26-07-2020, 06:20 PM
CHAPITRE IX
''Animus meminisse horret''
Un matin, son père entra dans sa chambre à l'aube. Burydan se figea. Son père ne pénétrait dans sa chambre que pour une chose : le battre. Certes, il faisait généralement ça le soir, en rentrant ivre de la taverne, mais il se dit qu'il avait peut-être changé ses habitudes.
- Lève toi, fainéant. Tu m'accompagnes à Der el Medineh, j'ai des semences à acheter.
Der el Medineh était un gros bourg à quelques lieux d'El'Amarna.
- Et ne lambine pas, mauvaise graine, c'est le vieux Aloïs qui nous y amène sur sa charrette. En plus, il y aura un spectacle...
Son père eut un sourire mauvais, et Burydan pâlit. La dernière fois que son père l'avait amené au ''spectacle'', c'était pour voir l'exécution d'une sentence contre cinq voleurs. La justice ducale était simple : pour vol, si vous étiez mineur, c'était les galères, si vous étiez majeur, on vous tranchait la main.
Toute une foule se pressait autour de l'échafaud, ravie d'avoir un divertissement. Un bourreau encagoulé se tenait à côté d'un billot de bois, une grande hache à la main.
Le premier condamné fut amené vers le billot. Il sanglotait et implorait la clémence, en vain. On le mit à genoux et on plaça son poignet sur le billot. Le bourreau leva sa hache et tchac, trancha la main. La foule applaudit en riant. Le condamné hurlait de douleur, hurlements qui redoublèrent quand on lui cautérisa la plaie au fer rouge. Trois autres condamnés eurent droit au même sort, et la foule retint son souffle quand le cinquième arriva. Burydan ne comprit pas tout de suite pourquoi, jusqu'à ce qu'il vit que le pauvre homme avait déjà une main en moins. Le juge venait de le condamner soit à vivre comme une bête, lapant sa nourriture, soit à mourir de faim. Lorsque la dernière main de l'homme fut tranchée, la foule applaudit à tout rompre et plusieurs rires fusèrent. Et Burydan se demandait à quel ''spectacle'' il aurait droit cette fois ci...
Aloïs les déposa à côté de la boutique où son père acheta des semences puis ils se dirigèrent vers la place centrale. Une grande foule se pressait déjà, et certains s'étaient agglutinés sur le bord de la rue où devait passer la charrette des condamnés.
Le bruit des roues grinçantes se fit entendre. Burydan vit, avec étonnement, deux garçons, nus, qui se tenaient debout, bringuebalés par les cahots de la charrette sur les pavés de la rue. Ils étaient très jeunes. L'un d'eux, qui pleurait à gros sanglots, devait avoir 14 ans à peine, et l'autre, qui semblait ne pas réaliser ce qui se passait, devait avoir dans les 17 ans.
Les badauds les insultaient quand ils passaient devant eux, les traitant de ''dégénérés'', ''boules de vice'', ''sodomites'' et leur crachaient dessus, leur jetaient des pierres ou des fruits pourris.
Arrivés devant l'échafaud, on les fit descendre et le héraut dit d'une voix forte :
- Joam et Salim, vous avez été reconnus coupables de bougrerie par le tribunal. Comme le veut la loi, vous recevrez trente coups de fouet, serez émasculés et pendus jusqu’à ce que mort s'ensuive.
La foule applaudit.
Deux bourreaux encagoulés prirent les deux garçons et attachèrent leurs chevilles et leurs poignets à des croix en X. Ils se reculèrent, sortirent leurs fouets et attendirent le signal du héraut. Puis les fouets claquèrent et les cris de douleur fusèrent. Burydan entendait le claquement du fouet et voyait la peau juvénile des dos éclater sous les coups. Les cris s'arrêtèrent, les deux garçons s'étaient évanouis. Au bout d'un moment interminable, les trente coups de fouets furent donnés, laissant les dos à l'état d'amas de chair sanguinolente.
L'un des bourreaux prit un seau d'eau et le jeta au visage du plus jeune des garçons. Il ne bougea pas. Un médecin vint et déclara qu'il était mort, la douleur l'ayant tué.
La foule le hua.
Le deuxième, une fois aspergé d'eau, gémit. La foule applaudit, le spectacle n'était pas fini.
Les deux bourreaux le montèrent sur l'échafaud et accrochèrent ses mains en haut d'un poteau. On lui noua une cordelette à la racine du sexe et des testicules. Le bourreau se saisit d'une énorme cisaille. ''Non, se dit Burydan, il ne va quand même pas...''. Le bourreau écarta les deux lames et plaça le sexe entre.
- Et coupe bien à ras, dit une femme à coté de lui, ridée comme une vieille pomme et n’ayant plus que deux dents.
Quelques rires fusèrent et soudain... tchac... le sexe fut tranché net. Un grand cri retentit et une énorme quantité de sang jaillit de la plaie béante. Burydan ne vit pas la suite. Il fendit la foule, s'appuya contre un mur et vomit un long moment.
