CHAPITRE CXXIV
''Sine poenitet''
''Sine poenitet''
Burydan se rappelait que le marquis de Siorac, le seul de ses prisonniers qu'il ait laissé partir, s'était réfugié en Mesmera et mis sous la protection de son beau-frère, le seigneur de Loctudy.
Arrivé dans le village, il n'eut pas à demander son chemin. De très loin se voyait, au sommet d'une petite colline, l'immense château.
Ils arrivèrent devant les grilles et virent plusieurs gardes. Burydan soupira et s’apprêta à discuter âprement avant de pouvoir parler au marquis. Il mit pied à terre et s'approcha. Un homme vint immédiatement à sa rencontre.
- Salut à toi l'ami. Je peux t'aider ?
Burydan fut surpris. Il avait l'habitude des militaires obtus de Britania, qui l'aurait déjà menacé de la geôle avant même d'avoir écouté ce qu'il avait à dire. Mais celui-là le saluait fort civilement avec un grand sourire.
- Euh, oui. Est-ce bien la demeure du seigneur de Loctudy ?
- C'est bien ici, le château du baron Enguerrand de Wotan...
- Le baron est-il ici ?
- Et tu lui veux quoi, dis moi...
- A lui, rien, c'est à son beau-frère, le marquis de Siorac, que j'aimerais parler...
- Ah, je vois. Tu n'as pas de chance, l'ami, le baron et toute sa famille sont partis pour Lutecia hier.
- Le marquis aussi ?
- Je ne sais. Le marquis de Siorac n'habite plus ici. L'empereur lui a donné en apanage une baronnie un peu plus loin.
- Où exactement ?
Le garde lui indiqua le chemin. Burydan le remercia, lui donna un mesmerion pour que lui et ses collègues se paient quelques chopines, et se dirigea vers la baronnie de Siorac.
La nuit tombait quand il arriva dans le ville de Rônie. Il avisa une auberge et y prit une chambre. Ils dînèrent et firent l'amour.
Le lendemain matin, après leurs exercices, un formidable 69 et un copieux petit déjeuner, ils demandèrent où se trouvait le logis du marquis.
- Il n'y a pas de marquis ici, étranger. Seulement un baron...
- Ah et où se trouve le logis du baron ?
- Suis la route principale vers le nord et tu tomberas dessus...
Burydan était perplexe. Il ne savait pas qu'on pouvait déchoir dans la noblesse. De marquis à baron, quelle dégringolade...
Il trouva enfin la maison du... baron, donc. Ce n'était pas un château mais un très beau manoir.
Deux gardes étaient en faction devant l'immense portail en fer forgé. L'un s'approcha des cavaliers.
- Salutations messieurs, puis-je vous aider ?
Eh bien décidément, les militaires sont fort courtois par ici, se dit Burydan.
- Bien le bonjour. J'aimerais voir le marquis... euh, je veux dire le baron de Siorac...
- Pour quelle raison ?
- C'est... personnel...
- Ah, je vois... mais tu tombes mal, le baron et sa famille ont accompagné son beau frère, le baron de Wotan à Lutecia.
- Je compte moi-même me rendre à la capitale. Connais-tu l'adresse du baron là-bas ?
- A vrai dire... non. Attendez un petit...
Il se dirigea à grand pas vers le manoir et revint, accompagné d'un petit homme, aussi large que haut, suivant à grand peine les grandes enjambées du garde, devant faire deux pas où lui en faisait un, et soufflant comme soufflet de forge.
- Bonjour à vous... messieurs... dit-il en reprenant péniblement vent et haleine... je suis Frantz, l'intendant de sa seigneurie... Kit, le capitaine des gardes, m'a exposé votre requête... Je ne sais si je peux vous indiquer l'adresse de mon maître à Lutecia... Pourquoi voulez-vous le voir ?
- Une affaire... personnelle.
- Ah, cela ne m'avance guère... puis-je au moins savoir votre nom ?
- Malkchour. Burydan de Malkchour.
L'intendant blêmit.
- Bu... Burydan de Malkchour... LE Burydan de Malkchour ? Celui qui a permis au baron et à sa famille d'échapper aux griffes du Duc Galbatorix ?
- Euh, oui, dit Burydan, surpris, c'est moi.
- Oh mais cela change tout, messire. Mon bon maître ne tarit pas d'éloge sur vous... et je suis persuadé qu'il sera ravi de vous revoir... mais entrez, entrez, je veux absolument boire un godet avec celui qui a sauvé la famille de Siorac...
Burydan et Rhonin suivirent Frantz. Le manoir était décoré avec goût. Le salon où ils s’installèrent était garni de meubles d'une très belle facture, de tapis moelleux et de fauteuils confortables. Frantz tira un cordon et deux soubrettes accoururent, guillerettes et pépiantes, jetant des œillades assassines à Burydan et à Rhonin.
