04-02-2022, 10:58 PM
4 - Les Étrangers
Ça ne pouvait pas tomber à un plus mauvais moment. Mais je ne dois pas paniquer. Eux ne se lanceront pas à l'aveuglette. Ils vont d'abord envoyer la sonde, la ramener, et cela prend du temps car le transmetteur doit accumuler de l'énergie entre deux transferts. Puis ils analyseront les données, et enverront une équipe.
Ou alors, toute la partie avec la sonde s'est déjà passée, et ils en sont à la phase envoi de militaires. Hum, même dans ce cas, ils vont sécuriser les environs, et attendre les renforts. Enfin, je pense. De toute façon, ça me laisse du temps pour agir. Je ne peux pas effacer mes traces, elles vont les mener droit vers la sortie, et vers moi, il me faut trouver une idée.
Revenant sur mes pas, je remonte dans le tunnel principal en maudissant ma malchance. Je n'ai pas pu récupérer grand-chose et je n'en aurai plus l'occasion maintenant.
Un cliquetis, devant moi, me fait me figer sur place. Qu'est-ce que c'est ? Un animal, quelqu'un ? Ma lampe balaie les amas d'ossements tandis que mon cœur se met à battre de plus en plus fort. Je me souviens soudain des traces de pas de Jacques, qui s'était mis à courir près de ces ossements, j'avais cru qu'il avait une quelconque phobie ou sensibilité, quel idiot j'ai été ! Il y a quelque chose ici, quelque chose qui rampe parmi les os, et qui me fait trembler de peur. La vision de Jacques prenant ses jambes à son cou me libère de ma paralysie, et je me mets à courir moi-même, faisant un grand écart pour contourner la source du bruit, peut-être un simple rongeur, mais je n'ai aucune envie de m'attarder pour vérifier.
Je cours à en perdre haleine, cours à l'aveuglette, ma lampe bougeant trop pour me montrer autre chose que des pans de murs, des ouvertures béantes, des crânes sordides. Alors que je finis par m'arrêter, épuisé, essoufflé, je me rends compte que j'ai pris un mauvais tournant, j'ai perdu la piste et je suis arrivé dans un cul-de-sac. Je dois retourner sur mes pas, ce qui ne m'enchante absolument pas. Le sol se met à vibrer de nouveau, retour de la sonde, ou arrivée de renforts, je l'ignore, mais mon temps est de plus en plus limité, et il y a une chose dans ces couloirs qui m'attend peut-être devant...
- Jacques... Jacques...
Je murmure le nom de mon amour comme un mantra qui me donnerait du courage, et repars en examinant les traces sur le sol. Je retrouve le bon tournant et me dirige à pas vifs vers la sortie que j'atteins avec soulagement.
Je prends le temps d'apaiser mes battements de cœur et de reprendre mon souffle avant de repartir. Une nouvelle vibration se fait sentir, maintenant, plus de doutes, il y a du monde en bas. Qu'ils s'amusent avec la chose dans le noir. Je ne dors pas cette nuit-là, peu désireux d'être rattrapé, et me contente de petites pauses pour reprendre des forces avant de reprendre ma marche forcée. J'ai abattu le poteau, effacé les marques à l'aide du couteau à vibrations, mais je ne me leurre pas, ils trouveront ma trace. Je m'efforce de marcher sur des roches, des portions de sol stables, tout ce qui ne laissera pas de traces, et, alors que j'approche du chemin, efface la dernière flèche qui l'indique avant de quitter la vallée. Je n'ai fait que gagner du temps, je dois désormais partir après avoir repris des provisions. La barrière du langage les empêchera d'obtenir des informations sur moi, sauf s'ils ont emmené des photos, mais comment vont réagir ces gens simples ? Je m'en fais pour eux, j'espère que tout se passera bien.
Je sais que, sauf coup de chance, je vais perdre la trace de Jacques, reste à espérer que je le retrouverai dans une grande ville. Oui, une grande ville, ce n'est pas bête comme idée.
Je me rends compte, surpris, que quelqu'un m'attend au sommet. C'est Assil.
- Assil !
- Frank ! Assil cherchait Frank !
