28-07-2020, 05:25 PM
CHAPITRE XXXVII
''Requiescat in pace''
Burydan resta interdit. Gershaw délirait, c'était évident. Une épée qui décide de son prochain possesseur... franchement... et pourquoi pas des charrettes qui roulent à 200 lieux à l'heure ou des machines volantes... c'était la fièvre, sans aucun doute.
- Je sais que tu me prends pour un fou, kohai, comme moi j'ai pris Kordesh pour un fou. Mais c'est la pure vérité, je t'assure. Alors promets-moi, kohai, promets moi que tu n'enseigneras l'épée qu'à celui que l'épée choisira...
- Je... je vous le promets, maître.
Gershaw le regarda intensément, sourit et dit :
- Merci, Burydan...
Burydan se figea. C'était le première fois, depuis presque six ans, que Gershaw l'appelait par son prénom.
- Et ne cherche pas à te venger...
Burydan ne dit rien. Il avait raconté l'histoire de Darren à son maître et c'était la première fois qu'il lui en reparlait.
- Je t'assure que ça n'en vaut pas la peine...
- Bien, maître.
- Mais tu le feras quand même, n'est-ce pas ?
Burydan ne répondit pas. Oui, il le ferait. Il vengerait Darren.
- Mak teb, dit Gershaw. J'ai besoin de repos, maintenant. Laisse moi, veux-tu ?
- Bien sûr, maître, voulez-vous que je repasse plus tard ?
- Oui, c'est ça, plus tard. Vers midi...
- Bien maître...
Burydan sortit. Il hésitait. Si son maître n'allait pas mieux à midi, il appellerait le médecin.
Il tourna en rond tout la matinée et, à midi, monta jusqu'à la chambre de Gershaw avec un bol fumant de bouillon de poule. Il frappa à la porte. Pas de réponse. Il frappa un peu plus fort. Toujours rien. Il entrouvrit la porte.
- Maître ?
Gershaw était allongé sur son lit, les traits paisibles, les yeux fermés et les bras croisés sur la poitrine. Burydan posa le plateau et secoua doucement son maître.
- Maître ?
Pas de réaction. Il toucha sa main. Elle était glacée.
- Oh non... maître !
Burydan s'agenouilla à côté du lit et posa sa tête sur la poitrine de Gershaw en pleurant.
Après des heures, Burydan tenta de se reprendre. Il remarqua qu'il y avait une lettre sous les mains de son maître. Il la prit, lu son nom, et la décacheta.
Burydan,
si tu lis cette lettre c'est que je ne suis plus. C’est que j'ai accompli ma mission et que tu es devenu le nouveau gardien de l'épée.
Je sais qu'elle me gardera en vie jusqu'à ce que je puisse te raconter sa légende. Je ne te demande pas de me croire sur parole, mais avec le respect que tu as pour moi. Je sais que je t'ai fait promettre d'attendre de trouver, toi aussi, ton kohai, et je sais que tu respectes toujours ta parole.
Ne garde rien de cette maison. Sauf l'épée, évidemment. Malkchour était mon havre de paix, mais pas le tien. Je pense que tu le sais aussi bien que moi. Vends la maison et les meubles qui s'y trouvent et pars. Voyage, découvre d'autres choses, apprends. Apprends toujours.
Dans le petit coffre que j'ai dans ma chambre, dont la clef est autour de mon cou, tu trouveras un peu d'astrium et un livre. C'est mon journal. J'y ai écrit tout ce que j'ai appris lors de mes voyages, mes pensées également. Il reste des pages. Mets y ce que toi tu apprendras, tes pensées et tout ce que tu voudras.
Burydan tu as été plus qu'un élève pour moi. Tu as été un fils. Et je pense que, pour toi, j'ai été plus qu'un maître. Si le Tiantang existe, et si les juges des morts me laissent y entrer, je t'y garderai une place.
J'espère que, lorsque tu trouveras ton kohai, il t'apportera autant de bonheur et de joie que tu m'en as apporté.
