28-07-2020, 05:47 PM
CHAPITRE LI
''Sufficit cuique dei malitia sua''
Le lendemain matin, après une bonne toilette et un petit déjeuner copieux, Burydan retourna à l'écurie. Raven lui fit un grand sourire.
- Bonjour Burydan...
- Bonjour Raven...
Le jeune garçon se retourna pour remplir son seau d'enbaku et se cambra de nouveau. Burydan eut une furieuse envie de se jeter sur lui et de le culbuter sauvagement sur une botte de paille.
Il entra dans le box d'Arion, inspecta ses plaies qui étaient presque déjà cicatrisées et commença à brosser son cheval, démêlant les crins de sa queue et de sa crinière.
- Tu es encore plus beau comme ça, Arion... bien, voyons si tu supportes la selle...
Burydan prit sa selle et la sangla sur Arion. Le cheval se laissa faire. Mais quand Burydan voulut lui mettre son mors, le cheval hennit et rua.
- D'accord, d'accord, pas de mors, calme toi...
Burydan était perplexe.
- Alors, tu acceptes la selle sans broncher, mais dés que je veux te passer le mors, tu t'énerves... Je me demande si...
Burydan venait de se souvenir d'un passage du journal de son maître. Il remonta les escaliers quatre à quatre jusqu'à sa chambre, prit le journal de Gershaw chercha la page... et la trouva.
C'était à l'époque où son maître avait été mercenaire à Siméria. A cette époque les hauts seigneurs de cette île se livraient des batailles sans merci et, après la prise d'un château ennemi, Gershaw avait eu, dans sa part de picorée, un fort beau cheval qui, lui non plus, ne supportait pas le mors. Il écrivait :
L'un de mes hommes m'a dit que c'était à cause d'une
malformation congénitale qui frappait beaucoup de chevaux
simériens. Une malformation de la bouche qui faisait
que le mors blessait le cheval. Mais les simériens avaient
inventé un harnais qui englobait toute la tête du cheval
sans passer par la bouche, et donc sans le blesser.
Je me procurai un de ces harnais et réussit à monter
ce sublime cheval qui fut un fidèle ami jusqu'à sa mort.
Burydan retourna à l'écurie et approcha la main de la bouche d'Arion. Le cheval hennit.
- Oh, ça va, ne fais pas ton gaidaro, je regarde juste...
Et il vit. Arion avait deux plaies à la commissures des lèvres.
- Je vois, dit Burydan. Mais comment je vais trouver un harnais simérien à Brittania...
Il flatta l'encolure de son cheval et sortit. Il fallait qu'il trouve un harnais de ce genre. Si seulement son maître en avait fait un croquis ou au moins une description. Perdu dans ses pensées il remarqua qu'il s'était dirigé inconsciemment vers la rue où se trouvait la boutique d'Olive Anders. Il décida d'aller lui rendre une petite visite.
La boutique était indiquée par une petite pancarte :
OLIVE ANDERS
articles en tout genre
Sur la porte était écrit :
Si vous ne le trouvez pas ici, c'est que ça n'existe pas.
''Et bien, se dit Burydan, Oli' est quelque peu présomptueux''
Il poussa la porte. Tintinnabulement de clochettes. Burydan se retrouva dans une échoppe ou des étagères croulaient sous les objets qu'elles supportaient. Certains communs, comme des poêles à frire ou des tasses en faïence, d'autres complètement inconnus et qu'il ne comprenait pas à quoi ils pouvaient bien servir.
Oli, qui servait des clients derrière un comptoir, le vit, jeta les bras au ciel et dit, d'une voix forte :
- Burydan de Malkchour ! Mon sauveur !
Il donna une forte brassée à Burydan, le prit par ses épaules et dit à ses clients :
- Cet homme m'a sauvé la vie. Dix brigands, conduits par Alvin le Cruel, je dis bien dix, voulaient me torturer à mort après m'avoir larroné. Et ils les a tous occis en un tourne main.
Burydan voulut protester et dire qu'il n'y en avait que cinq, mais il comprit que Oli' était originaire de Mass'Illia, ville dont les habitants ont la réputation de faire d'une chunee (1) une kujira (2).
- Vasili, sert mes clients. Burydan, suis moi dans l'arrière boutique...
Burydan suivit Oli' et ils arrivèrent dans une pièce ou un bureau et deux chaises étaient entourés d'un foultitude de caisses ouvertes regorgeant d'objets hétéroclites.
- Assieds-toi, mon ami, et laisse moi te servir un verre. Tu vas voir, c'est un pur nectar...
Oli' sortit une petite clé de sous sa chemise et se dirigea vers un petit placard dans le mur. Il fit tourner la clef et Burydan entendit cinq cliquetis. Oli' sourit.
- C’est un ami de Nemrod qui me l'a fabriqué.
