CHAPITRE 19 (Philippe)
« Aix en Provence, deux jours plus tard »
L’assistante du psychiatre fait entrer les cinq personnes dans la salle d’attente et part ensuite prévenir son patron de leur arrivée.
Maryse et Michel encadrant tel un trésor leur petit-fils qui depuis ces deux derniers jours a été pour eux d’une affection à toute épreuve et laisse les deux vieillards dans une joie débordante que leurs prières soient enfin exaucées.
Hellènes les regarde tous les trois avec la même joie au cœur, les larmes qu’elle ne peut retenir étant cette fois celles d’un nouveau bonheur qui semble leur avoir été accordé après ces longues années de désespoirs et de tristesses maintenant loin derrière eux, du moins c’est ce qu’elle espère de tout cœur.
Pierre quant à lui, repense en boucle à toutes les conversations qu’il a eues avec son fils depuis qu’il lui est tombé en pleurs dans les bras en se disant perdu dans un monde qui n’est pas le sien.
Cette vie qu’aurait vécue Florian semble tellement irrationnelle, qu’il lui a fallu au début du moins qu’il fasse de gros efforts pour le laisser poursuivre sans le traiter de menteur.
Ils ont parlé pendant des heures, enfin surtout son fils et Pierre doit bien convenir que jamais il ne s’est coupé alors qu’il lui posait des questions dans ce sens pour le mettre en défaut et c’est ce pourquoi ils sont dans cette salle d’attente aujourd’hui, pour qu’un spécialiste fasse la part de vérité dans toute cette histoire rocambolesque.
Il doit pourtant bien s’avouer que le Florian de ces deux derniers jours est à l’opposé de celui qu’ils ont toujours connu, passionné là où il était blasé, gentil là où il n’y avait que méchanceté et surtout aimant alors que durant toutes ces années il ne leur avait montré que de l’indifférence pour ne pas dire de la haine.
Pierre observe ses parents avec le sourire, ils semblent avoir rajeuni de plusieurs années et leur gaieté lui donne un plaisir indescriptible, celui de cette lueur joyeuse qu’il ne croyait plus jamais revoir dans leurs yeux.
Les larmes de sa femme lui font du bien également, car il comprend qu’elles marquent une transition totale avec la dépression affective qui était la sienne depuis quelques années.
La porte du cabinet de consultation du docteur Espinach s’ouvre et le psychiatre les observe un instant avant de mettre les pieds dans la salle d’attente pour les saluer.
Il connaît la famille De Bierne pour avoir un temps tenté de comprendre le psychisme de cet enfant difficile qui a été un de ses plus grands échecs d’une carrière pourtant longue.
Philippe soupire en se disant qu’il va devoir une fois encore supporter l’arrogance de ce jeune démon, qu’il ait sept ou huit ans de plus que la dernière fois qu’il l’a reçu en consultation lui donne par avance des crispations à l’estomac et sa surprise n’a d’égal que cette crainte quand il s’entend interpeller amicalement par le jeune rouquin qui depuis son entrée a les yeux braqués sur lui.
- Bonjour Philippe !! Je suis content de te revoir !!
Le tutoiement tout comme le ton amical met Philippe dans un ahurissement tel, qu’il en perd un bref instant son masque professionnel et reste hébété sans trouver les mots pour répondre.
***/***
Je me lève d’entre mes grands-parents pour le rejoindre, mes yeux ne quittent pas les siens qui marquent toute la surprise de mes paroles et je suis conscient qu’il va me falloir trouver les bonnes explications pour qu’il accepte ma vérité.
- Tu m’as beaucoup aidé lorsque je voulais en finir, tu as su trouver les mots pour que j’aie envie de m’accrocher à la vie et si j’ai accepté ma condition d’alors, c’est grâce à toi.
- Mais de quoi parlez-vous donc jeune homme ? Je n’ai pas souvenir que nos entretiens aient servi à grand-chose !! Auriez-vous perdu l’esprit ??
- (Pierre) C’est justement ce que nous sommes venus découvrir docteur, je pense qu’il va falloir déjà vous expliquer les événements de ces dernières semaines.
CHAPITRE 20 (Philippe) (suite)
« Dans le cabinet du docteur Espinach, une heure plus tard »
- (Philippe) Cette histoire est complètement invraisemblable !! Je suis désolé de te le dire aussi brusquement Florian !! Mais, ou le coup sur la tête t’a donné des hallucinations !! Ou encore ton coma t’a fait rêver tout cela et en se reconstruisant, il a pris ce rêve pour la réalité en effaçant le reste. Que tu ne te souviennes de rien de ta vraie vie ne m’étonne par contre qu’à moitié !!
