Hello ! Une petite d'un genre différent... et qui me plaît bien.
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On change de Philibert
C'était un grand garçon brun dont le visage se cachait derrière une barbe sombre... et que pour cette raison, des facétieux de la boîte avaient surnommé « Landru »...
Il n'avait rien d'un monstre, cependant, car il était universellement apprécié pour sa gentillesse et son équanimité, et ses qualités au boulot, Philibert.Depuis deux mois, il avait affaire à un nouveau, dont le patron l'avait prié de se charger, et ça se passait bien entre eux : la patience de Philibert et le désir de bien faire de Kévin, gentil mec de vingt-quatre ans, s'accordaient parfaitement.
Au bout de ces deux mois, Philibert se vit inviter à dîner par ce garçon dans un petit restaurant sympa du centre ancien, ce vendredi soir.
— Tu te ruines pas, hein ? avait-il déclaré, tu débutes seulement, là !
— Je me ruine pas, j'investis !
— La corruption, déjà ?
— Non pas. La bonne éducation, Monsieur.
Philibert dut sourire à l'aplomb du mec. Qui n'avait au demeurant rien de prétentieux ni d'arrogant. Ce p'tit mec châtain était d'un naturel souriant, et la soirée fut charmante, au point que Kévin voulut offrir un digestif à son collègue.
— Non, j'habite tout près, et c'est toi qui vas venir te rincer le gosier chez moi ! répliqua Philibert.
À vingt-sept ans, Philibert avait déjà acheté un petit appartement, étant du genre sérieux. L'endroit était moderne et plaisant, et ses goût classiques s'y étalaient sur les murs et les étagères... Une maison d'intello, quoi, songea Kévin.
Il n'était pas loin de minuit quand celui-ci demanda :
— Est-ce que tu as des photos de toi … sans la barbe ?
— Hein ? Oui, bien sûr, mais... pourquoi ?
— Tu as évidemment tes raisons pour la porter, mais... j'aimerais savoir comment tu es sans, c'est tout. Simple curiosité... que tu me pardonneras si elle te choque !
— Non, non, mais... dit un Philibert passablement embêté quand même.
— Et d'abord : ça fait longtemps ?
— Six ans, je crois. Ça m'a pris un jour... et voilà.
— J'aimerais te voir avant... mais sans obligation !
Philibert promit de retrouver ses photos, et l'on se sépara.
Le samedi matin, il reçut un appel de Kévin, qui lui proposait un vide-grenier. On se retrouva donc vers dix heures, moment où il n'y avait pas trop de presse.
On zona dans les allées en commentant les rossignols y présentés, pour se rendre compte qu'on avait souvent le même avis.
Puis Kévin proposa qu'on déjeunât dans un bistrot voisin et sans prétention. Où, après qu'on se fût attaqué à la grande chope de Stella Artois — il faisait déjà fort beau, fin mai — Kévin fourragea dans sa sacoche :
— J'ai un mini cadeau pour toi... Avant que tu me montres tes photos, j'ai trouvé celui à qui tu ressembles le plus !
Et de tendre à Philibert un vieux petit cadre... où ce garçon, le retournant, découvrit le portrait de Nicolas II.
— Ah ! Ah ! Mais... oui, peut-être... réagit Philibert en souriant largement. Merci ! Mais je t'ai pas vu l'acheter...
— J'ai fait gaffe, à cause des agents de Poutine !
Philibert sourit derechef : il était marrant ce p'tit mec, qui somme toute le changeait radicalement des gens qui se prennent au sérieux dès qu'ils bossent dans l'informatique... et qu'il fréquentait presque exclusivement, s'avisa-t-il alors.
Où il eut brièvement conscience qu'il s'ennuyait plutôt, dans la vie, nonobstant les nombreux centres d'intérêt qu'il avait... Il eut plaisir à ce simple repas entre copains, et se décida, sur la fin, à prier Kévin pour le café chez lui... encore qu'il gardât en tête la demande d'iceluy : voir ses photos sans barbe... qui lui rappelaient des souvenirs qu'il avait peu à peu oubliés.
