28-07-2020, 04:13 PM
CHAPITRE XXVIII
''Ab hoc et ab hac''
Burydan se rendit compte que, bien qu'il fut à Menast'Hérit depuis plus d'un an, il n'avait jamais visité la ville. Des quartiers Ouest, il ne connaissait que le port, et des quartiers Est, que la rue où il tapinait. Il décida donc de faire du tourisme.
Il ne s'enfonça pas dans les quartiers Est, il savait qu'on pouvait s'y faire égorger pour quelques sols, même en plein jour, mais il visita le reste de la ville, regardant les boutiques qui vendaient des tas de marchandises, venant aussi bien de tout Utopia que des îles lointaines, l'avantage de vivre dans un port. Il avait envie de beaucoup de choses qu'il voyait sur les étals, mais devait se refréner. Son petit pécule devait lui suffire à vivre un peu mieux pendant un petit moment, il fallait éviter de faire des folies.
Après les bains, il flânait jusqu'au déjeuner, se payait un bon repas dans une auberge, se promenait dans les parcs durant l'après midi, achetait quelque chose à manger et rentrait chez lui. Aragorn venait souvent manger avec lui les lundis, mercredis et vendredis, avant de le grignoter, le lécher et le manger lui. Et il adorait ça.
Il sortait de chez lui un matin et se dirigeait vers les bains quand il entendit, derrière lui :
- C'est lui !
Il se retourna et se trouva nez à nez avec trois hommes de haute taille et très musclés. Et l'un des trois était... Jacob. Ses yeux remplis de haine étaient fixés sur Burydan.
- C'est cette petite pute qui m'a larronné et frappé, dit-il à ses acolytes, chopons la !
Burydan tourna les talons et se mit à courir. A courir pour sa vie. Il passait par des ruelles, tournait à droite, à gauche, et entendait les pas de ses poursuivants. Il s'enfonçait dans les quartiers Est, dans des rues qu'il ne connaissait pas, et, soudain, il se retrouva dans un cul de sac. Un mur de 5 toises de haut en face de lui. Il voulut faire demi tour mais c'était trop tard, les trois hommes, essoufflés, étaient devant lui, prenant toute la largeur de la ruelle.
- Tu es fait comme un rat, sale petite pute, cracha Jacob. Tu vas morfler, salope. D'abord mes copains vont te passer dessus, à la dure. Et moi je m'occuperai de toi après. Quand j'en aurai fini avec toi tu me supplieras de t’achever pour abréger tes souffrances...
Burydan était fait, en effet. Sa vie défila devant ses yeux, et il se dit que c'était vraiment court. Il réfléchit. Il ne pouvait pas s'échapper. Ni se battre. Il ne pouvait pas imaginer gagner contre ces trois hommes. Ils étaient non seulement très musclés, mais avaient également sorti chacun un long coutelas. Ils avaient un rictus mauvais en imaginant tout ce qu'ils allaient lui faire subir avant de l'envoyer au cimetière. Une seule solution : se jeter sur l'un d'eux et s'empaler sur son couteau. Certes, il mourrait, mais au moins ce serait rapide. ''Ainsi disparu Burydan, pauvre et seul'' se dit-il. Il allait mettre son plan funeste à exécution quand une voix grave, dans le dos des trois hommes, dit :
- A trois conte un... et contre un enfant en plus... quelle lâcheté...
Les trois hommes se retournèrent et Burydan regarda par dessus leurs épaules. Un homme vêtu tout en noir, grand et élancé, les regardait. Il avait les cheveux noirs également, lui tombant jusqu'aux épaules, une fine moustache et une mouche de poils sous la lèvre inférieure. Un visage ovale et des yeux d'un noir profond.
- De quoi tu te mêles ? dit Jacob Passe ton chemin, ce ne sont pas tes affaires. A moins que tu veuilles que l'on s'occupe de toi aussi ?
L'homme pencha la tête et sourit. Il sortit une de leurs fourreaux une longue épée de sa main droite et une dague effilée de sa main gauche.
- Oh, on veut jouer les héro ? Occupez vous de lui, les gars, pendant que je m'amuse avec la petite pute.
Les deux hommes s'avancèrent vers l'homme en noir pendant que Jacob se retournait vers Burydan, un sourire cruel aux lèvres. Il avançait lentement, savourant le regard de terreur de Burydan.
- Et bien, nous ne sommes plus que tous les deux maintenant...
