28-07-2020, 05:44 PM
CHAPITRE XLIX
''Equo ne credite''
- Euh, bonjour... on m'a dit que tu serais peut-être intéressé par un cheval et un chariot...
- Un cheval, oui, un chariot... moins. Mais voyons déjà l'animal. Entre dans la cour.
Burydan fit entrer le chariot dans l'immense cour du maréchal ferrant. Il détacha son cheval et l'attacha à un anneau en face d'une auge remplie d'eau fraîche, pendant que Rocco Steele (c'était le nom du maréchal ferrant) examinait l'autre cheval.
Il faisait partie du réseau Üb'Er. Très pratique si vous n'aviez besoin que d'un cheval occasionnellement. Vous versiez une caution, utilisiez le cheval le temps que vous en aviez besoin, et le donniez à un autre membre du réseau (il y en avait dans la plupart des villes d'Utopia). On vous rendait votre caution et vous payiez un forfait au prorata du nombre de jours que vous aviez gardé le cheval.
- Hum, dit Rocco. Pour le cheval, ça va. Il n'est pas trop mal. Voyons le chariot...
Rocco un un mouvement de recul en voyant le plateau.
- C'est... c'est du... sang ?
- Oui...
- Animal ?
- Non, humain...
- Humain ?!
- Oui. J'ai utilisé ce chariot pour ramener à la milice les corps d'Alvin le Cruel et de sa bande...
- Alvin le Cruel ? Ce scélérat est mort ? Et sa bande aussi ?
- Oui.
- Qui les a tué ?
- Moi.
- Tous les... tous les cinq ?
- Oui
- Dans la forêt ?
- Oui. Ils étaient en train de voler Olive Anders.
- Oli' ? Il va bien ?
- Un peu secoué mais ça va.
- Par Kagutsuchi (1), tu nous a débarrassé de cet ordure d'Alvin, qui était très mauvais pour les affaires, et sauver le vieil Oli !
Rocco lui donna une forte brassée à lui rompre les côtes.
- Rien que pour ça, je vais te donner un bon prix pour le chariot et le cheval. Disons... 50 lunars...
Burydan savait qu'un cheval valait dans les 80 lunars au minimum. Plus le chariot...
- 100 lunars, dit-il.
- 100 lunars !!! mais tu déraisonnes. Disons... 60...
- 80, pas moins...
- Allez, je veux bien aller jusqu'à 70, mais pas un denari de plus...
Burydan réfléchit. Certes, c’était peu mais il n'allait pas s'encombrer d'un cheval et d'un chariot...
- Tope, dit-il.
Ils se serrèrent la main et Rocco lui dit :
- Attends moi ici, je vais chercher tes pécunes.
Alors que Burydan attendait, il regarda les nombreux box ou se trouvaient les chevaux et, soudain, entendit un hennissement de cheval. Mais un hérissement de douleur. Il se dirigea vers le bruit.
Un homme était en train de cravacher un cheval.
- Arrête tout de suite, dit Burydan.
L'homme ne lui prêta aucune attention et continua à frapper l'animal. Burydan le saisit par le col et le tira violemment en arrière. L'homme chuta et Burydan mit son pied sur sa gorge, l'étranglant à moitié.
- Eh, mais qu'est-ce qui se passe ici ? demanda Rocco en revenant.
- Ce lâche était en train de cravacher un cheval. Ça te plaît de frapper un animal sans défense, hein, ordure ? dit Burydan en appuyant un peu plus fort sur la gorge de l'homme.
- C'est bon, dit Rocco, laisse le...
Burydan retira son pied à contrecœur, et l'homme se leva en massant son cou.
- Tu as encore voulu monter cette carne, hein ? Tu sais bien que personne n'y est jamais arrivé.
- Il m'a désarçonné. Je le corrigeais pour lui apprendre qui est le maître.
- Inutile. Il est inmontable. Dés demain je le vends à la boucherie.
Burydan regarda le cheval. Il avait une sublime robe noire avec une tache blanche en forme d'étoile au milieu du front. Il semblait assez jeune et était très musculeux.
- Je te l'achète, dit Burydan
Les deux hommes le regardèrent, interloqués.
- Écoute, dit Rocco, j'aime faire des affaires, mais je ne suis pas un larron. Ce cheval, personne n'a jamais réussit à le monter, même pas moi...
- En le vendant à la boucherie, tu en aurais tiré 20 ou 30 lunars, pas plus ?
- Euh, oui, à peu près.
- Alors je t'échange ce cheval contre le cheval d'Alvin. Et je t'offre le chariot.
Rocco ne réfléchit pas longtemps.
- Tope, dit il.
Ils se serrèrent de nouveau la main et Rocco éclata d'un rire tonitruant.
- J'adore faire des affaires avec toi, dit-il en donnant une tape dans le dos de Burydan qui faillit le faire tomber au sol.
Il le laissa avec sa nouvelle acquisition. Burydan ramassa la cravache qui était tombée au sol et la montra au cheval. Celui rua et hennit. Burydan laissa tomber la cravache, la piétina et l'envoya valser à quelques toises d'un coup de pied. Il prit sa voix la plus douce et dit :
- Tu es à moi maintenant, et je te jure que jamais je ne te frapperai. Ni personne d'autre d'ailleurs.
Le ton de sa voix sembla calmer l'animal. Il avança précautionneusement la main... et le cheval essaya de le mordre. ''évidemment, se dit Burydan, il n'a plus confiance en l'homme''. Il recommença plusieurs fois et enfin, à la quatrième tentative, le cheval se laissa faire. Burydan regarda les marques de cravache, dont une laissait perler du sang, ravala l'envie de retrouver le tortionnaire de son cheval et de le cravacher à son tour, et vit également des marques qui indiquaient que ce n'était pas la première fois qu'on l'avait battu.
Il prit une corde et la passa au cou de l'animal. Le cheval se laissa faire. Burydan remonta sur sa propre monture et demanda à Rocco :
- Il y a une bonne auberge dans le coin ?
- Oh oui. ''La Chouette Insomniaque''. La meilleure auberge de Malienda. Retourne à la place centrale et prends la rue à ta senestre. Tu ne peux pas la manquer...
Burydan le remercia et se dirigea vers la place centrale, prit la rue à gauche et vit, en effet, le panonceau indiquant la présence de l'auberge.
(1) Kagutsuchi : mythologie utopienne. Fils de Zia, qu'elle engendra seule. Dieu au physique ingrat, il épousa néanmoins Angelina, la sublime déesse de l'amour. Il est le dieu du feu et des forgerons et, par extension, de tous les métiers qui s'y rapportent, y compris les maréchaux ferrant.