Pourquoi donc ? Je regarde autour de moi mais ne vois rien de spécial, et décide de ne pas rester sur la crête où je suis trop visible. Je redescends donc un peu, accompagné de mon guide. Il prend ma main comme je l'avais fait l'autre fois avec lui, la serre un moment, sourit. Je lui souris en retour. S'en faisait-il pour moi ? Pourquoi ? Serait-il... tombé amoureux de moi ? Il me connaît à peine ! Non, il est juste très curieux, je représente une telle nouveauté dans son petit village où il doit s'ennuyer à mourir... enfin, j'imagine plein de choses, et je n'ai de toute façon pas le temps de m'en préoccuper.
Je lui fais comprendre que je suis poursuivi, que je dois reprendre des rations et partir, et il me fait signe de me cacher, de lui donner de l'argent, qu'il va les chercher et qu'on ne me verra pas. Je trouve que c'est une bonne idée, et je pense que je peux lui faire confiance. Enfin, j'espère. Je lui donne ce qu'il veut et reste dans un repli de rochers d'où je peux surveiller la vallée et la plaine.
Rien ne vient pendant la longue attente qui précède le retour d'Assil, qui porte deux sacoches bien remplies, et un sac qui contient les vêtements locaux que j'avais acheté. Il me donne une des sacoches et me fait signe de le suivre. Il m'accompagne ? Je me repose des questions tout en le suivant. Nous évitons le village, rejoignant une route qui s'éloigne vers l'ouest, le couchant, du moins. Ah, mais j'y repense, parmi les quelques objets que j'ai récupéré se trouve un objet indispensable à tout voyageur : une boussole. Je la sors de ma poche, tout fier, et regarde une aiguille bleue luminescente pointer vers ma droite. Je fais donc bien face à l'ouest. C'est un modèle de la Terre, vieux comme tout ce qui se trouve dans cette base, avec des inscriptions compréhensibles. Je me sens un peu en phase avec mon monde natal.
Même si... je comprends maintenant qu'il n'y aura pas de retour en arrière, sauf si je suis capturé. Mais je sais qu'ils ne vont pas me chercher dans tout le pays, si pays il y a ici. Ils ne sont pas venus pour moi. Quand ils vont comprendre où ils sont arrivés, il vont avoir bien d'autres priorités que ma petite existence. Un autre monde... une sourde angoisse m'étreint pourtant, jusqu'à ce que je me dise que ce monde n'est pas prêt à un tel contact, que la Terre risque de lui faire plus de mal que ne l'ont fait les Protecteurs chez nous. Un monde entier, fertile, et encore riche de ressources minières en tout genre, représente un tel trésor qu'ils ne résisteront pas à l'appât. Le gouvernement qui a remplacé les Protecteurs, même après un siècle, est loin de la perfection, les ressources manquent cruellement et la natalité a explosé après la troisième guerre mondiale. Non, ce monde risque gros, vraiment, et je me sens très mal à cette idée.
Mais que pourrais-je faire ? Quelle force ici pourrait s'opposer aux armes modernes ? Il n'y a rien qui puisse être fait, rien qui puisse s'opposer à la conquête et à l'exploitation de ce monde. Le triste exemple des colonies dans l'histoire de mon monde en est une parfaite illustration. Je soupire tristement et sors de ma rêverie en voyant Assil regarder, fasciné, ma boussole. Je la range, un peu gêné. Remarquant que nous sommes assez éloignés du village, je le remercie, puis lui indique le chemin du retour. Il fait non de la tête, me fait signe que je ne parle pas assez bien, m'indique mon épée, fait mine d'être en colère. Je risque donc de m'attirer des ennuis avec des gardes, si je comprends bien. Je lui indique néanmoins son village, pointe du doigt vers lui, comme il fait toujours non, je prends une poignée de terre, la presse contre mon cœur. Comprendra-t-il ? Oui, visiblement, le concept d'être lié à sa terre, à son lieu de naissance, existe ici aussi. Il ouvre ma main, laissant la terre retourner au sol, et la serre dans la sienne, entrecroisant ses doigts avec les miens. Nous sommes liés. Mais par quoi ? Devant mon incompréhension, il se rapproche, embrasse mes doigts et pose sa main sur mon cœur.
Ah, c'est bien ce que je craignais. Je soupire, libère ma main et la pose sur mon cœur en disant « Jacques ».
Son regard se voile, je vois des larmes perler dans ses yeux, des larmes qui me font mal. Il se détourne de moi et commence à marcher... à l'opposé du village, sur ma route.
- Viens, me dit-il.
