29-07-2020, 04:16 PM
[b]CHAPITRE LXI[/b]
''Flagellum dei''
Oli' regardait Burydan en souriant. Et le chasseur de prime se demanda si le marchand ne se moquait pas de lui. C'était impossible, tout bonnement impossible, de posséder ce genre de choses. Ça devait être des copies... oui, c'est ça, Oli' se moquait de lui en lui faisant croire que ces objets étaient des authentiques... il ne savait pas dans quel but, mais Oli' le menait en bateau...
Burydan se dirigea vers un piédestal. Sur un coussin cramoisi reposait un bracelet en métal décoré d'un énorme scarabée bleu foncé. Il en avait vu une reproduction dans le journal de son maître. Il allait enfin savoir si Oli' se moquait de lui.
- Je peux ? demanda-t-il
- Bien sur.
Burydan mit le bracelet à son bras et l'ajusta. Il appuya sur la tête du scarabée. Dans un bruit feutré de rouages les élytres se séparèrent et passèrent sous le bracelet avant de s'avancer jusqu'à la moitié de la paume de Burydan. Dans un cliquetis de métal presque inaudible, une petite arbalète se déploya, la corde se tendit et, d'un petit réservoir sur le coté, un trait fin comme une aiguille se mit en position.
Burydan tendit le bras, cassa le poignet, visa une poutre en face de lui et, en appuyant sur les élytres, libéra le projectile. Un petit ''tchac'' retentit et le trait se planta dans la poutre comme dans du beurre.
La corde de l'arbalète se tendit de nouveau et un autre trait se positionna.
- Tire sur ce petit levier, dit Oli', pour arrêter le chargement automatique.
Burydan, médusé, rangea le trait dans le petit réservoir, tira sur le levier et libéra la corde. Il appuya de nouveau sur la tête du scarabée, l'arbalète se replia et les élytres reprirent leur place.
Burydan avait sur le bras une arbalète d'Alamut. L'arme des séides du terrifiant Vieux de la Montagne.
Sur l'un des pics de Dun Morogh était bâtie Alamut, le nid d'aigle, appelé ainsi parce que l'on disait qu'on ne pouvait l'atteindre qu'en chevauchant des aigles.
La forteresse avait été construite par un certain Hassan, qui prit le titre de ''Vieux de la Montagne'', et il y installa son armée privée.
On les appelait les ''Haschichins" car c'est grâce au haschich que Hasan conditionnait ses hommes.
Il les recueillait très jeunes, la plupart du temps enfant des rues, ou vendus par leurs parents qui n'avaient pas de quoi les nourrir. Hasan leur donnait un toit, à manger, et les entraînait au combat. Pas le combat de soldat, mais celui d'assassin. Et nul ne leur échappait.
La technique d’Hassan était bien rodée. Lorsqu'il planifiait un assassinat, il choisissait deux de ses hommes (les haschichins allaient toujours par deux) et les droguait au haschich. Une fois endormis par la drogue, il les faisait conduire en haut de la forteresse. Hasan y avait fait construire un jardin luxuriant, couvert de plantes tropicales et de fleurs au parfum enivrant. On leur servait les mets les plus succulents et raffinés, le picrate le plus délicieux, et des femmes, jeunes, belles et dociles. Pendant 24 heures les deux hommes vivaient un moment de pur délice.
Assommés de nouveau par le haschich, on les ramenait dans leurs chambres. Le lendemain, Hassan leur disait :
- Allez et tuez. Si vous réussissez, vous passerez l'éternité dans ce jardin des délices. Si vous échouez, vous ne le retrouverez jamais...
Et ils y allaient.
Hasan choisissait les personnes à éliminer pour étendre son pouvoir.
Un haut seigneur refusa de lui payer un tribut pour passer au pied de la montagne où était Alamut. Le seigneur en question n'avait pas le choix pour visiter ses terres. Hasan décida que ce refus méritait la mort.
Il envoya deux de ses sicaires. Il attendirent le seigneur dans un bordel où il avait ses habitudes. L'un des assassins l’assaillit et le blessa grièvement. Il fut tuer par les hommes du noble et mourut. Le seigneur fut conduit dans une chambre de son château et on appela le médecin. Grimé en valet, le deuxième assassin arriva dans la chambre. Il se mit un peu à l'écart et sortit sa petite arbalète. Un petit tchac à peine audible retentit et un trait fin comme une aiguille se planta dans l'épaule du blessé. Les gardes le tuèrent et il mourut, bienheureux, car son trait était empoisonné (1). Et, en effet, le seigneur mourut dans la minute.
Le comte de Puydebat, historien amateur, demanda une audience à Rukh, un successeur d’Hassan. Celui-ci accepta et le reçu à Alamut.
- Seigneur Rukh, dit le comte, on dit que vos hommes vous obéissent au doigt et à l’œil, est-ce vrai ?
Rukh sourit et fit venir deux de ses hommes. Il ordonna à l'un de se jeter du haut de la muraille et à l'autre de se poignarder dans le cœur. Et les deux hommes n'hésitèrent même pas.
Alamut tomba. Assiégés par une puissante armée et souffrant de la faim et de la soif, Le Vieux de la Montagne et tous ses hommes se suicidèrent.
Mais on parlait encore de l'arbalète des haschichins. On disait que lorsqu'on entendait le ''tchac'', c'était trop tard, on était déjà mort.
Burydan sortit de sa rêverie en entendant Oli' dire :
- On dit qu'il n'en existe que deux en état de marche dans tout Genesia. Voici la troisième.
Burydan savait que c'était vrai. Seuls trois exemplaires intacts, les haschichins brisant leur arme une fois leur assassinat accompli, avaient été retrouvés intacts. L'un d'eux fut démontée mais, malgré l'habileté des meilleurs forgerons et horlogers (les engrenages étant si fins), nul ne parvint à en créer un ni même à remonter celui démonté.
Burydan ne se lassait pas de l'admirer.
- Elle te plaît, hein ? demanda Oli'.
- Oh que oui...
- Elle est à toi...
- Oh, Oli', je n'ai pas suffisamment de pécunes pour m'offrir une telle arme...
- Ai-je parlé d'astrium ?
Burydan le regarda en levant un sourcil interrogateur.
- Je te l'offre...
Burydan resta interdit.
- Tu es... tu es sérieux ?
- Très sérieux... elle est à toi...
- Non, Oli', je ne peux pas accepter... c'est... beaucoup trop... c'est...
- Vois tu, le coupa Oli, j'estime, mais ça n'engage que moi, que ma vie vaut bien plus qu'une petite arbalète, aussi rare soit elle. Et étant donné que c'est toi qui l'a sauvée, ma vie, ce n'est qu'un petit présent pour te montrer ma gratitude. Et je suis encore ton débiteur, même avec ça...
Burydan n'arrivait pas à y croire. Des hommes auraient tué pour avoir cette arme. Burydan remercia Oli' de toutes les façons possibles pendant de longues minutes et prit congé.
- Évite de la montrer, Burydan, on ne sait jamais...
Burydan acquiesça, donna une forte brassée à Oli' et retourna à son auberge.
(1) le plus souvent enduit du poison que sécrète la peau de la grenouille skyhhrittfd, espèce extrêmement rare mais dont le poison est extrêmement violent, il peut tuer un homme en moins d'une minute. Très semblable à la grenouille jaune (phyllobates terribilis).