- Cessez donc de babiller comme pies, sottes caillettes. Allez dire au majordome qu'il débouche une des meilleures bouteilles de picrate de sa Seigneurie pour honorer monsieur de Malkchour. Et ne lambiner pas...
Les deux mignotes firent les yeux doux à Burydan, battirent des cils devant Rhonin, et s'ensauvèrent après une petite révérence.
Deux minutes plus tard un homme immense et massif entra.
- Malkchour, dit-il d'une voix tonitruante. Quelqu'un à bien dit que nous recevions Burydan de Malkchour.
- Euh oui, dit Burydan en se levant, c'est moi...
Le majordome posa bouteille et verres sur une petite table et s'approcha de Burydan. Il lui serra la main avec force et dit :
- Messire, sachez que c'est un honneur pour moi de serrer la main du sauveur de notre bon maître... un réel honneur...
- Euh, tout le plaisir est pour moi.
L'homme lui fit un petit salut et sortit.
Burydan et Rhonin trempèrent leurs lèvres dans le verre de picrate que Frantz venait de leur servir, et qui était délicieux, et Burydan dit :
- Peux-je vous poser une question... ou plutôt plusieurs.
- Bien sûr messire...
- D'où vient que les gardes des barons soient si... courtois ?
- Oh, c'est une exigence du baron de Wotan. Il exige que tous ses visiteurs, du plus haut seigneur au plus humble hère, soit traité avec respect sous peine du bâton pour le garde indélicat...
- Le bâton . Est-ce déjà arrivé ?
- Pas que je sache. Et je doute que cela arrive... les gardes sont sur leur garde... dit Frantz avec un petit rire... et le baron est bon... mais pas autant que mon bon maître...
- Vous avez l'air de beaucoup aimer le baron de Siorac...
- Mais tout le monde l'aime...
- Tout le monde ?
- Tout le monde, messire. Vous ne trouverez pas une seule personne qui vous dira du mal de sa Seigneurie. Le baron précédent, mort, les dieux soient loués, sans descendance, était un... un... bref... il levait de lourds impôts à tout bout de champs, les élevait même quand la récolte était mauvaise, la seule chose qui lui importait étant de remplir ses coffres. Il se fichait comme d'une guigne que les manants de ses terres crèvent de verte-faim ou en soient réduits à manger glands et racines. Il pendait tout un chacun pour des broutilles, allant même jusqu'à faire exécuter deux garçons de 6 et 7 ans pour avoir chaparder deux appurus dans un de ses vergers. Il du, d'ailleurs, subir plusieurs jacqueries qui l'aurait envoyé tout botté au gibet si l'empereur n'avait pas envoyé sa troupe...
Frantz avait dit cela d'une traite. Il reprit son souffle, bu une gorgée de picrate, et reprit :
- Aussi, lorsqu'il rendit son âme à qui voulu bien la prendre, nul ne le pleura. L'empereur, tenant en haute estime le baron de Wotan, accepta de transmettre la baronnie à son beau-frère. Un étranger qui devenait tout de go seigneur d'une baronnie fit un peu grincer des dents. Mais sa Seigneurie fit taire les médisances. Il supprima une grande partie des impôts qui étranglaient le peuple, supprima les coutumes qu'il jugea indécente, comme la prima notte...
- La quoi ? demanda Burydan.
- La prima notte, messire. Elle donne au seigneur le droit de dépuceler une jeune mariée, volant cette privauté à son époux.
- Barbare coutume.
- Oui da, et elle n'est plus usité dans tout l'empire. De plus le baron était fort peu ragoutant... Bref, le baron de Siorac offrit un droit de chasse sur ses terres pour les temps de famine, ainsi que le gratuité des moulins à huile et à grains, divisa par deux les jours de corvée dus au seigneur, donna libéralement aux temples, aux hospices et aux dispensaires, organisa des fêtes où tous les manants et habitants étaient invités à venir boire une chopine et festoyer... raison pour laquelle sa Seigneurie est aimée par ses sujets, comme peu le sont...
- Pourquoi baron ? Siorac était marquis en Britania...
- Oh, messire, le titre de marquis n'existe pas en Mesmera. Seul le titre de baron est usité.
- Je vois. Et pourquoi baron de Wotan et pas de Loctudy ?
- Une coutume. La ville actuelle de Loctudy, qui signifie en vieux mesmérien ''ville neuve'', est construite sur les ruine de l'ancienne Wotan, ravagée par un grand incendie. Et même si la ville à changé de nom, le titre n'a pas bougé. De plus la famille de Wotan est l'une des plus anciennes familles de Mesmera. Et l'empereur à permis à sa Seigneurie de garder son nom de Siorac...
Se rappelant pourquoi il était là, Frantz donna à Burydan l'adresse du baron à Lutecia et lui fit même un plan. Rhonin et lui prirent congé et retournèrent à l'auberge. Ils reprirent la route de Lutecia le lendemain.