Ça ne pouvait pas tomber à un plus mauvais moment. Mais je ne dois pas paniquer. Eux ne se lanceront pas à l'aveuglette. Ils vont d'abord envoyer la sonde, la ramener, et cela prend du temps car le transmetteur doit accumuler de l'énergie entre deux transferts. Puis ils analyseront les données, et enverront une équipe.
Ou alors, toute la partie avec la sonde s'est déjà passée, et ils en sont à la phase envoi de militaires. Hum, même dans ce cas, ils vont sécuriser les environs, et attendre les renforts. Enfin, je pense. De toute façon, ça me laisse du temps pour agir. Je ne peux pas effacer mes traces, elles vont les mener droit vers la sortie, et vers moi, il me faut trouver une idée.
Revenant sur mes pas, je remonte dans le tunnel principal en maudissant ma malchance. Je n'ai pas pu récupérer grand-chose et je n'en aurai plus l'occasion maintenant.
Un cliquetis, devant moi, me fait me figer sur place. Qu'est-ce que c'est ? Un animal, quelqu'un ? Ma lampe balaie les amas d'ossements tandis que mon cœur se met à battre de plus en plus fort. Je me souviens soudain des traces de pas de Jacques, qui s'était mis à courir près de ces ossements, j'avais cru qu'il avait une quelconque phobie ou sensibilité, quel idiot j'ai été ! Il y a quelque chose ici, quelque chose qui rampe parmi les os, et qui me fait trembler de peur. La vision de Jacques prenant ses jambes à son cou me libère de ma paralysie, et je me mets à courir moi-même, faisant un grand écart pour contourner la source du bruit, peut-être un simple rongeur, mais je n'ai aucune envie de m'attarder pour vérifier.
Je cours à en perdre haleine, cours à l'aveuglette, ma lampe bougeant trop pour me montrer autre chose que des pans de murs, des ouvertures béantes, des crânes sordides. Alors que je finis par m'arrêter, épuisé, essoufflé, je me rends compte que j'ai pris un mauvais tournant, j'ai perdu la piste et je suis arrivé dans un cul-de-sac. Je dois retourner sur mes pas, ce qui ne m'enchante absolument pas. Le sol se met à vibrer de nouveau, retour de la sonde, ou arrivée de renforts, je l'ignore, mais mon temps est de plus en plus limité, et il y a une chose dans ces couloirs qui m'attend peut-être devant...
- Jacques... Jacques...
Je murmure le nom de mon amour comme un mantra qui me donnerait du courage, et repars en examinant les traces sur le sol. Je retrouve le bon tournant et me dirige à pas vifs vers la sortie que j'atteins avec soulagement.
Je prends le temps d'apaiser mes battements de cœur et de reprendre mon souffle avant de repartir. Une nouvelle vibration se fait sentir, maintenant, plus de doutes, il y a du monde en bas. Qu'ils s'amusent avec la chose dans le noir. Je ne dors pas cette nuit-là, peu désireux d'être rattrapé, et me contente de petites pauses pour reprendre des forces avant de reprendre ma marche forcée. J'ai abattu le poteau, effacé les marques à l'aide du couteau à vibrations, mais je ne me leurre pas, ils trouveront ma trace. Je m'efforce de marcher sur des roches, des portions de sol stables, tout ce qui ne laissera pas de traces, et, alors que j'approche du chemin, efface la dernière flèche qui l'indique avant de quitter la vallée. Je n'ai fait que gagner du temps, je dois désormais partir après avoir repris des provisions. La barrière du langage les empêchera d'obtenir des informations sur moi, sauf s'ils ont emmené des photos, mais comment vont réagir ces gens simples ? Je m'en fais pour eux, j'espère que tout se passera bien.
Je sais que, sauf coup de chance, je vais perdre la trace de Jacques, reste à espérer que je le retrouverai dans une grande ville. Oui, une grande ville, ce n'est pas bête comme idée.
Je me rends compte, surpris, que quelqu'un m'attend au sommet. C'est Assil.
- Assil !
- Frank ! Assil cherchait Frank !
Pourquoi donc ? Je regarde autour de moi mais ne vois rien de spécial, et décide de ne pas rester sur la crête où je suis trop visible. Je redescends donc un peu, accompagné de mon guide. Il prend ma main comme je l'avais fait l'autre fois avec lui, la serre un moment, sourit. Je lui souris en retour. S'en faisait-il pour moi ? Pourquoi ? Serait-il... tombé amoureux de moi ? Il me connaît à peine ! Non, il est juste très curieux, je représente une telle nouveauté dans son petit village où il doit s'ennuyer à mourir... enfin, j'imagine plein de choses, et je n'ai de toute façon pas le temps de m'en préoccuper.
