28-07-2020, 05:43 PM
CHAPITRE XLVIII
''Festina lente''
Burydan n'apprit rien à Zylbarite. Les seules informations qu'il glana dans les tavernes étaient contradictoires. Certains prétendaient que le comte était parti vers le nord, d'autres vers le sud et d'autres encore vers l'ouest.
Il prit la direction de l'ouest, au hasard. Il ne savait pas comment il pourrait retrouver un homme qu'aucun autre chasseur de prime, bien plus expérimenté que lui, n'avait attrapé.
Il cheminait sur une petite route dans un bois quand il entendit deux grands cris de douleur. Il s'arrêta, mit pied à terre et attacha son cheval à une branche. Il se faufila entre les arbres et, après un virage, vit un drôle de spectacle.
Sur le bas côté, un chariot était arrêté. Deux corps gisaient dans l'herbe. Cinq hommes s'affairaient. Quatre transbahutaient les caisses et tonneaux du premier chariot dans un autre pendant que le cinquième tenait en respect, la dague sur la gorge, un quidam d'une cinquantaine d'année.
- Alors le marchand, dit l'homme à la dague, tout cela va se vendre cher. Après qu'on ait fini de tout charger, on va s'amuser avec toi. Quand on en aura fini, tu me supplieras de t'achever pour abréger tes souffrances. C'est pas pour rien qu'on m'appelle Alvin le Cruel...
Burydan, en temps normal, ne serait pas intervenu. Mais il n'aimait qu'on tue ou torture par plaisir. Et cinq contre un... Il s’avança sur la route.
Les six hommes tournèrent les yeux vers lui.
- Regardez ça, les gars, c'est notre jour de chance. Allez l’ami, donne nous ta bourse...
Burydan jaugea la situation. Cinq hommes... un qui ne quitterait pas la victime qu'il menaçait. Les quatre autres... Burydan pouvait gérer...
- Et sa veste de cuir... elle me plaît bien, dit un homme chauve.
- Et ses bottes... dit un autre.
- T'as entendu ? demanda le chef. Ta bourse, ta veste et tes bottes, et on te laissera partir sans trop t'amocher, pas vrai les copains ?
Éclats de rire gras. Burydan ne répondit pas. Il tira son épée et sa dague et se campa sur ses jambes.
- Vous avez vu les gars, il veut jouer les héros. Ronan, Brisach, occupez vous de lui...
Deux hommes tirèrent leur coutelas et s'approchèrent de lui en ricanant. Ils se regardèrent et foncèrent sur Burydan en vociférant. Tout se passa en quelques secondes. Les deux hommes se retrouvèrent derrière Burydan, qui était accroupit. Il se releva lentement. Il n'avait plus que son épée en main. Les deux hommes s'effondrèrent, l'un avec la gorge tranchée, l'autre avec une dague enfoncée dans la nuque.
Burydan récupéra sa dague et essuya son épée sur le corps d'un de ses assaillants. Il y eut un moment de flottement, et l'un des brigands cria :
- Tu as tué mon frère !!! Je vais te massacrer !!!
Il sortit son couteau et couru sus à Burydan. Celui ci attendit et, une fois l'homme à sa portée, se fendit en avant. Son épée perça le sein du bandit et lui transperça le cœur. Cloué sur place, il eut un regard d'incrédulité, hoqueta et tomba, raide mort.
- Tue le, Marlin, tue le !!! cria Alvin.
Mais Marlin hésitait. Il regardait ses trois compagnons morts en quelques secondes... et il prit ses jambes à son cou. Burydan sortit un poignard de ses bottes et le lança en direction du fuyard. Il se planta en plein dans sa nuque. L'homme tituba quelques secondes et tomba dans la poussière du chemin.
Burydan se retourna vers Alvin et avança lentement. Le chef était blême et trémulant.
- N'avance pas... n'avance pas ou... ou je l'égorge...
- Et alors ? dit Burydan. Peu me chaut, je ne connais pas cet homme...
Il continua à avancer et reprit :
- Tu vois, si tu m'avais laissé passer, je ne serais pas intervenu. Mais non, il a fallu que tu aies les yeux plus gros que le ventre. Trois hommes sont morts parce qu’ils m'ont attaqué, et le quatrième parce que c'était un lâche. Et vu que c'est toi qui leur a donné l'ordre de m'attaquer, toi aussi tu vas mourir...
