La porte des mondes (fantastique avec personnages gays, terminé)

[inny-2]

22 - Une ombre dans la mer

- J'aime bien ce nom, La Garde Bleue, dit Ysmar. On pourra en faire partie ?
- Bien sûr, dit Fredrick, enthousiaste.
Tout le monde est partant, et je suis le mouvement pour le moment. Je suis censé n'avoir nulle part où aller...
Le groupe est alors officieusement créé, à défaut d'être enregistré auprès de la Guilde. Tout le monde s'échange des regards où brille complicité et amitié. Je me sens mal à l'aise de devoir jouer, contraint et forcé, le rôle du traitre de service. Je voudrais tant être avec eux (et Jacques avec moi) en toute amitié...
- Pour le moment, de toute façon, nous sommes coincés pour un bon moment du fait de nos études, mais une fois qu'elles seront finies, on se fera une réputation !
- Si l'université ne me kidnappe pas pour que je devienne le nouvel archimage, dis-je.
- On viendra te libérer, répond Fredrick.

Je réfléchis pendant la journée aux implications de ce petit groupe « d'aventuriers », s'il survit aux années de formation. Pourrai-je me servir d'eux ? Mais peut-être me seront-ils utiles plus tôt...
Notre petite séance quotidienne de baignade nous fait du bien, nous nous relaxons bien après les heures de cours. Alors que nous regagnons la plage, Falan et Ysmar taquinent Uria, et je me tourne vers Fredrick pour rire d'eux. Ne le trouvant pas, je me tourne vers la mer, mais ne vois aucun signe de lui.
- Eh ! Où est Fredrick ?
Comprenant qu'il a dû avoir un problème alors que nous le pensions derrière nous, je fonce vers l'eau et plonge. Cherchant dans l'eau claire, je repère une silhouette blanche qui se débat contre une forme obscure. Je nage vigoureusement vers lui, au mépris du danger, reprenant juste un peu d'air avant de replonger vers lui.

La forme sombre est une créature humanoïde à la peau noire et épaisse, qui maintient Fredrick sous l'eau pendant qu'il se noie. Je me concentre sur le peu de magie que je connaisse, et décide d'utiliser la magie brute. Je force au maximum de mes possibilités pour transformer l'énergie que j'ai en moi de façon purement instinctive en énergie destructrice qui jaillit vers la créature.
Celle-ci se contorsionne violemment, lâchant mon ami, puis me repère et se dirige vers moi ! Je n'ai pas eu une maîtrise suffisante de mon énergie, et je ne peux maintenant plus rien faire.
Mais les autres sont arrivés, et Uria nous fait une belle démonstration de magie spirituelle, paralysant la créature le temps que Falan et Ysmar arrivent à portée pour décharger sur elle une magie de glace très efficace. La créature neutralisée, je me dirige vers Fredrick qui ne bouge plus, et le remonte à la surface avant de le ramener sur la plage.

Uria passe sa main au-dessus son corps que je viens d'allonger.
- Par les esprits ! Il est... il est mort !
- Non, pas encore, dis-je.
Je ne réfléchis pas. J'ai été entraîné à ça jusqu'à ce que ça devienne un pur réflexe. C'est un savoir obligatoire, à mon époque, loin là-bas sur Terre.
À la grande surprise de mes amis, je commence à presser mes mains sur sa poitrine et à lui faire du bouche-à-bouche. Ils ne comprennent pas ce que je fais mais, très concentré, je ne m'en soucie pas.
Et mes efforts portent leurs fruits ! Fredrick commence à tousser et à cracher de l'eau.
Je le soutiens et demande à Ysmar de courir chercher un guérisseur.
Je reste près de mon amant d'un soir, mais surtout ami, et réalise ce que je viens de faire.
J'ai révélé des connaissances visiblement inconnues en Outremonde. Mais surtout, j'ai agi contre mon conditionnement. J'ai agi sans réfléchir, d'instinct, et le sort qui me contrôle n'a pas pu intervenir pour m'empêcher de me trahir.

