29-07-2020, 04:22 PM
CHAPITRE LXV
''Nemo est supra legis''
Les cinq copistes dans le bureau d'Anselme se massaient les poignets et la nuque. Ils poussèrent un soupir de soulagement quand le vieil homme dit :
- Encore cinq minutes les enfants.
Puis il se ravisa.
- Simon, fais moi une lettre de révocation du capitaine Pierre Fitch et de sa dégradation au rang de soldat. A effet immédiat.
- Oui maître.
- Olaf, fais moi une lettre de promotion du grade de soldat à celui de capitaine pour David Hégoliatt. A effet immédiat.
- Oui maître.
- Et une fois fait, faites les porter aux deux concernés.
- Oui maître.
Anselme conduisit Burydan dans son bureau privé.
- Assieds toi je t'en prie...
Anselme sortit deux verres et une bouteille d'hydromel et les servit généreusement. Burydan trempa ses lèvres. Il était bon, mais pas autant que celui d'Oli'. Il devrait en ramener une bouteille à Anselme.
- Je n'en demandais pas tant, dit Burydan. Inutile de rétrograder ce capitaine...
- Il t'a manqué de respect, non ?
- Oui, plus ou moins...
- Et t'a menacé ?
- Oui, mais il ne fait pas le poids et...
- Ça n'a rien à voir. Manquer de respect et menacer un chasseur de prime de Son Altesse entraîne toujours une sanction. Et il sera soulagé que ce ne soit que ça... on en a pendu pour moins que ça...
- Pendu ?! Pour quelques mots un peu... véhéments ?
- Tu es chasseur de prime maintenant...
- Et ?
- Comment ça ''Et'' ? Que sais tu au juste sur les chasseurs de prime ?
- Et bien qu'ils arrêtent les gens recherchés par le Duc...
- C'est tout ?
- Ben... il y a autre chose à savoir...
- Burydan Burydan, Burydan, dit Anselme, comme s'il s'adressait à un enfant, un chasseur de prime du Duc à une impunité totale...
- C'est à dire ?
- C'est à dire que tu pourrais sortir d'ici, tuer 83 personnes, et ni la milice ni qui que ce soit d'autre ne pourrait rien contre toi. Mieux encore, tu pourrais demander aux miliciens de ramasser les cadavres, puisqu'ils sont obligés de t'aider quand tu le leurs demandes. Tu n'as à répondre de tes actes que devant le Duc, et personne d'autre. Et je parle par expérience en te disant qu'il ne te fera pas de problèmes tant que tu feras bien ton travail et que tu ne l'agaceras pas trop.
- Tu veux dire que je peux...
- Tout faire comme bon te semble... oui...
- Vraiment tout ? Même ce qui est hors la loi ?
- Burydan, c'est toi la loi... tu peux tuer, mutiler, torturer qui que ce soit si tu le juges nécessaire...
Anselme fit une pause et eut un petit sourire en coin :
- Et tu peux même lutiner un jeune garçon en pleine rue si cela te chante...
Burydan rougit.
- Et je peux te citer une bonne vingtaine de courtisans, de l'entourage même du Duc, qui ont des harems composés uniquement de jouvenceaux. Et Son Altesse ne s'en formalise pas...
- Dans ce cas, pourquoi a-t-il édicté cette loi qui punit d'une mort atroce la bougrerie ?
- Bah, il a agit sous le coup de la colère, un garçon lui ayant transmis une maladie... honteuse...
- Quoi ?! Le Duc est... bougre ?!
- Nullement. Mais, de temps à autre... mais c'est surtout le fait que Son Altesse voulait son ''petit jouet'', comme il disait, comme il veut ses concubines : intact, si tu vois ce que je veux dire... et le fait qu'il ait cette maladie prouvait qu'il n'était pas si novice que cela... Aussi a-t-il promulgué cette loi et livré le pauvret à la marabunta dans l'arène...
Anselme hocha tristement la tête et resservit deux verres d'hydromel.
- Bien, dit-il, ton matériel à présent...
Il prit une boite et en sortit plusieurs objets :
- D'abord, ta plaque de chasseur de prime. Étant donné que tu es maintenant confirmé, elle est différente de l'autre, dont tu peux te débarrasser. Tu remarqueras qu'en bas il y a un petit espace carré. Passe à la forge pour y faire inscrire ton nom. Ensuite, ceci...
Anselme sortit une dizaine de ''médailles'' accrochées à un lacet de cuir.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Un passe-droit.
- Pardon ?