Philippe place sa main sur le dossier médical qu’ils lui ont apporté pour justifier leur visite.
- Le scanner montre très bien les lésions et il ne fait aucun doute que des séquelles sérieuses soient à l’origine de l’amnésie que tu ressens en ce moment, que ton cerveau ait… « bouché » les… « trous » en inventant cette histoire cousue de fils blancs ne m’étonne pas outre mesure. Ce fait s’est déjà produit, quoique rarement pourtant et pas à ce point dans le détail comme pour toi mon garçon.
- Tu penses vraiment que c’est le fruit de mon imagination ?
- J’en suis persuadé en effet !!
- Et pour mes souvenirs perdus ? Reviendront-ils un jour et si c’est le cas, redeviendrai-je comme avant ?
- (Philippe) Pour ça rassure-toi, ton changement de comportement est trop radical !! Il serait franchement étonnant que tu redeviennes celui d’avant l’accident et si je peux me permettre cette réflexion, c’est tant mieux pour tout le monde !!
- J’étais donc si mauvais ??
- (Philippe) Le mot est bien faible !! En fait cet accident a été salutaire pour beaucoup de monde !!
- Pas pour le chauffeur de la camionnette en tout cas !!
- J’ai dit beaucoup, pas « tout » le monde et rien que le fait que tu montres autant d’empathie envers cet homme tenterait à prouver mes dires, Mister Hyde s’est transformé en docteur Jeckyl et c’est tant mieux.
- Comment je vais faire maintenant ?
Philippe observe la moue boudeuse avec un sourire qu’il ne peut pas retenir, tellement il se sent en phase avec ce nouveau Florian qui est à l’opposé de celui dont le souvenir l’a longtemps marqué.
Il comprend néanmoins le sens de ses paroles, le fait qu’il s’en inquiète montre l’intelligence de ce jeune homme perdu dans des souvenirs factices et pour qui la réalité des choses est une grande inconnue.
- Il va te falloir être patient !! Tu devras beaucoup parler avec tes parents pour retrouver les bases fondamentales de ce que tu as vécu jusqu’à aujourd’hui.
- C’est surtout de savoir qui sont mes amis, où j’en suis dans mes études et qu’est-ce qu’il va advenir de moi avec le casier chargé que je dois avoir si ce que j’ai déjà entendu sur moi est exact.
- (Philippe) Tes amis ? Oublie-les, crois-moi c’est le mieux à faire ! Tes études ? Il va te falloir du courage pour accepter la réalité et si tu as envie d’en faire, je suis certain que tes parents feront ce qu’il faut pour que tu le puisses. D’ailleurs !! As-tu une idée de ce que tu veux faire ?
- (Pierre) Sa voie est toute tracée !! Il reprendra les rênes de l’entreprise familiale !!
- J’avais déjà occulté cette option dans mes autres vies !! Même si celles-ci n’étaient qu’issues de mon imagination comme vous semblez tous le croire !! Pourquoi pas médecin ? J’adore soigner les gens !!
- (Pierre) Je crains que ton niveau d’étude ne te permette pas cette option, n’oublie pas que tu as quitté le lycée depuis plusieurs mois et que ce n’était pas folichon niveau notation !!
- Je me sens capable de passer mon BAC si ce n’est pas trop tard !! Je tiens réellement à être médecin vous savez ?
Je me tourne vers Philippe avec une idée soudaine qui m’apparaît comme lumineuse et devrait permettre de vérifier certains trucs qui s’ils se révélaient exacts, remettraient je pense beaucoup de choses en questions et pas que pour eux.
- D’ailleurs je t’ai soigné, toi !!
- (Philippe surpris) Comment ça ?
- Je me rappelle que tu m’avais parlé de tes crises d’asthme qui se sont déclarées à tes huit ans et que depuis que tu me connaissais, elles avaient disparues comme par miracle !!
Je semble être tombé dans le mille à voir la tête qu’il fait, je ne suis d’ailleurs pas mieux loti que lui niveau ahurissement de ce qu’impliquent mes dernières paroles et surtout en me rendant compte qu’elles ne viennent pas de mon vécu qui pour moi est censé être réel, mais tirer directement de mon rêve.
C’est donc d’une voix marquée par le trouble que je lui pose la question, attendant avidement sa réponse.
- Tu es bien asthmatique ?
CHAPITRE 21 (Philippe) (suite)
Philippe prend le temps d’analyser ma question, son regard redevient professionnel quand il me répond.
- C’est exact ! Mais je ne l’ai jamais caché et il est possible que lors d’une de nos séances, j’ai sans doute pris ma Ventoline devant toi comme ça m’arrive parfois quand j’ai une crise pendant mon travail.
