28-07-2020, 06:09 PM
CHAPITRE LVI
''Ubi bene, ibi patria''
- Tiens, dit Tarkan, tu es bien matinal...
- Oui, j'aime courir au petit matin.
- Mais... par où es-tu sorti ?
- Par l'écurie.
- Je vois... Tu prends un petit déjeuner ?
- Oui da. Je monte me changer et j'arrive.
Burydan se dirigea vers les escaliers et ne pu résister.
- Tu vas bien, Tarkan ?
- Euh, oui... très bien... pourquoi ?
- Je suis descendu cette nuit vers... minuit... pour prendre un pichet d'eau et j'ai entendu des gémissements venant de l'arrière salle... j'ai pensé que tu étais peut-être mal allant...
Tarkan le regarda, bouche bée et rouge jusqu'aux oreilles. Burydan se contenta de sourire et monta se changer.
Après un copieux petit déjeuner, Burydan décida de visiter la ville.
Il flâna parmi les rues larges et... propres. Ça l'étonna. Dans les grandes villes, les trottoirs et les rues étaient jonchées d'immondices. Les habitants jetaient par la fenêtre leurs ordures et on marchait dans le bren et l'urine. A Ank'Arat en particulier. Certaines rues de la capitale empestaient et on risquait de se prendre le contenu d'un vase de nuit en marchant dans la fange du trottoir. Mais à Malienda, rien de tout ça. Burydan remarqua, dans un caniveau, une sorte de grille en fer forgé. Il l'examina et vit qu'elle ouvrait sur une cavité qui s'enfonçait profondément dans le sol. Perplexe, il remarqua les mêmes grilles à intervalle régulier.
Burydan laissa ça de côté, et reprit sa visite. Il vit que les habitations de Malienda étaient toutes de belles maisons à colombage aux couleurs pimpantes. Même dans les quartiers Est, il n'y avait pas de chétives masures aux murs lépreux. Malienda était riche. Burydan savait que c'était l'une des dernières villes importantes avant la Côte des Épées, et une étape pour les voyageurs. D'où le nombre d’auberges de la ville.
Tous les gens qui le croisaient lui faisaient un petit signe de tête. Les hommes lui faisaient des bonnetades, et les femmes lui souriaient en battant des cils. Il se demandait si c'était usuel dans cette ville quand un homme, gros et massif, qui était en train de nettoyer les tables devant son auberge, se planta devant lui, les mains sur les hanches.
- Tu es... tu es Burydan de Malkchour ?
- Euh, oui...
- Dans mes bras l'ami !
Et l'homme lui donna une brassée à lui rompre les côtes.
- Tu es notre sauveur. Sans toi, j'aurais mis la clef sous la porte...
- Euh, pardon ?
- Alvin le Cruel... c'est bien toi qui nous en as débarrassé ?
- Oui.
- A cause de ce scélérat, j'ai perdu la majeure partie de ma pratique. Les voyageurs évitaient Malienda de peur de tomber sur ce vaunéant. Mais maintenant qu'il a rendu son âme à qui a bien voulu la prendre, les voyageurs vont revenir et les affaires vont reprendre... grâce à toi... Et sache que tous, ici, te vouons une grâce éternelle...
''Et bien, se dit Burydan, jamais oncques ne fut autant remercié pour avoir pris cinq vies''.
Burydan remercia le tavernier et allait reprendre son chemin, quand une voix familière dit, dans son dos :
- Alors, ça fait quoi d'être le héros de la ville ?
Il se retourna et tomba sur le chef de la milice, Bratac.
- Tiens, bonjour chef...
- Je t'en prie, appelle moi Bratac... Il est midi, je peux t'inviter à déjeuner ?
- Avec plaisir.
Ils s'attablèrent dans une auberge.
- Alors, demanda Bratac, tu as visité Malienda ?
- Oui da.
- Et ?
- Et c’est une très belle ville. Il y a combien d'habitants ?
- Un peu plus de 3000. Du moins, en temps normal.
- C'est à dire ?
- C'est à dire que Malienda est la dernière ville de quelque importance avant les ports de la Côte des Épées, et les voyageurs qui s'y rendent font tous étape ici. Raison pour laquelle il y a autant d'auberges. Et ils dépensent leurs pécunes dans les échoppes. Tu as dû remarquer qu'il y a énormément de commerçants à Malienda...
Et Burydan l'avait remarqué. Il y avait des échoppes et des boutiques d'à peu près tout : tailleur, joaillier, maroquinier, vendeurs de lames, boucher, boulanger, charcutier, crémier, etc...
- ...et c'est la raison pour laquelle, poursuivit Bratac, que Malienda est une ville riche... très riche même... et, les affaires, qui périclitaient à cause de cette ordure de Alvin, vont redevenir florissantes, grâce à toi... Et les nouvelles vont vite ici... et Malienda te sera reconnaissante jusqu'à la fin des temps...
Burydan rosit. Il changea de sujet.
