CHAPITRE VI (2/2)
Harmonie me regarde avec ses grands yeux interrogateurs et fragiles que les larmes s’apprêtent à délaisser. Sa frimousse lui donne un charme pathétique, éthéré où l’innocence et la tristesse prennent le pas sur la délicatesse de son visage.
- Un deal ? C’est à dire ?
- Je fais un détour sur les terres de votre enfance et en échange, vous séchez vos yeux et vous me faites un grand sourire. Dans la boîte à gants, vous trouverez des mouchoirs en papier.
- Pour le sourire, je peux essayer mais je ne garantis rien. Comme ça ?
- On a dit un sourire pas une grimace !
- Je fais ce que je peux, vous êtes marrant vous. Et celui là, il vous plaît mieux ?
- Ça progresse mais je suis sûr que vous pourriez faire un effort supplémentaire. Pendant que vous dormiez tout à l’heure, vous souriez. Je ne sais pas à quoi vous rêviez mais j’ai trouvé que ça vous allait très bien.
- Vous dites cela pour me faire plaisir ?
- Non, c’est on ne peut plus sincère.
- Merci. Ça fait très longtemps qu’on ne m’a pas adressé un compliment. Je suis émue et si vous continuez comme cela, vous allez finir par m’intimider.
La route serpente dans la forêt, une végétation lourde qui filtre le soleil. C’est très joli et ombragé avec parfois des virages suffisamment prononcés pour chahuter nos corps de concert.
- Ça fait dix ans que je ne suis pas passée par ici et rien n’a changé. Je suis heureuse de pouvoir y revenir grâce à vous.
- Ah et bien le voila le sourire que j’attendais.
- Arrêtez, vous allez me faire rougir.
- Vous êtes déjà toute rouge y compris vos cheveux.
- Vous voyez comment vous êtes. On n’avait pourtant conclus un pacte de non agression ?
- Mais je ne vous agresse pas. Si vous avez teint vos cheveux en rouge c’est bien parce que vous aimez ça. Non ?
- Raté, tout faux. Aucune psychologie ou alors celle d’un escargot endormit dans sa coquille depuis la nuit des temps.
- Je ne comprends pas.
- Réfléchissez un peu. Quand on vit dans la rue, il faut ressembler aux gens qui vivent dans la rue sinon on a très rapidement de gros problèmes. Vous pouvez tourner à droite ? C’est là, juste là.
- Ici, la rue qui monte ?
- Oui. Vous voyez en haut droit devant vous. Il y a une grande tour en pierre. La légende locale dit que Jeanne d’Arc y aurait été emprisonnée la nuit de son arrestation avant son transfert pour Rouen. Et en souvenir de la pucelle, ils ont posé la statue d'une vierge. Trop con. Et le pire de tout c'est que la vierge a disparu. On ne l'a jamais retrouvée.
- D'où vous tenez tous ces éléments historiques ?
- J'ai été scolarisé et puis j'ai été... Je n'ai pas envie d'en parler. Vous ne comprendriez pas...
- Ok comme vous voulez Harmonie. C’est vraiment très coquet ici, les maisons en toit de chaume, plein de très belles propriétés bourgeoises.
- C’est le domaine de Rimberlieu. Auparavant, c’était un domaine privé avec des barrières et des gardes à l’entrée. C’est ici que j’ai passé toute ma jeunesse. Mes meilleurs souvenirs.
- Pourquoi en êtes vous partie alors ?
- C’est compliqué. Tenez, là, c’était ma maison. Ça l’est peut être encore d’ailleurs, je ne sais pas. Vous pouvez vous arrêter quelques instants ? La fenêtre à l’étage à droite, c’était ma chambre. Les volets y ont été repeints. Avant ils étaient vert pâle. J’aimai bien, ça se fondait dans le paysage.
Harmonie se baisse brusquement. Sur le perron, la silhouette d’une femme d’une soixantaine d’années apparaît dans le chambranle de la porte d’entrée. Elle regarde dans notre direction avec insistance.
- Vous pouvez démarrer ? implore Harmonie. Je ne veux pas qu’elle me voit.
- Votre mère ?
- Oui ! Elle n’a pas beaucoup changé, juste un peu vieillit.
- Et on va où maintenant ?
- Vous allez monter à droite jusqu’au plateau, là où la tour est érigée et vous aurez la possibilité de faire demi-tour.
En redescendant, Harmonie se tapit dans le fond de son siège, laissant juste les yeux à hauteur de la portière. Plus personne en vue. Nous regagnons la départementale pour prendre la direction de l’autoroute A1.
- Merci. Merci beaucoup. Je vous suis très reconnaissante pour ce que vous avez fait.
Arrêté au feu rouge du village, je tourne la tête dans sa direction. Harmonie n’a plus décroché un mot, perdue dans l’évocation de ses souvenirs.
