CHAPITRE XCIII
''Fortes fortuna iuvat''
''Fortes fortuna iuvat''
Burydan était anxieux. Il se demandait si, finalement, le roi n'avait pas pris ombrage qu'il refuse d'être le maître d'arme du dauphin. Un roi n'a pas l'habitude qu'on lui dise ''non''.
- Monsieur le capitaine, me conduit-on en geôle ?
- Je ne sais, monsieur, avez-vous commis quelque méfait ?
- Euh, pas que je sache, non.
- Ne vous inquiétez pas dit le capitaine en souriant, il est rare que nous conduisions un homme en prison en carrosse... c'est le chambellan de Son Altesse qui veut vous voir...
- Pourquoi ?
- Je ne sais. Il n'est pas dans mon rôlet de poser des questions. J'obéis aux ordres, le reste ne me regarde pas. Mais vous allez bientôt savoir le pourquoi, nous arrivons.
Le carrosse s'arrêta dans la cour du château.
- Monsieur, dit le capitaine, si vous voulez bien me remettre votre épée et votre dague. Les armes sont interdites dans l'enceinte du palais. Vous pourrez les récupérer en sortant. Du moins, si vous ressortez...
Burydan écarquilla les yeux et le capitaine éclata de rire.
Il fut donc délesté de son épée et de sa dague mais il avait toujours sa mini-arbalète au poignet. Elle ressemblait à un bracelet et personne ne sembla savoir ce que c'était.
Un homme en livrée le conduisit dans un dédale de couloirs et s'arrêta devant une porte.
- Si vous voulez bien espérer un petit ici, monsieur, je vais prévenir Sa Seigneurie.
Il attendit quelques minutes et le valet revint.
- Sa seigneurie va vous recevoir, monsieur.
Burydan entra dans la pièce, richement décorée.
- Monsieur de Malkchour, que je suis aise de vous revoir...
Burydan lui fit un profond salut en disant :
- Monsieur le chambellan, c'est un grand honneur pour moi.
- Je suppose que vous devez vous demander pourquoi je vous ai mandé céans...
- En effet, même si l'honneur qui m'est fait de vous...
- Point tant de cérémonies, monsieur de Malkchour, point tant de cérémonies... même si ma charge et mon nom font que je rencontre de nombreuses personnes qui disent en cent mots ce qu'on pourrait dire en quatre et qui m'assurent de leurs respectueux respects, je suis de la vieille école. Mon père, les dieux le gardent, m'a toujours appris que l'on doit juger un homme non par sa naissance ou ses titres, mais par ses actes. J'ai plus de respect pour un palefrenier qui fait bien son métier que pour un comte ou un marquis qui n'a jamais rien fait de ses dix doigts...
- C'est une façon de voir émérite mais fort peu courante dans la haute noblesse.
- Hélas, Malkchour, hélas. Mais, comme aurait dit mon défunt précepteur : ''nous ne referons pas l'histoire ce soir''. C'est le ''ce soir'' qui m'a toujours ébaudi... Mais revenons à nos provatos (1). Le roi a été ravi de votre passe d'arme avec maître Arthas et a donc décidé, dans sa grande générosité, de vous faire un petit présent.
- Je remercie Son Altesse pour cela.
- Vous le pouvez, vous le pouvez. Ça n'a pas été simple, croyez le bien, de trouver le-dit présent. Suivez moi.
Le chambellan se leva et Burydan le suivit. Ils empruntèrent de nouveau un grand couloir et s'arrêtèrent devant une petite porte. Le chambellan entra dans la pièce et s'effaça pour laisser la place à Burydan.
- Voici votre titre de propriété, Malkchour...
- Mon... mon titre de propriété ? Mais... de quoi...
- Eh bien de votre cadeau...
Le chambellan fit un geste vers le centre de la pièce. Deux gardes s'écartèrent et là, assis sur une chaise, les yeux hagards et des traces de larmes sur les joues...
- Rhonin ! dit Burydan.
- Ce drôlissou est à vous. Il est officiellement votre esclave et vous pouvez en faire ce que bon vous semble, dit le chambellan avec un petit sourire en coin.
- Mais c'est... c'est... par les dieux... comment puis-je remercier le roi ?
- Eh bien une lettre bien tournée serait une bonne idée. De plus, le roi m'a demandé de vous remettre ceci.
Le chambellan tendit une nouvelle feuille à Burydan. Quelques lignes de la main même du roi, son sceau... c'était une lettre d'introduction pour tous les autres souverains de Genesia.
- Malkchour, je vous laisse avec votre petit cadeau... amusez-vous bien... le carrosse vous attend et vous mènera où vous le désirerez... au plaisir de vous revoir...
Burydan s'était ressaisit et fit un profond salut.
Il s'approcha de Rhonin en souriant. Le petit minet, assis sur une chaise, semblait paniqué. Ses beaux yeux bleus étaient tout embués de larmes.
- Ho, maître, c'est vous, dit-il de sa jolie voix. Qu'est-ce que... qu'est-ce que je fais ici. Ces soldats m'ont sorti de chez dame Alduine et m'ont mené céans. Mais on ne m'a rien dit et dame Alduine avait l'air furieuse... va-t-on... va-t-on me serrer en geôle ? Pourtant je n'ai rien fait de mal... je...
- Viens avec moi, le coupa Burydan. Je t'expliquerai.
Rhonin, tout trémulant, se leva et prit la main que Burydan lui tendait. Ils sortirent du palais et grimpèrent dans le carrosse qui les attendait. Le capitaine qui avait accompagné Burydan au palais était de nouveau avec eux, et il regardait Rhonin avec des yeux de rapace et un sourire gourmand aux lèvres. Burydan avait l'impression de lire dans ses pensées, il imaginait toutes les choses salaces qu'il pourrait faire au minet si on lui laissait l'occasion.
Revenus à l’auberge, Burydan fit un petit salut au capitaine qui lui rendit ses armes et prit Rhonin par la main. Il l'entraîna jusqu'à sa chambre et, sitôt la porte refermée, il l'enlaça tendrement en le serrant fort dans ses bras musclés.
(1) Provato : mâle de la provata. Mammifère ruminant de la race ovine, élevé pour sa laine et sa chair. Très semblable au mouton.