28-07-2020, 05:28 PM
CHAPITRE XXXIX
''Exioriare aliquis nostris ex ossibus Ultor''
Burydan fit comme à Denderah. Il prit une chambre dans l'unique auberge de la ville et se rendit tout de suite à la taverne. Personne ne le reconnut. C'est vrai que, quand il s'était enfuit, il n'était encore qu'un enfant, et était un jeune homme maintenant, et, de plus, il était censé être mort, alors...
Il fut étonné de ne pas voir son père, ivre, au comptoir. Il repéra le pochtron du coin, l'invita à partager une bonne bouteille de picrate bouchée et l'amena à lui parler. Il s'appelait Sarroman.
- Bah, c'est une sale histoire. Le pauvre vieux a perdu son fils il y a de ça six ou sept ans...
- Perdu ?
- Oui. Il s'est enfuit après avoir tué à coup de fourche son cousin. Une histoire de fille, apparemment.
Burydan blêmit de nouveau.
- Et puis sa femme, la pauvrette, est morte quelques années plus tard.
- De quoi ?
- Une mauvaise chute dans les escaliers...
- Tu parles... dit un homme à la table d'à côté
- Tais-toi, Malik...
- Allez, Sarroman, tout le monde sait que le vieux Uriel avait tendance à frapper sa femme, et pas qu'un peu. Elle n'est pas tombée dans les escaliers, il a frappé un peu trop fort, c'est tout...
- Foutaises, la milice a conclue à un accident...
- Bah, la milice...
- Enfin, bref, entre la disparition de son fils et celle de sa femme, il est inconsolable...
- Inconsolable ?! Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre. Il est surtout inconsolable de devoir travailler lui-même sur sa ferme, oui. C'était son fils et sa femme qui faisait tourner l'exploitation, pendant que lui cuvait son picrate, dit Malik. D'ailleurs ça se voit, quand on voit l'état de la ferme aujourd'hui. Il a vendu la majorité de ses terres et vivote de son potager. Et se saoule tous les jours avec l'eau de vie qu'il produit avec ses fruits...
- Tais-toi, Malik ! Le pauvre vieux n'a pas eu de chance, c'est tout...
Burydan en savait assez. Son père avait servi la même histoire sur la mort de Darren, et en plus avait tué sa mère. Il sortit de l'auberge et se dirigea vers sa maison.
Le jardin, devant, était envahi de mauvaises herbes et la grange était à moitié écroulée. Burydan y entra tout de même et, en fouillant, trouva ce qu'il cherchait. Il posa la fourche contre le mur et frappa à la porte. Il entendit des pas traînants et un homme ouvrit. Burydan le reconnut à peine. Seuls ses yeux lui dirent que c'était son père.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il d'une voix pâteuse, son haleine empestant l'alcool.
- Bonjour... père...
Uriel écarquilla les yeux, mit quelques secondes à remettre les mots dans l'ordre et dit :
- Toi ?! Non, c'est impossible... tu es... mort... tu es...
Burydan lui asséna une énorme gifle sur la joue gauche. Uriel recula sous le choc.
- Aaaah ! Tu oses. Dégénéré! Sodomite ! Tu oses frappé ton propre père ! tu..
Il ne put continuer. Une autres gifle, sur la joue droite cette fois, le fit taire. Il rugit et se précipita vers Burydan, tête en avant. Burydan s'écarta d'un pas, son père le dépassa et vint s'écraser contre la porte. Il reprit ses esprit et fit de nouveau face à son fils. Il blêmit en voyant l'éclat de haine pure qui brillait dans les yeux gris.
Burydan passa en mode automatique. Tout sa colère, toute son envie de vengeance, toute sa haine... Il frappa, encore et encore et encore...
Son père gisait sur le sol de la cuisine, le visage en sang, plusieurs côtes cassées, un bras aussi... il gémissait...
Burydan retourna à la porte d'entrée, se saisit de la fourche et revint vers Uriel. Quand celui-ci vit la fourche, il dit :
- Non !!!
Burydan la brandit et dit :
- De la part de Darren...
Et il l’abattit. Contrairement à son père, il ne lui planta pas la fourche dans la poitrine, mais dans le ventre. Il savait que son agonie n'en serait que plus lente et plus douloureuse.
Son père poussa un grand cri de douleur. Burydan retira la fourche, s'assit sur une chaise, sortit une pipe de sa besace, la bourra de kapno, et pétuna en regardant son père agoniser, les flots de sang s'écoulant des trois plaies de son abdomen emmenant un peu de sa vie à chaque seconde.
Dans un dernier râle, son père mourut enfin, après un long moment. Burydan alla jusqu'au cellier et trouva ce qu'il cherchait. Cinq bonbonnes en terre cuite remplit d'eau-de-vie. Celle que produisait son père, pratiquement composée uniquement d'alcool pur. Il monta à l'étage et imbiba le plancher et les murs avec trois bonbonnes. Au rez-de-chaussée, il déversa les deux restantes, y compris sur le corps de son père. Il sortit, battit le briquet, enflamma un morceau d'étoupe qu'il laissa tomber sur l’alcool et se recula. La maison s’embrasa dans un grand ''Wouf'' et Burydan la regarda un instant brûler. Il savait que, le temps que quelqu'un repère la fumée depuis El'Amarna, que les villageois arrivent et tentent d'éteindre le feu, tout serait consumé.
Il remonta sur son cheval et fit une centaine de toises. Il passa dans un champs, cueillit un gros bouquet de fleurs sauvages, et se retrouva dans la cachette. Personne ne l'avait fauchée depuis des années et elle était envahie d'herbes hautes et de ronces. Il sortit son épée :
- Je sais que tu n'as pas été forgée pour ça, mais c'est pour la bonne cause.
Il se fraya un chemin jusqu'au pied de l'arbre ou Darren et lui s'étaient dit qu'ils s'aimaient et posa le bouquet.
- Voilà, Darren, je t'ai vengé... tu peux reposer en paix maintenant... je t'aime toujours... et pour toujours... et tu me manques... tu me manques tellement...
Une brise souffla et fit frémir les feuilles de l'arbre. Burydan pensa que c'était Darren qui lui disait que lui aussi l'aimait pour toujours.
Il remonta sur son cheval, passa devant la ferme en flammes où quelques personnes essayaient d'éteindre le feu avec des seaux d'eau, mais la maison était pratiquement complètement écroulée. Il continua son chemin.
Il arriva à un carrefour. Deux panonceaux. D'un côté Menast'Hérit, de l'autre Ank'Arat, la capitale.
''Bah, là ou ailleurs, se dit-il, quelle importance'' et il prit la direction de l'Ouest.
Il repensa à Gershaw. Et il avait raison, comme toujours. Sa vengeance lui laissait un goût amer. Et ça ne lui avait pas rendu Darren...