- Vous avez l’air troublé, bouleversé. Ça va ?
- Oui, ça va aller. Ne vous inquiétez pas. C’est l’émotion, les souvenirs qui reviennent en pleine figure sans crier gare. Je pensais avoir tourné la page et je ne me doutais pas un seul instant que cela me rendrait encore si nostalgique. Et puis revoir ma mère, après tout ce temps, même de loin …
Des larmes coulent sur ses joues, silencieuses, comme si elles partageaient avec elle l’importance de l’instant présent. Le feu est passé au vert. La voiture redémarre. Je l’écoute, concentré sur la route qui traverse les champs. Sa voix est d’une douceur remarquable, presque déconcertante, très agréable. Pour la première fois, elle parle de tout et de rien, du paysage, de l’ancien château de bombardé durant la guerre, des souterrains oubliés en évitant soigneusement tous les sujets qui me posent question. Passé le péage Harmonie se tait laissant dans son sillage les souvenirs s’éloigner.
- Il est possible de vous arrêter à la prochaine aire ? j’ai envie d’aller aux toilettes.
- Pas de soucis. On en profitera pour prendre un café.
- Pour ma part, je prendrai un verre d’eau.
- Vous n’aimez pas le café ?
- Si mais sur les aires d’autoroute, c’est hors de prix.
- Bon je vous l’offrirai alors.
- Ça fait trop de gentillesses. Ce n’est pas normal. Vous attendez quoi en échange ?
- Vous baiser pardi !
- J’en étais sûre. Vous n’êtes qu’un gros salaud comme les autres. Je n’aurai jamais dû...
- Non je plaisante Harmonie. C’était juste pour vous faire râler et j’étais sûr que vous alliez démarrer au quart de tour.
- Parce que vous faites dans l’humour et la psychologie maintenant ?
- Allez zou, à la cafétéria mademoiselle et que ça saute.
- D’abord pipi et après je vois.
- Bon d’accord mais faites vite.
- Vous en avez de bonnes vous. On voit que vous n’êtes pas une femme.
Debout accoudé à la seule table haute disponible dans le fond de la boutique, j’attends Harmonie. Du fond du couloir, on la repère sans aucune difficulté et tous les visages suivent méthodiquement sa progression dans la salle, inquiets lorsqu’elle prend leur direction, soulagés lorsque sa trajectoire passe à côté. Harmonie s’arrête face à moi.
- Vous les avez vu ?
- Oui, je trouve que c’est rigolo et je suis sûr qu’ils se demandent tous ce qu’on fait ensemble.
- La pute et le petit bourge. Ne vous inquiétez pas, c’est ce qu’ils pensent.
- Vous êtes dure quand même.
- Le pire, c’est les femmes. Elles me dévisagent avec dédain, dégoût pour certaine, comme si j’étais une grosse merde et lorsque je les regarde avec insistance, elles s’enfuient en courant, paniquées, la peur au ventre. Ça me fait toujours marrer. Dans la rue, on apprend à donner la pétoche parce que c’est notre seule arme. Un gros bluff qui marche dans la majorité des cas.
- Et lorsque ça ne marche pas ?
- Ben on passe un sale quart d’heure si on n’est pas suffisamment rapide au sprint. Ça m’est arrivée à deux reprises.
- De courir vite ?
- Non. De passer un sale quart d’heure.
- Désolé Harmonie.
- C’est comme ça. On y peut rien. Et puis je suis toujours en vie. C’est le principal quoi que des fois je me demande.
- Ça y est ! Les idées noires qui reviennent au galop. Vous n’allez pas vous morfondre comme cela jusqu’à l’arrivée ? Finissez votre café et on y retourne.
- J’y peux rien. Vous me posez plein de questions sur ma vie et ma vie est loin d’être rigolote. Trouvez des sujets plus drôles, des histoires humoristiques, des trucs où on pourra se bidonner.
Je quitte la cafétéria avec Harmonie qui trottine joyeusement à mes côtés.
- Contrairement à ce que vous pensez, je sais être une jeune femme enjouée et souriante. Qu’est ce que vous croyez. Tenez regardez, je sais faire le lézard en tortillant du cul, ils vont tous avoir envie de me sauter et si je fais l’oiseau, ils vont tous me prendre pour une demeurée. Mais je m’en fous et à priori, le plus drôle c’est que vous aussi. Je commence à vous trouver sympathique.
- Alors j’ai une chance ?
- Une chance de quoi ? De me baiser ? Sûrement pas.
- J’ai pourtant fait le maximum dis-je en riant.
- Oh putain ! c’est quoi cette barre de fer au bord du trottoir ? hurle-t-elle les larmes aux yeux, en essayant de se relever péniblement...
