17-11-2022, 11:11 PM
Le Roux et le Noir
Voilà une affaire qui marchait bien, dans le pays, celle de Laurent, jeune entrepreneur qui l'avait créée six ans plus tôt, et avait déjà seize employé sous ses ordres. Informatique, évidemment. Et tout ronronnait gentiment, non sans que les uns et les autres eussent constamment l'œil sur les progrès de la maison.
Hors ceci, il régnait céans une ambiance bon enfant, familiale, même. Jusqu'à ce que Laurent annonçât qu'il venait de recruter un jeune ingénieur prometteur.
Peu de remous : la brigue n'était pas ce qui animait principalement ses collaborateurs, grâce à une bonne gestion de son personnel. Et d'ailleurs, ce ne fut pas ce qui créa un mouvement de foule emmy ses collègues, quand il leur présenta sa nouvelle recrue, Laurent... Non, ce fut...
Ce fut l'éclatante beauté de Valentin. Un grand et fin noir de nos Antilles, au sourire à damner les conclaves les plus homophobes, et les patronages les plus réactionnaires...
La merveille absolue, donc, qui coupa le souffle à toute la boîte — machine à café comprise.
Le patron fit donc un petit discours, et le garçon, dans les trente-cinq ans, dit deux, trois mots avec un sourire emprunté qui fit craquer tout le monde. Le chef avait prévu, ce lundi matin, un petit déjeuner et des monceaux de viennoiseries attendaient ses collaborateurs. On parvint à faire causer un peu l'impétrant... qui ne se départit jamais de son sublime sourire.
Et ce fut la secrétaire du patron qui fut chargée de lui faire visiter les bureaux et de lui présenter tout le monde. On subodorait, ici, que Marie-Solange, célibataire de quarante ans, était secrètement éprise du patron, qui avait trente-cinq ans, lui. Mais sans preuve aucune, comme dans tous les cas semblables de toutes les entreprises du monde...
Il fit l'unanimité, ce Valentin-là. Mais les offres de service des uns ni des autres ne furent retenues : c'est le patron qui se chargerait de le mettre au parfum. Et même, il lui fit installer un bureau dans le bureau directorial... à l'étonnement général.
Véronique et Olivia, deux bonnes copines, se jurèrent aussitôt de se faire le bel Antillais, et de le mettre au concours. Mais elles avaient parlé juste un peu fort, s'éloignant de la machine à café, et Joël, grand et maigre rouquin, pouffa :
— Il est gay jusqu'au trognon, votre Antillais... D'ailleurs c'est moi qu'il a regardé le plus, ah ! ah !
— T'es gay, toi, maintenant ?
— Non, mais devant une merveille pareille, je suis prêt à revoir mes positions !
— N'importe quoi !
— Et s'il me dit vraiment, un soir : « Coucou, bello, tu viens faire des galipettes ? », je réponds quoi, moi ?
— Mais t'es con, ou quoi ? Il est hétéro, ce mec, ça se sent à plein nez !
— T'as le nez bouché, chérie !
Et dire que ce genre de discussion se reproduisit tous les jours, depuis l'arrivée de Valentin ! Et entre tout le monde et tout le monde...
Une quinzaine plus tard, on était presque fin juin, et le patron avait l'habitude d'inviter son personnel chez lui, au début et à la fin de l'été. On ne ratait pas ça, car on savait y être bien traité. De plus, la maison possédait une piscine, et l'on comptait sur cet élément pour draguer, évidemment. Et là, il y aurait Valentin ! Voir ce mec en petite tenue relevait du fantasme le plus mouillant, assurément...
Or donc, cette beauté se fit un peu attendre. Qui déclara, au bord de la piscine où presque tout le monde était déjà :
— Je retrouvais plus mon maillot... et j'ai pas osé venir à poil... dit-il en retirant le haut — ô merveille !
— Siiii ! hurlèrent les nanas.