- Un passe-droit. Donne ces médailles à tes principaux informateurs. Si la milice leur fait des problèmes, ils n'auront qu'à la montrer. Les miliciens sauront qu'ils sont des protégés d'un chasseur de prime et leur ficheront la paix. Si tu en as besoin d'autres, tu n'auras qu'à me le dire. Et demande au forgeron d'inscrire dans ce petit cartouche tes initiales... Et enfin une bourse de cent lunars pour tes faux frais, payer tes informateurs, les auberges où tu devras gîter, etc... Tu auras cent lunars par mois en plus des primes. Tu peux choisir un cheval dans l'écurie du Duc...
- J'en ai déjà un... et je ne l'échangerais pour rien au monde...
- Comme tu veux... où puis-je te contacter ?
Burydan réfléchit, mais il ne vit qu'un seul endroit où il avait envie de s'établir.
- A Malienda, à l'auberge ''La Chouette Insomniaque'', pour l'instant.
- Très bien. Et enfin ceci...
Anselme posa une pile de feuilles sur la table.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Les avis de recherche en cours. Si l'un d'eux devient obsolète, j'enverrai un chevaucheur te prévenir. Et je t'ai mis derrière chaque feuillet l'avancée des recherches des autres chasseurs de prime.
- Est-ce habituel.
- Par les dieux non, les primes étant conséquentes, tes collègues gardent jalousement le secret sur l'avancée de leur mission. Ils ne les transmettent qu'à moi, que je puisse tenir au courant Son Altesse.
- Mais alors, pourquoi me les donnes-tu ?
- Parce que je t'aime bien, Burydan de Malkchour.
Burydan écarquilla les yeux. Anselme poursuivit :
- Ne te méprends pas, je ne suis pas en train de te faire une grande déclaration. C'est juste que j'ai eu l'occasion de rencontrer Gershaw de Bélothie il y a bien longtemps. Et j'ai beaucoup apprécié cet homme. Cultivé, élégant et surtout humble. Pas comme tous ces courtisans enflés d'eux-même. Lui, le plus grand épéiste de Genesia, avait une façon d'être avec tous, et surtout avec les petits et sans grade... Et je me dis que si cet homme t'a choisi toi, et uniquement toi, comme élève, c'est que tu dois être de la même farine... alors, si je peux t'aider, pourquoi ne le ferais-je pas ?
Anselme sourit.
- Mais ça reste entre nous, n'est-ce pas ?
- Bien sûr. Merci Anselme, merci infiniment...
Les deux hommes se levèrent et Burydan donna une forte brassée au vieil homme. C'était décidé, la prochaine fois qu'il reviendrait à Ank'Arat, il lui ramènerait une bouteille d'hydromel des abeilles tueuses.
Burydan sortit du palais passa par la forge puis récupéra Arion aux écuries. Il prit également l'autre cheval par la longe. Il avait été un bon compagnon et Burydan décida de le revendre à Rocco, à Malienda. Il s'en occuperait bien et s'en servirait certainement pour le réseau Üb'Er.
Il se dirigeait vers la porte quand un soldat se dirigea vers lui :
- C'est toi, hein, c'est toi qui m'a fait rétrograder.
L'homme, Pierre Fitch, était ivre de rage.
Burydan allait répliquer quand il entendit :
- Qu'est-ce qui se passe ici ?
David, dans son uniforme flambant neuf de capitaine, s'approchait.
- Ne te mêle pas de ça, toi, c'est entre lui et moi.
- Je n'ai pas d'ordres à recevoir de toi, soldat. Pour t'apprendre à respecter la hiérarchie, tu viens d'écoper de huit jours de cachot...
- Quoi ? Huit jours, tu... tu...
- Quinze jours...
Pierre suffoqua mais eut l'intelligence de se taire.
- Gardes, cria David, emmenez le à la geôle, ça lui rafraîchira les idées.
Deux hommes accompagnèrent Pierre vers la prison d'Hurlevent.
- C'est toi, demanda David ?
- Moi qui quoi ?
- Et bien je suis capitaine, maintenant. C'est grâce à toi ?
- C'est que tu fais bien ton travail...
- Allez, arrête, personne ne passe du grade de soldat à celui de capitaine...
- Disons que j'en ai touché un mot à qui de droit...
- Burydan de Malkchour, sache qu'à présent je suis ton débiteur jusqu'à la fin des temps...
Burydan lui fit un clin d’œil et David sourit.
- Tu... tu veux porter plainte contre Pierre ?
- Ça l’enverrait au gibet, non ?
- Euh...il y a de grandes chances... C'est un crétin, certes, mais...
- Ne t'inquiète pas, je ne vais pas te faire commencer ta carrière par une exécution... quinze jours de cachot suffiront...
Les deux hommes se serrèrent la main et Burydan sortit de la ville, direction Malienda. Et se retrouver entre les bras de son petit Raven... entre ses cuisses... et entre ses fesses aussi...