01-03-2021, 04:55 PM
CHAPITRE CXIII
''Ab irato''
''Ab irato''
Ils arrivèrent devant le palais à 9 heures 30. Un garde vint à la rencontre de Burydan.
- Je peux vous aider ?
- Je suis attendu par le roi...
- Et vous êtes ?
- Burydan de Malkchour.
Le garde consulta une liste.
- Ah, oui, l'épéiste ?
- Euh... oui...
- Et ceux-là, demanda t-il en faisant un signe vers le carrosse de Dolf et vers Rhonin.
- Le petit blond, c'est mon page... dans le carrosse c'est Dolf Dietriech et sa famille.
Le garde consulta de nouveau sa liste et acquiesça. La grande herse s'ouvrit et ils pénétrèrent dans la cour.
Le garde de la porte dit quelques mots à un jeune garçon qui fila comme carreau d'arbalète.
Burydan et Rhonin démontèrent et donnèrent les rênes à deux palefreniers. Dolf, Esmée et Candela descendirent du carrosse et le cocher l'amena vers les écuries.
- Messieurs, vous devez laisser vos armes ici.
Burydan donna son épée et sa dague.
Le frère de Dolf, Conan, arriva.
- Ah, soyez les très bienvenus. Monsieur mon frère, ravi de vous revoir. Par les dieux, Esmée, vous êtes superbe, vous allez faire tourner la tête de nos beaux seigneurs chamarrés et rendre folles de jalousie nos hautes dames. Mademoiselle ma nièce vous êtes tout aussi belle que madame votre mère. Et voilà donc notre fameux épéiste... Suivez moi, le roi est impatient de vous voir...
Rhonin fit une moue adorable quand il vit que Conan ne faisait aucun cas de lui. Burydan sourit et lui ébouriffa les cheveux.
- Ne te formalise pas, bébé, tu es important pour moi et c'est le principal...
Ils empruntèrent un dédale de couloirs et s'arrêtèrent devant une grande porte blanche rehaussée d'astrium. On entendait des voix derrière.
Ils pénétrèrent dans une grande salle. Des dizaines de courtisans clabaudaient à voix forte. Tous se turent en les voyant entrer. La marée humaine s'écarta et ils s'avancèrent vers le fond de la pièce où se trouvaient, assis sur deux trônes, le roi Zuk'Henberg et la reine Mathilde.
Trois saluts et révérences plus tard, Conan les présenta :
- Sire, permettez moi de vous présenter Monsieur Dolf Dietriech, qui se trouve être mon frère, sa femme Esmée, sa fille Candela et monsieur Burydan de Malkchour, l'épéiste dont je vous ai parlé...
- Soyez les bienvenus. Je suis ravi de rencontrer les parents de mon dévoué capitaine des gardes. Et ravi de rencontrer monsieur de Malkchour. Approchez, monsieur.
Dolf, Esmée, Candela et Rhonin prirent place parmi les courtisans et Burydan s'approcha du couple royal. Il mit un genou à terre, baisa l'anneau de la main que le roi lui tendit et le bas de la robe de la reine. Il se releva et fit un pas en arrière, avec un profond salut. Le roi tira une lettre de la manche de sa veste.
- Mon frère (1) le roi de Mik'Rosoft me dit que vous êtes le meilleur épéiste qu'il n'ait jamais vu...
- il se trouve, sire, que le meilleur épéiste qu'il n'ait jamais vu était son maître d'arme Arthas. Et, étant donné que j'ai vaincu ce dernier en duel...
- Votre maître était Gershaw de Bélothie... c'est bien cela ?
- Oui, sire.
- Maître Malikaï !
Le maître d'arme du roi apparu. Malikaï de Wills était grand, mince, avait le visage émacié, le nez en bec d'aigle et un air de morgue incrédible.
- Sire ?
- Avez-vous entendu parler de Gershaw de Bélothie ?
- Jamais, sire.
Burydan serra les poings. Cet homme mentait, et il savait très bien pourquoi.
- C'est étrange, dit Burydan.
Et il s'arrêta net. Parlez sans que le roi ne vous donne la parole ne se faisait pas. Mais Zuk'Henberg ne sembla pas s'en formaliser outre mesure et, en penchant la tête, demanda :
- Pourquoi ''étrange'' ?
- Il est étrange que votre maître d'arme n'ait jamais entendu parler de Gershaw de Bélothie alors que mon maître a été le seul à vaincre le sien, Asservus de Parum.
Malikaï pâlit.
- Est-ce vrai, maître Malikaï ?
- En effet cela me revient à présent. Ce scélérat de Gershaw de Bélothie a battu mon maître. Par traîtrise et tricherie, évidemment.
Burydan serra encore plus les poings.
- Gershaw de Bélothie n'a jamais eu besoin de tricher pour battre ses adversaires.Quiconque dit le contraire est un menteur...
- Menteur, moi ?! éructa Malikaï, monsieur je vous demande réparation de cet affront et...
- Allons, allons, cela suffit ! dit le roi. Maître Malikaï, je vous donne l'occasion de venger votre maître en combattant monsieur de Malkchour. Et nous nous assurerons qu'il ne triche pas.
Un valet approcha avec une grande boite dans laquelle se trouvaient deux épées mouchetées. Burydan aurait préféré qu'elles ne le soient pas pour passer la sienne à travers le corps de Malikaï, qui le regardait avec un sourire d'infini mépris.