Là, il marque un point et c’est avec dépit que je dois bien reconnaître qu’il peut avoir raison, mais je ne m’avoue pas facilement vaincu et il m’en a raconté suffisamment sur lui pendant toutes ces années où nous étions amis, pour que je trouve une faille qui le fera réfléchir à ce que peut-être tout n’est pas aussi simple qu’il semble le croire.
Un meuble ancien à la droite de son bureau m’amène alors des souvenirs remontant loin dans cette enfance merveilleuse où j’étais heureux de vivre.
- Te rappelles-tu avoir jamais ouvert ce meuble devant un de tes patients ?
- (Philippe) Je l’aurais voulu que ça m’ait été impossible, j’en ai égaré les clés il y a bien longtemps et ce qu’il contient ne sont que des souvenirs de ma propre enfance.
- Je me souviens pourtant t’avoir vu l’ouvrir une fois !!
- (Philippe) C’est impossible !!
- J’avais quatre ans alors et mes grands-parents m’avaient amené en consultation à cause d’un problème de mal-être que j’avais à suivre ma maternelle,
- (Philippe) Et pourquoi donc l’aurais-je ouvert ?
- Pour me prêter un livre afin de me faire patienter le temps d’avoir une conversation sur les raisons qu’ont eues mes grands-parents à m’amener chez toi.
- (Philippe) Quel genre de livre était-ce donc ?
- Oh !! Un très beau livre illustré que d’ailleurs tu m’as offert pour que je puisse terminer de le lire, c’était l’histoire de Moby Dick et je revois encore la couverture en carton gaufré aux enjolivures rouges au milieu de laquelle une énorme baleine blanche sortait de l’eau.
***/***
Pierre écoute depuis le début cette conversation qui au départ était toute professionnelle et qui au fur et à mesure s’est mise à dériver, perdant son aspect pédagogique pour devenir irrationnelle.
Quelque chose se passe entre son fils et le psychiatre, à commencer par le vouvoiement qui très vite s’est transformé en une conversation moins solennelle et surtout visiblement plus amicale, pour ensuite partir dans une direction inattendue.
Les paroles de son fils qui pour lui n’ont aucun sens si ce n’est de prouver combien le coup qu’il a reçu sur le crâne l’a fortement affecté, ont ensuite pris un tour surprenant du fait des réactions du spécialiste qui maintenant éprouve un intérêt croissant qui lui semble bien loin de ce pour quoi ils sont venus consulter.
- (Pierre) Allons Florian !! Comment veux-tu que ce que toi-même reconnais n’avoir été qu’un rêve, puisse avoir une quelconque réalité dans la vraie vie ?
- J’attends que Philippe me réponde papa !!
- (Pierre) Et bien docteur !! Ne laissez donc pas mon fils penser plus longtemps que cette histoire pourrait avoir un fond de vérité, cela ne l’aidera en rien à résoudre les problèmes qu’il va devoir rencontrer en sortant de votre cabinet.
- (Philippe troublé) Si vous voulez m’excuser un instant !! Je ne serai pas long !!
Il sort de son bureau en s’excusant une nouvelle fois et nous laisse seul, Pierre en profite pour avoir une conversation avec son fils.
- Crois-tu que tes paroles vont changer quoi que ce soit ? Comment peux-tu même un instant imaginer qu’un rêve pourrait avoir un impact sur la réalité, tu ferais mieux de réfléchir sérieusement à ses paroles pleines de bon sens.
- Pourquoi alors ne m’a-t-il pas renvoyé dans mes quinze mètres ? Je pense au contraire que quelque chose l’a troublé dans mes paroles.
Michel qui jusque-là ainsi que le reste de la famille s’était contenté d’écouter sans rien dire, prend la parole à son tour.
- Attendons de savoir ce qu’est parti faire le psy avant d’être aussi catégorique !!
- (Pierre) Tu ne vas pas te mettre à croire à toutes ces élucubrations issues d’un cerveau alors malade toi aussi ?
- (Michel) Quelque chose perturbe le docteur, Pierre !! Tu aurais dû faire plus attention à son visage, quelque chose me dit que nous allons aller de surprises en surprises.
- (Pierre) Tu as entendu comme moi pourtant !!
- (Michel) Justement !! C’est ce que j’ai entendu qui m’a fait réfléchir et si tu n’as pas fait attention à l’effarement évident pourtant du psy, regarde au moins ta mère!!
CHAPITRE 22 (Philippe) (fin)
Pierre fixe son père incrédule, il reporte ensuite son attention vers sa mère en se demandant bien où il veut en venir.