Harmonie me regarde avec ses grands yeux interrogateurs et fragiles que les larmes s’apprêtent à délaisser. Sa frimousse lui donne un charme pathétique, éthéré où l’innocence et la tristesse prennent le pas sur la délicatesse de son visage.
- Un deal ? C’est à dire ?
- Je fais un détour sur les terres de votre enfance et en échange, vous séchez vos yeux et vous me faites un grand sourire. Dans la boîte à gants, vous trouverez des mouchoirs en papier.
- Pour le sourire, je peux essayer mais je ne garantis rien. Comme ça ?
- On a dit un sourire pas une grimace !
- Je fais ce que je peux, vous êtes marrant vous. Et celui là, il vous plaît mieux ?
- Ça progresse mais je suis sûr que vous pourriez faire un effort supplémentaire. Pendant que vous dormiez tout à l’heure, vous souriez. Je ne sais pas à quoi vous rêviez mais j’ai trouvé que ça vous allait très bien.
- Vous dites cela pour me faire plaisir ?
- Non, c’est on ne peut plus sincère.
- Merci. Ça fait très longtemps qu’on ne m’a pas adressé un compliment. Je suis émue et si vous continuez comme cela, vous allez finir par m’intimider.
La route serpente dans la forêt, une végétation lourde qui filtre le soleil. C’est très joli et ombragé avec parfois des virages suffisamment prononcés pour chahuter nos corps de concert.
- Ça fait dix ans que je ne suis pas passée par ici et rien n’a changé. Je suis heureuse de pouvoir y revenir grâce à vous.
- Ah et bien le voila le sourire que j’attendais.
- Arrêtez, vous allez me faire rougir.
- Vous êtes déjà toute rouge y compris vos cheveux.
- Vous voyez comment vous êtes. On n’avait pourtant conclus un pacte de non agression ?
- Mais je ne vous agresse pas. Si vous avez teint vos cheveux en rouge c’est bien parce que vous aimez ça. Non ?
- Raté, tout faux. Aucune psychologie ou alors celle d’un escargot endormit dans sa coquille depuis la nuit des temps.
- Je ne comprends pas.
- Réfléchissez un peu. Quand on vit dans la rue, il faut ressembler aux gens qui vivent dans la rue sinon on a très rapidement de gros problèmes. Vous pouvez tourner à droite ? C’est là, juste là.
- Ici, la rue qui monte ?
- Oui. Vous voyez en haut droit devant vous. Il y a une grande tour en pierre. La légende locale dit que Jeanne d’Arc y aurait été emprisonnée la nuit de son arrestation avant son transfert pour Rouen. Et en souvenir de la pucelle, ils ont posé la statue d'une vierge. Trop con. Et le pire de tout c'est que la vierge a disparu. On ne l'a jamais retrouvée.
- D'où vous tenez tous ces éléments historiques ?
- J'ai été scolarisé et puis j'ai été... Je n'ai pas envie d'en parler. Vous ne comprendriez pas...
- Ok comme vous voulez Harmonie. C’est vraiment très coquet ici, les maisons en toit de chaume, plein de très belles propriétés bourgeoises.
- C’est le domaine de Rimberlieu. Auparavant, c’était un domaine privé avec des barrières et des gardes à l’entrée. C’est ici que j’ai passé toute ma jeunesse. Mes meilleurs souvenirs.
- Pourquoi en êtes vous partie alors ?
- C’est compliqué. Tenez, là, c’était ma maison. Ça l’est peut être encore d’ailleurs, je ne sais pas. Vous pouvez vous arrêter quelques instants ? La fenêtre à l’étage à droite, c’était ma chambre. Les volets y ont été repeints. Avant ils étaient vert pâle. J’aimai bien, ça se fondait dans le paysage.
Harmonie se baisse brusquement. Sur le perron, la silhouette d’une femme d’une soixantaine d’années apparaît dans le chambranle de la porte d’entrée. Elle regarde dans notre direction avec insistance.
- Vous pouvez démarrer ? implore Harmonie. Je ne veux pas qu’elle me voit.
- Votre mère ?
- Oui ! Elle n’a pas beaucoup changé, juste un peu vieillit.
- Et on va où maintenant ?
- Vous allez monter à droite jusqu’au plateau, là où la tour est érigée et vous aurez la possibilité de faire demi-tour.
En redescendant, Harmonie se tapit dans le fond de son siège, laissant juste les yeux à hauteur de la portière. Plus personne en vue. Nous regagnons la départementale pour prendre la direction de l’autoroute A1.
- Merci. Merci beaucoup. Je vous suis très reconnaissante pour ce que vous avez fait.
Arrêté au feu rouge du village, je tourne la tête dans sa direction. Harmonie n’a plus décroché un mot, perdue dans l’évocation de ses souvenirs.
