CHAPITRE CXXX
''Post bellum''
''Post bellum''
Journal de Gershaw de Bélothie
Je m'étais égaré... en revenant du Circus Maximus, j’avais voulu retourner à mon auberge par un autre chemin, et je m'étais égaré. Et, au vu des chétives masures, des ruelles étroites, je devais être dans les quartiers Est de la ville. Les quartiers les plus mal famés de toutes les villes... et la nuit venait de tomber.
Et ce qui devait arriver arriva. Alors que j'essayais de retrouver mon chemin, sept silhouettes me barrèrent le chemin. L'un d'eux s'approcha.
- Alors, l'ami, on se promène ?
A la lueur d'une torche, je le vis. Il avait un visage émacié, un sourire édenté et un long coutelas à la main. Dans ses yeux je vis une lueur mauvaise.
J'évaluais la situation. Sept hommes, ça faisait beaucoup, tout de même. Mais, quitte à mourir, plus d'un allait m'accompagner aux Enfers... Je sortis mon épée et ma dague.
- Regardez ça, sire, le quidam veut jouer les héros...
Dans une partie de mon cerveau, je me demandais pourquoi il avait appelé son acolyte ''sire'', mais ce n'était pas important pour l'instant.
Le dénommé ''sire'' s'approcha. Il était trapu, avait les épaules larges et des bras musclés. Il tira à son tour une épée et dit :
- On va voir si tu es un bon bretteur... tu vas avoir l'honneur de ferrailler contre le roi des truands... en garde...
Je me campais sur mes jambes et dit d'une voix forte :
- Je suis Gershaw de Bélothie !
Je savais que ça n'avait aucun intérêt. Personne ne me connaissait en Mesmera. Mais c'était une habitude. Je disais toujours mon nom avant de combattre.
Il y eut un moment de flottement et le ''roi'' abaissa son épée.
- Ger... Gershaw... Gershaw de Bélothie ?!
Il s'avança vers moi et me regarda intensément.
- Mais par les dieux, oui, c'est bien vous. Excusez moi, capitaine, mais je ne vous avais pas reconnu avec cette barbe...
Le terme ''capitaine'' et le fait que tout soit dit en simérien me surpris.
- On... on se connaît ?
- Moi je vous connais, mais vous, vous ne me connaissez pas...
- C'est à dire ?
- C'est à dire, capitaine, que j'ai servi sous vos ordres dans l'armée de mercenaires du comte Bohort. Et je peux vous dire que les camarades des autres compagnies m'enviaient. Pensez donc, Gershaw de Bélothie, le seul capitaine qui ne rognait pas sur la part de picorée de ses sergents et interdisait auxdits sergents, sous menace de la corde, de rogner sur la part de picorée de leurs soldats...
- Comment t'appelles-tu ?
- Morriss... Filip Morriss...
Cela ne me disait rien, en effet. Mais j'avais plus de 150 hommes sous mes ordres et ne les connaissais pas tous.
Filip vit que j'étais toujours en garde. Il rengaina son épée et dit à ses hommes, en mesmérien cette fois :
- Rengainez les gars, cet homme est Gershaw de Bélothie, mon ancien capitaine. Quiconque lui manque de respect me manque de respect... c'est clair ?
Les six hommes acquiescèrent. Filip se tourna vers moi et me sourit. Je rengainai et lui demandai :
- Alors, soldat, tu es devenu roi ?
- Oh la, c'est une longue histoire... Mais oui, je suis le roi des truands...
- De Lutecia ?
- Fi donc, non... de tout Mesmera...
- Tu te gausses ?
- Nenni, nenni... je suis le roi des truands de tout Mesmera... que Hodin me foudroie si je mens !
- Il faut que tu me contes cela, dans ce cas, ta majesté...
Filip éclata de rire.
- Soit, mais pas aujourd’hui... demain... demain vous êtes mon invité au palais...
- Au palais ?