Alvin pâlit encore plus et tout son corps trembla. Il essaya de réfléchir mais on voyait bien qu'il n'en avait pas l'habitude.
Il y eut un cliquetis de métal, un bruit sourd et un cri de douleur. Le cliquetis de métal était la dague d'Alvin qui tomba au sol, le bruit sourd était la chute de l'avant bras qui tenait la-dite dague et le cri de douleur était celui de l'homme qui tenait son bras amputé. Burydan le fit taire d'un coup d'épée pile entre les deux yeux.
Il se retourna vers le marchand qui le regarda comme s'il était un shadid (1) sortant des profondeurs du Diyu.
- Ça va, demanda Burydan, pas de mal ?
L'homme ne répondit pas. Burydan sortit une flasque de sa poche et la lui tendit. L'homme bu un longue lampée et l'esprit de picrate lui redonna quelques couleurs.
- Oui, oui... ça... ça va... merci... si tu n'étais pas intervenu...
- Ils étaient avec toi, dit Burydan en donnant un coup de menton vers les deux hommes à l'arrière du chariot.
- Oui... ce sont... c'était mes commis... ces ordures ne leur ont laissé aucune chance... les pauvres... comment je vais annoncer ça à leur famille... en particulier à la femme de Bismarck... elle attend un enfant...
Burydan hocha la tête gravement.
- Au fait, dit l'homme, je me nomme Olive Anders.
- Burydan de Malkchour.
- Et bien merci, Burydan, je suis ton débiteur pour la vie...
- Tu veux que je t'aide à tout remettre dans ton chariot ?
Et c'est ce qu'ils firent. Ensuite Burydan récupéra son poignard dans la nuque du dénommé Marlin et récupéra les escarcelles des cinq hommes. Alvin en avait deux.
- L'une d'elles est à toi ? demanda-t-il à Olive
- Oui, la verte.
Burydan lui rendit son bien, noua les cinq autres bourses et les lui tendit également.
- Tiens, partage leur contenu en deux et donne les aux femmes de ces deux pauvrets, elles en auront plus besoin que moi...
Olive le regarda, effaré.
- Tu es un homme étrange, Burydan de Malkchour. Tu pourrais garder ces bourses comme légitime picorée après un combat loyal, et tu me les donnes pour des femmes que tu ne connais pas...
- Ma bonté me perdra, dit Burydan en souriant. Et puis j'ai déjà gagné un chariot et un cheval.
- Tu veux que je t'aide à mettre les corps de ces vauriens dans le chariot ?
- Pour quoi faire ? Laissons les aux charognards de la forêt...
- Mais c'est Alvin le Cruel et sa bande...
- Et ?
- Ce monstre ne se contentait pas de rançonner les voyageurs, il les tuait et en gardait toujours un pour le torturer à mort. Sa tête est mise à prix. 300 lunars pour lui, et 500 pour toute la bande...
- Mise à prix par qui ?
- Mais par Malienda évidemment...
- Qui est Malienda ?
Olive éclata de rire.
- Pas qui mais quoi... Malienda est la ville à qui appartiennent ces bois et où j'habite. Laisse moi t'aider. La milice sera ravie que tu les aies débarrasser de ces vaunéant.
Ils chargèrent les corps dans le chariot. Burydan récupéra son cheval, l'accrocha par la longe et il suivit Olive Anders. Ils arrivèrent dans une petite ville entourée de remparts.
- Mon échoppe est par là, dit Olive en désignant une petite rue sur la droite. Le poste de la milice est tout droit. Et tu es obligé de venir me rendre visite...
- Je n'y manquerai pas.
Burydan fit avancer son cheval jusqu'au poste de la milice. Les gens le regardèrent avec curiosité, puis avec peur quand il virent l’horrible chargement qu'il transportait. Il arrêta son chariot et entra dans le poste.
Un gros homme l'accueillit, suspicieux
- Qu'est-ce que tu veux, l'étranger ?
- Voir le chef de la milice.
- Et qu'est-ce que tu lui veux au chef ?
- J'ai une livraison pour lui.
- T'as l'air de tout sauf d'un livreur...