- Eh bien oui !! Quoi !! Maman est aussi curieuse que moi de savoir à quoi tu fais allusion il me semble, pas vrai m’man ?
- (Maryse) Je ne vois pas où veut en venir ton père.
- (Pierre amusé) Et bien tu n’es pas toute seule !!
Hellènes depuis le départ de Philippe observe son fils attentivement tout en écoutant la conversation et quand celui-ci fixe sa grand-mère avec de grands yeux émerveillés, elle reporte son regard vers Maryse en cherchant ce qui a bien pu lui amener une telle expression.
Ce qu’elle voit est une vieille femme alerte et attentive, les yeux brillants du plaisir encore récent d’avoir autour d’elle une famille enfin débarrassée de ces démons et se tenant avec une certaine élégance sur son siège, montrant ainsi la fierté qu’elle ressent de pouvoir enfin profiter de ceux qu’elle aime.
Hellènes comprend d’un coup les dernières paroles de Michel, ses yeux marquent l’effarement quand ils repartent aussitôt dans la direction de son fils et se retrouvent noyés dans son regard si pénétrant qui brille comme un soleil.
Des paroles lui reviennent alors en mémoire, celles de son fils racontant cette vie qui pour lui est la seule gravée dans ses souvenirs mais surtout ce rêve qu’il aurait fait où sa salive avait la particularité de guérir.
Elle revoit alors Maryse étendue sans vie sur le lit de la chambre d’amis avec Florian lui prodiguant les premiers secours et surtout en lui insufflant par la bouche l’oxygène nécessaire à maintenir son cerveau en état en attendant une prise en main médicalisée.
Une réflexion du médecin urgentiste s’étonnant de la rapidité avec laquelle Maryse s’est remise de son arrêt cardiaque et surtout l’étonnante santé qu’ont révélé les examens fait ensuite sur elle, s’étonnant qu’avec de tels résultats son cœur ait eu cette défaillance.
D’autres images lui reviennent, comme par exemple sa sortie de l’hôpital où elle a refusé le bras de son fils en prétextant qu’elle ne s’était jamais sentie aussi bien depuis très longtemps.
Hellènes va pour en faire la remarque à haute voix quand elle s’aperçoit du changement dans le regard de Florian qui a sans doute suivi ses pensées et du mouvement de sa tête allant plusieurs fois subrepticement de droite à gauche, lui signifiant qu’il préférerait qu’elle n’en fasse rien.
Elle referme donc la bouche sans prononcer une parole, replongeant dans ses pensées pour tenter de comprendre les implications de ce qu’elle croit avoir découvert et quand le psychiatre entre à nouveau dans son bureau, elle sait déjà qu’elles sont ses intentions et n’attend plus qu’à avoir la preuve qu’elle ne s’est pas trompée.
***/***
Philippe tient en main un énorme trousseau de clés, il regarde la famille curieuse de le lui voir dans la main et sourit en donnant ses explications.
- Ça fait un moment que je voulais ouvrir cette armoire !! Il y en aura bien une qui ira dans tout ce lot de vieilles clés et quel moment serait le plus judicieux, je vous le demande !!
- (Pierre) Vous n’allez quand même pas entrer dans son jeu ? Le choc est encore récent et Florian confond encore le réel de l’imaginaire.
Philippe s’agenouille devant la porte de l’armoire et commence à essayer les clés une à une.
- Justement !! C’est le meilleur moyen pour lui en faire prendre conscience !! Non, ce n’est pas celle-là !! Peut-être !! Non plus !! Ah !! Ça a l’air de rentrer !!
Un clic retentit dans le bureau, suivi du sourire de satisfaction de Philippe qui ouvre alors la porte et plonge son regard à l’intérieur, ses mains en font de même pendant quelques longues secondes avant qu’elles ne se figent et que son visage devienne soudainement tout pâle.
Ses mains sortent alors de l’armoire en tenant ce qui ressemble à un livre très ancien, ses yeux restent un long moment fixés sur la couverture avant qu’il ne se relève pour le déposer sur son bureau en fixant le petit rouquin qui a alors un sourire de victoire.
Tous peuvent voir alors l’enluminure rouge légèrement passée par l’âge au centre de laquelle une énorme baleine blanche semble jaillir de l’eau.
- Mon Dieu !!! Comment est-ce possible !!
Je maintiens son regard, aussi ahuri que lui mais surtout cherchant au plus profond de mon cerveau ce qui pourrait expliquer l’inexplicable.
- Maintenant mon cher Philippe, il va nous falloir nous mettre au boulot !! J’espère qu’il reste de la place dans tes horaires de consultation ces prochaines semaines !! Nous avons tous les deux quatorze ans à rattraper !!