— J'ai fini par trouver ça, ajouta Valentin en découvrant un genre de string jaune vif, qui tranchait sur sa couleur.
— Hiiii ! Hurlèrent ces dames... tandis que les mecs, la moité de la boîte, se regardaient, indécis.
Et il fit des figures dans l'eau, comme un dauphin apprivoisé... ce qui ne plut pas à tout le monde :
— Vous en pensez quoi, de votre otarie ? demanda Joël à Olivia et Véronique.
— Jaloux ! T'en fais autant, toi ?
— Je veux juste vous rappeler que les otaries sont moins douées au lit que dans les cirques !
— Mais quel fils de pute, ce type ! fit Véronique.
— On parle moi, là ? fit une voix.
Ciel ! C'était Valentin.
— Oh, toi ! Non, non, on causait de Joël, là !
— Ah oui ? Ben moi j'en dirais pas autant : il est gentil, drôle, et doué... Il me plaît bien.
— Il dit que t'es gay, lâcha Olivia, presque malgré elle.
— Oh ! Eh ben... peut-être qu'il veut dire que je suis de la race de Léonard de Vinci, Michel-Ange, Cocteau... et surtout : Tchaïkovski ? C'est flatteur, en tout cas !
— Oh ! souffla Véronique, sidérée, tu trouves ça bien, qu'il dise des trucs pareils ?
— Je le prends du meilleur côté, c'est tout. Et je ne crois jamais que les gens sont méchants avant de les connaître.
Et Valentin de faire la bise aux filles, effarées.
— Il est con, ou quoi ? demanda alors Olivia.
— Ou il est gay... et Joël aussi. Oh ! J'en aurai le cœur net ! jura alors la nana, qui n'avait guère l'habitude qu'on lui résistât — encore qu'elle admît, soudain, qu'elle ne s'était pas fait Joël... qui pourtant n'était pas gay, aux dernières nouvelles !
Valentin, lui, poursuivait sa carrière dans la piscine du patron. Car tout le monde, sans exception, eut à cœur de l'approcher, et il sourit à tous... sans exception.
Au point que les filles, se regardèrent enfin :
— Y fait quoi, là ? demanda Olivia. Y travaille pour le boss, ou c'est la pute intégrale ?
— Chais pas... mais je l'aurai, rejura Véronique, l'air mauvais.
Là, elle chopa du coin de l'œil le grand rouquin, qui semblait emballer une stagiaire brune et mignonne, mais qui avait l'air si timide !
— Qu'est-ce qu'y nous fait, là, l'autre pédé ?
— Peut-être pas si pédé que ça...
— Il nous a assez fait chier... Comment que j'me vais t'l'assaisonner, moi ! fit Véronique, rageuse.
Elle traversa la piscine et arriva sur les deux autres comme un orque affamé.
— Tu dragues les filles, maintenant, Joël ? Nouveau, ça !
La petite ouvrit de grands yeux, et Véronique appuya :
— Je te présente notre Joël national, qui n'aime que les grands garçons noirs, si tu vois ce que je veux dire !
— Euh... Oui, mais... fit la fillette, dépassée.
— En fait, elle s'en fout, car elle aime les filles... et j'étais justement en train de lui dire du bien de toi, précisa Joël.
— Oh ! Le salaud ! hurla Véronique en filant une baffe sonore au rouquin.
— Quelque chose ne va pas ? demanda alors une voix — celle du patron.
— Véronique vient de refuser une offre amoureuse, mais ce n'est que partie remise ! affirma Joël en souriant.
Ce qu'il n'avait pas prévu fut qu'il sentit le doigt du patron s'insérer dans son maillot, pour le tirer en arrière.
— Et toi, tu les refuses, les offres amoureuses ? demanda doucement le chef.
— Mais...
— J'ai un ami qui aimerait tâter du rouquin...
— Oh ! Mais je suis pas...