J'ignore les conséquences de tout ça, et si quelqu'un va faire le lien avec mon origine, mais je n'en ai cure. Je suis doublement heureux. Fredrick est vivant, et je sais désormais que le contrôle qui pèse sur moi n'est pas absolu.
Il me faudra encore réfléchir à comment employer cette connaissance. Mais l'idée d'agir dans l'instant, sans me projeter dans l'avenir, fait son chemin en moi.
Si j'ai encore un avenir. Enfin, le sort en est jeté, sans jeu de mot.
À propos de sort... c'est intéressant, j'ignorais que la barrière anti-magie s'arrête pile sur la plage. Visiblement, mes amis le savaient, ou alors, ils ont eux aussi agi d'instinct. Encore un point à noter au cas où.

Les guérisseurs arrivent, et emmènent Fredrick après lui avoir fait boire une potion. Il a l'air de reprendre rapidement des couleurs.
Nous l'accompagnons jusqu'à l'infirmerie où on nous repousse le temps qu'il soit soigné. Je pousse un soupir.
- Où as-tu appris ça ? C'est... c'est extraordinaire ! S'exclame enfin Falan.
- C'est mon père qui m'a appris, dis-je en haussant les épaules. Dans certains cas, malheureusement trop rares, on a un court délai pendant lequel on peut... insuffler la vie et sauver quelqu'un.
- Tu nous apprendras ?
Je ne réponds pas, fixant la porte de l'infirmerie. J'espère qu'il n'y aura pas de complications.
- Laisse-le, dit Ysmar à Falan. Ce dernier comprend mon état d'esprit et se tait.
Plusieurs professeurs arrivent et nous demandent de leur expliquer ce qui s'est passé. Je deviens malgré moi la vedette de la soirée avec ce que j'ai fait. Les professeurs sont intrigués par la description de la créature et rameutent les gardiens pour fouiller la plage à sa recherche.

Un des guérisseurs finit par sortir de l'infirmerie.
- Il est tiré d'affaire, mais il doit se reposer. Il sera de nouveau avec vous demain.
Nous le remercions chaleureusement et le chargeons de lui transmettre nos salutations avant de repartir. On nous fait une exception à la cantine, car nous avons largement passé l'heure de manger.
Bien que nous n'ayons pas beaucoup d'appétit, nous nous restaurons et discutons longtemps dans notre dortoir avant de nous coucher.
Je n'ai pas le cœur à me promener dans les rêves, aspirant à l'oubli, et dors d'un sommeil de plomb.
Le lendemain, nous somme impatients de rejoindre la cantine, et c'est avec joie que nous le voyons déjà installé à notre table habituelle.
- Fredrick ! Tu vas bien ?
- Oui, merci. Que s'est-il passé ? Je me souviens seulement d'avoir été attrapé et attiré sous l'eau par une créature, et je me suis noyé...
Il frissonne, ce que je peux comprendre. Je laisse les autres lui raconter, et le vois me regarder avec des yeux brillants de surprise et de reconnaissance quand il apprend comment je l'ai sauvé.

- Non, je ne sais pas qui l'envoie, mais ce que je sais, c'est qu'il est dangereux, et qu'on est en train de le rendre encore plus dangereux. Un sorcelame ! Au plus fort de sa puissance, il pourra ouvrir des failles entre les mondes. Vous avez lu les livres de l'époque. Vous savez que ce sont des sorcelames qui ont posé les bases des liens reliant les six mondes. Je ne sais pas ce qu'ils ont en tête, mais ça ne promet rien de bon.
- Je sais... nous jouons un jeu dangereux, mais Franck n'est qu'un pion. Si nous voulons frapper de façon plus efficace, il nous faut attendre que se montre la tête du serpent.
- En tout cas, je sais qu'il vient de la Terre... rien que par son nom, c'était évident, mais hier soir, il s'est trahi. D'une façon étrange, pour un espion... Ce qui me fait me poser bien des questions, dit Cédric, troublé.
- Nous pourrons de toute façon suivre son parcours quoi qu'il fasse. Il ne se séparera pas de son épée, et il est loin de se douter qu'elle nous transmettra tout ce qui se passe.
- Pas s'il change de monde, et c'est bien ce qui me préoccupe.