« Aix en Provence, deux jours plus tard »
L’assistante du psychiatre fait entrer les cinq personnes dans la salle d’attente et part ensuite prévenir son patron de leur arrivée.
Maryse et Michel encadrant tel un trésor leur petit-fils qui depuis ces deux derniers jours a été pour eux d’une affection à toute épreuve et laisse les deux vieillards dans une joie débordante que leurs prières soient enfin exaucées.
Hellènes les regarde tous les trois avec la même joie au cœur, les larmes qu’elle ne peut retenir étant cette fois celles d’un nouveau bonheur qui semble leur avoir été accordé après ces longues années de désespoirs et de tristesses maintenant loin derrière eux, du moins c’est ce qu’elle espère de tout cœur.
Pierre quant à lui, repense en boucle à toutes les conversations qu’il a eues avec son fils depuis qu’il lui est tombé en pleurs dans les bras en se disant perdu dans un monde qui n’est pas le sien.
Cette vie qu’aurait vécue Florian semble tellement irrationnelle, qu’il lui a fallu au début du moins qu’il fasse de gros efforts pour le laisser poursuivre sans le traiter de menteur.
Ils ont parlé pendant des heures, enfin surtout son fils et Pierre doit bien convenir que jamais il ne s’est coupé alors qu’il lui posait des questions dans ce sens pour le mettre en défaut et c’est ce pourquoi ils sont dans cette salle d’attente aujourd’hui, pour qu’un spécialiste fasse la part de vérité dans toute cette histoire rocambolesque.
Il doit pourtant bien s’avouer que le Florian de ces deux derniers jours est à l’opposé de celui qu’ils ont toujours connu, passionné là où il était blasé, gentil là où il n’y avait que méchanceté et surtout aimant alors que durant toutes ces années il ne leur avait montré que de l’indifférence pour ne pas dire de la haine.
Pierre observe ses parents avec le sourire, ils semblent avoir rajeuni de plusieurs années et leur gaieté lui donne un plaisir indescriptible, celui de cette lueur joyeuse qu’il ne croyait plus jamais revoir dans leurs yeux.
Les larmes de sa femme lui font du bien également, car il comprend qu’elles marquent une transition totale avec la dépression affective qui était la sienne depuis quelques années.
La porte du cabinet de consultation du docteur Espinach s’ouvre et le psychiatre les observe un instant avant de mettre les pieds dans la salle d’attente pour les saluer.
Il connaît la famille De Bierne pour avoir un temps tenté de comprendre le psychisme de cet enfant difficile qui a été un de ses plus grands échecs d’une carrière pourtant longue.
Philippe soupire en se disant qu’il va devoir une fois encore supporter l’arrogance de ce jeune démon, qu’il ait sept ou huit ans de plus que la dernière fois qu’il l’a reçu en consultation lui donne par avance des crispations à l’estomac et sa surprise n’a d’égal que cette crainte quand il s’entend interpeller amicalement par le jeune rouquin qui depuis son entrée a les yeux braqués sur lui.
- Bonjour Philippe !! Je suis content de te revoir !!
Le tutoiement tout comme le ton amical met Philippe dans un ahurissement tel, qu’il en perd un bref instant son masque professionnel et reste hébété sans trouver les mots pour répondre.
***/***
Je me lève d’entre mes grands-parents pour le rejoindre, mes yeux ne quittent pas les siens qui marquent toute la surprise de mes paroles et je suis conscient qu’il va me falloir trouver les bonnes explications pour qu’il accepte ma vérité.
- Tu m’as beaucoup aidé lorsque je voulais en finir, tu as su trouver les mots pour que j’aie envie de m’accrocher à la vie et si j’ai accepté ma condition d’alors, c’est grâce à toi.
- Mais de quoi parlez-vous donc jeune homme ? Je n’ai pas souvenir que nos entretiens aient servi à grand-chose !! Auriez-vous perdu l’esprit ??
- (Pierre) C’est justement ce que nous sommes venus découvrir docteur, je pense qu’il va falloir déjà vous expliquer les événements de ces dernières semaines.
CHAPITRE 20 (Philippe) (suite)
« Dans le cabinet du docteur Espinach, une heure plus tard »
- (Philippe) Cette histoire est complètement invraisemblable !! Je suis désolé de te le dire aussi brusquement Florian !! Mais, ou le coup sur la tête t’a donné des hallucinations !! Ou encore ton coma t’a fait rêver tout cela et en se reconstruisant, il a pris ce rêve pour la réalité en effaçant le reste. Que tu ne te souviennes de rien de ta vraie vie ne m’étonne par contre qu’à moitié !!