Je lui fais comprendre que je suis poursuivi, que je dois reprendre des rations et partir, et il me fait signe de me cacher, de lui donner de l'argent, qu'il va les chercher et qu'on ne me verra pas. Je trouve que c'est une bonne idée, et je pense que je peux lui faire confiance. Enfin, j'espère. Je lui donne ce qu'il veut et reste dans un repli de rochers d'où je peux surveiller la vallée et la plaine.
Rien ne vient pendant la longue attente qui précède le retour d'Assil, qui porte deux sacoches bien remplies, et un sac qui contient les vêtements locaux que j'avais acheté. Il me donne une des sacoches et me fait signe de le suivre. Il m'accompagne ? Je me repose des questions tout en le suivant. Nous évitons le village, rejoignant une route qui s'éloigne vers l'ouest, le couchant, du moins. Ah, mais j'y repense, parmi les quelques objets que j'ai récupéré se trouve un objet indispensable à tout voyageur : une boussole. Je la sors de ma poche, tout fier, et regarde une aiguille bleue luminescente pointer vers ma droite. Je fais donc bien face à l'ouest. C'est un modèle de la Terre, vieux comme tout ce qui se trouve dans cette base, avec des inscriptions compréhensibles. Je me sens un peu en phase avec mon monde natal.
Même si... je comprends maintenant qu'il n'y aura pas de retour en arrière, sauf si je suis capturé. Mais je sais qu'ils ne vont pas me chercher dans tout le pays, si pays il y a ici. Ils ne sont pas venus pour moi. Quand ils vont comprendre où ils sont arrivés, il vont avoir bien d'autres priorités que ma petite existence. Un autre monde... une sourde angoisse m'étreint pourtant, jusqu'à ce que je me dise que ce monde n'est pas prêt à un tel contact, que la Terre risque de lui faire plus de mal que ne l'ont fait les Protecteurs chez nous. Un monde entier, fertile, et encore riche de ressources minières en tout genre, représente un tel trésor qu'ils ne résisteront pas à l'appât. Le gouvernement qui a remplacé les Protecteurs, même après un siècle, est loin de la perfection, les ressources manquent cruellement et la natalité a explosé après la troisième guerre mondiale. Non, ce monde risque gros, vraiment, et je me sens très mal à cette idée.
Mais que pourrais-je faire ? Quelle force ici pourrait s'opposer aux armes modernes ? Il n'y a rien qui puisse être fait, rien qui puisse s'opposer à la conquête et à l'exploitation de ce monde. Le triste exemple des colonies dans l'histoire de mon monde en est une parfaite illustration. Je soupire tristement et sors de ma rêverie en voyant Assil regarder, fasciné, ma boussole. Je la range, un peu gêné. Remarquant que nous sommes assez éloignés du village, je le remercie, puis lui indique le chemin du retour. Il fait non de la tête, me fait signe que je ne parle pas assez bien, m'indique mon épée, fait mine d'être en colère. Je risque donc de m'attirer des ennuis avec des gardes, si je comprends bien. Je lui indique néanmoins son village, pointe du doigt vers lui, comme il fait toujours non, je prends une poignée de terre, la presse contre mon cœur. Comprendra-t-il ? Oui, visiblement, le concept d'être lié à sa terre, à son lieu de naissance, existe ici aussi. Il ouvre ma main, laissant la terre retourner au sol, et la serre dans la sienne, entrecroisant ses doigts avec les miens. Nous sommes liés. Mais par quoi ? Devant mon incompréhension, il se rapproche, embrasse mes doigts et pose sa main sur mon cœur.
Ah, c'est bien ce que je craignais. Je soupire, libère ma main et la pose sur mon cœur en disant « Jacques ».
Son regard se voile, je vois des larmes perler dans ses yeux, des larmes qui me font mal. Il se détourne de moi et commence à marcher... à l'opposé du village, sur ma route.
- Viens, me dit-il.
Les productions d'inny :
Série des secrets : One shots La saga d'outremonde (fantastique avec des personnages gays)
Série des secrets : One shots La saga d'outremonde (fantastique avec des personnages gays)