œil, Clémence prit Joachim à part. ‘’Vous avez perdu de vue l’heure de votre retour à Paris, mon garçon’’.
— Mais pas ce que vous m’avez dit sur la vie, et les opportunités… sourit-il.
Some girls can make my day, but only boys make my hole weak.