Philippe place sa main sur le dossier médical qu’ils lui ont apporté pour justifier leur visite.
- Le scanner montre très bien les lésions et il ne fait aucun doute que des séquelles sérieuses soient à l’origine de l’amnésie que tu ressens en ce moment, que ton cerveau ait… « bouché » les… « trous » en inventant cette histoire cousue de fils blancs ne m’étonne pas outre mesure. Ce fait s’est déjà produit, quoique rarement pourtant et pas à ce point dans le détail comme pour toi mon garçon.
- Tu penses vraiment que c’est le fruit de mon imagination ?
- J’en suis persuadé en effet !!
- Et pour mes souvenirs perdus ? Reviendront-ils un jour et si c’est le cas, redeviendrai-je comme avant ?
- (Philippe) Pour ça rassure-toi, ton changement de comportement est trop radical !! Il serait franchement étonnant que tu redeviennes celui d’avant l’accident et si je peux me permettre cette réflexion, c’est tant mieux pour tout le monde !!
- J’étais donc si mauvais ??
- (Philippe) Le mot est bien faible !! En fait cet accident a été salutaire pour beaucoup de monde !!
- Pas pour le chauffeur de la camionnette en tout cas !!
- J’ai dit beaucoup, pas « tout » le monde et rien que le fait que tu montres autant d’empathie envers cet homme tenterait à prouver mes dires, Mister Hyde s’est transformé en docteur Jeckyl et c’est tant mieux.
- Comment je vais faire maintenant ?
Philippe observe la moue boudeuse avec un sourire qu’il ne peut pas retenir, tellement il se sent en phase avec ce nouveau Florian qui est à l’opposé de celui dont le souvenir l’a longtemps marqué.
Il comprend néanmoins le sens de ses paroles, le fait qu’il s’en inquiète montre l’intelligence de ce jeune homme perdu dans des souvenirs factices et pour qui la réalité des choses est une grande inconnue.
- Il va te falloir être patient !! Tu devras beaucoup parler avec tes parents pour retrouver les bases fondamentales de ce que tu as vécu jusqu’à aujourd’hui.
- C’est surtout de savoir qui sont mes amis, où j’en suis dans mes études et qu’est-ce qu’il va advenir de moi avec le casier chargé que je dois avoir si ce que j’ai déjà entendu sur moi est exact.
- (Philippe) Tes amis ? Oublie-les, crois-moi c’est le mieux à faire ! Tes études ? Il va te falloir du courage pour accepter la réalité et si tu as envie d’en faire, je suis certain que tes parents feront ce qu’il faut pour que tu le puisses. D’ailleurs !! As-tu une idée de ce que tu veux faire ?
- (Pierre) Sa voie est toute tracée !! Il reprendra les rênes de l’entreprise familiale !!
- J’avais déjà occulté cette option dans mes autres vies !! Même si celles-ci n’étaient qu’issues de mon imagination comme vous semblez tous le croire !! Pourquoi pas médecin ? J’adore soigner les gens !!
- (Pierre) Je crains que ton niveau d’étude ne te permette pas cette option, n’oublie pas que tu as quitté le lycée depuis plusieurs mois et que ce n’était pas folichon niveau notation !!
- Je me sens capable de passer mon BAC si ce n’est pas trop tard !! Je tiens réellement à être médecin vous savez ?
Je me tourne vers Philippe avec une idée soudaine qui m’apparaît comme lumineuse et devrait permettre de vérifier certains trucs qui s’ils se révélaient exacts, remettraient je pense beaucoup de choses en questions et pas que pour eux.
- D’ailleurs je t’ai soigné, toi !!
- (Philippe surpris) Comment ça ?
- Je me rappelle que tu m’avais parlé de tes crises d’asthme qui se sont déclarées à tes huit ans et que depuis que tu me connaissais, elles avaient disparues comme par miracle !!
Je semble être tombé dans le mille à voir la tête qu’il fait, je ne suis d’ailleurs pas mieux loti que lui niveau ahurissement de ce qu’impliquent mes dernières paroles et surtout en me rendant compte qu’elles ne viennent pas de mon vécu qui pour moi est censé être réel, mais tirer directement de mon rêve.
C’est donc d’une voix marquée par le trouble que je lui pose la question, attendant avidement sa réponse.
- Tu es bien asthmatique ?
CHAPITRE 21 (Philippe) (suite)
Philippe prend le temps d’analyser ma question, son regard redevient professionnel quand il me répond.
- C’est exact ! Mais je ne l’ai jamais caché et il est possible que lors d’une de nos séances, j’ai sans doute pris ma Ventoline devant toi comme ça m’arrive parfois quand j’ai une crise pendant mon travail.
