Sombres secrets (gay, jumeaux, vih, terminé)

[inny-2]

*  11  *

Bon, c'est certes intrigant, mais ça ne prouve rien. Je reconnais cette chemise cartonnée, maintenant... c'est celle que maman a pris avec elle quand on a été faire ma carte d'identité. Je dois bien avouer que ça ne me passionnait pas, à l'époque, tout ça... je le regrette un peu aujourd'hui. Voyons voir...
Tiens, c'est quoi ça ? Ça vient d'un hôpital... à Audincourt. Je vois, mes parents m'y ont amené après que ma mère ait accouché dans la voiture. Ça a dû être folklo... pourquoi n'en avoir rien dit ?
Ah ! Naissance avant terme... mes parents devaient être paniqués. Pas un souvenir qu'ils doivent aimer ressasser.
J'examine les autres documents mais n'y vois rien d'intéressant. Je referme la chemise et la remet en place.
- Bon... voilà un mystère résolu. Il est temps de passer au ménage...

Une fois ceci fait, je retourne dans ma chambre et bazarde tout ce qui traîne dans le panier à ligne. Ça a meilleure allure, maintenant. Pour le moment.
Je suis plus serein depuis un moment mais ce n'est qu'alors que je commence à naviguer sur internet que je comprends pourquoi. La situation assez particulière qui a présidé à ma naissance ôte toute possibilité à François d'être mon frère jumeau. Je n'avais pas réalisé à quel point ça me rongeait.
Je tape Audincourt sur Google Maps et regarde la carte s'afficher. Je suis le tracé de la D34 en me demandant où exactement je suis né. Quelle importance, en fin de compte ? Je suis né près de Sochaux, ville que je ne connais que de nom. Je recule le zoom jusqu'à découvrir que c'est tout près de la Suisse.
Peut-être en venaient-ils ? Qu'ils se sont renseignés pour savoir quel hôpital était le plus proche... une minute... il n'y avait pas encore de mobiles à l'époque. Alors quoi ? Le mieux serait de poser la question à maman.
Je voudrais bien que papa revienne, aussi...

Je prends mon téléphone et envoie un sms à François avant d'aller ouvrir la porte.
- T'en as mis du temps.
- J'avais pas mal de trucs à faire. Je suis seul, ma mère et mon frère sont allés faire des courses.
- OK. Je peux entrer ?
- Ouais, bien sûr.
Je l'emmène jusqu'à ma chambre. J'ai une vague pensée pour mon cauchemar mais c'est la réalité maintenant. Ce genre de choses ne risque pas d'arriver. Déjà, je suis exactement aussi fort que lui, je pense. Aucun de nous ne peut prendre l'avantage sur l'autre. Je chasse ces pensées et m'installe sur mon lit en lui proposant la chaise.
- Ça va, je préfère rester debout. On échange ? Dit-il en sortant son propre extrait de naissance.
- Oui, pas de problème.
Je lui donne le mien et nous examinons tous deux le bout de papier qui détient la réponse à nos questions.

François Levasseur
Né le 15 juin 1989 à 04h32 à Bretigney.

Je suis né le même jour à 5h06 sur la D34. Nous sommes tous les deux nés en Franche-Comté le matin du 15 juin, mais à deux endroits différents et à des heures différentes. Les coïncidences s'arrêtent ici.
Ou pas ?

- Je peux ? Demande François en pointant du doigt mon ordinateur.
- Pas la peine, j'étais sur le point de le faire, dis-je en me levant et en m'installant sur ma chaise.
J'ai le sentiment d'être un condamné à mort tandis qu'un horrible pressentiment commence à se faire jour en moi. L'écran de veille disparu, la carte réapparaît.
- J'y crois pas, dit-il. On est nés de part et d'autre de Sochaux ?
- Pas à la même heure ni au même endroit...
- Tu n'y crois pas toi-même.
- C'est vrai... il y a des trucs louches dans cette histoire.
- On se fait ce test alors. Pas le choix, si on veut connaître la vérité.
- La vérité ? Alors commence par me la dire. Pourquoi tu veux autant la connaître ? Tu veux prouver à tout prix que tu n'es pas le fils de tes parents ?
- C'est exactement ça, Jeremy.

Je le regarde avec surprise, avant de secouer la tête.
- Je suis désolé, mais ce n'est pas mon cas. Je m'entends super bien avec ma famille et je ne veux surtout pas mettre ça en danger. Je comprends, dis-je en levant la main en le voyant prêt à m'interrompre, que tu veuilles retrouver ta vraie famille, mais si mes parents ne sont pas les miens... je tiens à ce qu'ils n'en sachent rien, c'est bien compris ?
- Compris.
- Dans ce cas, j'accepte de faire le test.
- Bien. J'ai pris rendez-vous il y a quelques jours déjà.
- Quoi ?!
- Je tenais à ne pas perdre de temps. C'est demain, à 11 heures.
- Quoi ?! Mais je dors, moi, à 11 heures !
- T'auras qu'à te coucher plus tôt.
- Pfff... je crois que je vais surtout mal dormir. Et les résultats, ça prendra combien de temps ?
- J'ai posé la question, dit-il en soupirant. Dix jours... on n'est pas prioritaires, ils n'ont pas le matériel, ils doivent envoyer les prélèvements à un laboratoire, on n'est pas les seuls, loin de là... la liste est longue.
- Dix jours...
Le temps qui me reste avant que mon existence ne soit totalement bouleversée. Parce que je ne peux plus me voiler la face. Je ne peux plus me mentir. On ne peut plus parler de coïncidences, il y en a beaucoup trop.
François ne peut être que mon frère. Et quelque chose s'est passé il y a près de vingt ans qui nous a séparé...