28-07-2020, 04:14 PM
CHAPITRE XXIX
''Post tenebras lux''
Burydan suivit donc Gershaw. Ils entrèrent dans un grand salon.
- Assieds toi, le temps que je mette ça à la cuisine, dit Gershaw en montrant le panier plein de légumes qu'il portait sur le bras.
Burydan s'assit dans un grand fauteuil. Le salon était richement meublé. Des armoires et des buffets de très belle facture, certainement faits par les meilleurs ébénistes de Sylvana. Mais ils étaient couverts d'une telle couche de poussière que le ménage n'avait pas dû être fait depuis la jeunesse de Carlus Magnus. Le mur du fond était couvert d'étagères qui contenaient une énorme quantité de livres. Des tapis de prix, poussiéreux également, couvrait le sol.
Gershaw revint avec un pichet de picrate et deux gobelets. Il les remplit et regarda Burydan. Celui-ci aurait bien voulu un peu d'eau pour couper son picrate, mais ne dit rien. Gershaw sourit :
- Tu peux le boire sans le couper, il est très bon...
''D'accord, se dit le garçon, et en plus il lit dans les pensées.''. Il trempa les lèvres, prit une petite gorgée et, en effet, le picrate était délicieux.
- Bien, dit Gershaw, il y a deux règles : d'abord tu fais tout ce que je te dis de faire, comme je te dis de le faire, quand je te dis de le faire sans rechigner. Ensuite, tu peux me poser toutes les questions que tu veux du moment où elles sont pertinentes. Est-ce que ça te va ?
- Euh... oui... mais, vous savez que je...
- ...veux devenir mon élève ? le coupa Gershaw, oui.
- Mais... comment vous le savez ?
- Mak Teb...
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Je te le dirai quand le moment sera venu.
- D'accord... mais je n'ai pas... enfin, pas beaucoup... de pécunes...
- Voilà le contrat que je te propose, je t'enseigne tout ce que je sais, le maniement de l'épée, évidemment, puis tout ce que j'ai appris, je te fournis le gîte, je te nourris et je te vêts. En échange, tu te charges de tout le reste, c'est à dire du ménage, comme tu le vois ce n'est pas mon point fort, du jardinage, c'est encore pire, et tu prépares les repas. Si ça te pose un problème, dis le moi tout de suite et...
- Non, dit prestement Burydan, ça me va très bien...
- Règle numéro trois : tu ne me coupes pas la parole.
- Désolé.
- Bien. Maintenant, les détails pratiques. Je me lève tous les jours à six heures précises. J'attends que mon petit déjeuner, et le tien, soient prêts. Un bol de lait chaud, deux œufs à la prisk (1), chair salée, deux tartines de beurre et de jamu (2).
- De quoi ?
- Jamu. Tu ne connais pas ?
- Euh... non...
Gershaw se leva, alla jusqu'à la cuisine et revint avec un petit pot. Il l’ouvrit, y trempa une cuillère et la tendit à Burydan. Une sorte de gelée rouge que Burydan huma précautionneusement. Ça sentait la caomei. Il la porta à sa bouche.
- Hummm
- C'est bon, hein ?
- Oh oui, c'est délicieux...
- Le laitier passe tous les jours à cinq heures du matin. Demain tu l'attendras et tu lui diras que maintenant nous sommes deux, et qu'il ajuste ses livraisons en conséquence. Le boulanger vient à peu près à la même heure et tu lui diras la même chose, d'accord ?
- D'accord.
- Bien. Le matin, exercice et maniement de l'épée jusqu'à midi. Là, tu prépares le déjeuner. Une viande grillée ou en sauce, des légumes. L'après midi, jusqu'à quatre heures, ménage ou jardinage, de quatre heures jusqu'à sept heures, enseignement de choses et d'autres. A sept heures, tu prépares le dîner. Une soupe de légumes, un peu de chair salée et du fromage. Ça te va ?
- Euh, oui. Je ne sais pas si je suis un bon cuisinier, mais...
- Que des choses simples, ne te casse pas la tête. Ah, oui, un ou deux gâteaux par semaine, aussi pour les petites collations de 10 heures du matin et de quatre heures de l'après midi.
- Euh, je ne sais pas faire de gâteaux.
- Aucun souci, j'ai trois livres de cuisine.
Gershaw se leva, se dirigea vers la bibliothèque, en sortit trois livres et les posa devant Burydan.
- Tiens, choisis ce que tu veux.
Burydan ne bougea pas.
- Et bien choisis...
- Je ne peux pas...
- Pourquoi ça ?
Burydan ne répondit pas et baissa la tête en rougissant.
- Oh, dit Gershaw, tu... tu ne sais pas lire, c'est ça...
Burydan rougit encore plus.
- Bon et bien on sait quoi t'enseigner en priorité. Relève la tête et regarde moi.