On fut donc chez lui. Café, pousse-café...
— Trouveras-tu un recoin pour accrocher Sa Majesté ?
— Oui, promis ! affirma Philibert. C'est le cadeau le plus original qu'on m'ait fait, tu sais ?
— Et tu me dois ta pomme... rasée !
Philibert savait exactement où trouver ses vieilles photos, et se décida. Et il en avait, des photos car... Il ne savait s'il dirait la vérité à son nouvel ami — c'est ainsi qu'il voyait Kévin, désormais. Mais il montra, à un Kévin sidéré.
— Oh putain ! souffla le garçon dès les premières images, c'est toi, ça ?
— Oui... Ça t'étonne ?
— Mais... Mais... balbutia Kévin, effaré, mais... t'es carrément sublime et.... Sublime, oui !
Des photos, il y en avait plein des albums, et plein l'ordinateur... Où Kévin alla de surprise en surprise, et de oh ! en ah ! à l'infini...
— Est-ce que... tu me raconteras ? demanda enfin doucement Kévin, en tendant son verre.
Philibert lui servit une belle dose de mirabelle, et but lui aussi, décidé à se confier.
— Dans ce temps-là, j'étais... plutôt mignon, oui.— Sublime de haut en bas, oui !
— J'avais rencontré un couple un peu plus âgé — cinq ans de plus que moi... Ils travaillaient dans la mode, et se sont mis à me faire des photos... beaucoup ! Une bonne part de ce que j'ai. Ils m'ont aussi présenté à des tas d'imprésarios, et de photographes... et même un peintre pour qui j'ai posé. À l'époque, j'étais exhib... et content de moi... et du succès que j'avais... J'ai même fait quelques petits défilés de mode privés... Y avait du fric... et le reste... et puis un jour, un mec m'a fait une déclaration... sérieuse. Alors j'ai ouvert les yeux, et je me suis rendu compte que tout ça allait trop loin, et j'ai pris une trouille pas possible ! J'étais pas puceau ni ignorant, mais... j'ai trouvé un moyen de fuir tout ça : me laisser pousser la barbe... et repousser les poils ailleurs, qu'on me rasait tout le temps, pour les photos !Kévin resta baba, et bouche bée. L'air si ahuri même que Philibert dut en sourire.
— Fais pas cette tête-là !
— Oh... Je... Je... Non, non !... Mais... pourquoi t'as refusé ce mec qui...
— Disons que... je savais pas trop où j'en étais, et que... j'ai eu peur : c'était un mec super bien, beau, riche et doué... J'avais vingt-et-un ans... et je voulais pas m'engager comme ça... sans rien savoir de la vie, ou presque !
— Mais... t'aurais eu une autre carrière...
— Mon narcissisme ne m'a pas propulsé jusque là. Et je suis heureux dans cette boîte.
— Pourtant... tu m'as confié que... t'étais seul depuis longtemps.
— Oh, ça... Oui. Mais j'assume. Rassure-toi, je prends mon pied par-ci, par-là... de temps en temps... Et hors de la boîte, et de la ville aussi !
— T'aurais des possibilités ?
— Oh oui ! Mais je préfère pas. Et, bien sûr, tu es le seul à qui j'ai parlé de tout ça... Je te fais confiance !
— J'espère en être digne... et j'en suis très touché.
Philibert conta encore un long moment ses états d'âme passés, qui semblaient être oubliés.Enfin, Kévin demanda :
— Et quand est-ce que tu la coupes, cette affreuse barbe qui nous cache le plus joli garçon de la terre ?
Philibert resta coi, et la bouche ouverte... Il ne s'attendait pas à cette.... déclaration, sans doute. Kévin enfonça le clou.