- Vous avez l’air troublé, bouleversé. Ça va ?
- Oui, ça va aller. Ne vous inquiétez pas. C’est l’émotion, les souvenirs qui reviennent en pleine figure sans crier gare. Je pensais avoir tourné la page et je ne me doutais pas un seul instant que cela me rendrait encore si nostalgique. Et puis revoir ma mère, après tout ce temps, même de loin …
Des larmes coulent sur ses joues, silencieuses, comme si elles partageaient avec elle l’importance de l’instant présent. Le feu est passé au vert. La voiture redémarre. Je l’écoute, concentré sur la route qui traverse les champs. Sa voix est d’une douceur remarquable, presque déconcertante, très agréable. Pour la première fois, elle parle de tout et de rien, du paysage, de l’ancien château de bombardé durant la guerre, des souterrains oubliés en évitant soigneusement tous les sujets qui me posent question. Passé le péage Harmonie se tait laissant dans son sillage les souvenirs s’éloigner.
- Il est possible de vous arrêter à la prochaine aire ? j’ai envie d’aller aux toilettes.
- Pas de soucis. On en profitera pour prendre un café.
- Pour ma part, je prendrai un verre d’eau.
- Vous n’aimez pas le café ?
- Si mais sur les aires d’autoroute, c’est hors de prix.
- Bon je vous l’offrirai alors.
- Ça fait trop de gentillesses. Ce n’est pas normal. Vous attendez quoi en échange ?
- Vous baiser pardi !
- J’en étais sûre. Vous n’êtes qu’un gros salaud comme les autres. Je n’aurai jamais dû...
- Non je plaisante Harmonie. C’était juste pour vous faire râler et j’étais sûr que vous alliez démarrer au quart de tour.
- Parce que vous faites dans l’humour et la psychologie maintenant ?
- Allez zou, à la cafétéria mademoiselle et que ça saute.
- D’abord pipi et après je vois.
- Bon d’accord mais faites vite.
- Vous en avez de bonnes vous. On voit que vous n’êtes pas une femme.
Debout accoudé à la seule table haute disponible dans le fond de la boutique, j’attends Harmonie. Du fond du couloir, on la repère sans aucune difficulté et tous les visages suivent méthodiquement sa progression dans la salle, inquiets lorsqu’elle prend leur direction, soulagés lorsque sa trajectoire passe à côté. Harmonie s’arrête face à moi.
- Vous les avez vu ?
- Oui, je trouve que c’est rigolo et je suis sûr qu’ils se demandent tous ce qu’on fait ensemble.
- La pute et le petit bourge. Ne vous inquiétez pas, c’est ce qu’ils pensent.
- Vous êtes dure quand même.
- Le pire, c’est les femmes. Elles me dévisagent avec dédain, dégoût pour certaine, comme si j’étais une grosse merde et lorsque je les regarde avec insistance, elles s’enfuient en courant, paniquées, la peur au ventre. Ça me fait toujours marrer. Dans la rue, on apprend à donner la pétoche parce que c’est notre seule arme. Un gros bluff qui marche dans la majorité des cas.
- Et lorsque ça ne marche pas ?
- Ben on passe un sale quart d’heure si on n’est pas suffisamment rapide au sprint. Ça m’est arrivée à deux reprises.
- De courir vite ?
- Non. De passer un sale quart d’heure.
- Désolé Harmonie.
- C’est comme ça. On y peut rien. Et puis je suis toujours en vie. C’est le principal quoi que des fois je me demande.
- Ça y est ! Les idées noires qui reviennent au galop. Vous n’allez pas vous morfondre comme cela jusqu’à l’arrivée ? Finissez votre café et on y retourne.
- J’y peux rien. Vous me posez plein de questions sur ma vie et ma vie est loin d’être rigolote. Trouvez des sujets plus drôles, des histoires humoristiques, des trucs où on pourra se bidonner.
Je quitte la cafétéria avec Harmonie qui trottine joyeusement à mes côtés.
- Contrairement à ce que vous pensez, je sais être une jeune femme enjouée et souriante. Qu’est ce que vous croyez. Tenez regardez, je sais faire le lézard en tortillant du cul, ils vont tous avoir envie de me sauter et si je fais l’oiseau, ils vont tous me prendre pour une demeurée. Mais je m’en fous et à priori, le plus drôle c’est que vous aussi. Je commence à vous trouver sympathique.
- Alors j’ai une chance ?
- Une chance de quoi ? De me baiser ? Sûrement pas.
- J’ai pourtant fait le maximum dis-je en riant.
- Oh putain ! c’est quoi cette barre de fer au bord du trottoir ? hurle-t-elle les larmes aux yeux, en essayant de se relever péniblement...
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