CHAPITRE LXIX
''Notitiae bonum inaestimabile''
Burydan mit plus d'un an à créer son réseau d'informateurs, mais il était excellent.
Tout d'abord, il y avait la milice. Certes, les miliciens détestaient les chasseurs de prime, la plupart se montrant hautains avec eux, n'ayant de compte à rendre qu'au Duc. Burydan n'était pas de cette farine. Il se montrait toujours aimable avec la milice, se rappelant une parole de son maître :
- Sache, kohai, que l'on attrape plus de mouches avec une cuillerée de miel qu'avec un tonneau de vinaigre.
Et Burydan recueillait des informations que ses concurrents n'auraient jamais eues, ou beaucoup plus difficilement.
Les mendiants également. Ils étaient, certes, crasseux et miséreux mais point aveugles et croisaient, sous les porches des temples ou dans les rues, un foule de gens et pouvaient être, pour quelques denaris, de bons informateurs.
Les pochtrons des tavernes. Une bouteille de vin bouchée pouvait délier bien des langues.
Mais ses meilleurs informateurs étaient les valets et les chambrières. La plupart des nobles et des bourgeois étoffés considéraient leurs domestiques comme des meubles. En oubliant que ces ''meubles'' avaient des oreilles pour entendre, des yeux pour voir, et une langue pour le répéter. Et, rarement payés sous prétexte qu'ils volaient leur maître, un peu d'astrium pour les valets plus quelques œillades assassines aux chambrières, permettaient de glaner de précieuses informations.
Et enfin, comme dans toutes les villes et villages de Brittania, il y avait les ''incontournables''. Des gens, comme Olive Anders à Malienda, qui savaient énormément de choses, sans qu'on sache trop comment. C'était à eux que Burydan donnait un de ses médaillons, qu'ils utilisaient discrètement si besoin était, le réputation d'être un informateur d'un des chasseurs de prime du Duc pouvant entraîner quelques ennuis.
C'est ce qui était arrivé à Rapanuit.
Rapanuit était un habitant de Lofof'Ora. Un peu contrebandier, un peu escroc, Burydan en avait fait un des ses informateurs, car il connaissait beaucoup de monde dans les quartiers malfamés de tout Brittania Mais, sans qu'on sache trop comment, le chef des chefs des truands de Lofof'Ora, Astharoth, l'avait appris. Et, voulant faire un exemple, Rapanuit avait été retrouvé un matin la langue tranchée, les oreilles coupées, les yeux crevés et égorgé dans une ruelle. Tout le monde savait que c'était Astharoth qui l'avait tué, ou fait tuer.
Burydan l'apprit et fila à brides avalées à Lofof'Ora. Il se dirigea immédiatement vers les quartiers Est. En à peine quelques minutes, cinq hommes lui barrèrent la route.
- Hé le bourgeois, tu es chez nous ici... il y a un droit de passage à payer... ta bourse et tes bottes, elles m'ont l'air bien confortables... dit un homme édenté.
- Et sa veste, renchérit un autre à la peau jaunâtre, elle à l'air d'être d'un bon cuir...
Burydan les toisa et dit :
- Je veux voir Astharoth...
- Et qu'est-ce que tu lui veux à Astharoth ? demanda l'édenté.
- Le tuer...
Les cinq hommes éclatèrent de rire.
- Z'avez entendu, chef, le quidam veut vous occire...
Un homme, grand et musculeux, s'avança.
- Et puis je savoir pourquoi tu veux me tuer ? demanda-t-il avec un sourire moqueur aux lèvres.
- Parce que tu as, ou tu as fait tuer Rapanuit.
- Je l'ai tué de mes mains. Et je peux t'assurer qu'il a couiné comme un zuhru avant de trépasser. Même après lui avoir tranché la langue, il beuglait encore ce chien...
Cinq rires saluèrent sa tirade.
Burydan tira son épée et sa dague.
- Allez les gars, occupez vous de lui. Mais laisser le en vie, hein, j'ai bien envie de lui infliger la même chose qu'à cette balance de Rapanuit... ça me démange...