Burydan avait à peine finit son salut que Malikaï se fendait en avant. Il eut juste le temps de parer sa pointe.
Les épées cliquetèrent et Burydan détestait cet homme. Son petit sourire le mettait dans une rage folle. Et oser accuser son maître de tricherie...
- Calme toi, kohai, lui dit la voix de Gershaw dans sa tête.
Burydan se rappela ses enseignements :
- Kohai, ne laisse jamais tes sentiments obscurcirent ton jugement. La colère, la peur, la compassion et la pitié ne doivent pas entrer en ligne de compte quand tu combats. Car les erreurs que pourraient te faire commettre ces sentiments, sache que ton adversaire s'en servira... et tu mourras...
Burydan se calma donc et se concentra. Malikaï était bon. Très bon même. Mais pas aussi bon que lui. Il ne pouvait pas être meilleur que lui. Perdre contre un autre épéiste, soit, mais pas contre celui-là.
Le combat durait depuis déjà un petit moment et Malikaï avait perdu son petit sourire. Lui qui pensait vaincre ce paltoquet en deux coups de cuillère à pot se rendait compte qu'il était doué. Très doué, même.
Burydan observait son adversaire et vit une faille de garde. Infime, mais suffisante. C'était le moment de finir le combat. Mais Malikaï accéléra sa chute.
Le maître d'arme du roi décida de jouer le tout pour le tout et lui asséna sa botte secrète, la botte de Settlieu. Malheureusement pour lui, Burydan connaissait cette botte, qui n'était pas si secrète, ainsi que sa parade.
Burydan para donc la botte du maître d'arme et virevolta. Il se recula de quelques pas devant un Malikaï médusé, et le salua de son épée.
- Que se passe-t-il ? demanda le roi.
- Sire, répondit Burydan, je suis au regret de vous annoncer que je viens de tuer votre maître d'arme.
- Plaît-il ?
Burydan désigna le torse de Malikaï où une tache rouge était parfaitement visible au niveau de son sternum.
- Non, non, dit Malikaï, hébété, c'est impossible... c'est... il y a eu tricherie... je ne peux avoir perdu... je
- Maître Malikaï, nous avons observé et n'y avons vu aucune tricherie, dit le roi. Monsieur de Malkchour vous a vaincu...
- Non, c'est... impossible... il... lui... il ne peut m'avoir vaincu... je suis Malikaï de Wills... je ne peux être battu par... par... ça... je veux une revanche... il y a forcément eu tricherie... j'exige une revanche !
- Vous exigez ?!?! dit le roi. Monsieur de Malkchour vous a vaincu en loyal duel, et vous devriez savoir que je déteste les mauvais perdants...
- Sire, c'est impossible... je...
- Ça suffit ! cria le roi. Maître Malikaï, je vous conseille de vous retirer sur vos terres pendant quelques temps. Je vous ferai mander si j'ai besoin de vous.
Malikaï pâlit. Un ordre de ce genre du roi équivalait à une disgrâce dont peu se remettaient. Mais Malikaï eut l'intelligence de ne rien répliquer pour ne pas aggraver son cas. Il fit trois profonds saluts au roi et se retira, mortifié.
Une fois qu'il fut sorti, le roi sourit de nouveau et dit :
- Bravo, monsieur de Malkchour, votre combat était très plaisant à voir. Et vous regarder ainsi virevolter était un pur ravissement...
- Je suis ravi que cette passe d'arme ait plu à votre majesté...
- Beaucoup, beaucoup... et d'ailleurs... accepteriez-vous de tirer l'épée contre quelqu'un d'autre ?
- Certes. Qui ?
- Eh bien... moi...
- Ah... dans ce cas, cela dépend...
Murmure parmi les courtisans. Une requête du roi équivalait à un ordre et Burydan émettait des conditions...
- Et de quoi ? demanda le roi d'une voix sèche.
- Faut-il que je laisse gagner votre majesté ? dit Burydan en souriant.
Moment de flottement et le roi éclata de rire.
- Je vous l'interdis, monsieur de Malkchour. Je veux un duel loyal.
- Dans ce cas, dit Burydan.
Les deux duellistes se mirent en place. Burydan fit plusieurs passes pour divertir sa majesté, qui tentait tout pour le vaincre, sans succès. Quand il vit que le roi commençait à s'essouffler et à commettre de plus en plus d'erreurs, pour ne pas l’humilier devant les courtisans, Burydan lui fit asséna une botte qui ne lui laissa aucune chance.
Le roi, le rouge au joue, la sueur au front et la respiration heurtée, regarda la trace rouge juste au niveau de son cœur.
Murmure parmi les courtisans.
- Monsieur de Malkchour, dit le roi, vous voilà coupable de régicide...
- Vous m'en voyez navré, sire...
Le roi sourit et dit d'une voix forte :
- Mes amis, ces exercices m'ont donné grand faim... je vous invite à partager une petite collation... j'espère que monsieur de Malkchour ainsi que la famille de mon capitaine accepteront de se joindre à nous...
Les espérances du roi étant des ordres, tous passèrent dans une pièce où se trouvaient de grandes tables garnies d'une profusion de mets et de boisson. Burydan, Dolf, Esmée, Candela et Rhonin se servirent. Conan vint les rejoindre pour dire à Burydan que le roi le mandait.
(1) Frère : certes Bilgaitz n'était pas le frère de sang du roi Zuk'Henberg. Mais c'est ainsi que les différents rois de Genesia, ainsi que le duc, s'adressaient l'un à l'autre.