— On te demande pas d'être. T'es rouquin, oui ou non ? Mon ami aimerait caresser un rouquin... puisqu'on n'a pas de vraie rousse, ici.
— P'tain ! Mais j'ai jamais fait ça, moi, chuis hétéro, tout d'même ! gémit Joël.
— Avec lui, tu vas pas le rester longtemps.
— Hein ? Mais, chef, tu me dis quoi, là ?
— Valentin pense à toi depuis le premier jour. Bien sûr, tu es libre.
— Ha ! Valentin ?... Mais... il est gay ?
— Je suis pas sûr qu'il le sache vraiment, mais... son rêve est de caresser une toison rousse. Tu te rases pas, j'espère ?
— Non. Mais pourquoi tu veux m'offrir à lui ?
— Notre histoire est longue et complexe... Je te la dirai. Tu ne risques rien d'autre que de timides caresses. Tu le connais un peu, déjà : ce n'est pas une brute, je crois ! Et je ne t'offre pas à lui, comme une offrande, ni une victime ! Je te présente à lui, comme je te le présente à toi. Et si rien ne se fait, nul n'aura rien à dire. Je te demande seulement le silence sur toute cette affaire.
— Oh, bien sûr, Laurent, mais... Valentin ?
— Oui. J'ai compris qu'il faisait beaucoup d'effet... dans les petites culottes, mais... c'est un gentil rouquin, qui le fait rêver. Réfléchis, Joël... vite ! Merci.
Complètement abasourdi, Joël fut un moment incapable de penser à quoi que ce fût. Véronique s'approcha :
— Ça y est, t'es enfin viré ? demanda-t-elle, ironique.
— Non, il m' a demandé en mariage.
— Hein ? Lui ?
— Non, pour quelqu'un d'autre... mais c'est secret, hein ?
— Tu te fous de nous ! affirma Olivia.
— Vous verrez, Mesdames, vous verrez...
Joël évita ces donzelles ensuite, comme il fuit Valentin... évidemment. Mais Valentin qui réussit à le coincer au bord de la piscine, d'où il était sorti pour quérir deux flûtes de champagne :
— Puis-je plonger près de toi, flûte en main ?
— Donne-moi les flûtes d'abord ! Dommage de gâter l'eau de la piscine !
— J'aime ton humour, dit Valentin en se glissant dans l'eau. Trinquons !
On parla de choses et d'autres, en sirotant. Joël était coincé, ne se sentant pas capable de repousser ce garçon, qui était si... Enfin, Valentin lui donna une ouverture :
— Depuis que je suis arrivé, j'ai pas réussi à te parler... Est-ce que tu accepterais une invitation à dîner, chez moi, bientôt ?
— Mais... pourquoi ?
— J'ai envie de te connaître. Je te vois souvent parler avec les deux pestes... tu vois qui je veux dire... et je ne peux ni ne veux parler avec elles...
— Deux pestes... répéta Joël, songeur.
— C'est plutôt deux connasses, qu'il faudrait dire, non ?
Joël dut sourire, et son sourire rencontra celui de Valentin. Il frissonna : pourquoi le patron avait-il été lui raconter ce genre de sornettes ? De toute évidence, Valentin n'était pas un prédateur sexuel, rouquins ou pas ! Le dîner ne traîna pas, qui eut lieu dès le lundi soir ; on commença par parler boulot, avant de causer de soi. Et Joël, le cœur battant, se lança :
— Alors le patron m'a dit que tu en voulais à ma touffe ?
— Hein ? sursauta Valentin, mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Joël conta tout, à la stupéfaction non feinte du garçon.
— Oui, j'ai dit que je fantasmais sur les rousses, et que j'en avais jamais eu, mais... Il t'a bien eu, ah ! ah ! D'un autre côté, si tu es là... c'est que tu avais accepté de me la montrer, ta touffe... alors te gêne pas, ça restera entre nous !
Piégé, Joël resta coi... avant de réagir :
— Et moi, j'ai jamais eu de noire...