Les quatre hommes s'avancèrent vers Burydan, un sourire cruel aux lèvres.
- On va voir combien de temps tu vas tenir face à mes lieutenants, les truands les plus cruels et dextres à l'épée de tout Brittania... reprit Astharoth
Mais Burydan ne l'écoutait plus. Il était concentré en attendant l'estoc. Et les bandits attaquèrent. Deux de face et un de chaque côté. Et Burydan se lâcha. Il para, tailla, se fendit... les épées s'entrechoquèrent, les dagues cliquetèrent et, en moins de cinq minutes, les quatre hommes gisaient sur le pavés dans une mare de sang, morts.
Astharoth ne souriait plus. Il regardait, sans y croire, ses quatre lieutenants étendus raides dans la fange de la rue.
- Mais qui... qui es... qui es-tu ?
- Burydan de Malkchour...
Burydan attaqua. Astharoth était un peu plus adroit que ses lieutenants, mais pas assez pour battre le meilleur épéiste de tout Genesia. Aussi, ainsi acculé, Astharoth fit volte de face et tenta de fuir. Burydan sortit sa petite arbalète. Un trait imprégné de poison de skyhhrittfd se mit en place. Il visa et tira. L'aiguille se planta dans sa nuque. Il tituba et tomba, le poison violent le tuant en quelques secondes.
Burydan s'approcha du cadavre. Il récupéra, avec des gants, son trait et coupa l'escarcelle d'Astharoth. Elle était plutôt lourde.
- Prise de guerre et droit de légitime picorée, dit-il.
Il se retourna et vit un drôlissou en train de détrousser les corps des quatre lieutenants. Tout à son ouvrage, le garçon n'entendit pas venir Burydan qui l'attrapa fermement par la nuque. Le petit glapit et tenta de fuir, mais la poigne de Burydan l'en empêcha. Il se retourna, pâle comme un linge. Il devait avoir 8 ou 9 ans, était vêtu de haillons crasseux et une terreur indicible se lisait dans ses grands yeux bleus.
- Je... je ramassais les escarcelles pour vous, monsieur...
- Évidemment... dit Burydan.
Il tendit la main et le jeune garçon y déposa les bourses replètes.
- Comment t'appelles-tu ?
- Jo... Johann, m'sieur
- Et quel age as-tu Johann ?
- 9 ans
- Et à 9 ans tu détrousses déjà les cadavres... Tu as tout vu ?
- Non, non, m'sieur. Je vous jure que je n'ai pas vu que c'est vous qui aviez tué Astharoth et ses lieutenants en quelques minutes... je vous le jure....
Burydan sourit.
- Qu'est-ce que je vais faire de toi ?
- Laissez moi partir, m'sieur, je vous jure que je ne dirai rien...
- Je vais te laisser partir si tu me promets le contraire...
- Qu... quoi ?
- Je veux que tu racontes à tout le monde ce que tu as vu... que tu dises à tous que c'est ce qui arrive à qui s'en prend aux amis de Burydan de Malkchour, d'accord ?
- D'a... d'accord...
Burydan desserra un peu sa prise mais sans lâcher le garçon. Il fouilla dans une des escarcelles et sortit deux lunars. Il les montra aux gamins qui les regarda, les yeux brillants
- Un lunar pour que tu racontes à tous ce que tu as vu. Et un lunar pour que tu me dises où se trouve le repaire de ces vaunéants.
Le garçon tendit le bras à dextre.
- Tout au bout de la rue, une maison en bois noir.
- Il y a des hommes ?
- Oui. Encore quatre autres. Ce sont les lieutenants des lieutenants...
Burydan le lâcha et déposa au creux de sa main les deux pièces.
- Allez, file maintenant.
Le garçon ne se le fit pas dire deux fois et disparu dans une ruelle.
Burydan prit la rue à dextre et arriva, tout au bout, à une maison, un peu délabrée, peinte en noir.
