28-07-2020, 05:23 PM
CHAPITRE XXXV
''Video sed non credo''
En ce temps là, je vivais dans une petite ferme à quelques lieux de Bélothie. Nous étions six. Mes parents, mes deux sœurs, Darna et Cléa, moi, et mon petit frère, Pâris. Nous n'étions pas riches certes mais nous avons toujours mangé à notre faim, et mes parents étaient très aimants. Ma mère nous poutounait et nous caressait tous les jours à la fureur, en nous berçant de sa voix douce, et je revois mon père, à quatre pattes, imitant le cheval ou le gaidaro, et mon petit frère et moi, sur son dos, riant et criant ''hue, papa, hue !''
Un jour, alors que nous jouions dans le jardin, nous vîmes un nuage de poussière sur le chemin qui menait à notre ferme. Nos parents se regardèrent et mon père nous dit :
- On va jouer à cache-cache... et cachez vous bien c'est moi qui vous cherche...
Nous rentrâmes tous les quatre et nous cachâmes. J'étais imbattable à ce jeu. J'avais trouvé la cachette idéale, une vieille huche à bois qui était vide et où je me recroquevillais. Personne ne m'y avait jamais trouvé.
J'entendis des hennissements de chevaux, des éclats de voix et un grand cri, poussé par mon père, et un autre, poussé par ma mère. La porte s'ouvrit avec fracas. J'entrouvris ma huche et ce que je vis me glaça jusqu'aux os.
Mon père gisait, le visage dans la poussière, une mare de sang commençant à se former sous lui, et ma mère, les vêtements en lambeaux, était couchée sur le dos. Un homme lui maintenait les bras pendant qu'un autre, entre ses jambes, les chausses à mi cuisse, la besognait en lui pétrissant les seins, en l'insultant et en la giflant.
Trois hommes entrèrent dans la maison et commencèrent à la fouiller. J'entendis des cris et deux hommes, tenant chacun une de mes sœurs, les amenèrent dehors, leur arrachèrent leurs vêtements, les jetèrent à terre et les violèrent. Darla avait tout juste 14 ans, et Cléa 12.
Le dernier homme, le chef, trouva mon petit frère, de 5 ans. Il l'attrapa par les cheveux et le traîna dehors aussi. Il regarda ses sbires forcer ma mère et mes sœurs. Les deux hommes qui violaient ma mère avaient échangé leur place, et ceux qui violaient mes sœurs également. Une fois qu'ils eurent pris leur plaisir, il sortirent chacun une dague et égorgèrent leurs victimes. Je vis le chef sortir une dague également et, plaçant la lame sur la gorge de mon petit frère qui pleurait, il l'égorgea en riant.
Ils pillèrent la maison, prenant tout ce qui pouvait avoir de la valeur, c'est à dire peu de chose, remontèrent sur leurs chevaux et partirent.
Je ne bougeai pas pendant un long moment. Puis, sortant, j'allai vers ma mère.
- Réveille toi, maman, réveille toi, ils sont partis, réveille-toi, je t'en supplie...
J'allai vers mon père, vers mes sœurs et vers mon petit frère, les secouai et les suppliai de se réveiller... j'avais tout juste 7 ans et je venais de voir ma famille se faire massacrer sous mes yeux. Je me couchai contre le corps de ma mère et me mit à pleurer toutes les larmes de mon corps.
Le lendemain, je me levai et me dirigeai vers Bélothie. Quand les gens du village me virent, couvert du sang des miens, ils poussèrent de grands cris et me posèrent des dizaines de questions. J'étais muet. Le chef de la milice me prit à part et me demanda, d'une voix très douce, ce qui s'était passé... Je lui racontai tout... il envoya des hommes à la ferme...
- Alors ? demanda le chef au retour de ses hommes.
- Morts... tous... femme et filles forcées...
- Ce sont les mêmes que pour les autres ?
- Oui, on dirait bien...
Je compris, en entendant des bribes de conversation, que ces monstres avaient déjà commis leurs exactions dans plusieurs autres fermes isolées. Le chef de la milice me demanda si je me souvenais de leurs visages. Ils étaient gravés dans ma mémoire. Il fit plusieurs portraits. Apparemment, j'étais le seul témoin encore en vie.
- Que va-t-on faire de lui ?
- Il n'a pas de parenté ?
Je n’en avais pas. Mes grands parents étaient morts, je n'avais ni oncle ni tante. Mes parents étaient ma seule famille.
- Je le prendrais bien, le pauvret, dit le chef de la milice, mais j'ai déjà cinq enfants et...
Puis un homme entra. Il était grand et massif. Je le connaissais de nom, c'était Kordesh de Chulak. Je n'avais jamais su qui il était vraiment, ni même ce qu'il faisait, mais tout le monde lui montrait un profond respect, mêlé d'un peu de crainte, même mon père qui, pour moi, était l'homme le plus courageux du monde.
Il s'enquit de la situation, se dirigea vers moi, mit un doigt sur mon menton et planta ses yeux dans les miens. Il pâlit, rougit, pâlit de nouveau et murmura :
- Mak teb...
il se retourna vers le chef de la milice et dit :
- Le garçon va venir avec moi... il est mon élève à partir de maintenant...
Je vis plusieurs personnes qui parurent on ne peut plus surprises, mais nul n'osa répliquer. Le chef de la police voulut, apparemment, mais le regard que lui jeta Kordesh l'en dissuada.
- Tu vas venir avec moi, je vais m'occuper de toi...
J'avais 7 ans, je venais de voir ma famille se faire tuer sous mes yeux, et cet homme, que je ne connaissais pas et qui me flanquait une trouille bleue, me demandait de venir avec lui. J'aurais dû hurler de peur. Mais, étrangement, je sentis que c'était la chose à faire. C'était comme une évidence. Je le suivis donc.
Kordesh mit un toit sur ma tête, me nourrit, me vêtit et m'enseigna tout ce qu'il savait. Il était le meilleur épéiste de tout Genesia et je devins son kohai.
Dix ans plus tard, il m'enseigna la botte de Nimsgern et, quelques semaines après, je le battis. Le lendemain, il était resté au lit contrairement à son habitude, je vins le voir dans sa chambre, lui demandai s'il était malade et il me dit :
- Non, je suis juste en train de mourir...
- Mais, maître je vais appeler le médecin et...
- Inutile, kohai, c'est mon destin... mak teb...
- Maître... que veux dire ce ''mak teb'' ?
- C'est un vieux dialecte utopien, que plus personne ne parle... ça veut dire quelque chose comme ''c'est écrit''...
- C'est écrit ? Qu'est-ce qui est écrit ? Et par qui ?
- Par qui ?, et bien, par la main qui a tout écrit, les dieux, si tu es croyant, ou le destin, ou une force supérieure... et ce qui est écrit c'est... la légende...
- La légende ? Quelle légende ?
- La légende de l'épée...
- L'épée ? Votre épée ?
- Oui, kohai, mon épée... écoute moi...