La porte des mondes (fantastique avec personnages gays, terminé)

[inny-2]

21 - Surveillance

Je suis songeur lorsque, une fois les cours terminés, je me dirige vers la bibliothèque avec Fredrick. Je base ma conviction sur un simple rêve. Mais la vision de la statue me trouble... comment aurais-je su à quoi il ressemble ?
Le problème, c'est qu'il est censé être mort. Et celui que j'ai vu, tel qu'il a été sculpté, est jeune. Un vrai casse-tête, mais il faut dire que j'en sais trop peu sur ce monde.
Mais les esprits de la bibliothèque confirment mes soupçons : le journal a été emprunté, et ils sont incapables de dire par qui !
Fredrick est consterné, et je le comprends. J'aurais bien voulu lire ces plans contre les Protecteurs, ça m'aurait été utile !
La consultation du journal a dû déclencher une alarme, peut-être n'était-ce pas le moment, ou plutôt, il n'était pas prévu que le lecteur autorisé fasse la lecture à quelqu'un qui ne l'est pas. Et le parfait inconnu que je suis a dû attirer l'attention. Je dois être sous surveillance, maintenant...
Tant pis. J'ai des missions à accomplir, pour mon maître, mais aussi pour moi.

Je dois apprendre à connaître ce monde sans me trahir par mon ignorance, et avoir accès à la bibliothèque est un véritable coup de chance. Tandis que Fredrick s'en va, je reste et demande aux esprits plusieurs livres traitant de divers aspects d'Outremonde.
Sur une intuition, je leur demande s'il y a des livres parlant des autres mondes.
- Il en existe quelques-uns, cherchez-vous quelque chose en particulier ?
- Quel est le plus complet ?
- Un ouvrage rédigé il y a 130 ans, par l'archimage Thibault.
Bingo !
- Je vais l'emprunter.
Je me rends dans une salle de lecture. Pas question cette fois d'abandonner le livre, je passerai une nuit blanche s'il le faut.
Je commence par Voyages dans les Six Mondes. J'y apprends beaucoup de choses incroyables, mais rien de décisif. Néanmoins, ce savoir me sera certainement utile si mon maître m'envoie sur un autre monde, comme je le soupçonne. Quand même pas le monde des Protecteurs ? Il n'est pas fou à ce point ?

Des ouvrages de base sur la magie, les créatures et les coutumes d'Outremonde me fournissent enfin un fond de connaissances qui me manquaient cruellement. Ce n'est pas trop tôt !
Mes yeux se ferment tous seuls quand je rends enfin les livres aux esprits. Je regagne ma chambre, bénissant la lecture rapide que la magie de mes tatouages m'a fourni, car je vais pouvoir dormir un peu.
Et rêver, peut-être... car il semblerait, si ce que j'ai lu est correct, que j'aie un don. Celui de marcher en rêve dans le monde réel, et de pouvoir observer et apprendre des secrets en toute discrétion. Même si je me souviens que Cédric avait semblé me voir. Serait-il un esprit ? Je devrai me méfier. Dans tous les cas, ce sera un moyen d'échapper à la surveillance et de leur retourner la politesse.
Je pense de nouveau à la bibliothèque en m'endormant, et m'y retrouve de nouveau.

Je rêve de la réalité. Je ne saurais pas mieux décrire ce que je ressens. J'ai du mal à me concentrer pleinement, et dérive plus ou moins au gré de mes envies, de mes pulsions. Je ne me soucie pas vraiment de ce que j'étais venu faire, et c'est une impulsion qui me dirige vers la tour de l'archimage de l'université. Le grand bâtiment principal est surmonté d'une tour blanche qui m'appelle tel un phare. Je rentre par une fenêtre et visite les lieux endormis. Le bureau de l'archimage est très différent de ce que j'imaginais, dénué d'objets exotiques ou de secrets obscurs. Déçu, je traverse la paroi du fond et suis surpris de découvrir qu'elle cache un passage secret. Je suis le passage et monte un escalier vers une trop vaste salle, qui ne peut pas avoir sa place dans la tour. Ce prodige m'étonne suffisamment pour me rappeler à moi-même. J'ai enfin le contrôle de ma conscience, et pile au bon endroit ! C'est une véritable caverne d'Ali Baba, emplie d'objets, de livres, des rayonnages qui semblent s'étendre à l'infini !