Ce n'était pas Jacob qui avait dit ça, mais l'homme en noir. Jacob se retourna. Ses deux amis gisaient à terre dans une mare de sang. Cela ne lui avait pris que deux minutes pour occire deux hommes armés de coutelas.
- Tu vois, si vous étiez partis en laissant ce garçon tranquille, vous seriez tous devant une bonne chopine à rigoler. Hélas, tu as fait le mauvais choix. Tes deux amis sont morts pour m'avoir attaqué, et, vu que c'est toi qui le leur a dit, toi aussi tu vas mourir...
Jacob hésita, puis se retourna de nouveau vers Burydan.
- Je vais peut-être crever, mais tu mourras avant moi, chien !
Il leva son couteau et Burydan ferma les yeux, attendant le choc... et... rien... il rouvrit les paupières et vit Jacob, le regard écarquillé, la bouche entrouverte. Burydan ne comprit pas tout de suite jusqu'à ce qu'il remarque, juste sous le menton de Jacob, cinq pouces d'une lame qui sortait. La lame disparue et Jacob s'effondra comme un pantin désarticulé. Burydan n'en revenait pas. Comment cet homme avait il pu se déplacer aussi vite pour frapper Jacob en plein dans la nuque.
- Ah, je déteste tuer un homme par derrière, dit l'homme en essuyant son épée sur les vêtements de Jacob et en la remettant au fourreau.... Ça va petit ?
Burydan ne répondit pas, trop hébété. Les yeux noirs se plantèrent dans ses yeux gris et l'homme blêmit. Il porta la main au fourreau de son épée et pâlit encore plus.
- Mak Teb... murmura-t-il.
- Euh... Bu... Burydan... et non... merci... pas de problème... grâce à vous... merci... et...
L'homme le fixait toujours, pâle comme un linge. Puis il se ressaisit et ramassa les escarcelles des trois morts.
- Prise de guerre... et droit de coutumière picorée... prends soin de toi, petit...
Burydan ne réagit pas pendant quelques secondes et rejoignit l'homme qui partait déjà.
- Euh, attendez... attendez... laissez moi vous remercier...
- Tu viens de le faire, non ?
- Oui, mais je veux dire... enfin, vous m'avez quand même sauvé la vie... laissez moi vous inviter à... boire un verre... ou même à manger...
L'homme continuait à avancer et dit :
- Si tu veux. Une auberge où j'ai mes habitudes sert un bon repas pour pas très cher...
- D'accord, je vous suis.
Ils cheminèrent par le quartier Est. Burydan n'était pas rassuré. Les maisons devenaient de plus en plus misérables, les ruelles de plus en plus étroites, les trottoirs de plus en plus jonchés de déchets. L'homme avait l'air extrêmement dextre à l'épée, mais si cinq ou six vaunéants leur courraient sus... Et ce qui devait arriver arriva. Dans une ruelle étroite, sept garçons, la mine patibulaire, étaient adossés à un mur. Quatorze yeux se braquèrent sur eux, et Burydan ravala sa salive.
Mais, à son plus grand étonnement, les garçons ne bougèrent pas. Et son étonnement grandit encore quand, alors qu'ils passaient devant eux, il les vit tous les sept enlever leurs bonnets ou leurs chapeaux et incliner la tête. Ce à quoi l'homme en noir répondait par un petit salut.
- Qui êtes-vous... Mak Teb ?
L'homme le regarda en fronçant les sourcils et éclata de rire...
- Je ne m'appelle pas Mak Teb, dit-il, mais Gershaw.
- Ah... alors qui êtes-vous Gershaw ?
Burydan était perplexe. Ça voulait dire quoi, alors ''Mak Teb'' ? Et pourquoi les truands enlevaient-ils leur bonnet et le saluaient comme ça ? Était-il un truand lui aussi ?
- Je ne suis qu'un simple habitant de Menast'Hérit Enfin, de Malkchour, pour être plus précis.
- C'est... c'est quoi Malkchour ?
- L'un des quartiers de la ville. D'ailleurs nous y arrivons.
Et Burydan n'en cru pas ses yeux... Passées les ruelles étroites et les maisons misérables, ils débouchèrent dans un quartier aux rues larges, au belles maisons à colombage, toutes bordées d'un petit jardinet égayé par des fleurs multicolores. On se serait plus cru dans un petit village champêtre que dans un quartier de Menast'Hérit.