Il monta les marches du perron et défonça la porte d'un coup de pied.
Trois hommes étaient en train de jouer aux cartes. D'abord hébétés, il saisirent leurs dagues et firent face à Burydan. Il attaqua, tranchant la gorge de l'un d'un coup d'épée, perçant le cœur d'un autre d'un coup de dague, éventrant le troisième.
Un homme apparu en haut de l'escalier, sortant entièrement nu d'une chambre. Il se jeta sur Burydan. Il mourut quelques secondes plus tard, une dague dans la nuque.
Burydan nettoya ses lames et récupéra les trois escarcelles.
''Pourquoi cet homme sortait-il nu d'une chambre en plein après-midi ?'' se demanda-t-il.
Il monta à l'étage et entra dans la-dite chambre et son sang se glaça dans ses veines.
Sur la couche, poignets et chevilles liées au bois du lit, une jeune fille était étendue, nue. Elle éclata en sanglot et gémit en voyant Burydan s'approcher d'elle. Elle devait avoir 15 ou 16 ans à peine et avait des bleus sur l'intérieur des cuisses, le corps et le visage.
Burydan sortit sa dague. La jeune fille hurla de terreur.
- N'ait pas peur, lui dit-il de la voix la plus douce qu'il pu, je ne vais pas te faire de mal. Je vais juste te détacher.
Il trancha ses liens et la petite se recroquevilla en pleurant.
- Qui es tu ?
- …
- Je suis Burydan de Malkchour. Tu n'as plus rien à craindre. Qui es-tu ?
- Na... Na... Natalia...
- Que fais-tu ici Natalia ?
Elle réussit à articuler entre ses sanglots :
- Ils... ils m'ont... kidnappée... et attachée... et frappée... et... et... ils m'ont... forcée... à... à... faire des... faire des choses... et... quand je... quand je ne voulais... voulais pas... ils me... ils me battaient... et étaient encore plus... encore plus brutaux... quand ils me... quand ils me violaient... les uns... les uns après les autres... ou même... même à plusieurs... ils m'ont... ils m’ont violée... des... des dizaines de fois... j'ai honte... j'ai tellement honte... je voudrais... je voudrais... mourir...
Burydan passa un bras autour de ses épaules. La jeune fille sursauta.
- Allons, dit Burydan, ne dis pas ça. Tu as été kidnappée, mais tu as des parents ?
- Oh... oui... ils doivent... être morts... d'inquiétude... cela fait... 10 jours...
- Bien. Où habites-tu ?
- Dans la... dans la... rue des arkous...
- Bon. Lève toi.
Le jeune fille se leva mais chancela et Burydan la rattrapa jutes à temps. Il prit un drap et la couvrit.
- Viens, je vais te porter et te ramener à tes parents.
- Oh non... j'ai... j'ai... trop... honte... et eux... ils vont me...
- Ils vont te serrer dans leurs bras, sinon tu viendras avec moi...
Burydan ne savait pas pourquoi il avait dit ça, ni ce qu'il ferait de la jeune fille si ses parents étaient des imbéciles, mais il fallait bien la rassurer...
- Ferme les yeux, dit-il en haut des escaliers.
- Pour... pourquoi...
- Les cadavres... ce n'est pas un spectacle pour une jeune fille...
- Ils sont... tous ?
- Oui, tous, Astharoth et ses lieutenants aussi.
- Ils ont... fait de moi... leur esclave... je veux... je veux les voir... morts...
Ils descendirent et Natalia regarda les corps et cracha sur l'un d'eux.
- C'était lui... le... le pire, dit-elle.
Il la déposa à l'extérieur de la maison.
- Bouge pas, je reviens.
Burydan renta dans la maison, dénuda les corps, prit leurs escarcelles et les traîna au dehors, sur les escaliers. Il tailla les pieds de la table en pointe et fixa sur chaque un petit panneau sur lequel il écrivit ''zuhru'' et en planta un dans chaque corps. Il prit le plateau de la table, le mit aux pieds des corps et y grava ''Burydan de Malkchour''.