Burydan planta ses yeux dans ceux de Gershaw
- N'aies jamais honte de ne pas savoir, d'accord ? Et pose des questions si tu ne sais pas. N'oublie pas : celui qui pose une question risque d'être bête cinq minutes, celui qui ne pose jamais de questions sera bête toute sa vie...
Burydan acquiesça.
- Comment... comment dois-je vous appeler ?
Gershaw réfléchit, et dit :
- Tu m’appelleras maître, et moi je t’appellerai kohai.
- Kohai ?
- Oui, c'est un mot d'un vieux dialecte utopien qui veut dire élève.
- D'accord, maître...
- As tu des affaires à récupérer a Menast'Hérit ?
- Oui, quelques vêtements...
- Non, c'est moi qui t'achèterai les vêtements que tu porteras à partir de maintenant
- Ah... euh... mes affaires de toilette...
- Pareil pour ça...
- Et quelques pécunes...
- Bon, d'accord pour ça. Nous allons à Menast'Hérit maintenant, tu récupères tes pécunes, et juste tes pécunes, et moi je ferai quelques courses en attendant.
Ils partirent donc. Sur la ,place centrale de la ville Gershaw dit :
- Fais ce que tu as à faire, kohai, et on se retrouve ici.
Burydan se dirigea vers son logis. Il y laissa donc tout ce qu'il possédait, prit le peu d'argent qu'il avait et glissa dans sa besace une chemise. C'était celle de Martouf, encore imprégnée de son odeur si particulière. Burydan avait pris l'habitude de dormir avec. Il eut une idée et se dirigea vers les entrepôts où il avait vécu quelques temps, il entra dans l'un d'eux et se dirigea vers le fond.
- Salut Arad...
Arad se retourna et se mit devant Alam, comme pour le protéger. Arad et Alam étaient deux frères. Arad était un beau garçon de 16 ans, bien fait et très mignon, qui s'occupait de son petit frère, Alam, de douze ans. Il enchaînait les clients, refusant obstinément que Alam tapine, lui aussi. Et ça, Burydan appréciait.
- Ah, c'est toi, dit Arad, qu'est-ce que tu veux ?
- Du calme, j'ai un truc à te proposer.
- Quoi ?
- Un logis. Et beaucoup mieux que celui-là.
- Où ?
- Les entrepôts, mais un peu plus loin. C'est là où j'habitais avec Martouf.
- Pourquoi ? Tu pars ?
- Oui.
- Ah... qu'est-ce que tu veux en échange ?
- Rien.
Arad le regarda, suspicieux, puis il parla à voix basse avec son petit frère.
- D'accord, dit-il, mais on veut le voir d'abord... et si c'est pour te taper Alam, c'est même pas la peine de...
- Ça n'a rien à voir, Arad. En plus, c'est plus toi mon genre. Mais je ne demande rien du tout. C'est juste que le logis est libre et que ce serait dommage que vous n'en profitiez pas.
- Pourquoi nous ?
- Parce que ton petit frère est trop chou...
Alam éclata de rire.
- Allez, venez.
Burydan les conduisit jusqu'à chez lui. Les deux frères en restèrent ébahis.
- Oh, tu as un poêle, dit Alam, tu te rends compte grand frère, on ne grelottera plus de froid. Et l'eau courante... et deux grandes paillasses... Oh, tu nous le laisses vraiment ? C'est pas une mauvaise blague, hein ?
Burydan s'approcha de lui et lui ébouriffa les cheveux.
- Mais non, c'est pas une blague, vous êtes ici chez vous.
- Youpiii !!!
- Écoute Arad, il y a quelques vêtements dans cette armoire. Les miens devraient t'aller et ceux de Martouf à ton petit frère.
- Comment... comment on peut te remercier ? Tu veux que je te su...
- Non, le coupa Burydan, inutile. Par contre tu peux me rendre un service.
- Je t'écoute.
- Demain vers 8 heures du soir, un homme masqué passera. Un de mes réguliers. Dis lui juste que je suis parti et que je le recontacterai quand je serai de retour...
- D'accord, pas de souci... et... merci...
Burydan sourit et partit. Il passa chez un fleuriste et acheta des churippus (3) jaunes. Il alla jusqu'au cimetière et s'arrêta devant la fosse commune.
- Salut Martouf... c'est moi... tiens, je t'ai ramené tes fleurs préférées... je pars... je vais devenir épéiste... ouais, même moi ça m'étonne... tu me manques, bébé... embrasse Darren pour moi... adieu...
Burydan tourna les talons et essuya les larmes de ses joues. Il se dirigea vers la grande place, prêt à commencer sa nouvelle vie.
(1) Œuf à la prisk : technique de cuisson des œufs qui consiste à les plonger trois minutes dans l'eau bouillante. Très semblable à l’œuf à la coque.
(2) Jamu : préparation de fruits cuits dans du sucre. Très semblable à la confiture.
(3) Churripu : plante à grande fleur solitaire en forme de vase. Très semblable à la tulipe.