Ils cheminèrent encore un petit moment et Gershaw s'arrêta devant une auberge, ''Au Pandaria''. Ils entrèrent. Toutes les conversations s'arrêtèrent et tous les yeux se braquèrent sur eux. Il y eut plusieurs signes de tête et les conversations reprirent. Un homme de haute stature et la bedondainne prononcée s'avança vers eux.
- Gershaw, dit-il d'une voix tonitruante, comment vas-tu ?
- Bien, Bien, et toi, Mists ?
- On ne peut mieux. C'est qui ce drôle ?
- Burydan... il m'invite à manger.
- Et bien bonjour, Burydan... tu as de l'argent ?
- Oh oui m'sieur...
- Parfait, installez vous alors, je vous apporte ça tout de suite...
Le repas était succulent, le picrate un peu âpre, mais coupé avec un peu d'eau, ça allait. Ils mangèrent en silence. Burydan était impressionné par Gershaw Surtout la façon dont il le regardait, de temps à autre. Il essaya de lui poser des questions, mais l'homme les éludait toutes.
- Et bien merci pour le repas, Burydan... et essaie de ne pas t'attirer d'autres ennuis... je ne serai pas toujours là...
Gershaw se leva et sortit. Burydan ne savait pas pourquoi, mais quelque chose lui disait qu'il fallait qu'il le suive. Il n'osa pas et resta là, à siroter un verre de clairet.
Il se leva à son tour et alla payer l'aubergiste.
- Dites moi, maître Mists, c'est qui cet homme ?
- Quoi ? Tu invites un homme à déjeuner et tu ne sais pas qui c'est .
- Ben, je sais qu'il s'appelle Gershaw, et il m'a tiré d'une... mauvaise situation... mais à part ça...
- Cet homme c'est Gershaw de Bélothie.
L'aubergiste avait dit ça comme si Burydan devait forcément connaître ce nom. Mais il n'en avait jamais entendu parler.
- Ne me dis pas que tu n'as jamais entendu parler de Gershaw de Bélothie...
- Et bien, en fait, non...
L'aubergiste leva les yeux au plafond.
- C'est le meilleur épéiste de tout Genesia petit.
Un épéiste... le meilleur de tout Genesia... il croyait que le meilleur épéiste de tout Genesia était le maître d'arme du Duc... et qu'est-ce que le meilleur épéiste de Genesia ferait à Malkchour ? Mais il avait vu la vitesse à laquelle il avait occis les trois hommes... alors, c'était possible... le meilleur épéiste de Genesia...
- Il prend des élèves ?
- Non, jamais...
- Jamais ?
- Jamais, pas un en plus de vingt ans...
- Mais, alors, de quoi vit-il ?
- Aucune idée, mais il est fort étoffé, paye rubis sur l'ongle et n'a aucune dette.
- Où habite-t-il ?
- Inutile, petit, je te dis qu'il ne prend pas d'élève...
- Où habite-t-il ?
L'aubergiste soupira.
- Prend à dextre en sortant d'ici. Continue sur la route jusqu'à ce que tu vois un sentier à ta senestre. Tout en haut, sur la colline, tu verras sa maison. Tu ne peux pas te tromper, c'est la seule. Et tu verras que Gershaw est le meilleur épéiste de Genesia mais aussi le pire jardinier.
L'aubergiste éclata de son rire tonitruant, Burydan le remercia et sortit. Il ne savait pourquoi, mais il sentait que c'était ça qu'il devait faire : devenir un épéiste. Il ne savait pas au juste ce que c'était, ni à quoi ça lui servirait, ni comment convaincre Gershaw, ni comment le payer s'il acceptait, mais il sentait, au fond de son âme, que c'est ce qu'il devait devenir : un épéiste.
Il continua sur la rue, prit le sentier et arriva devant une grande et belle maison de deux étages. Il comprit ce qu'avait voulu dire l'aubergiste en voyant le jardin, envahit de mauvaises herbes. Il franchit la clôture, trouva au sol des dalles de pierre qui avaient dû être blanches à une époque et arriva jusqu'au perron. Il saisit le heurtoir en forme de marmouset et frappa trois coups... pas de réponse... il frappa de nouveau et sursauta en entendant une voix derrière lui.
- Je t'attendais, dit Gershaw.
Il ouvrit la porte et entra.
- Vous... m'attendiez ?
- Mak Teb... allez, suis moi...