Là, il marque un point et c’est avec dépit que je dois bien reconnaître qu’il peut avoir raison, mais je ne m’avoue pas facilement vaincu et il m’en a raconté suffisamment sur lui pendant toutes ces années où nous étions amis, pour que je trouve une faille qui le fera réfléchir à ce que peut-être tout n’est pas aussi simple qu’il semble le croire.
Un meuble ancien à la droite de son bureau m’amène alors des souvenirs remontant loin dans cette enfance merveilleuse où j’étais heureux de vivre.
- Te rappelles-tu avoir jamais ouvert ce meuble devant un de tes patients ?
- (Philippe) Je l’aurais voulu que ça m’ait été impossible, j’en ai égaré les clés il y a bien longtemps et ce qu’il contient ne sont que des souvenirs de ma propre enfance.
- Je me souviens pourtant t’avoir vu l’ouvrir une fois !!
- (Philippe) C’est impossible !!
- J’avais quatre ans alors et mes grands-parents m’avaient amené en consultation à cause d’un problème de mal-être que j’avais à suivre ma maternelle,
- (Philippe) Et pourquoi donc l’aurais-je ouvert ?
- Pour me prêter un livre afin de me faire patienter le temps d’avoir une conversation sur les raisons qu’ont eues mes grands-parents à m’amener chez toi.
- (Philippe) Quel genre de livre était-ce donc ?
- Oh !! Un très beau livre illustré que d’ailleurs tu m’as offert pour que je puisse terminer de le lire, c’était l’histoire de Moby Dick et je revois encore la couverture en carton gaufré aux enjolivures rouges au milieu de laquelle une énorme baleine blanche sortait de l’eau.
***/***
Pierre écoute depuis le début cette conversation qui au départ était toute professionnelle et qui au fur et à mesure s’est mise à dériver, perdant son aspect pédagogique pour devenir irrationnelle.
Quelque chose se passe entre son fils et le psychiatre, à commencer par le vouvoiement qui très vite s’est transformé en une conversation moins solennelle et surtout visiblement plus amicale, pour ensuite partir dans une direction inattendue.
Les paroles de son fils qui pour lui n’ont aucun sens si ce n’est de prouver combien le coup qu’il a reçu sur le crâne l’a fortement affecté, ont ensuite pris un tour surprenant du fait des réactions du spécialiste qui maintenant éprouve un intérêt croissant qui lui semble bien loin de ce pour quoi ils sont venus consulter.
- (Pierre) Allons Florian !! Comment veux-tu que ce que toi-même reconnais n’avoir été qu’un rêve, puisse avoir une quelconque réalité dans la vraie vie ?
- J’attends que Philippe me réponde papa !!
- (Pierre) Et bien docteur !! Ne laissez donc pas mon fils penser plus longtemps que cette histoire pourrait avoir un fond de vérité, cela ne l’aidera en rien à résoudre les problèmes qu’il va devoir rencontrer en sortant de votre cabinet.
- (Philippe troublé) Si vous voulez m’excuser un instant !! Je ne serai pas long !!
Il sort de son bureau en s’excusant une nouvelle fois et nous laisse seul, Pierre en profite pour avoir une conversation avec son fils.
- Crois-tu que tes paroles vont changer quoi que ce soit ? Comment peux-tu même un instant imaginer qu’un rêve pourrait avoir un impact sur la réalité, tu ferais mieux de réfléchir sérieusement à ses paroles pleines de bon sens.
- Pourquoi alors ne m’a-t-il pas renvoyé dans mes quinze mètres ? Je pense au contraire que quelque chose l’a troublé dans mes paroles.
Michel qui jusque-là ainsi que le reste de la famille s’était contenté d’écouter sans rien dire, prend la parole à son tour.
- Attendons de savoir ce qu’est parti faire le psy avant d’être aussi catégorique !!
- (Pierre) Tu ne vas pas te mettre à croire à toutes ces élucubrations issues d’un cerveau alors malade toi aussi ?
- (Michel) Quelque chose perturbe le docteur, Pierre !! Tu aurais dû faire plus attention à son visage, quelque chose me dit que nous allons aller de surprises en surprises.
- (Pierre) Tu as entendu comme moi pourtant !!
- (Michel) Justement !! C’est ce que j’ai entendu qui m’a fait réfléchir et si tu n’as pas fait attention à l’effarement évident pourtant du psy, regarde au moins ta mère!!
CHAPITRE 22 (Philippe) (fin)
Pierre fixe son père incrédule, il reporte ensuite son attention vers sa mère en se demandant bien où il veut en venir.
