28-07-2020, 04:21 PM
CHAPITRE XXXIV
''Tempus fugit, hora volant''
Burydan travaillait d'arrache-pied. Ses ''corvées'' n'étaient plus que de l'entretien, à présent, et il se consacrait à l'enseignement de son maître. Il lisait et écrivait couramment, faisait de grands progrès à l'épée, apprenait une foule de choses, les langues parlées sur les autres îles de Genesia, la chimie, la botanique, la physique, les mathématiques, l’architecture, l'art, l'histoire...
Son esprit s'enrichissait et son corps changeait, lui aussi. Lui ne s'en apercevait pas plus que ça, mais c'est Aragorn, qu'il voyait tous les jeudis pour de longues heures de plaisir absolu, qui le lui faisait remarquer, en s'extasiant sur son corps, ses muscles et la dureté de ceux-ci.
Cela faisait cinq ans que Burydan était devenu l'élève de Gershaw. Un jour, son maître lui dit :
- Kohai, ton apprentissage est bientôt fini.
- Déjà, maître ? Mais il me reste encore tant de choses à apprendre, et...
- Et, le coupa Gershaw, le reste tu l'apprendras par toi-même. Moi, je t'ai enseigné tout ce que je sais. Ou presque. Ce que je ne sais pas, ce sera à toi de le découvrir. Voyage, observe, écoute, et apprends. C'est la meilleure école du monde... Mais il me reste une dernière chose à t'enseigner... prends ton épée.
Burydan attrapa son épée et suivi Gershaw dans le jardin.
- Je vais t'apprendre la botte de Nimsgern
- La quoi?
- La botte de Nimsgern. Je suis le seul à connaître cette botte, et personne n'y a jamais trouvé aucune parade. En garde !
Burydan se mit en garde, para tous les coups de Gershaw, y compris ses feintes, quand soudain son maître virevolta. En une fraction de seconde, Burydan se retrouva désarmé, avec la pointe de l'épée de son maître à moins d'un pouce de son front, juste entre les deux yeux.
- Co... comment vous avez fait ça ?
- Regarde, Kohai, je te montre, au ralenti...
Gershaw lui montra, décomposant les mouvements. Burydan comprit. Du moins le crut-il. Quand Gershaw le faisait, ça paraissait si simple. Mais lui, à chaque fois, se retrouvait mort. Ou quasiment, si Gershaw avait vraiment porté son coup. Il s'entraîna pendant des jours, des semaines mêmes quand, un jour...
- Bravo, kohai...
La pointe de Burydan était à moins d'un pouce du front d'un Gershaw désarmé.
- Tu pourrais le refaire ?
- Oui, je pense, maître...
- Alors montre moi...
Les lames des épées se croisèrent de nouveau et Burydan porta de nouveau la botte de Nimsgern d'un mouvement fluide et précis.
Gershaw lui sourit et lui ébouriffa les cheveux.
- Je suis très fier de toi, kohai.. vraiment très fier...
Et Burydan rougit.
Le lendemain de ce jour où l'élève avait, non pas dépassé, mais égalé son maître, au sixième tintement de l'horloge du salon, Burydan se retourna en souriant, un bol de lait chaud à la main, et resta figé... Son maître n'était pas dans l’embrasure de la porte de la cuisine.
En 5 ans, 9 mois et 19 jours, son maître avait toujours été là au sixième tintement de la pendule. Toujours. Burydan attendit... une minute... cinq minutes... dix minutes...
Ce n'était pas normal... il monta l'escalier et colla l'oreille contre la porte de la chambre de son maître. Pas un bruit. Il frappa trois petits coups.
- Entre, kohai.
Burydan entra. Son maître était toujours dans son lit, pâle et suant.
- Vous... vous êtes malade, maître.
Cette phrase, dans sa bouche, était irréelle. Jamais Burydan n'avait vu Gershaw malade. Même les maladies n'osaient se frotter à cet homme.
- Non, je suis juste en train de mourir...
- Co... comment ? Mais, vous ne pouvez pas... c'est... je vais appeler le médecin et...
- Bah, le médecin... cette funeste engeance tue plus de monde que les maladies qu'elle est censée combattre... et puis rien ne peut me soigner, je ne suis pas malade, mais juste en train de mourir... assieds toi, kohai, j'ai à te parler...
- Non, reposez-vous, maître, et je vais quand même appeler le...
- Kohai, quelle est la première règle ?
- Faire tout ce que vous me direz, quand vous me le direz, comme vous me le direz, sans rechigner.
- Très bien, alors assieds-toi...
Burydan prit une chaise et s'assit.
- Je suis en train de mourir, kohai, mais c'est le lot de tout homme...
- Vous m'aviez juré que vous étiez immortel...
- C'est vrai... mais je ne t'ai jamais dit que j'étais infaillible... mon heure est venue... mak teb...
- Allez-vous me dire, à la parfin, ce que ce ''mak teb'' veut dire ?
- Oui, le moment est venu... j'ai une longue histoire à te raconter...
Burydan se cala sur sa chaise et attendit...
- C'était il y a bien longtemps... commença Gershaw.