Il reprit Natalia dans ses bras et lui couvrit le visage, en se dirigeant vers la rue des arkous. Il espérait que, la nuit étant déjà tombée, personne ne les remarquerait.
- C'est... c'est ici...
Chétive masure, mais assez bien entretenue. Burydan frappa à la porte. Pas de réponse. Il frappa de nouveau et entendit une voix d'homme apeurée dire :
- Qui... qui est-ce ?
- Je suis Burydan de Malkchour. Je suis avec Natalia...
La porte s'ouvrit immédiatement et une femme d'une quarantaine d'années apparut
- Natalia ? Natalia !
- Oh, maman, dit Natalia en éclatant en sanglots.
La mère de Natalia s'approcha d'elle et lui caressa le visage.
- Oh, Natalia, ton père et moi étions morts d'inquiétude. Nous avons remué ciel et terre pour te retrouver... mais où étais-tu... et tu es... tu es blessée...
- Est ce que je pourrais la déposer dans sa chambre ? demanda Burydan
- Oui, oui, bien sûr, suivez moi.
Il suivit la femme qui ne cessait de dire ''oh ma fille, ma toute petite fille'' sous les yeux d'un homme qui ne semblait pas comprendre ce qui arrivait. Il déposa la jeune fille sur le lit.
Son père sortit enfin de sa stupeur et se précipita sur sa fille, lui donna des baisers sur les joues et caressa ses cheveux. Les parents de Natalia virent les marques de coups sur son corps et la pressèrent de questions.
- Oh maman... oh papa... j'ai honte... j'ai tellement honte...
Sa mère la prit dans ses bras et dit :
- Allons, ne t'inquiète pas, nous sommes là...
Burydan regarda le père et dit :
- Il faut qu'on parle...
Le père se nommait Ménélas. Burydan lui raconta tout. Et Ménélas éclata en sanglots...
- Oh les monstres... je vais... je vais... je vais les tuer... tous... jusqu'au dernier...
- C'est déjà fait, dit Burydan
- Tous ?
- Tous.
- Astharoth aussi ?
- Astharoth aussi.
- Mais qui es-tu au juste ?
- Burydan de Malkchour. Chasseur de prime.
- Si quelqu'un apprend ce qui est arrivé à Natalia... oh, par les dieux, ma pauvre petite fille...
- Personne n'apprendra rien...
- J'aimerais te croire, mais les langues vont aller bon train... la pauvrette ne trouvera jamais un bon et gentil mari à présent... ma pauvre, pauvre petite fille...
Burydan prit les escarcelles de sa picorée.
- Tiens, dit-il, il y a pas mal de pécunes dans ces bourses. Ça fera une petite dot pour Natalia. Il lui faudra du temps et beaucoup d'amour pour qu'elle oublie. Prenez soin d'elle.
- Pourquoi... pourquoi tu fais ça pour nous ?
- Parce que mon bon cœur me perdra... dit Burydan en souriant.
Il se leva. Ménélas lui donna une forte brassée, sa femme le remercia à grand renfort de bénédictions à tous les dieux possibles et il partit après avoir déposé un petit poutoune sur le front de Natalia.
Johann fit bien son travail. La rumeur qu'un certain Burydan de Malkchour avait tué Astharoth, l'un des plus cruel et féroce truand de Brittania, et toute sa bande enfla et se répandit dans tout le duché. Il le remarqua vite.
Quand il recherchait un homme dans les quartiers mal famés des villes, et qu'il voyait des hommes à la mine patibulaires et le coutelas à la main s'approcher de lui avec, dans leurs yeux, l'envie de le délester de sa bourse et peut-être même de sa vie, il sortait son épée et sa dague et disait, d'une voix forte :
- Je suis Burydan de Malkchour !
Et les truands se figeaient, rangeaient leurs armes, ôtaient leur bonnet et lui faisaient un petit signe de tête en le laissant passer. Dans tout Brittania, Burydan de Malkchour était devenu intouchable.