Je suis cependant rapidement déçu. Dans mon exaltation, j'avais oublié que je suis immatériel. Je ne peux pas ouvrir les livres, aussi fort que je puisse essayer. Dommage, car tout ce savoir enfermé ici est terriblement tentant... enfin, je note ça, ça peut toujours servir, et maintenant que je peux décider par moi-même, je peux explorer les environs à ma guise.
Mais la tour ne me livre pas d'autre secret. Je finis par me réveiller, pour une nouvelle journée de cours. J'étouffe un soupir, je voudrais être à mille kilomètres de là, je voudrais être libre...
Je me secoue, encore une fois, inutile de lutter contre ce que je ne peux pas changer.
- Bonjour Fredrick.
- Bonjour Franck. Désolé pour hier, j'étais tellement déçu que ça m'a énervé, je suis parti tout de suite.
- Ça ne fait rien, je ne me suis pas vexé. J'en ai profité pour faire de la lecture.
- Tu es vraiment un acharné, hein ? Tu veux devenir archimage ?
Je ris.
- C'est ce que voudraient mes professeurs ! Qui sait, Fredrick, qui sait ?
Il sourit.
- Tu marches dans les pas de Cédric et Thibault, c'est un peu comme si les anciens jours revenaient. Peut-être partirons-nous à l'aventure, nous aussi ?
- Ouais, bah, en attendant, on a des cours à suivre !

Dans la grande salle où nous prenons notre petit déjeuner, j'ai envie de regarder autour de moi, de surprendre un regard, mais ça ne sert à rien, je suis certainement surveillé par magie. Est-ce de la parano ? Mais dans un tel monde, cela relève d'un sain état d'esprit. L'existence de la magie rend tout imprévisible !
Les cours s'enchaînent sans événement imprévu, et le soir venu, une courte visite à la bibliothèque nous confirme que nous ne sommes pas près de revoir le journal.
Nous revenons à notre dortoir, désœuvrés, et retrouvons nos amis dans la salle commune.
Falan est en train de discuter avec Uria, la questionnant sur son pays.
- C'est un pays froid, sauvage et libre. Ceux qui ne savent pas la respecter ne vivent pas longtemps. Le peuple qui y vit a lié des pactes avec les esprits de la nature, et vivent en harmonie avec eux. Les esprits nous guident et nous protègent, et en retour nous les respectons, eux et la terre dont ils sont les gardiens.
- Ce doit être quelque chose. J'ai entendu dire qu'il y a des créatures effrayantes là-bas.
- Je ne sais pas si elles sont effrayantes. Elles n'attaquent que les étrangers.

Nous nous installons près d'eux et échangeons des souvenirs de nos pays respectifs. Je leur parle de la ville de Narimi avec ses délicats palais de pierre blanche ciselée, ses jardins intérieurs, ses fontaines et ses parfums, l'oppression du Roi Immortel et la crainte de ses Traqueurs. J'aurais dû faire du théâtre. Ils sont tous captivés, sous le charme de ma description.
Fredrick parle de Valnar, une île tranquille mais renommés pour ses aventuriers : une guilde y a en effet été fondée il y a un siècle par un de ses ancêtres et elle attire bien des jeunes attirés par les récits des ménestrels. Ils y sont formés au combat et à la survie, à l'infiltration et à la tactique, et reçoivent des missions variées. Ceux qui ont le Don sont envoyés à l'Université des Arcanes, comme lui.
- Quoi, tu es un aventurier de la guilde ? J'ignorais, s'exclame Ysmar, qui a entendu parler de la réputation de la guilde.
- En formation ! Rit avec modestie le descendant du groupe de héros qui a bouté les Protecteurs hors d'Outremonde.
Je note dans un coin de ma tête l'existence de cette guilde, ça servira peut-être un jour.
- Je compte former mon propre groupe, reprend-il. J'ai déjà trouvé son nom : La Garde Bleue.