Le placard était plein de fioles, de pots et de bouteilles. Oli' en prit une ainsi que deux verres en cristal coloré (extrêmement coûteux et fragiles) et versa une bonne quantité d'un liquide ambré dans les dits verres.
Burydan huma.
- C'est de l'hydromel ?
- Et oui...
- Tiens, c'est amusant, je connais un autre homme qui est friand également d'hydromel.
- Goûte celui-là, tu verras qu'il est incomparable.
Burydan n'était pas amateur d'hydromel mais prit une petite gorgée. Et dés qu'il coula dans sa gorge, chatouillant ses papilles au passage, il comprit ce que voulait dire Oli'. Il était au-delà du délicieux.
- Par les dieux, mais c'est... c'est...
- Incomparable... sourit le marchand.
- D'où vient-il ?
- De Mesmera. Des Collines aux Fleurs, pour être précis.
Burydan fronça les sourcils. Il avait lu quelque chose sur les Collines aux Fleurs de Mesmera dans le journal de son maître.
- Mais, je croyais que ce lieu était inhabité...
- Il l'est. Et sais-tu pourquoi ?
- Oui, c'est le territoire des...
Burydan blêmit.
- … des abeilles tueuses... Tu veux dire que cet hydromel a été fait avec le miel des...
- Hé oui. Voilà pourquoi il est incomparable. Des hommes sont morts pour produire ce nectar...
Les abeilles tueuses avaient un venin tellement puissant que quatre ou cinq piqûres suffisaient à tuer un homme.
- Mais j'ai un... fournisseur qui a trouvé un moyen de se procurer ce miel. Et tu avoueras -que cet hydromel est divin...
- Tu en vends ?
- Évidemment. J'ai même des clients qui ne m'achètent que ça...
- Combien ?
- 50 lunars la bouteille...
- 50 lunars ?!?!
- La rareté a son prix Burydan.
Burydan hocha la tête et dit :
- Justement, en parlant de rareté... En fait je recherche deux choses.
- Je t'écoute.
- As-tu des... fournisseurs à Siméria ?
- Oui, comme dans tout Genesia d'ailleurs.
- Je recherche une sorte de harnais pour un cheval.
- Un harnais ?
- Oui c'est...
Burydan essaya de décrire le mieux qu'il put ce qu'il recherchait. Oli' hocha la tête et dit :
- Il me semble que...
Il se leva et prit un gros livre sur une étagère.
- Pas ça... pas ça... ça non plus... ah, voilà. Il y a deux ans j'ai acheté aux enchères, à chandelle éteinte, plusieurs choses à Siméria... voyons... c'est ça, une caisse d'articles de monte... Suis moi...
Burydan suivit Oli'. Ils sortirent par une porte de derrière de la boutique et traversèrent la rue pour entrer dans une sorte d'entrepôt. Des dizaines d'étagères, longues et hautes, étaient remplies de caisses, de tonneaux et d'objets.
- Alors, dit Oli', G2...
Ils s'arrêtèrent devant une étagère ou un gros G était peint, et au compartiment numéro 2, Oli' se saisit d'une caisse qu'il posa, aidé par Burydan, vu qu'elle était très lourde, sur une table. Il ouvrit la caisse et fouilla. Et, sous des étriers il tira une sorte de harnais en cuir.
- C'est ça que tu cherches ?
Burydan observa l'objet. Une sorte de masque pour une tête de cheval, deux ouvertures pour les yeux et deux anneaux de chaque côté pour y attacher les rênes.
- C'est exactement ça... du moins, je pense...
Oli' sourit et ils retournèrent dans l'arrière boutique.
- Combien te dois-je ?
- Oh, rien du tout.
- Si, si, j'insiste...
- Écoute, j'ai cet article depuis un bon moment et je doute que je réussisse à le vendre... alors, laisse moi te l'offrir...
- Et bien merci beaucoup...
- Je t'en prie... et la deuxième chose que tu recherches ?
- Oh, ça... je doute que tu puisses m'aider...
- Tu as vu ce qui est écrit sur la porte de ma boutique ? Si tu ne le trouves pas ici, c'est que ça n'existe pas...
- Ce n'est pas quelque chose que je recherche, mais... quelqu'un...
- Oh... une dame ?
- Non, un homme.
- Ah... un homme... précis ?
- Oui, le comte Antiakos de Burg...
- Et pourquoi le recherches-tu ?
- Pour le ''travail''.
- Et c'est quoi ton ''travail'' ?
Burydan hésita, reprit une gorgée d'hydromel et dit :
- Je suis chasseur de prime... en quelque sorte...
- Oh, dit Oli'.
(1) Chunee : petit poisson migrant en banc serré et cosommé frais ou en salaison. Très semblable à la sardine.
(2) Kujira : grand cétacé marin. Très semblable à la baleine.