- C'est vrai, dit Burydan en tirant sa médaille de sous sa chemise.
- Ah, chasseur de primes. Attends ici.
Au bout d'une minute le gros homme ressortit d'une pièce avec un grand brun, les cheveux courts, les épaules larges et les yeux bleu acier.
- Je suis Bratac, chef de la milice de Malienda. Il paraît que tu as une livraison pour moi, chasseur de prime...
- En effet, c'est dehors.
Tous sortirent et Burydan leur montra le contenu du chariot. En voyant les cinq corps sanglants les miliciens sortirent leurs épées et entourèrent Burydan.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?! dit le chef.
Il regarda les cadavres et reprit :
- Mais c'est... c'est Alvin le Cruel... et sa bande...
Il se retourna vers Burydan.
- Rengainez vos épées. Qu'est ce qui leur est arrivé ?
Burydan lui raconta succinctement sa ''rencontre'' avec Olive et Alvin.
- Tu les as tué tous les cinq ?
- Euh, oui.
- Et le vieil Oli, comment il va.
- Bien. Un peu trémulant, mais c'est compréhensible.
Le chef de la milice hocha la tête, et reprit vers ses hommes :
- Déchargez les corps et appelez le bourreau. Qu'il leur tranche la tête et plantez les sur les pics à l'entrée de la ville. Qu'on sache le sort qu'on réserve aux caïmans à Malienda. Toi, Burydan de Malkchour, suis moi. Le bourgmestre va être ravi de te rencontrer.
Bratac mit un bras autour des épaules de Burydan et l'amena vers l’Hôtel de Ville.
Le Bourgmestre, prévenu par une jolie secrétaire que le chef de la milice voulait le voir, arriva. Homme d'une soixante d'années, richement vêtu, et poussant devant lui une bedondainne.
Bratac lui relata les événements.
- Et bien, dit-il, nous te devons une fière chandelle. Cet Alvin et sa bande étaient très mauvais pour les affaires de la ville. Merci de nous en avoir débarrassé. Je vais le faire dire dans tout Malienda, et dans toutes les villes alentour... Et grâce à Burydan de Malkchour...
Il sourit et s'apprêta à partir quand Bratac dit :
- Bourgmestre, vous n'oubliez pas quelque chose ?
- Quoi donc ?
- La récompense...
- Ah oui... c'est vrai... de combien était-elle déjà ?
- 500 lunars pour toute la bande.
- Fichtre... 500 lunars... c'est que, à cause ce cet Alvin, les finances de la ville ne sont pas florissantes, et...
- Et, le coupa Bratac, l'air agacé, les habitants de Malienda seraient déçus si l’on disait que la municipalité ne respecte pas ses engagements. Surtout à quelques mois des élections...
L'argument fit mouche et le bourgmestre dit :
- Bien sûr, bien sûr... suivez moi dans mon bureau.
Il ouvrit un coffre et en sortit une bourse :
- Alors, alors, 300 lunars, c'est cela ?
- Non, 500, dit Bratac.
Le bourgmestre grimaça et donna cinq barrettes d'astrium à Burydan. Ce dernier remercia et il ressortit avec Bratac.
- Ce vieux Nunck est plus chiche-face et pleure-pain qu'aucun fils de bonne mère en Utopia.
- Qui ça ?
- Nunck, le bourgmestre. Mais ce n'est pas le mauvais bougre.
Au mot ''bougre'' Burydan ne pu réprimer un sourire.
Revenu devant le poste de la milice, Burydan demanda :
- Tu sais où je pourrais revendre ce chariot et ce cheval.
- Vas voir Rocco, le maréchal ferrant, mais prépare toi à barguigner âprement...
Bratac lui indiqua le chemin et, quelques minutes plus tard, Burydan frappait à grands coups contre une porte d'où filtraient des coups de mateau sur une enclume. Un homme, haut de plus de quatre pieds, au biceps énormes, le droit un peu plus gros que le gauche et une barbe noire roussie par endroits, ouvrit.
- Salut l'ami, dit-il d'une voix forte, qu'est-ce que je peux pour toi ?
(1) Shadid : mythologie utopienne. Démon mâle ou femelle chargé de torturer pour l'éternité les âmes condamnées au Diyu.