- Eh bien oui !! Quoi !! Maman est aussi curieuse que moi de savoir à quoi tu fais allusion il me semble, pas vrai m’man ?
- (Maryse) Je ne vois pas où veut en venir ton père.
- (Pierre amusé) Et bien tu n’es pas toute seule !!
Hellènes depuis le départ de Philippe observe son fils attentivement tout en écoutant la conversation et quand celui-ci fixe sa grand-mère avec de grands yeux émerveillés, elle reporte son regard vers Maryse en cherchant ce qui a bien pu lui amener une telle expression.
Ce qu’elle voit est une vieille femme alerte et attentive, les yeux brillants du plaisir encore récent d’avoir autour d’elle une famille enfin débarrassée de ces démons et se tenant avec une certaine élégance sur son siège, montrant ainsi la fierté qu’elle ressent de pouvoir enfin profiter de ceux qu’elle aime.
Hellènes comprend d’un coup les dernières paroles de Michel, ses yeux marquent l’effarement quand ils repartent aussitôt dans la direction de son fils et se retrouvent noyés dans son regard si pénétrant qui brille comme un soleil.
Des paroles lui reviennent alors en mémoire, celles de son fils racontant cette vie qui pour lui est la seule gravée dans ses souvenirs mais surtout ce rêve qu’il aurait fait où sa salive avait la particularité de guérir.
Elle revoit alors Maryse étendue sans vie sur le lit de la chambre d’amis avec Florian lui prodiguant les premiers secours et surtout en lui insufflant par la bouche l’oxygène nécessaire à maintenir son cerveau en état en attendant une prise en main médicalisée.
Une réflexion du médecin urgentiste s’étonnant de la rapidité avec laquelle Maryse s’est remise de son arrêt cardiaque et surtout l’étonnante santé qu’ont révélé les examens fait ensuite sur elle, s’étonnant qu’avec de tels résultats son cœur ait eu cette défaillance.
D’autres images lui reviennent, comme par exemple sa sortie de l’hôpital où elle a refusé le bras de son fils en prétextant qu’elle ne s’était jamais sentie aussi bien depuis très longtemps.
Hellènes va pour en faire la remarque à haute voix quand elle s’aperçoit du changement dans le regard de Florian qui a sans doute suivi ses pensées et du mouvement de sa tête allant plusieurs fois subrepticement de droite à gauche, lui signifiant qu’il préférerait qu’elle n’en fasse rien.
Elle referme donc la bouche sans prononcer une parole, replongeant dans ses pensées pour tenter de comprendre les implications de ce qu’elle croit avoir découvert et quand le psychiatre entre à nouveau dans son bureau, elle sait déjà qu’elles sont ses intentions et n’attend plus qu’à avoir la preuve qu’elle ne s’est pas trompée.
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Philippe tient en main un énorme trousseau de clés, il regarde la famille curieuse de le lui voir dans la main et sourit en donnant ses explications.
- Ça fait un moment que je voulais ouvrir cette armoire !! Il y en aura bien une qui ira dans tout ce lot de vieilles clés et quel moment serait le plus judicieux, je vous le demande !!
- (Pierre) Vous n’allez quand même pas entrer dans son jeu ? Le choc est encore récent et Florian confond encore le réel de l’imaginaire.
Philippe s’agenouille devant la porte de l’armoire et commence à essayer les clés une à une.
- Justement !! C’est le meilleur moyen pour lui en faire prendre conscience !! Non, ce n’est pas celle-là !! Peut-être !! Non plus !! Ah !! Ça a l’air de rentrer !!
Un clic retentit dans le bureau, suivi du sourire de satisfaction de Philippe qui ouvre alors la porte et plonge son regard à l’intérieur, ses mains en font de même pendant quelques longues secondes avant qu’elles ne se figent et que son visage devienne soudainement tout pâle.
Ses mains sortent alors de l’armoire en tenant ce qui ressemble à un livre très ancien, ses yeux restent un long moment fixés sur la couverture avant qu’il ne se relève pour le déposer sur son bureau en fixant le petit rouquin qui a alors un sourire de victoire.
Tous peuvent voir alors l’enluminure rouge légèrement passée par l’âge au centre de laquelle une énorme baleine blanche semble jaillir de l’eau.
- Mon Dieu !!! Comment est-ce possible !!
Je maintiens son regard, aussi ahuri que lui mais surtout cherchant au plus profond de mon cerveau ce qui pourrait expliquer l’inexplicable.
- Maintenant mon cher Philippe, il va nous falloir nous mettre au boulot !! J’espère qu’il reste de la place dans tes horaires de consultation ces prochaines semaines !! Nous avons tous les deux quatorze ans à rattraper !!