— Tu n'as plus vingt ans, et tu devrais plutôt avoir peur de l'indifférence des autres, que de leur intérêt pour ta beauté, ne crois-tu pas ?
Ouh ! Philibert accusa le coup. S'il y avait déjà pensé, à cette évidence ! Mais sans jamais se la dire en vrai. Et un mecton à peine connu s'autorisait à lui dire calmement cette grave vérité ?
— Oh, je... Tu... bafouilla-t-il, oui, je... Oh ! Tu m'en demandes beaucoup, là !
— Tu m'autorises à dire autre chose ?
— Oh... vas-y, maintenant ! murmura Philibert en fermant les yeux.
— Quel Philibert caches-tu, sous cette sombre barbe ? Et est-ce que, quand tu te regardes dans ton miroir, elle dissimule vraiment celui que tu ne veux pas voir ?
Boum ! À la fois, Philibert fut choqué par cette charge, et il ressentait une sorte de soulagement. Le non dit venait d'être brisé par Kévin. Philibert poussa un nouvel et profond soupir, et il murmura :
— Tu me prends pour un gros nul, n'est-ce pas ?...
— Je m'étonne seulement qu'un mec de ta trempe ait peur de lui comme ça... Tu sais que tu pourrais être heureux ?
— Ooooh... t'es sans pitié, toi !
— Tu n'en as pas pour toi même !
Il y eut un silence : on sirota de concert. Si Philibert était prêt à aller plus loin dans les confidences, il ne le savait pas encore ; mais l'entrée par effraction de Kévin en sa vie intime lui semblait... salutaire.
— J'ai baisé... et je me suis fait baiser, dans l'temps, reprit-il doucement. Au propre et au figuré, t'imagines. Je croyais que ça aiderait à cette carrière qui m'a soudain fait peur... quand ce mec m'a avoué son amour. Pourtant... il aurait fait ma fortune... mais on se serait pas rencontrés, nous deux. Je serais à la une des torchons people, marié et riche...
— Bon ! Arrête de te faire du mal. Aujourd'hui est là. Et tu as le choix entre beaucoup d'autres avenirs que celui que tu as fui alors...
— Elle va me coûter une fortune, cette séance de psy...
— Mille fois moins que cette putain de barbe !
Nouveau silence, au terme duquel Kévin prétendit partir.
— Oh non, reste encore... gémit Philibert.
— Je vais prendre l'air. Songe à te reposer, toi ! À dormir... Et penses, si tu peux !
Kévin s'en fut donc, laissant là un Philibert qui se mit à pleurer, et bien, encore ! Il eut envie de faire revenir Kévin... mais un gros sanglot lui fit tomber le téléphone des mains.
Dimanche matin, donc. D'habitude, il allait zoner au marché voisin, pour prendre l'air et voir des gens. Mais là, il n'avait envie que d'une chose : parler à Kévin.
Ce p’tit mec l'avait retourné, par la justesse de ses vues... Ou s'il était lui-même si compréhensible... derrière sa barbe ?
Mais un message de Kévin le sortit de sa torpeur : « Bien dormi ? Moi pas : je me fais du souci pour toi. À bientôt ? »
Il dut bien agir, Philibert ! Et pria immédiatement Kévin au brunch. Vers onze heures parut donc ce garçon, porteur de viennoiseries... et de bulles. Ce qui fit sourire Philibert :
— J'avais justement prévu du crémant... au lieu du café !
On se mit en devoir de se bullifier, donc, et enfin Kévin attaqua :
— Je t'ai pas trop choqué, hier soir ?
— Si, beaucoup... et merci !
— Philibert ?
— J'en avais besoin. Et toi, tu as mis le doigt juste où il fallait, comme ça ! Merci, donc. J'ai pas beaucoup dormi, non. Et j'ai décidé un truc... Un truc !
— Tu me fais peur !
— Non. C'est toi qui vas me la couper, ma barbe.
— Ah !
— Et avant... je te montre d'autres photos de moi, s'tu veux.