- Dis moi, Bratac, il y a une question qui me tabuste, d'où vient que Malienda soit aussi propre. La plupart des trottoirs et des rues des viles sont jonchées d'ordures et ici, rien de tout ça.
- Oh, c'est très simple. Malien, le fondateur de Malienda il y a bien des années, était un architecte d'avant garde. Avant de construire les premières maisons de cette cité, il a fait enfouir, dans le sous-sol, d’énorme conduites de pierres. Et toutes les maisons sont obligées d'avoir au moins un endroit relié à ces conduites. La plupart du temps c'est un puits. Et c'est dans ce puits que l'on jette le bren, l'urine et tout le reste.
- Mais, ça ne pue pas au bout d'un moment ?
- Non. Sur la plus grande des collines qui entourent la cité se trouvent de grandes citernes d'eau. Et tous les premiers mercredi du mois, on ouvre les vannes d'une de ces citernes. L'eau déferle dans les conduites et emmène tous les immondices jusqu'à la rivière, en dehors de la ville.
- Mais, les villages un peu plus loin ?
- Et bien les lavandières savent qu'il faut éviter d'aller laver son linge ce jour-là.
Burydan acquiesça.
- Mais dis moi, chasseur de prime, ne me dis pas que tu as un contrat à Malienda.
- Non, j'attends juste une information. Je recherche un homme et j'espère qu'on pourra me dire où il se trouve...
- Ce ''on'' ne serait pas ce cher Oli' ?
- Si.
- Ah, ce bon vieil Oli'. Je n'ai jamais compris pourquoi il ne s'est jamais présenté comme Bourgmestre. Il aurait été élu haut la main.
- Il est tellement apprécié que ça ?
- Oli' ?! Mais il est l'un des hommes les plus respecté de Malienda ! Certes, c'est un marchand, quelque peu âpre au gain, mais, mis à part que son enseigne ne ment pas, il peut trouver tout ce que tu peux désirer, il a le cœur sur la main. C'est lui qui donne le plus de pécunes pour la soupe des vieillards et des miséreux, et il fournit les hospices et les dispensaires de la ville en tout ce dont ils ont besoin, et gratis. Une crème cet homme.
Burydan et Bratac discutèrent encore un bon moment, puis le chef dit qu'il avait du travail, donna une franche poignée de mains à Burydan et retourna au poste de la milice. Le chasseur de prime continua sa balade, s'émerveillant des jardinets et des parcs qui égaillaient çà et là la ville, parsemés de bosquets et de fleurs multicolores.
Il revint vers l'auberge.
- Burydan, mon ami, dit Tarkan de sa voix de Fordox (1), alors, bonne balade ?
- Excellente. Malienda est vraiment superbe...
Tarkan sourit et un brillement de fierté apparut dans ses yeux.
- Dis moi, Tarkan, y-a-t-il des bains publics dans le coin ?
- Oui da. Sors de l'auberge, prends à ta senestre et ce sera tout au bout de la deuxième rue à ta dextre.
Burydan remercia l'aubergiste, monta dans sa chambre, fourra dans sa besace son savon et deux linges en spongiam et sortit. Il trouva les bains, grand bâtiment blanc.
- Bonjour mon beau gentilhomme... dit un garçon d'une quinzaine d'années, derrière un comptoir
- Euh, bonjour. C'est combien les bains ?
- 20 denaris...
- Si peu ? Pour combien de temps ?
- Aussi longtemps que vous le désirez...
Burydan était surpris. Il avait prit l'habitude des bains d'Ank'Arat, qui coûtaient 1 sol le quart d'heure.
Il paya donc le garçon et prit un vestiaire. Il se mit nu, enroula un linge autour de ses reins et pénétra dans le caldarium (2). Burydan n'aimait pas venir aux bains trop tard. L’eau y était tiédasse et d'une propreté plus que douteuse. Mais il voulait être tout propre pour son rendez-vous de cette nuit avec Raven.
Il défit son linge et pénétra dans l'eau. Et elle était chaude et propre. Il vit deux hommes qui se lavaient avec soin et s'approcha de l'un deux :
- Excusez moi, mais d'où vient que cette eau soit encore chaude et propre à cette heure ?
L'homme lui sourit et dit :
- Oh, c'est très simple, les bains publics de Malienda sont alimentés par deux sources naturellement chaudes, dit-il en montrant un côté du bassin ou on voyait un petit bouillonnement. Et l'eau souillée est aspirée continuellement par un autre côté du bassin. Ainsi l'eau est toujours propre et toujours chaude.
Burydan le remercia et prit un long moment à se prélasser et à se laver de la tête aux pieds. Il sortit enfin, se sécha et retourna à l'auberge. Il prit un copieux dîner, bavarda avec quelques clients et monta se coucher... ou plutôt s'allonger, en attendant minuit...
(1) Fordox : mythologie utopienne. Héros grec de la Guerre de Katre dont la voix était aussi puissante que celle de 50 hommes.
(2) Caldarium : partie des thermes où l'on peut prendre des bains chauds, contrairement au frigidarium, bains froids, et au tepidarium, bains tièdes.