Quand il se retourna, il vit qu'on avait émasculé le cadavre du jeune garçon également, et on les avait pendus tous les deux. La foule se dispersait, pestant qu'un seul des deux ait survécu aux coups de fouet.
Il fit des cauchemars pendant des semaines par la suite. Il revoyait les visages des deux garçons, leurs petits corps tremblants, le bruit des fouets qui claquaient, la peau des dos qui se déchirait, les cris de douleur, le tchac de la cisaille et le sang... l'odeur du sang qui lui donnait encore la nausée.
Burydan regarda Darren qui dormait. ''Est-ce que se faire masturber par un autre garçon fait de moi un bougre ?'' se demanda-t-il. Il décida que cet épisode était une erreur. Il avait pris du plaisir, certes, mais c'était un plaisir malsain, contre-nature... Ne plus en parler, ne plus y penser, et surtout ne plus jamais le refaire. Jamais !
Les deux cousins se levèrent aux aurores le lendemain. Au plus grand soulagement de Burydan, Darren ne fit aucune allusion à ce qui s'était passé la nuit. Ils descendirent à la cuisine. Seules leurs mères étaient là, leurs pères cuvant encore leur picrate, la maison résonnant de leurs ronflements d'ivrognes. Ils prirent quatre énormes tranches de pain frais, les tartinèrent de beurre et vaquèrent à leurs corvées matinales. Ils allèrent d'abord s’occuper de Mavros, la vitula, se servant un bol de lait chaud et crémeux directement à son pis. Ils changèrent sa paille, remplirent sa mangeoire, firent de même pour Iskion, le cheval de trait, ramassèrent les œufs, s'en gardant quatre pour midi, etc...
Il était dix heures quand ils finirent. Ils repassèrent par la cuisine, prirent une grosse miche de pain, un petit fromage frais (quand les parents de Darren venaient, Burydan mangeait à sa faim, son père voulant faire bonne impression à son frère) et se dirigèrent vers leur repaire.
Burydan et Darren l'avait découvert quand ils étaient encore tout petits. Un carré d'herbe que Burydan fauchait régulièrement, à quelques toise de la rivière où ils aimaient aller se baigner, entouré de hauts buissons qui le dissimulaient à la vue de tous. Un grand arbre, dans un angle, dispensait une ombre bienvenue lors des grandes chaleurs.
En chemin, ils cueillirent quelques champignons et se préparèrent une omelette, puis des tartines de fromage frais, le tout arrosé de la bonne eau fraîche de la rivière. Un vrai festin. Une fois rassasiés ils empilèrent leurs vêtements dans un coin et, nus comme des vers, se jetèrent à l'eau et s'y égayèrent pendant des heures, riant comme les enfants qu’ils étaient.
Ils s'allongèrent sur l'herbe fraîche de leur cachette, laissant les rayons de Shagma sécher leur peau. Les yeux fixés au ciel, ils restèrent silencieux un long moment, puis Darren dit :
- Tu regrettes, hein ?
Le sang de Burydan se glaça dans ses veines. Il voulait à tout prix éviter cette discussion.
- Écoute, Darren, je préférerais qu'on oublie ce qui s'est passé. On aurait pas dû faire ça. C'était... mal. Une erreur. Un moment d'égarement.
- Oh, dit Darren, t'as pas aimé ?
- Si, avoua Burydan, c'est justement ça le problème. Mais ce sont les bougres qui se caressent, et nous ne sommes pas bougres.
Darren ne dit rien pendant un petit moment, et dit :
- Moi si...
Burydan resta interdit et regarda son cousin, les yeux écarquillés et bouche bée. Ne sachant quoi dire, il se tu, et Darren précisa :
- Moi, je suis bougre...
- Tu es... toi... mais... c'est arrivé... quand...
Darren eut un pâle sourire.
- Bébé, contrairement aux idées reçues, on ne devient pas bougre du jour au lendemain. Et ce n'est pas non plus un choix. Je me suis pas levé un matin en me disant :''tiens, si je m'intéressais aux hommes...''. Je suis né comme ça.
- Mais tu... en es... sûr ?
- Certain.
- Tu as déjà fait des... trucs... avec un autre garçon ?
- Non, jamais.
- Ben alors, comment tu peux en être sûr ?
- Je n'ai jamais rien fait avec un garçon. Enfin, jusqu'à hier soir. Mais j'ai déjà fait des... trucs, comme tu dis avec un... homme.
- Ah bon ?! Qui ça ?
- Mérigaud...
- Ton... ton voisin... il est bougre ?
- Oui.
- Mais il a l'age de ton père...
- Oui.
- Comment... comment c'est arrivé ?
Darren pris une grande inspiration et mis ses mains derrière sa tête.
- C'était il y a un peu moins d'un an...