Et là, ce fut Kévin qui en eut plein les mirettes, et se retrouva sur le cul : car Philibert possédait des centaines de photos de lui nu, et... et incroyables, oui !
Coi et baba, Kévin ne disait rien... et Philibert enfin lui demanda :
— Tu dis rien ? Elles te plaisent pas, les photos de ma gloire ancienne ?
— Oh si, si... murmura le garçon, t'es merveilleux, tout simplement. Je peux rien dire d'autre... Oh, Philibert !
Philibert sentit le garçon trembler contre lui.
— Je pensais pas... qu'on pouvait être aussi beau.
— Chut ! C'était dans le temps, ça... Si tu veux... on pourrait refaire toutes ces fantaisies de rasages, les dessins, tout !
— Oh, Philibert... tu... tu veux ?
— Tu me vires la barbe... et pour les poils... on s'amuse ?
Philibert sentit que Kévin accusait le coup. Il le prit par le cou, pour lui souffler à l'oreille :
— Oui, tu vas me le faire. Et là, j'te montre tout. Et toi ?
On se leva, et Philibert fit signe de se retourner. Et l'on se désapa, avant qu'il donnât l'ordre de se regarder. Où Kévin lui tomba immédiatement dans les bras.
— Hep ! Tu me regardes, et tu me dis quoi !
— T'es... incroyable, murmura Kévin, défait.
— Allez ! On vire la barbe, tu veux ?
Kévin dut donc raser Philibert. Il le fit avec grand luxe de soins... après avoir dû photographier son collègue sous tous les angles, et à toutes les étapes de l'opération.
— Pas mal, je trouve ! fit Philibert en se regardant dans la glace. T'en dis quoi ?
— Je savais pas que ça existait, un mec beau comme toi, murmura gravement Kévin.
— Chut ! Sérieusement ?
— Je t'aime, Philibert. Et je t'aimais avec ton affreuse barbe aussi, oh oui !
Ouh ! Il l'avait pas vu venir, celle-là, Philibert !... qui s'en doutait bien un peu, certes. Et même... il dut se l'avouer dans un éclair de lucidité, il l'espérait, sans oser se le dire... comme le reste.
Moment d'indécision, donc. Philibert eut une idée :
— T'aimerais que je te photographie, aussi ?
— Oh, je sais pas si j'en vaux la peine !
— Tout beau garçon en vaut la peine... surtout toi. Viens !
Timide, Kévin se prêta avec grâce aux ordres d'un Philibert qui savait ce que c'était, que de photographier un joli garçon !
Et puis... il banda, Philibert. La suite fut d'une simplicité édénique, compte tenu de ce que vous savez déjà. Kévin se révéla fou des poils de Philibert, s'il haïssait sa barbe.
Et Philibert s'avoua qu'il en avait rêvé, d'un tel moment ! M'enfin Kévin lui demanda :
— Et demain ?
— Demain, j'y vais... et je dis que c'est toi qui m'a décidé. Je vais sans doute subir des tentatives de viol... mais je compte sur toi pour protéger ma vertu... car elle t'appartient, Kévin.
— Oh, tu... Tu... bégaya Kévin à qui vinrent les larmes.
— Je... comme tu dis ! Ah oui !... Je t'aime, Kévin.
— Comme ça ?
— Deux mois qu'on se voit tous les jours, non ? Deux mois que tu es... le parfait Kévin. Tu m'as dit que je me cachais devant mon miroir... Maintenant, mon vrai miroir, c'est toi.
Révolution, au boulot, oui ! Au point que le patron dut intervenir pour disperser l'émeute !
Comme prévu, les invitations tombèrent sur Philibert... qui laissa planer le doute plus de deux mois encore avant de s'afficher avec un Kévin rougissant comme une jeune mariée... ce qu'il fut peu après... mais en smoking, et sous les hourras de la foule.
18. II. 2023
Amitiés de Louklouk !