Sois heureux, mon fils
Gershaw de Bélothie
Burydan plia la lettre, prit la clef autour du cou de son maître et ouvrit le coffre. Il y prit le journal de Gershaw et y glissa la lettre. Il prit aussi les barrettes d'astrium (1) qui s'y trouvaient. Il sourit. Il y avait ''un peu d'astrium'', ce peu représentait tout de même au moins cinq cents lunars. ''Tiens, se dit-il, Gershaw ne m'a jamais dit d'où lui venait ses pécunes''.
Il alla jusqu'à l'auberge.
- Tiens, salut à toi Burydan, comment va le vieux Gershaw? demanda Mists
- Il vient de mourir...
- Oh non... de... de quoi ?
- Je ne sais pas. Il est mort dans son sommeil...
- Je... je suis désolé petit... il t'aimait beaucoup, tu sais...
- Et c'était réciproque. Le bûcher sera allumé ce soir...
- Très bien... je préviendrai tous ses amis...
Burydan se demanda combien cela représentait. Gershaw n'avait pas énormément d'amis. Mais il se trompait, énormément de gens vinrent assister au bûcher funéraire. Zanzibar, le chef des truands des quartiers Est côtoya Aragorn, qui avait insisté pour représenter la milice aux obsèques, Liebov envoya l'un de se nouveaux lieutenant et tous les habitants de Malkchour y assistèrent également.
Le lendemain, le notaire de Gershaw vint voir Burydan pour lui annoncer qu'il était l'unique légataire de son maître. Il lui laissait, outre la maison et le terrain, une somme de 3000 lunars.
- Que comptez-vous faire de la maison ? demanda le notaire.
- La vendre. Ainsi que tous les meubles qui s'y trouvent.
- Ça tombe bien, j'ai un acheteur.
Le notaire fit le tour de la maison et dit :
- J'estime le tout à 10 000 lunars.
- Qui est l'acheteur?
- Et bien... moi... mais je vous assure que mon estimation est tout à fait correcte et que...
- Ça me va très bien, le coupa Burydan.
Il revit Aragorn le lendemain et ils passèrent deux jours ensemble. Ils firent l'amour plusieurs fois, Burydan voulant amasser le plus de souvenirs possible de son beau milicien avant son départ.
- Je vais partir beau brun.
- Ah, fit Aragorn, pour longtemps ?
Burydan baissa les yeux et ne répondit pas.
- Tu pars pour... toujours ?
Burydan ne répondit toujours pas.
- Non, bébé, je t'en prie, reste. Tu peux demander à entrer dans la milice et je... je... oh, bébé, je ne peux plus me passer de toi... je... je... t'ai...
Burydan mit une main sur la bouche d'Aragorn.
- Je sais. Et moi aussi... mais tu sais que c'est impossible... et il faut que je parte... Il faut que j'avance... je reviendrai peut-être un jour...
Aragorn le regarda, sentant bien qu'il mentait.
- Fais moi l'amour, dit Burydan. Fais moi l'amour comme tu ne me l'as jamais fait...
Aragorn le prit lentement, tendrement, amoureusement, pour un dernier moment de pur plaisir.
Aragorn promit à Burydan de prévenir Arad et Alam des prochaines rafles et, après un dernier long baiser, ils se quittèrent.
Burydan rassembla ses affaires, monta sur son cheval et quitta Menast'Hérit. A quelques lieux de la ville, il se retourna et regarda la cité. Il y avait vécu les pires et les meilleures années de sa vie.
Il reprit sa route, vers l'Est. Il avait rendez-vous avec son oncle et son père.
(1) barrette d'astrium : petite barre dont le poids correspond à une valeur de 100 lunars, utilisée pour éviter de transporter une trop grande quantité de pièces. La barre d'astrium, quant à elle, a un poids correspondant à 1000 lunars et n'est utilisée que pour les grosses transactions.