— Eh ben voilà ! Donnant donnant ! On vire tout ?
Et le Valentin de se déloquer sans autre commentaire... imité par un Joël un peu tremblant.
— Ouaouh ! Mais vous êtes superbe, Monsieur !
— Tu te défends bien aussi, y m'semble, répondit Joël.
Interrogeant Joël du regard, Valentin tendit la main. On se sourit avant de se caresser la touffe. Où, à la surprise de Joël, Valentin se mit à bander doucettement.
— Ce que j'ai pu en entendre, au bahut, sur ma supposée grosse bite de noir ! fit Valentin en souriant. Et fallait que je fasse gaffe aux mains baladeuses, parce que je suis hyper sensible... et que je démarre au quart de tour !
— J'arrête ? fit Joël en ôtant sa main.
— Non : toi, tu continues. T'es pas un p'tit con du lycée... et t'as le droit de me faire bander ! J'adore tes poils... C'est comme de la soie... et je suis sûr que ta queue est plus grosse que la mienne ! Je peux ?
Valentin saisit alors le long vit rose pâle, et le pressa doucement, avant de le manipuler. Lui bandait complètement, maintenant, et son épieu était magnifique.
— Touche-moi, s'tu veux, souffla Valentin.
Malgré l'incongruité de la situation, Joël se sentait à l'aise.
— T'es beau, souffla Valentin. Ta bite est... magnifique.
— On se vaut, je crois... — Joël était maintenant raide.
— Ouais, c'est sympa. Ça t'embêterait, que je te suce ?
Joël ferma les yeux et laissa faire. Ô délicieux instant ! Valentin faisait ça bien... et il était excité comme jamais ! Un moment plus tard, Valentin souffla :
— J'aime te sucer, Joël.
Voilà qui décida Joël à s'y mettre aussi... Il n'y éprouva nul dégoût... pour sa première fois. Et l'instant dura : il sembla qu'on y allait doucement, pour ne pas jouir trop vite...
Enfin, Valentin voulut que Joël lui jouît sur le nez... et Joël lui en demanda autant. Après une douche silencieuse... mais presque tendre, on se posa au salon. Valentin murmura :
— Je t'ai peut-être entraîné un peu loin... malgré toi.
— C'était bon. Nouveau, oui... mais vraiment bon.
On changea de sujet, et l'on dîna, en parlant de tout... sauf de ce qui venait d'arriver. Puis Valentin offrit des alcools... en précisant qu'il ne voulait pas soûler Joël, qui répliqua :
— Oh... si j'étais soûlé que par toi, ce serait le rêve !
On se regarda, indécis, et Valentin murmura, grave :
— Je t'ai pas choqué, tout à l'heure ?
— Je suis pas parti en courant... et j'ai envie de rester.
Il resta donc, et la suite fut indécise et maladroite mais... réelle. Au matin, on s'éveilla pour se découvrir encore, et encore...
— Je passe chez moi. On se voit au bureau ?
— Joël... J'ai... J'ai envie de t'embrasser.
Joël sourit, et approcha les lèvres de celles de Valentin. Nouveau moment d'exception pour Joël... et de plaisir aussi.
Il fallut se séparer. Dans la rue, Joël eut bien l'impression qu'un nouveau pas avait été franchi, avec ce baiser qui était... était si... Bref, ce baiser... fut le premier d'une belle série.
Quatre jours plus tard, Valentin croisa les filles et leur demanda, l'air le plus innocent du monde :
— Vous avez pas vu mon fiancé ?
— Hein ? C'est quoi ce délire ?
— Ben oui : Joël, quoi. Ho, les filles ! Je rigole pas, là !
— Aaaah ! Les salauds ! hurlèrent les deux pestes.
Le reste de la boîte trouva ça mignon... Patron en tête, qui dit aux garçons avoir fait là le meilleur mensonge de sa vie !
17. XI. 2022
Amitiés de Louklouk !