- Oui. J'enverrai deux de mes hommes vous cherchez à sept heures du soir. Les mêmes hommes qui vont vous raccompagner jusqu'à votre auberge pour éviter les... mauvaises rencontres... a demain capitaine...
Il claqua des doigts et deux de ses hommes me reconduisirent jusqu'à mon auberge. Plusieurs autres mauvais garçons eurent l'envie de me délester de ma bourse, voire même de ma vie, mais à la vue de mes deux gardes du corps, ils ôtèrent leurs bonnets et firent un petit salut de la tête...
le lendemain, à sept heures précises, ma chambrière me prévint que deux hommes m'attendaient dans la grande salle.
C'était les deux mêmes que la veille et je les suivis dans le dédale de ruelles des quartiers Est. Soudain, au détour d'une rue, je tombai interdit. Entourée de maisons chétives et délabrées, se trouvait une magnifique insula (1). Haute de six étages, elle était entourée d'une allée couverte, égayée de statues de dieux et de déesses. Mes deux gardes m’emmenèrent jusqu'à une porte monumentale. Un homme grassouillet, qui se trouvait être le majordome du ''palais'' me salua fort civilement.
- Son altesse vous attend dans le salon bleu...
Il frappa dans ses mains et trois jolies drôlettes m'entourèrent en riant. Elles me débarrassèrent de mon manteau, de mes gants, de mon chapeau. Un homme, grand et musculeux s'avança.
- Monsieur, me dit le majordome, vous devez laisser votre arme avant d'être mené au roi...
- C'est hors de question...
- Mais, monsieur...
- J'ai dit, c'est hors de question...
Le majordome, pâle et défait, murmura quelques mots à la montagne de muscles qui me regardait d'un œil mauvais. Il disparut quelques instants dans une pièce puis revint en acquiesçant simplement. Le majordome se détendit, me sourit et me pria de le suivre dans la pièce où était entré le garde.
- Monsieur Gershaw de Bélothie... dit le majordome.
Dans un immense fauteuil, très semblable à un trône, se trouvait Filip, qui se leva en souriant et vint à moi.
- Ah, capitaine, soyez le très bienvenu au palais du roi des truands...
il m'invita à m'asseoir dans un fauteuil en face de lui.
- Nous allons d'abord manger et boire à tas, et ensuite je vous raconterai mon histoire... cela vous convient-il capitaine ?
- Tout à plein. Mais à la condition que tu m’appelles Gershaw et que tu me tutoies...
- Si vous... euh, si tu veux. Mais dans ce cas appelles moi Filip...
Nous mangeâmes des mets délicats et bûmes des picrates excellents. Nous étions servis par de jeunes filles, de 16 ou 17 ans, vêtues uniquement d'un pagne qui laissait voir leurs jambes longues et fines et leurs poitrines fermes et pommelantes. Le collier en cuir qu'elles portaient montrait leur condition d'esclave.
- Elles sont appétissantes, n'est-ce pas ? me demanda Filip.
- Très...
- Cette petite là est une de mes dernières acquisitions. Elle s'appelle Veronica, a 16 ans et est vierge, chose rare à son âge et la raison pour laquelle elle m'a coûté tant de pécunes. Je me proposais de la déflorer à la dure avant de la prêter à mes lieutenants, mais si elle vous plaît, elle est à vous. Ce sera mon cadeau de bienvenue...
J'hésitai. La jeunette semblait terrifiée et je me dis que je pourrais la déflorer beaucoup plus doucement que Filip et ses lieutenants.
- Pourquoi pas, dis-je, cela fait quelques temps que je n'ai point lutiner une gueuse et cette petite est à mon goût. Je lui montrerai ce qu'est un véritable mâle pour sa première fois. Mais d'abord, raconte moi comment un de mes soldats est devenu roi...
- Veronica, viens t'asseoir aux pieds de ton maître... non, pas moi, chienne, mon ami... voilà... à ses pieds, comme une bonne petite esclave...
Il se racla la gorge et commença son récit.
(1) Insula : maison à 7 ou 8 étages divisée en plusieurs appartements.